Comment Alcibiade a-t-il précipité la chute d'Athènes ? [QdH#10] (1)
Nous sommes en 404 avant Jésus-Christ, en Phrygie, actuelle Turquie.
L'ancien stratège d'Athènes Alcibiade est réfugié chez une maitresse.
Ses nombreux ennemis veulent sa mort.
Il faut dire que cet homme décrit comme beau et intelligent, est passé maitre dans l'art
de la trahison.
Durant sa vie il servira Athènes, Sparte et même l'ennemi historique des grecques : les perses.
Il est donc difficile de dire qui a commandité son assassinat.
Les frères de sa maitresse mettent le feu à la maison, obligeant Alcibiade à sortir,
épée à la main.
Il est alors transpercé par des flèches et des javelots, et meurt sans combattre.
Ce personnage romanesque et haut en couleur, a fortement marqué ses contemporains.
Revenons donc à travers le parcours d'Alcibiade, sur un épisode majeur de l'Antiquité, la
guerre du Péloponnèse, et demandons-nous comment un seul homme, a pu ruiner aussi rapidement,
une cité aussi rayonnante que celle d'Athènes au Vème siècle.
La Grèce au Vème siècle est constituée de nombreuses cités-états autonomes.
Lorsque les Perses tentent d'envahir la Grèce en -490 et -480, 2 grandes cités, Athènes
et Sparte s'associent pour repousser l'envahisseur.
Les victoires lors des batailles des Thermopyles, de Salamine ou de Platée vont permettre
de battre les Perses, même si la paix ne sera officiellement signée qu'en 449 après
une longue phase de reconquête.
Malgré cette alliance défensive réussie, les cités grecques vont désirer continuer
leur développement de manière autonome.
La période qui s'étend de 479 à 431 marque l'âge d'or d'Athènes.
Sparte décide d'abandonner la mer Égée au profit des athéniens, qui, pour chasser
les Perses situés sur cette myriade d'iles, crée une confédération de cités.
Son siège est à Délos mais c'est Athènes qui dirige réellement les opérations.
Très rapidement cette ligue de Délos va constituer un Empire maritime contrôlé par
les Athéniens.
Une thalassocratie, comme on l'appelle se met en place, dont les ports militaires et
commerciaux assurent la puissance.
Peu à peu, une rivalité va grandir entre les 2 grandes cités.
Si Athènes devient hégémonique sur la mer, Sparte reste très puissante sur terre.
Cette animosité va évoluer en affrontement périphériques, entre la Ligue de Délos
et la Ligue du Péloponnèse, constituée autour de Sparte
Par exemple, l'alliance d'Athènes avec Argos en 462 – ennemi héréditaire de Sparte
– combiné à la construction de remparts et d'arsenaux défensifs, montre bien l'attitude
belliqueuse de la cité envers les spartiates.
En 454, Athènes opère le transfert du trésor de la Ligue de Délos dans sa cité, afin
de l'exploiter.
C'est vers cette époque que commence la construction de l'Acropole d'ailleurs.
En 449 la paix est enfin signée avec les Perses.
Cela aurait dû logiquement mener à la dissolution de la Ligue de Délos, mais Athènes continue
d'exiger le Phoros – un tribu que doit payer les cités alliées – caractérisant clairement
son emprise sur les autres cités de la ligue.
En cas de non-paiement, Athènes intervient militairement.
Athènes, en ce milieu du Vème siècle, est la grande cité rayonnante de
la méditerranée.
C'est dans ce contexte favorable que nait Alcibiade vers 450.
Issu de famille très noble, il est adopté à la mort de son père par l'homme fort du
système athénien : Périclès.
Le destin le favorise : il est extrêmement riche et à la chance d'être particulièrement
beau et athlétique.
Il remportera même des épreuves de courses durant les jeux olympiques de 416, le couvrant
de gloire.
N'oublions pas qu'à cette époque, la beauté est célébrée.
Combiné à des qualités morales, elle forme l'homme idéal.
Alcibiade côtoie les grands esprits de ce siècle : Périclès donc, mais surtout le
grand philosophe Socrate, avec qui on lui prête une relation érotique.
Ce qui n'a rien de tabou dans la Grèce du Vème siècle.
Son éducation et une intelligence brillante font de lui un homme éloquent, qui sait persuader,
convaincre et séduire les foules.
Une brillante carrière politique s'ouvre à lui.
Mais Alcibiade a des défauts, et pas des moindres.
Il est vaniteux, arrogant, insolent – il n'hésitera pas à gifler son maitre d'école
par exemple – et sa beauté et son prestige font de lui un coureur de jupons ou, de toges.
Ses nombreuses relations avec les femmes lui poseront certains problèmes, nous le verrons.
Il faut ajouter à cela le gout du luxe, le manque de maitrise de soi, un grand penchant
pour les excès en tous genre et une absence totale de scrupule.
Ce qui commence à faire beaucoup.
Son ambition et son manque de considération pour le peuple vont constituer pour beaucoup
d'historiens un basculement dans la vie politique.
La chose publique, à partir d'Alcibiade, devient le prétexte à des visées carriéristes,
dont le seul objectif est le pouvoir.
L'entrée en politique d'Alcibiade s'effectue dans un contexte troublé par la guerre.
Revenons rapidement sur les causes de cette guerre entre les alliés de Sparte et ceux
d'Athènes, que l'on nomme guerre du Péloponnèse.
La situation entre les 2 cités n'arrêtait pas de se dégrader depuis la fin des guerres
médiques et la victoire sur les Perses.
Ces 2 cités s'opposent tout d'abord dans leur fonctionnement : à la démocratie athénienne,
s'oppose l'oligarchie spartiate.
Sans rentrer dans le détail des institutions, nous pouvons relever quelques différences
majeures entre les 2 cités : aux rois dynastiques spartiates, s'opposent des stratèges athéniens
élus.
A une assemblée réduite à Sparte à un rôle consultatif, s'oppose l'Ecclesia d'Athènes
ou près de 40.000 citoyens siègent.
L'Ecclesia vote les lois et élit les stratèges.
Cette opposition démocratie / oligarchie est centrale dans les causes de la guerre,
Athènes ou Sparte soutenant les cités en accord avec leurs principes.
Mais ces petites cités sont également tiraillées entre ces 2 systèmes politiques, provoquant
souvent des guerres civiles et des renversements d'alliance.
Les 2 cités disposent d'armées de métiers, même si les contraintes sont plus dures à
Sparte, armée connue pour être particulièrement puissante sur terre.
Côté athénien, c'est sa flotte qui constitue son grand atout.
En 433 et 432 la tension monte entre les 2 cités suite aux soutiens apporté à des
cités plus modestes.
Athènes va soutenir Corfou, révolté contre Corinthe, alliée des Spartiates.
Tandis qu'une révolte d'un membre de la Ligue de Délos –Potidée- contre l'hégémonie
Athénienne conduit cette même Corinthe à un soutien militaire de la petite cité.
En mai 431, la guerre entre les 2 ligues éclate officiellement.
La première phase de la guerre dure 10 ans, et ressemble à une guerre d'usure.
Périclès opte pour une stratégie originale mais qui s'avèrera défaillante.
Réfugier sa population derrière ses longs murs et assurer un ravitaillement par la mer.
Il souhaite soutenir une guerre maritime.
Mais une épidémie de peste va tuer un quart de la population athénienne en 430 – épidémie
liée à la concentration de la population derrière les murs.
Sparte va ravager l'Attique pendant 10 ans, tandis qu'Athènes s'attaquera aux cotes péloponnésiennes.
Lassées, lune paix est signée en 421, appellée paix de Nicias,
du nom de l'instigateur de ce traité.
Mais cette paix est très précaire, personne n'est réellement satisfait.
Après être passé par l'armée dans les années 420 – et avoir même était sauvé
par Socrate lors de la bataille de Potidée, Alcibiade entre dans la vie politique suite
à la paix de Nicias.
Usant d'opportunisme, il s'oppose à Nicias, prétendant représenter l'ambition et l'impérialisme
athénien.
Alcibiade ne cesse d'intriguer avec les villes indécises
comme Argos, qui changera sans cesse de camp.
Ce qui provoquera des tensions périphériques entre Athènes et Sparte.
Tous ces renversements d'alliances vont créer une instabilité politique forte entre partisans
de la guerre et de la paix, entre Alcibiade et Nicias, au point qu'Alcibiade sera visé
par une procédure d'ostracisme.
L'ostracisme était l'exil pour 10 ans d'un homme politique considéré comme dangereux
ou trop ambitieux.
Par d'habiles manoeuvres politiques Alcibiade échappe à ce bannissement.
Il représente désormais le parti de la guerre et va ébaucher aux citoyens son grand dessein
: l'annexion de la Sicile.
Prétextant l'aide à la cité de Ségeste – alliée des Athéniens- face à la puissante
Syracuse, l'ambition est ici de développer un Empire occidental tout en contrôlant les
importations de blé vers le Péloponnèse.
Et donc de faire pression sur Sparte.
Alcibiade cherche aussi la gloire évidemment.
En 415, décision est prise par les Athéniens d'envoyer plus d'une centaine de vaisseaux
en Sicile, sous le commandement d'Alcibiade mais aussi de Nicias et Lamachos.
Peu avant l'appareillage de la flotte, un évènement inattendu va compliquer l'expédition.
Dans la nuit du 7 au 8 juin 415, des statuts du Dieu Hermès sont profanées.
Un autre scandale s'ajoute à cela : la parodie des mystères d'Eleusis, cérémonie qui constituait
l'un des grands cultes Athéniens.
On accuse des jeunes gens ivres à la sortie d'un banquet.
Le nom d'Alcibiade revient dans les deux affaires.
La stupeur est générale.
Il ne faut pas plaisanter avec les divinités à cette époque.
Ces profanations vont créer une grave crise politique.
Une enquête est ouverte mais un climat de paranoïa s'installe.
L'expédition est tout de même maintenue.
En attendant les résultats de l'enquête, la flotte parvient à débarquer en Sicile
et s'emparer de Catane.
Premier problème : les 3 stratèges ont des vues différentes sur la manière de mener
les opérations.
Mais surtout, deuxième problème, Alcibiade – initiateur de l'expédition- est accusé
dans les parodies des mystères d'Eleusis et convoqué à Athènes.
Il préfère fuir et rejoindre la cité ennemie : Sparte.
Alors que les athéniens réussissent à prendre le plateau des Epipoles en 414, Alcibiade
conseille au roi Spartiate d'envoyer une armée.
Le général Gylippe va prêter main forte aux Syracusiens.
La situation s'équilibre puis s'inverse totalement malgré les renforts athéniens.
La bataille décisive a lieu sur les Epipoles.
Les armées de Nicias sont battues. 7000 prisonniers athéniens seront ensuite enfermés dans des
Latomies, des carrières à ciel ouvert, sans eau ni nourriture, exposés au soleil 70 jours.
Les quelques survivants seront vendus en esclavage.
L'expédition de Sicile est un désastre dont Athènes ne se relèvera pas réellement.
200 navires perdus, 50.000 hommes tombés.
Mais Alcibiade va pousser la trahison au rang d'art.
Il conseille aux spartiates de porter la guerre non loin d'Athènes, en Attique.
La forteresse de Décelie est occupée assez facilement.
20.000 esclaves athéniens passent à Sparte.
La situation financière de la cité maritime se dégrade.
D'autant qu'Alcibiade, connaissant les failles d'un système qui l'a vu grandir, propose
de détacher Athènes de ses alliés ioniens et de porter la guerre en Thrace.
Il réussit à associer les Perses et Sparte contre Athènes dans ces régions, ce qui
lui vaut quelques belles victoires.
La situation tend tout de même à se stabiliser, et Sparte commence à douter de la loyauté
de l'ancien athénien.
Alcibiade ne trouve rien de mieux à faire que de séduire la femme du roi de Sparte
Agis II.
Il préfère fuir avant de se faire assassiner et rejoins le satrape Tissapherne.
Un satrape est une sorte de gouverneur de Province du roi des Perses.
Il va cette fois-ci prôner une politique de conciliation et d'équilibre.
En réalité, Alcibiade souhaite secrètement retourner à Athènes et va ménager les 2
cités grecques par l'intermédiaire du gouverneur Perse.
Par d'habiles manoeuvres sous-terraines, Alcibiade, réussit à mettre en place un coup d'état
oligarchique en 411 à Athènes.
Les démocrates ayant besoin d'une aide extérieure, Il se présente alors en démocrate modéré.
Alcibiade est élu stratège mais ne revient pas encore à Athènes.
La 3ème phase de la guerre se déplace vers l'Hellespont, l'Ionie et le Bosphore.
Alcibiade reste un bon chef de guerre et joue un grand rôle dans les batailles d'Abydos
et de Cyzique, victorieuses pour Athènes.
Il se pose alors en sauveur.
Habile.
La situation se dégradant brusquement pour Athènes suite à la perte de colonies, on
le rappelle et lui promet de le réhabiliter et de lui rétablir ses biens.
Alcibiade revient enfin dans sa cité de naissance.
Mais la guerre continue, et Sparte, depuis l'expédition de Syracuse, a décidé de s'équiper
d'une flotte puissante.
Surtout qu'un navarque talentueux– un navarque c'est l'équivalent d'un amiral aujourd'hui
– prend le contrôle des vaisseaux Spartiate.
Son nom est Lysandre et il est soutenu par le fils du Roi Perse.
Même si Alcibiade ne sera pas en premier ligne lors de la bataille de Notion, il est tenu
comme responsable de cette lourde défaite pour les athéniens.