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Guy de Maupassant - Fort Comme La Mort, Partie 8

Partie 8

Olivier lui baisa la main et reprit en souriant :

« Oh ! ce soir, je ne fais point de philosophie. Je suis tout à l'heure présente. Elle murmura :

« Vous ne m'aimez pas comme je vous aime ! – Ah ! par exemple !… »

Elle l'interrompit : « Non, vous aimez en moi, comme vous le disiez fort bien avant dîner, une femme qui satisfait les besoins de votre cœur, une femme qui ne vous a jamais fait une peine et qui a mis un peu de bonheur dans votre vie. Cela, je le sais, je le sens. Oui, j'ai la conscience, j'ai la joie ardente de vous avoir été bonne, utile et secourable. Vous avez aimé, vous aimez encore tout ce que vous trouvez en moi d'agréable, mes attentions pour vous, mon admiration, mon souci de vous plaire, ma passion, le don complet que je vous ai fait de mon être intime. Mais ce n'est pas moi que vous aimez, comprenez-vous ! Oh, cela je le sens comme on sent un courant d'air froid. Vous aimez en moi mille choses, ma beauté, qui s'en va, mon dévouement, l'esprit qu'on me trouve, l'opinion qu'on a de moi dans le monde, celle que j'ai de vous dans mon cœur ; mais ce n'est pas moi, moi, rien que moi, comprenez-vous ? Il eut un petit rire amical :

« Non, je ne comprends pas trop bien. Vous me faites une scène de reproches très inattendue. Elle s'écria : « Oh, mon Dieu ! Je voudrais vous faire comprendre comment je vous aime, moi ! Voyons, je cherche, je ne trouve pas. Quand je pense à vous, et j'y pense toujours, je sens jusqu'au fond de ma chair et de mon âme une ivresse indicible de vous appartenir, et un besoin irrésistible de vous donner davantage de moi. Je voudrais me sacrifier d'une façon absolue, car il n'y a rien de meilleur, quand on aime, que de donner, de donner toujours, tout, tout, sa vie, sa pensée, son corps, tout ce qu'on a, et de bien sentir qu'on donne et d'être prête à tout risquer pour donner plus encore. Je vous aime, jusqu'à aimer souffrir pour vous, jusqu'à aimer mes inquiétudes, mes tourments, mes jalousies, la peine que j'ai quand je ne vous sens plus tendre pour moi. J'aime en vous quelqu'un que seule j'ai découvert, un vous qui n'est pas celui du monde, celui qu'on admire, celui qu'on connaît, un vous qui est le mien, qui ne peut plus changer, qui ne peut pas vieillir, que je ne peux pas ne plus aimer, car j'ai, pour le regarder, des yeux qui ne voient plus que lui. Mais on ne peut pas dire ces choses. Il n'y a pas de mots pour les exprimer. Il répéta tout bas, plusieurs fois de suite :

« Chère, chère, chère Any. Julio revenait en bondissant, sans avoir trouvé la caille qui s'était tue à son approche, et Annette le suivait toujours, essoufflée d'avoir couru. « Je n'en puis plus, dit-elle. Je me cramponne à vous, monsieur le peintre ! Elle s'appuya sur le bras libre d'Olivier et ils rentrèrent, marchant ainsi, lui entre elles, sous les arbres noirs. Ils ne parlaient plus. Il avançait, possédé par elles, pénétré par une sorte de fluide féminin dont leur contact l'inondait. Il ne cherchait pas à les voir, puisqu'il les avait contre lui, et même il fermait les yeux pour mieux les sentir. Elles le guidaient, le conduisaient, et il allait devant lui, épris d'elles, de celle de gauche comme de celle de droite, sans savoir laquelle était à gauche, laquelle était à droite, laquelle était la mère, laquelle était la fille. Il s'abandonnait volontairement avec une sensualité inconsciente et raffinée au trouble de cette sensation. Il cherchait même à les mêler dans son cœur, à ne plus les distinguer dans sa pensée, et il berçait son désir au charme de cette confusion. N'était-ce pas une seule femme que cette mère et cette fille si pareilles ? et la fille ne semblait-elle pas venue sur la terre uniquement pour rajeunir son amour ancien pour la mère ?

Quand il rouvrit les yeux en pénétrant dans le château, il lui sembla qu'il venait de passer les plus délicieuses minutes de sa vie, de subir la plus étrange, la plus inanalysable et la plus complète émotion que pût goûter un homme, grisé d'une même tendresse par la séduction émanée de deux femmes. « Ah ! l'exquise soirée ! » dit-il, dès qu'il se retrouva entre elles à la lumière des lampes. Annette s'écria : « Je n'ai pas du tout besoin de dormir, moi ; je passerais toute la nuit à me promener quand il fait beau. La comtesse regarda la pendule :

« Oh ! il est onze heures et demie. Il faut se coucher, mon enfant. Ils se séparèrent, chacun allant vers son appartement. Seule, la jeune fille qui n'avait pas envie de se mettre au lit, dormit bien vite. Le lendemain, à l'heure ordinaire, lorsque la femme de chambre, après avoir ouvert les rideaux et les auvents, apporta le thé et regarda sa maîtresse encore ensommeillée, elle lui dit : « Madame a déjà meilleure mine aujourd'hui. – Vous croyez ?

– Oh ! oui. La figure de Madame est plus reposée. La comtesse, sans s'être encore regardée, savait bien que c'était vrai. Son cœur était léger, elle ne le sentait pas battre, et elle se sentait vivre. Le sang qui coulait en ses veines n'était plus rapide comme la veille, chaud et chargé de fièvre, promenant en toute sa chair de l'énervement et de l'inquiétude, mais il y répandait un tiède bien-être, et aussi de la confiance heureuse. Quand la domestique fut sortie, elle alla se voir dans la glace. Elle fut un peu surprise, car elle se sentait si bien qu'elle s'attendait à se trouver rajeunie, en une seule nuit, de plusieurs années. Puis elle comprit l'enfantillage de cet espoir, et, après s'être encore regardée, elle se résigna à constater qu'elle avait seulement le teint plus clair, les yeux moins fatigués, les lèvres plus vives que la veille. Comme son âme était contente, elle ne pouvait s'attrister, et elle sourit en pensant : « Oui, dans quelques jours, je serai tout à fait bien. J'ai été trop éprouvée pour me remettre si vite. Mais elle resta longtemps, très longtemps assise devant sa table de toilette où étaient étalés, dans un ordre gracieux, sur une nappe de mousseline bordée de dentelles, devant un beau miroir de cristal taillé, tous ses petits instruments de coquetterie à manche d'ivoire portant son chiffre coiffé d'une couronne. Ils étaient là, innombrables, jolis, différents, destinés à des besognes délicates et secrètes, les uns en acier, fins et coupants, de formes bizarres, comme des outils de chirurgie pour opérer des bobos d'enfant, les autres ronds et doux, en plume, en duvet, en peau de bêtes inconnues, faits pour étendre sur la chair tendre la caresse des poudres odorantes, des parfums gras ou liquides. Longtemps elle les mania de ses doigts savants, promena de ses lèvres à ses tempes leur toucher plus moelleux qu'un baiser, corrigeant les nuances imparfaitement retrouvées, soulignant les yeux, soignant les cils. Quand elle descendit enfin, elle était à peu près sure que le premier regard qu'il lui jetterait ne serait pas trop défavorable. « Où est M. Bertin ? » demanda-t-elle au domestique rencontré dans le vestibule.

L'homme répondit : « M. Bertin est dans le verger, en train de faire une partie de lawn-tennis avec mademoiselle. Elle les entendit de loin crier les points.

L'une après l'autre, la voix sonore du peintre et la voix fine de la jeune fille annonçaient : quinze, trente, quarante, avantage, à deux, avantage, jeu. Le verger où avait été battu un terrain pour le lawn-tennis était un grand carré d'herbe planté de pommiers enclos par le parc, par le potager et par les fermes dépendant du château. Le long des talus qui le limitaient de trois côtés, comme les défenses d'un camp retranché, on avait fait pousser des fleurs, de longues plates-bandes de fleurs de toutes sortes, champêtres ou rares, des roses en quantité, des œillets, des héliotropes des fuchsias, du réséda, bien d'autres encore, qui donnaient à l'air un goût de miel, ainsi que disait Bertin. Des abeilles, d'ailleurs, dont les ruches alignaient leurs dômes de paille le long du mur aux espaliers du potager, couvraient ce champ fleuri de leur vol blond et ronflant. Juste au milieu de ce verger on avait abattu quelques pommiers, afin d'obtenir la place nécessaire au lawn-tennis, et un filet goudronné, tendu par le travers de cet espace, le séparait en deux camps. Annette, d'un côté, sa jupe noire relevée, nu-tête montrant ses chevilles et la moitié du mollet lorsqu'elle s'élançait pour attraper la balle au vol. allait, venait courait, les yeux brillants et les joues rouges, fatiguée, essoufflée par le jeu correct et sûr de son adversaire.

Lui, la culotte de flanelle blanche serrée aux reins sur la chemise pareille, coiffé d'une casquette à visière, blanche aussi, et le ventre un peu saillant, attendait la balle avec sang-froid, jugeait avec précision sa chute, la recevait et la renvoyait sans se presser, sans courir, avec l'aisance élégante, l'attention passionnée et l'adresse professionnelle qu'il apportait à tous les exercices. Ce fut Annette qui aperçut sa mère. Elle cria :

« Bonjour, maman ; attends une minute que nous ayons fini ce coup-là. Cette distraction d'une seconde la perdit. La balle passa contre elle, rapide et basse, presque roulante, toucha terre et sortit du jeu.

Tandis que Bertin criait : « Gagné », que la jeune fille, surprise, l'accusait d'avoir profité de son inattention, Julio, dressé à chercher et à retrouver, comme des perdrix tombées dans les broussailles, les balles perdues qui s'égaraient, s'élança derrière celle qui courait devant lui dans l'herbe, la saisit dans la gueule avec délicatesse, et la rapporta en remuant la queue. Le peintre, maintenant, saluait la comtesse ; mais, pressé de se remettre à jouer, animé par la lutte, content de se sentir souple, il ne jeta sur ce visage tant soigné pour lui qu'un coup d'œil court et distrait ; puis il demanda : « Vous permettez ? chère comtesse, j'ai peur de me refroidir et d'attraper une névralgie. – Oh ! oui », dit-elle.

Elle s'assit sur un tas de foin, fauché le matin même, pour donner champ libre aux joueurs, et, le cœur un peu triste tout à coup, les regarda. Sa fille, agacée de perdre toujours, s'animait, s'excitait, avait des cris de dépit ou de triomphe, des élans impétueux d'un bout à l'autre de son camp, et, souvent, dans ces bonds, des mèches de cheveux tombaient, déroulées, puis répandues sur ses épaules. Elle les saisissait, et, la raquette entre les genoux, en quelques secondes, avec des mouvements impatients, les rattachait en piquant des épingles, par grands coups, dans la masse de la chevelure.

« Hein ! est-elle jolie ainsi, et fraîche comme le jour ? Oui, elle était jeune, elle pouvait courir, avoir chaud, devenir rouge, perdre ses cheveux, tout braver, tout oser, car tout l'embellissait. Puis, quand ils se remettaient à jouer avec ardeur la comtesse, de plus en plus mélancolique, songeait qu'Olivier préférait cette partie de balle, cette agitation d'enfant, ce plaisir des petits chats qui sautent après des boules de papier, à la douceur de s'asseoir près d'elle, en cette chaude matinée, et de la sentir, aimante, contre lui. Quand la cloche, au loin, sonna le premier coup du déjeuner, il lui sembla qu'on la délivrait, qu'on lui ôtait un poids du cœur. Mais, comme elle revenait, appuyée à son bras, il lui dit :

« Je viens de m'amuser comme un gamin. C'est rudement bon d'être, ou de se croire jeune. Ah oui ! ah oui ! il n'y a que ça ! Quand on n'aime plus courir, on est fini ! En sortant de table, la comtesse qui, pour la première fois, la veille, n'avait pas été au cimetière, proposa d'y aller ensemble, et ils partirent tous les trois pour le village. Il fallait traverser le bois où coulait un ruisseau qu'on nommait la Rainette, sans doute à cause des petites grenouilles dont il était peuplé, puis franchir un bout de plaine avant d'arriver à l'église bâtie dans un groupe de maisons abritant l'épicier, le boulanger, le boucher, le marchand de vin et quelques autres modestes commerçants chez qui venaient s'approvisionner les paysans. L'aller fut silencieux et recueilli, la pensée de la morte oppressant les âmes. Sur la tombe, les deux femmes s'agenouillèrent et prièrent longtemps. La comtesse courbée, demeurait immobile, un mouchoir dans les yeux, car elle avait peur de pleurer, et que les larmes coulassent sur ses joues. Elle priait, non pas comme elle avait fait jusqu'à ce jour, par une espèce d'évocation de sa mère, par un appel désespéré sous le marbre de la tombe, jusqu'à ce qu'elle crût sentir à son émotion devenue déchirante que la morte l'entendait, l'écoutait, mais simplement en balbutiant avec ardeur les paroles consacrées du Pater noster et de l' Ave Maria . Elle n'aurait pas eu, ce jour-là, la force et la tension d'esprit qu'il lui fallait pour cette sorte de cruel entretien sans réponse avec ce qui pouvait demeurer de l'être disparu autour du trou qui cachait les restes de son corps. D'autres obsessions avaient pénétré dans son cœur de femme, l'avaient remuée, meurtrie, distraite ; et sa prière fervente montait vers le ciel pleine d'obscures supplications. Elle implorait Dieu, l'inexorable Dieu qui a jeté sur la terre toutes les pauvres créatures, afin qu'il eût pitié d'elle-même autant que de celle rappelée à lui. Elle n'aurait pu dire ce qu'elle lui demandait, tant ses appréhensions étaient encore cachées et confuses, mais elle sentit qu'elle avait besoin de l'aide divine, d'un secours surnaturel contre des dangers prochains et d'inévitables douleurs. Annette, les yeux fermés, après avoir aussi balbutié des formules, était partie en une rêverie, car elle ne voulait pas se relever avant sa mère.

Olivier Bertin les regardait, songeant qu'il avait devant lui un ravissant tableau et regrettant un peu qu'il ne lui fût pas permis de faire un croquis. En revenant, ils se mirent à parler de l'existence humaine, remuant doucement ces idées amères et poétiques d'une philosophie attendrie et découragée, qui sont un fréquent sujet de causerie entre les hommes et les femmes que la vie blesse un peu et dont les cœurs se mêlent en confondant leurs peines. Annette, qui n'était point mûre pour ces pensées, s'éloignait à chaque instant afin de cueillir des fleurs champêtres au bord du chemin. Mais Olivier, pris d'un désir de la garder près de lui, énervé de la voir sans cesse repartir, ne la quittait point de l'œil. Il s'irritait qu'elle s'intéressât aux couleurs des plantes plus qu'aux phrases qu'il prononçait. Il éprouvait un malaise inexprimable de ne pas la captiver, la dominer comme sa mère, et une envie d'étendre la main, de la saisir, de la retenir, de lui défendre de s'en aller. Il la sentait trop alerte, trop jeune, trop indifférente, trop libre, libre comme un oiseau, comme un jeune chien qui n'aboie pas, qui ne revient point, qui a dans les veines l'indépendance, ce joli instinct de liberté que la voix et le fouet n'ont pas encore vaincu. Pour l'attirer, il parla de choses plus gaies, et parfois il l'interrogeait, cherchait à éveiller un désir d'écouter et sa curiosité de femme ; mais on eût dit que le vent capricieux du grand ciel soufflait dans la tête d'Annette ce jour-là, comme sur les épis ondoyants, emportait et dispersait son attention dans l'espace, car elle avait à peine répondu le mot banal attendu d'elle, jeté entre deux fuites avec un regard distrait, qu'elle retournait à ses fleurettes. Il s'exaspérait à la fin, mordu par une impatience puérile, et, comme elle venait prier sa mère de porter son premier bouquet pour qu'elle en pût cueillir un autre, il l'attrapa par le coude et lui serra le bras afin qu'elle ne s'échappât plus. Elle se débattait en riant et tirait de toute sa force pour s'en aller, alors, mû par un instinct d'homme, il employa le moyen des faibles, et ne pouvant séduire son attention, il l'acheta en tentant sa coquetterie. « Dis-moi, dit-il, quelle fleur tu préfères, je t'en ferai faire une broche. Elle hésita, surprise.

« Une broche, comment ?

– En pierres de la même couleur : en rubis si c'est le coquelicot ; en saphir si c'est le bluet, avec une petite feuille en émeraudes. La figure d'Annette s'éclaira de cette joie affectueuse dont les promesses et les cadeaux animent les traits des femmes. « Le bluet, dit-elle, c'est si gentil ! – Va pour un bluet. Nous irons le commander dès que nous serons de retour à Paris. Elle ne partait plus, attachée à lui par la pensée du bijou qu'elle essayait déjà d'apercevoir, d'imaginer. Elle demanda :

« Est-ce très long à faire, une chose comme ça ? Il riait, la sentant prise.

« Je ne sais pas, cela dépend des difficultés. Nous presserons le bijoutier. Elle fut soudain traversée par une réflexion navrante.

« Mais je ne pourrai pas le porter, puisque je suis en grand deuil. Il avait passé son bras sous celui de la jeune fille, et la serrant contre lui :

« Eh bien, tu garderas ta broche pour la fin de ton deuil, cela ne t'empêchera pas de la contempler. Comme la veille au soir, il était entre elles, tenu, serré, captif entre leurs épaules, et pour voir se lever sur lui leurs yeux bleus pareils, pointillés de grains noirs, il leur parlait à tour de rôle, en tournant la tête vers l'une et vers l'autre. Le grand soleil les éclairant, il confondait moins à présent la comtesse avec Annette, mais il confondait de plus en plus la fille avec le souvenir renaissant de ce qu'avait été la mère. Il avait envie de les embrasser l'une et l'autre, l'une pour retrouver sur sa joue et sur sa nuque un peu de cette fraîcheur rose et blonde qu'il avait savourée jadis, et qu'il revoyait aujourd'hui miraculeusement reparue, l'autre parce qu'il l'aimait toujours et qu'il sentait venir d'elle l'appel puissant d'une habitude ancienne. Il constatait même, à cette heure, et comprenait que son désir un peu lassé depuis longtemps et que son affection pour elle s'étaient ranimés à la vue de sa jeunesse ressuscitée. Annette repartit chercher des fleurs. Olivier ne la rappelait plus, comme si le contact de son bras et la satisfaction de la joie donnée par lui l'eussent apaisé, mais il la suivait en tous ses mouvements, avec le plaisir qu'on éprouve à voir les êtres ou les choses qui captivent nos yeux et les grisent. Quand elle revenait, apportant une gerbe, il respirait plus fortement, cherchant, sans y songer, quelque chose d'elle, un peu de son haleine ou de la chaleur de sa peau dans l'air remué par sa course. Il la regardait avec ravissement, comme on regarde une aurore, comme on écoute de la musique avec des tressaillements d'aise quand elle se baissait, se redressait, levait les deux bras en même temps pour remettre en place sa coiffure. Et puis, de plus en plus, d'heure en heure, elle activait en lui l'évocation de l'autrefois ! Elle avait des rires, des gentillesses, des mouvements qui lui mettaient sur la bouche le goût des baisers donnés et rendus jadis, elle faisait du passé lointain, dont il avait perdu la sensation précise, quelque chose de pareil à un présent rêvé ; elle brouillait les époques, les dates, les âges de son cœur, et rallumant des émotions refroidies, mêlait, sans qu'il s'en doutât, hier avec demain, le souvenir avec l'espérance. Il se demandait en fouillant sa mémoire si la comtesse, en son plus complet épanouissement, avait eu ce charme souple de chèvre, ce charme hardi, capricieux, irrésistible, comme la grâce d'un animal qui court et qui saute. Non. Elle avait été plus épanouie et moins sauvage. Fille des villes, puis femme des villes, n'ayant jamais bu l'air des champs et vécu dans l'herbe, elle était devenue jolie à l'ombre des murs, et non pas au soleil du ciel. Quand ils furent rentrés au château, la comtesse se mit à écrire des lettres sur sa petite table basse, dans l'embrasure d'une fenêtre ; Annette monta dans sa chambre, et le peintre ressortit pour marcher à pas lents, un cigare à la bouche, les mains derrière le dos, par les chemins tournants du parc. Mais il ne s'éloignait pas jusqu'à perdre de vue la façade blanche ou le toit pointu de la demeure. Dès qu'elle avait disparu derrière les bouquets d'arbres ou les massifs d'arbustes, il avait une ombre sur le cœur, comme lorsqu'un nuage couvre le soleil, et quand elle reparaissait dans les trouées de verdure, il s'arrêtait quelques secondes pour contempler les deux lignes de hautes fenêtres. Puis il se remettait en route.

Il se sentait agité, mais content, content de quoi ? de tout.

L'air lui semblait pur, la vie bonne, ce jour-là. Il se sentait de nouveau dans le corps des légèretés de petit garçon, des envies de courir et d'attraper avec ses mains les papillons jaunes qui sautillaient sur la pelouse comme s'ils eussent été suspendus au bout de fils élastiques. Il chantonnait des airs d'opéra. Plusieurs fois de suite, il répéta la phrase célèbre de Gounod : « Laisse-moi contempler ton visage », y découvrant une expression profondément tendre qu'il n'avait jamais sentie ainsi. Soudain, il se demanda comment il se pouvait faire qu'il fût devenu si vite si différent de lui-même. Hier, à Paris, mécontent de tout, dégoûté, irrité, aujourd'hui calme, satisfait de tout, on eût dit qu'un dieu complaisant avait changé son âme. « Ce bon dieu-là, pensa-t-il, aurait bien dû me changer de corps en même temps, et me rajeunir un peu. » Tout à coup, il aperçut Julio qui chassait dans un fourré. Il l'appela, et quand le chien fut venu placer sous la main sa tête fine coiffée de longues oreilles frisottées, il s'assit dans l'herbe pour le mieux flatter, lui dit des gentillesses, le coucha sur ses genoux, et s'attendrissant à le caresser, l'embrassa comme font les femmes dont le cœur s'émeut à toute occasion. Après le dîner, au lieu de sortir comme la veille, ils passèrent la soirée au salon, en famille.

La comtesse dit tout à coup :

« Il va pourtant falloir que nous partions ! Olivier s'écria : « Oh, ne parlez pas encore de ça ! Vous ne vouliez pas quitter Roncières quand je n'y étais pas. J'arrive, et vous ne pensez plus qu'à filer. – Mais, mon cher ami, dit-elle, nous ne pouvons pourtant demeurer ici indéfiniment tous les trois.

– Il ne s'agit point d'indéfiniment, mais de quelques jours. Combien de fois suis-je resté chez vous des semaines entières ?

– Oui, mais en d'autres circonstances, alors que la maison était ouverte à tout le monde. Alors Annette, d'une voix câline : « Oh, maman ! quelques jours encore, deux ou trois. Il m'apprend si bien à jouer au tennis. Je me fâche quand je perds, et puis après je suis si contente d'avoir fait des progrès ! Le matin même, la comtesse projetait de faire durer jusqu'au dimanche ce séjour mystérieux de l'ami, et maintenant elle voulait partir, sans savoir pourquoi. Cette journée qu'elle avait espérée si bonne, lui laissait à l'âme une tristesse inexprimable et pénétrante, une appréhension sans cause, tenace et confuse comme un pressentiment. Quand elle se retrouva seule dans sa chambre, elle chercha même d'où lui venait ce nouvel accès mélancolique. Avait-elle subi une de ces imperceptibles émotions dont l'effleurement a été si fugitif que la raison ne s'en souvient point, mais dont la vibration demeure aux cordes du cœur les plus sensibles ? – Peut-être. Laquelle ? Elle se rappela bien quelques inavouables contrariétés dans les mille nuances de sentiment par lesquelles elle avait passé, chaque minute apportant la sienne ! Or, elles étaient vraiment trop menues pour lui laisser ce découragement. « Je suis exigeante, pensait-elle. Je n'ai pas le droit de me tourmenter ainsi. Elle ouvrit sa fenêtre, afin de respirer l'air de la nuit, et elle y demeura accoudée, les yeux sur la lune. Un bruit léger lui fit baisser la tête. Olivier se promenait devant le château. »Pourquoi a-t-il dit qu'il rentrait chez lui, pensa-t-elle ; pourquoi ne m'a-t-il pas prévenue qu'il ressortait ? ne m'a-t-il pas demandé de venir avec lui ? Il sait bien que cela m'aurait rendue si heureuse. À quoi songe-t-il donc ? Cette idée qu'il n'avait pas voulu d'elle pour cette promenade, qu'il avait préféré s'en aller seul par cette belle nuit, seul, un cigare à la bouche, car elle voyait le point rouge du feu, seul, quand il aurait pu lui donner cette joie de l'emmener. Cette idée qu'il n'avait pas sans cesse besoin d'elle, sans cesse envie d'elle, lui jeta dans l'âme un nouveau ferment d'amertume. Elle allait fermer sa fenêtre pour ne plus le voir, pour n'être plus tentée de l'appeler, quand il leva les yeux et l'aperçut. Il cria :

« Tiens, vous rêvez aux étoiles, comtesse ? Elle répondit :

« Oui, vous aussi, à ce que je vois ?

– Oh ! moi, je fume tout simplement. Elle ne put résister au désir de demander :

« Comment ne m'avez-vous pas prévenue que vous sortiez ? – Je voulais seulement griller un cigare. Je rentre, d'ailleurs. – Alors bonsoir, mon ami.

– Bonsoir, comtesse. Elle recula jusqu'à sa chaise basse, s'y assit, et pleura ; et la femme de chambre, appelée pour la mettre au lit, voyant ses yeux rouges, lui dit avec compassion : « Ah ! Madame va encore se faire une vilaine figure pour demain. La comtesse dormit mal, fiévreuse, agitée par des cauchemars. Dès son réveil, avant de sonner, elle ouvrit elle-même sa fenêtre et ses rideaux pour se regarder dans la glace. Elle avait les traits tirés, les paupières gonflées, le teint jaune ; et le chagrin qu'elle en éprouva fut si violent, qu'elle eut envie de se dire malade, de garder le lit et de ne se pas montrer jusqu'au soir. Puis, soudain, le besoin de partir entra en elle, irrésistible, de partir tout de suite, par le premier train, de quitter ce pays clair où l'on voyait trop, dans le grand jour des champs, les ineffaçables fatigues du chagrin et de la vie. À Paris, on vit dans la demi-ombre des appartements, où les rideaux lourds, même en plein midi, ne laissent entrer qu'une lumière douce. Elle y redeviendrait elle-même, belle, avec la pâleur qu'il faut dans cette lueur éteinte et discrète. Alors le visage d'Annette lui passa devant les yeux, rouge, un peu dépeigné, si frais, quand elle jouait au lawn-tennis. Elle comprit l'inquiétude inconnue dont avait souffert son âme. Elle n'était point jalouse de la beauté de sa fille ! Non, certes, mais elle sentait, elle s'avouait pour la première fois qu'il ne fallait plus jamais se montrer près d'elle, en plein soleil. Elle sonna, et, avant de boire son thé, elle donna des ordres pour le départ, écrivit des dépêches, commanda même par le télégraphe son dîner du soir, arrêta ses comptes de campagne, distribua ses instructions dernières, régla tout en moins d'une heure, en proie à une impatience fébrile et grandissante. Quand elle descendit, Annette et Olivier, prévenus de cette décision, l'interrogèrent avec surprise. Puis, voyant qu'elle ne donnait, pour ce brusque départ, aucune raison précise, ils grognèrent un peu et montrèrent leur mécontentement jusqu'à l'instant de se séparer dans la cour de la gare, à Paris. La comtesse, tendant la main au peintre, lui demanda :

« Voulez-vous venir dîner demain ? Il répondit, un peu boudeur :

« Certainement, je viendrai. C'est égal, ce n'est pas gentil, ce que vous avez fait. Nous étions si bien, là-bas, tous les trois !


Partie 8 Part 8

Olivier lui baisa la main et reprit en souriant :

« Oh ! ce soir, je ne fais point de philosophie. Je suis tout à l'heure présente. Elle murmura :

« Vous ne m'aimez pas comme je vous aime ! – Ah ! par exemple !… »

Elle l'interrompit : « Non, vous aimez en moi, comme vous le disiez fort bien avant dîner, une femme qui satisfait les besoins de votre cœur, une femme qui ne vous a jamais fait une peine et qui a mis un peu de bonheur dans votre vie. Cela, je le sais, je le sens. Oui, j'ai la conscience, j'ai la joie ardente de vous avoir été bonne, utile et secourable. Vous avez aimé, vous aimez encore tout ce que vous trouvez en moi d'agréable, mes attentions pour vous, mon admiration, mon souci de vous plaire, ma passion, le don complet que je vous ai fait de mon être intime. Mais ce n'est pas moi que vous aimez, comprenez-vous ! Oh, cela je le sens comme on sent un courant d'air froid. Vous aimez en moi mille choses, ma beauté, qui s'en va, mon dévouement, l'esprit qu'on me trouve, l'opinion qu'on a de moi dans le monde, celle que j'ai de vous dans mon cœur ; mais ce n'est pas moi, moi, rien que moi, comprenez-vous ? Il eut un petit rire amical :

« Non, je ne comprends pas trop bien. Vous me faites une scène de reproches très inattendue. Elle s'écria : « Oh, mon Dieu ! Je voudrais vous faire comprendre comment je vous aime, moi ! Voyons, je cherche, je ne trouve pas. Quand je pense à vous, et j'y pense toujours, je sens jusqu'au fond de ma chair et de mon âme une ivresse indicible de vous appartenir, et un besoin irrésistible de vous donner davantage de moi. Je voudrais me sacrifier d'une façon absolue, car il n'y a rien de meilleur, quand on aime, que de donner, de donner toujours, tout, tout, sa vie, sa pensée, son corps, tout ce qu'on a, et de bien sentir qu'on donne et d'être prête à tout risquer pour donner plus encore. Je vous aime, jusqu'à aimer souffrir pour vous, jusqu'à aimer mes inquiétudes, mes tourments, mes jalousies, la peine que j'ai quand je ne vous sens plus tendre pour moi. J'aime en vous quelqu'un que seule j'ai découvert, un vous qui n'est pas celui du monde, celui qu'on admire, celui qu'on connaît, un vous qui est le mien, qui ne peut plus changer, qui ne peut pas vieillir, que je ne peux pas ne plus aimer, car j'ai, pour le regarder, des yeux qui ne voient plus que lui. Mais on ne peut pas dire ces choses. Il n'y a pas de mots pour les exprimer. Il répéta tout bas, plusieurs fois de suite :

« Chère, chère, chère Any. Julio revenait en bondissant, sans avoir trouvé la caille qui s'était tue à son approche, et Annette le suivait toujours, essoufflée d'avoir couru. « Je n'en puis plus, dit-elle. Je me cramponne à vous, monsieur le peintre ! Elle s'appuya sur le bras libre d'Olivier et ils rentrèrent, marchant ainsi, lui entre elles, sous les arbres noirs. Ils ne parlaient plus. Il avançait, possédé par elles, pénétré par une sorte de fluide féminin dont leur contact l'inondait. Il ne cherchait pas à les voir, puisqu'il les avait contre lui, et même il fermait les yeux pour mieux les sentir. Elles le guidaient, le conduisaient, et il allait devant lui, épris d'elles, de celle de gauche comme de celle de droite, sans savoir laquelle était à gauche, laquelle était à droite, laquelle était la mère, laquelle était la fille. Il s'abandonnait volontairement avec une sensualité inconsciente et raffinée au trouble de cette sensation. Il cherchait même à les mêler dans son cœur, à ne plus les distinguer dans sa pensée, et il berçait son désir au charme de cette confusion. N'était-ce pas une seule femme que cette mère et cette fille si pareilles ? et la fille ne semblait-elle pas venue sur la terre uniquement pour rajeunir son amour ancien pour la mère ?

Quand il rouvrit les yeux en pénétrant dans le château, il lui sembla qu'il venait de passer les plus délicieuses minutes de sa vie, de subir la plus étrange, la plus inanalysable et la plus complète émotion que pût goûter un homme, grisé d'une même tendresse par la séduction émanée de deux femmes. « Ah ! l'exquise soirée ! » dit-il, dès qu'il se retrouva entre elles à la lumière des lampes. Annette s'écria : « Je n'ai pas du tout besoin de dormir, moi ; je passerais toute la nuit à me promener quand il fait beau. La comtesse regarda la pendule :

« Oh ! il est onze heures et demie. Il faut se coucher, mon enfant. Ils se séparèrent, chacun allant vers son appartement. Seule, la jeune fille qui n'avait pas envie de se mettre au lit, dormit bien vite. Le lendemain, à l'heure ordinaire, lorsque la femme de chambre, après avoir ouvert les rideaux et les auvents, apporta le thé et regarda sa maîtresse encore ensommeillée, elle lui dit : « Madame a déjà meilleure mine aujourd'hui. – Vous croyez ?

– Oh ! oui. La figure de Madame est plus reposée. La comtesse, sans s'être encore regardée, savait bien que c'était vrai. Son cœur était léger, elle ne le sentait pas battre, et elle se sentait vivre. Le sang qui coulait en ses veines n'était plus rapide comme la veille, chaud et chargé de fièvre, promenant en toute sa chair de l'énervement et de l'inquiétude, mais il y répandait un tiède bien-être, et aussi de la confiance heureuse. Quand la domestique fut sortie, elle alla se voir dans la glace. Elle fut un peu surprise, car elle se sentait si bien qu'elle s'attendait à se trouver rajeunie, en une seule nuit, de plusieurs années. Puis elle comprit l'enfantillage de cet espoir, et, après s'être encore regardée, elle se résigna à constater qu'elle avait seulement le teint plus clair, les yeux moins fatigués, les lèvres plus vives que la veille. Comme son âme était contente, elle ne pouvait s'attrister, et elle sourit en pensant : « Oui, dans quelques jours, je serai tout à fait bien. J'ai été trop éprouvée pour me remettre si vite. Mais elle resta longtemps, très longtemps assise devant sa table de toilette où étaient étalés, dans un ordre gracieux, sur une nappe de mousseline bordée de dentelles, devant un beau miroir de cristal taillé, tous ses petits instruments de coquetterie à manche d'ivoire portant son chiffre coiffé d'une couronne. Ils étaient là, innombrables, jolis, différents, destinés à des besognes délicates et secrètes, les uns en acier, fins et coupants, de formes bizarres, comme des outils de chirurgie pour opérer des bobos d'enfant, les autres ronds et doux, en plume, en duvet, en peau de bêtes inconnues, faits pour étendre sur la chair tendre la caresse des poudres odorantes, des parfums gras ou liquides. Longtemps elle les mania de ses doigts savants, promena de ses lèvres à ses tempes leur toucher plus moelleux qu'un baiser, corrigeant les nuances imparfaitement retrouvées, soulignant les yeux, soignant les cils. Quand elle descendit enfin, elle était à peu près sure que le premier regard qu'il lui jetterait ne serait pas trop défavorable. « Où est M. Bertin ? » demanda-t-elle au domestique rencontré dans le vestibule.

L'homme répondit : « M. Bertin est dans le verger, en train de faire une partie de lawn-tennis avec mademoiselle. Elle les entendit de loin crier les points.

L'une après l'autre, la voix sonore du peintre et la voix fine de la jeune fille annonçaient : quinze, trente, quarante, avantage, à deux, avantage, jeu. Le verger où avait été battu un terrain pour le lawn-tennis était un grand carré d'herbe planté de pommiers enclos par le parc, par le potager et par les fermes dépendant du château. Le long des talus qui le limitaient de trois côtés, comme les défenses d'un camp retranché, on avait fait pousser des fleurs, de longues plates-bandes de fleurs de toutes sortes, champêtres ou rares, des roses en quantité, des œillets, des héliotropes des fuchsias, du réséda, bien d'autres encore, qui donnaient à l'air un goût de miel, ainsi que disait Bertin. Des abeilles, d'ailleurs, dont les ruches alignaient leurs dômes de paille le long du mur aux espaliers du potager, couvraient ce champ fleuri de leur vol blond et ronflant. Juste au milieu de ce verger on avait abattu quelques pommiers, afin d'obtenir la place nécessaire au lawn-tennis, et un filet goudronné, tendu par le travers de cet espace, le séparait en deux camps. Annette, d'un côté, sa jupe noire relevée, nu-tête montrant ses chevilles et la moitié du mollet lorsqu'elle s'élançait pour attraper la balle au vol. allait, venait courait, les yeux brillants et les joues rouges, fatiguée, essoufflée par le jeu correct et sûr de son adversaire.

Lui, la culotte de flanelle blanche serrée aux reins sur la chemise pareille, coiffé d'une casquette à visière, blanche aussi, et le ventre un peu saillant, attendait la balle avec sang-froid, jugeait avec précision sa chute, la recevait et la renvoyait sans se presser, sans courir, avec l'aisance élégante, l'attention passionnée et l'adresse professionnelle qu'il apportait à tous les exercices. Ce fut Annette qui aperçut sa mère. Elle cria :

« Bonjour, maman ; attends une minute que nous ayons fini ce coup-là. Cette distraction d'une seconde la perdit. La balle passa contre elle, rapide et basse, presque roulante, toucha terre et sortit du jeu.

Tandis que Bertin criait : « Gagné », que la jeune fille, surprise, l'accusait d'avoir profité de son inattention, Julio, dressé à chercher et à retrouver, comme des perdrix tombées dans les broussailles, les balles perdues qui s'égaraient, s'élança derrière celle qui courait devant lui dans l'herbe, la saisit dans la gueule avec délicatesse, et la rapporta en remuant la queue. Le peintre, maintenant, saluait la comtesse ; mais, pressé de se remettre à jouer, animé par la lutte, content de se sentir souple, il ne jeta sur ce visage tant soigné pour lui qu'un coup d'œil court et distrait ; puis il demanda : « Vous permettez ? chère comtesse, j'ai peur de me refroidir et d'attraper une névralgie. – Oh ! oui », dit-elle.

Elle s'assit sur un tas de foin, fauché le matin même, pour donner champ libre aux joueurs, et, le cœur un peu triste tout à coup, les regarda. Sa fille, agacée de perdre toujours, s'animait, s'excitait, avait des cris de dépit ou de triomphe, des élans impétueux d'un bout à l'autre de son camp, et, souvent, dans ces bonds, des mèches de cheveux tombaient, déroulées, puis répandues sur ses épaules. Elle les saisissait, et, la raquette entre les genoux, en quelques secondes, avec des mouvements impatients, les rattachait en piquant des épingles, par grands coups, dans la masse de la chevelure.

« Hein ! est-elle jolie ainsi, et fraîche comme le jour ? Oui, elle était jeune, elle pouvait courir, avoir chaud, devenir rouge, perdre ses cheveux, tout braver, tout oser, car tout l'embellissait. Puis, quand ils se remettaient à jouer avec ardeur la comtesse, de plus en plus mélancolique, songeait qu'Olivier préférait cette partie de balle, cette agitation d'enfant, ce plaisir des petits chats qui sautent après des boules de papier, à la douceur de s'asseoir près d'elle, en cette chaude matinée, et de la sentir, aimante, contre lui. Quand la cloche, au loin, sonna le premier coup du déjeuner, il lui sembla qu'on la délivrait, qu'on lui ôtait un poids du cœur. Mais, comme elle revenait, appuyée à son bras, il lui dit :

« Je viens de m'amuser comme un gamin. C'est rudement bon d'être, ou de se croire jeune. Ah oui ! ah oui ! il n'y a que ça ! Quand on n'aime plus courir, on est fini ! En sortant de table, la comtesse qui, pour la première fois, la veille, n'avait pas été au cimetière, proposa d'y aller ensemble, et ils partirent tous les trois pour le village. Il fallait traverser le bois où coulait un ruisseau qu'on nommait la Rainette, sans doute à cause des petites grenouilles dont il était peuplé, puis franchir un bout de plaine avant d'arriver à l'église bâtie dans un groupe de maisons abritant l'épicier, le boulanger, le boucher, le marchand de vin et quelques autres modestes commerçants chez qui venaient s'approvisionner les paysans. L'aller fut silencieux et recueilli, la pensée de la morte oppressant les âmes. Sur la tombe, les deux femmes s'agenouillèrent et prièrent longtemps. La comtesse courbée, demeurait immobile, un mouchoir dans les yeux, car elle avait peur de pleurer, et que les larmes coulassent sur ses joues. Elle priait, non pas comme elle avait fait jusqu'à ce jour, par une espèce d'évocation de sa mère, par un appel désespéré sous le marbre de la tombe, jusqu'à ce qu'elle crût sentir à son émotion devenue déchirante que la morte l'entendait, l'écoutait, mais simplement en balbutiant avec ardeur les paroles consacrées du  Pater noster  et de l' Ave Maria . Elle n'aurait pas eu, ce jour-là, la force et la tension d'esprit qu'il lui fallait pour cette sorte de cruel entretien sans réponse avec ce qui pouvait demeurer de l'être disparu autour du trou qui cachait les restes de son corps. D'autres obsessions avaient pénétré dans son cœur de femme, l'avaient remuée, meurtrie, distraite ; et sa prière fervente montait vers le ciel pleine d'obscures supplications. Elle implorait Dieu, l'inexorable Dieu qui a jeté sur la terre toutes les pauvres créatures, afin qu'il eût pitié d'elle-même autant que de celle rappelée à lui. Elle n'aurait pu dire ce qu'elle lui demandait, tant ses appréhensions étaient encore cachées et confuses, mais elle sentit qu'elle avait besoin de l'aide divine, d'un secours surnaturel contre des dangers prochains et d'inévitables douleurs. Annette, les yeux fermés, après avoir aussi balbutié des formules, était partie en une rêverie, car elle ne voulait pas se relever avant sa mère.

Olivier Bertin les regardait, songeant qu'il avait devant lui un ravissant tableau et regrettant un peu qu'il ne lui fût pas permis de faire un croquis. En revenant, ils se mirent à parler de l'existence humaine, remuant doucement ces idées amères et poétiques d'une philosophie attendrie et découragée, qui sont un fréquent sujet de causerie entre les hommes et les femmes que la vie blesse un peu et dont les cœurs se mêlent en confondant leurs peines. Annette, qui n'était point mûre pour ces pensées, s'éloignait à chaque instant afin de cueillir des fleurs champêtres au bord du chemin. Mais Olivier, pris d'un désir de la garder près de lui, énervé de la voir sans cesse repartir, ne la quittait point de l'œil. Il s'irritait qu'elle s'intéressât aux couleurs des plantes plus qu'aux phrases qu'il prononçait. Il éprouvait un malaise inexprimable de ne pas la captiver, la dominer comme sa mère, et une envie d'étendre la main, de la saisir, de la retenir, de lui défendre de s'en aller. Il la sentait trop alerte, trop jeune, trop indifférente, trop libre, libre comme un oiseau, comme un jeune chien qui n'aboie pas, qui ne revient point, qui a dans les veines l'indépendance, ce joli instinct de liberté que la voix et le fouet n'ont pas encore vaincu. Pour l'attirer, il parla de choses plus gaies, et parfois il l'interrogeait, cherchait à éveiller un désir d'écouter et sa curiosité de femme ; mais on eût dit que le vent capricieux du grand ciel soufflait dans la tête d'Annette ce jour-là, comme sur les épis ondoyants, emportait et dispersait son attention dans l'espace, car elle avait à peine répondu le mot banal attendu d'elle, jeté entre deux fuites avec un regard distrait, qu'elle retournait à ses fleurettes. Il s'exaspérait à la fin, mordu par une impatience puérile, et, comme elle venait prier sa mère de porter son premier bouquet pour qu'elle en pût cueillir un autre, il l'attrapa par le coude et lui serra le bras afin qu'elle ne s'échappât plus. Elle se débattait en riant et tirait de toute sa force pour s'en aller, alors, mû par un instinct d'homme, il employa le moyen des faibles, et ne pouvant séduire son attention, il l'acheta en tentant sa coquetterie. « Dis-moi, dit-il, quelle fleur tu préfères, je t'en ferai faire une broche. Elle hésita, surprise.

« Une broche, comment ?

– En pierres de la même couleur : en rubis si c'est le coquelicot ; en saphir si c'est le bluet, avec une petite feuille en émeraudes. La figure d'Annette s'éclaira de cette joie affectueuse dont les promesses et les cadeaux animent les traits des femmes. « Le bluet, dit-elle, c'est si gentil ! – Va pour un bluet. Nous irons le commander dès que nous serons de retour à Paris. Elle ne partait plus, attachée à lui par la pensée du bijou qu'elle essayait déjà d'apercevoir, d'imaginer. Elle demanda :

« Est-ce très long à faire, une chose comme ça ? Il riait, la sentant prise.

« Je ne sais pas, cela dépend des difficultés. Nous presserons le bijoutier. Elle fut soudain traversée par une réflexion navrante.

« Mais je ne pourrai pas le porter, puisque je suis en grand deuil. Il avait passé son bras sous celui de la jeune fille, et la serrant contre lui :

« Eh bien, tu garderas ta broche pour la fin de ton deuil, cela ne t'empêchera pas de la contempler. Comme la veille au soir, il était entre elles, tenu, serré, captif entre leurs épaules, et pour voir se lever sur lui leurs yeux bleus pareils, pointillés de grains noirs, il leur parlait à tour de rôle, en tournant la tête vers l'une et vers l'autre. Le grand soleil les éclairant, il confondait moins à présent la comtesse avec Annette, mais il confondait de plus en plus la fille avec le souvenir renaissant de ce qu'avait été la mère. Il avait envie de les embrasser l'une et l'autre, l'une pour retrouver sur sa joue et sur sa nuque un peu de cette fraîcheur rose et blonde qu'il avait savourée jadis, et qu'il revoyait aujourd'hui miraculeusement reparue, l'autre parce qu'il l'aimait toujours et qu'il sentait venir d'elle l'appel puissant d'une habitude ancienne. Il constatait même, à cette heure, et comprenait que son désir un peu lassé depuis longtemps et que son affection pour elle s'étaient ranimés à la vue de sa jeunesse ressuscitée. Annette repartit chercher des fleurs. Olivier ne la rappelait plus, comme si le contact de son bras et la satisfaction de la joie donnée par lui l'eussent apaisé, mais il la suivait en tous ses mouvements, avec le plaisir qu'on éprouve à voir les êtres ou les choses qui captivent nos yeux et les grisent. Quand elle revenait, apportant une gerbe, il respirait plus fortement, cherchant, sans y songer, quelque chose d'elle, un peu de son haleine ou de la chaleur de sa peau dans l'air remué par sa course. Il la regardait avec ravissement, comme on regarde une aurore, comme on écoute de la musique avec des tressaillements d'aise quand elle se baissait, se redressait, levait les deux bras en même temps pour remettre en place sa coiffure. Et puis, de plus en plus, d'heure en heure, elle activait en lui l'évocation de l'autrefois ! Elle avait des rires, des gentillesses, des mouvements qui lui mettaient sur la bouche le goût des baisers donnés et rendus jadis, elle faisait du passé lointain, dont il avait perdu la sensation précise, quelque chose de pareil à un présent rêvé ; elle brouillait les époques, les dates, les âges de son cœur, et rallumant des émotions refroidies, mêlait, sans qu'il s'en doutât, hier avec demain, le souvenir avec l'espérance. Il se demandait en fouillant sa mémoire si la comtesse, en son plus complet épanouissement, avait eu ce charme souple de chèvre, ce charme hardi, capricieux, irrésistible, comme la grâce d'un animal qui court et qui saute. Non. Elle avait été plus épanouie et moins sauvage. Fille des villes, puis femme des villes, n'ayant jamais bu l'air des champs et vécu dans l'herbe, elle était devenue jolie à l'ombre des murs, et non pas au soleil du ciel. Quand ils furent rentrés au château, la comtesse se mit à écrire des lettres sur sa petite table basse, dans l'embrasure d'une fenêtre ; Annette monta dans sa chambre, et le peintre ressortit pour marcher à pas lents, un cigare à la bouche, les mains derrière le dos, par les chemins tournants du parc. Mais il ne s'éloignait pas jusqu'à perdre de vue la façade blanche ou le toit pointu de la demeure. Dès qu'elle avait disparu derrière les bouquets d'arbres ou les massifs d'arbustes, il avait une ombre sur le cœur, comme lorsqu'un nuage couvre le soleil, et quand elle reparaissait dans les trouées de verdure, il s'arrêtait quelques secondes pour contempler les deux lignes de hautes fenêtres. Puis il se remettait en route.

Il se sentait agité, mais content, content de quoi ? de tout.

L'air lui semblait pur, la vie bonne, ce jour-là. Il se sentait de nouveau dans le corps des légèretés de petit garçon, des envies de courir et d'attraper avec ses mains les papillons jaunes qui sautillaient sur la pelouse comme s'ils eussent été suspendus au bout de fils élastiques. Il chantonnait des airs d'opéra. Plusieurs fois de suite, il répéta la phrase célèbre de Gounod : « Laisse-moi contempler ton visage », y découvrant une expression profondément tendre qu'il n'avait jamais sentie ainsi. Soudain, il se demanda comment il se pouvait faire qu'il fût devenu si vite si différent de lui-même. Hier, à Paris, mécontent de tout, dégoûté, irrité, aujourd'hui calme, satisfait de tout, on eût dit qu'un dieu complaisant avait changé son âme. « Ce bon dieu-là, pensa-t-il, aurait bien dû me changer de corps en même temps, et me rajeunir un peu. » Tout à coup, il aperçut Julio qui chassait dans un fourré. Il l'appela, et quand le chien fut venu placer sous la main sa tête fine coiffée de longues oreilles frisottées, il s'assit dans l'herbe pour le mieux flatter, lui dit des gentillesses, le coucha sur ses genoux, et s'attendrissant à le caresser, l'embrassa comme font les femmes dont le cœur s'émeut à toute occasion. Après le dîner, au lieu de sortir comme la veille, ils passèrent la soirée au salon, en famille.

La comtesse dit tout à coup :

« Il va pourtant falloir que nous partions ! Olivier s'écria : « Oh, ne parlez pas encore de ça ! Vous ne vouliez pas quitter Roncières quand je n'y étais pas. J'arrive, et vous ne pensez plus qu'à filer. – Mais, mon cher ami, dit-elle, nous ne pouvons pourtant demeurer ici indéfiniment tous les trois.

– Il ne s'agit point d'indéfiniment, mais de quelques jours. Combien de fois suis-je resté chez vous des semaines entières ?

– Oui, mais en d'autres circonstances, alors que la maison était ouverte à tout le monde. Alors Annette, d'une voix câline : « Oh, maman ! quelques jours encore, deux ou trois. Il m'apprend si bien à jouer au tennis. Je me fâche quand je perds, et puis après je suis si contente d'avoir fait des progrès ! Le matin même, la comtesse projetait de faire durer jusqu'au dimanche ce séjour mystérieux de l'ami, et maintenant elle voulait partir, sans savoir pourquoi. Cette journée qu'elle avait espérée si bonne, lui laissait à l'âme une tristesse inexprimable et pénétrante, une appréhension sans cause, tenace et confuse comme un pressentiment. Quand elle se retrouva seule dans sa chambre, elle chercha même d'où lui venait ce nouvel accès mélancolique. Avait-elle subi une de ces imperceptibles émotions dont l'effleurement a été si fugitif que la raison ne s'en souvient point, mais dont la vibration demeure aux cordes du cœur les plus sensibles ? – Peut-être. Laquelle ? Elle se rappela bien quelques inavouables contrariétés dans les mille nuances de sentiment par lesquelles elle avait passé, chaque minute apportant la sienne ! Or, elles étaient vraiment trop menues pour lui laisser ce découragement. « Je suis exigeante, pensait-elle. Je n'ai pas le droit de me tourmenter ainsi. Elle ouvrit sa fenêtre, afin de respirer l'air de la nuit, et elle y demeura accoudée, les yeux sur la lune. Un bruit léger lui fit baisser la tête. Olivier se promenait devant le château. »Pourquoi a-t-il dit qu'il rentrait chez lui, pensa-t-elle ; pourquoi ne m'a-t-il pas prévenue qu'il ressortait ? ne m'a-t-il pas demandé de venir avec lui ? Il sait bien que cela m'aurait rendue si heureuse. À quoi songe-t-il donc ? Cette idée qu'il n'avait pas voulu d'elle pour cette promenade, qu'il avait préféré s'en aller seul par cette belle nuit, seul, un cigare à la bouche, car elle voyait le point rouge du feu, seul, quand il aurait pu lui donner cette joie de l'emmener. Cette idée qu'il n'avait pas sans cesse besoin d'elle, sans cesse envie d'elle, lui jeta dans l'âme un nouveau ferment d'amertume. Elle allait fermer sa fenêtre pour ne plus le voir, pour n'être plus tentée de l'appeler, quand il leva les yeux et l'aperçut. Il cria :

« Tiens, vous rêvez aux étoiles, comtesse ? Elle répondit :

« Oui, vous aussi, à ce que je vois ?

– Oh ! moi, je fume tout simplement. Elle ne put résister au désir de demander :

« Comment ne m'avez-vous pas prévenue que vous sortiez ? – Je voulais seulement griller un cigare. Je rentre, d'ailleurs. – Alors bonsoir, mon ami.

– Bonsoir, comtesse. Elle recula jusqu'à sa chaise basse, s'y assit, et pleura ; et la femme de chambre, appelée pour la mettre au lit, voyant ses yeux rouges, lui dit avec compassion : « Ah ! Madame va encore se faire une vilaine figure pour demain. La comtesse dormit mal, fiévreuse, agitée par des cauchemars. Dès son réveil, avant de sonner, elle ouvrit elle-même sa fenêtre et ses rideaux pour se regarder dans la glace. Elle avait les traits tirés, les paupières gonflées, le teint jaune ; et le chagrin qu'elle en éprouva fut si violent, qu'elle eut envie de se dire malade, de garder le lit et de ne se pas montrer jusqu'au soir. Puis, soudain, le besoin de partir entra en elle, irrésistible, de partir tout de suite, par le premier train, de quitter ce pays clair où l'on voyait trop, dans le grand jour des champs, les ineffaçables fatigues du chagrin et de la vie. À Paris, on vit dans la demi-ombre des appartements, où les rideaux lourds, même en plein midi, ne laissent entrer qu'une lumière douce. Elle y redeviendrait elle-même, belle, avec la pâleur qu'il faut dans cette lueur éteinte et discrète. Alors le visage d'Annette lui passa devant les yeux, rouge, un peu dépeigné, si frais, quand elle jouait au lawn-tennis. Elle comprit l'inquiétude inconnue dont avait souffert son âme. Elle n'était point jalouse de la beauté de sa fille ! Non, certes, mais elle sentait, elle s'avouait pour la première fois qu'il ne fallait plus jamais se montrer près d'elle, en plein soleil. Elle sonna, et, avant de boire son thé, elle donna des ordres pour le départ, écrivit des dépêches, commanda même par le télégraphe son dîner du soir, arrêta ses comptes de campagne, distribua ses instructions dernières, régla tout en moins d'une heure, en proie à une impatience fébrile et grandissante. Quand elle descendit, Annette et Olivier, prévenus de cette décision, l'interrogèrent avec surprise. Puis, voyant qu'elle ne donnait, pour ce brusque départ, aucune raison précise, ils grognèrent un peu et montrèrent leur mécontentement jusqu'à l'instant de se séparer dans la cour de la gare, à Paris. La comtesse, tendant la main au peintre, lui demanda :

« Voulez-vous venir dîner demain ? Il répondit, un peu boudeur :

« Certainement, je viendrai. C'est égal, ce n'est pas gentil, ce que vous avez fait. Nous étions si bien, là-bas, tous les trois !