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Oscar Wilde - Le Portrait de Dorian Gray, Le portrait de Dorian Gray Chapitre 19

Le portrait de Dorian Gray Chapitre 19

Chapitre XIX

– Pourquoi me dire que vous voulez devenir bon ? s'écria lord Henry, trempant ses doigts blancs dans un bol de cuivre rouge rempli d'eau de rosé. Vous êtes absolument parfait. Ne changez pas, de grâce...

Dorian Gray hocha la tête :

– Non, Harry. J'ai fait trop de choses abominables dans ma vie ; je n'en veux plus faire. J'ai commencé hier mes bonnes actions. – Où étiez-vous hier ?

– À la campagne, Harry... Je demeurais dans une petite auberge.

– Mon cher ami, dit lord Henry en souriant, tout le monde peut être bon à la campagne ; on n'y trouve point de tentations... C'est pourquoi les gens qui vivent hors de la ville sont absolument incivilisés ; la civilisation n'est d'aucune manière, une chose facile à atteindre. Il n'y a que deux façons d'y arriver : par la culture ou la corruption. Les gens de la campagne n'ont aucune occasion d'atteindre l'une ou l'autre ; aussi stagnent-ils... – La culture ou la corruption, répéta Dorian... Je les ai un peu connues. Il me semble terrible, maintenant, que ces deux mots puissent se trouver réunis. Car j'ai un nouvel idéal, Harry. Je veux changer ; je pense que je le suis déjà.

– Vous ne m'avez pas encore dit quelle était votre bonne action ; ou bien me disiez-vous que vous en aviez fait plus d'une ? demanda son compagnon pendant qu'il versait dans son assiette une petite pyramide cramoisie de fraises aromatiques, et qu'il la neigeait de sucre en poudre au moyen d'une cuiller tamisée en forme de coquille. – Je puis vous la dire, Harry. Ce n'est pas une histoire que je raconterai à tout le monde... J'ai épargné une femme. Cela semble vain, mais vous comprendrez ce que je veux dire... Elle était très belle et ressemblait étonnamment à Sibyl Vane. Je pense que c'est cela qui m'attira vers elle. Vous vous souvenez de Sibyl, n'est-ce pas ? Comme cela me semble loin !... Hetty n'était pas de notre classe, naturellement ; c'était une simple fille de village. Mais je l'aimais réellement ; je suis sûr que je l'aimais. Pendant ce merveilleux mois de mai que nous avons eu, j'avais pris l'habitude d'aller la voir deux ou trois fois pas semaine. Hier, elle me rencontra dans un petit verger. Les fleurs de pommier lui couvraient les cheveux et elle riait. Nous devions partir ensemble ce matin à l'aube... Soudainement, je me décidai à la quitter, la laissant fleur comme je l'avais trouvée... – J'aime à croire que la nouveauté de l'émotion doit vous avoir donné un frisson de vrai plaisir, Dorian, interrompit lord Henry. Mais je puis finir pour vous votre idylle. Vous lui avez donné de bons conseils et... brisé son cœur... C'était le commencement de votre réforme ? – Harry, vous êtes méchant ! Vous ne devriez pas dire ces choses abominables. Le cœur d'Hetty n'est pas brisé ; elle pleura, cela s'entend, et ce fut tout. Mais elle n'est point déshonorée ; elle peut vivre, comme Perdita, dans son jardin où poussent la menthe et le souci. – Et pleurer sur un Florizel sans foi, ajouta lord Henry en riant et se renversant sur le dossier de sa chaise. Mon cher Dorian, vos manières sont curieusement enfantines... Pensez-vous que désormais, cette jeune fille se contentera de quelqu'un de son rang... Je suppose qu'elle se mariera quelque jour à un rude charretier ou à un paysan grossier ; le fait de vous avoir rencontré, de vous avoir aimé, lui fera détester son mari, et elle sera malheureuse. Au point de vue moral, je ne puis dire que j'augure bien de votre grand renoncement... Pour un début, c'est pauvre... En outre savez-vous si le corps d'Hetty ne flotte pas à présent dans quelque étang de moulin, éclairé par les étoiles, entouré par des nénuphars, comme Ophélie ?... – Je ne veux penser à cela, Harry ? Vous vous moquez de tout, et, de cette façon, vous suggérez les tragédies les plus sérieuses... Je suis désolé de vous en avertir, mais je ne fais plus attention à ce que vous me dites. Je sais que j'ai bien fait d'agir ainsi. Pauvre Hetty : Comme je me rendais à cheval à la ferme, ce matin, j'aperçus sa figure blanche à la fenêtre, comme un bouquet de jasmin. Ne parlons plus de cela, et n'essayez pas de me persuader que la première bonne action que j'aie faite depuis des années, le premier petit sacrifice de moi-même que je me connaisse, soit une sorte de péché. J'ai besoin d'être meilleur. Je deviens meilleur... Parlez-moi de vous. Que dit-on à la ville ? Je n'ai pas été au club depuis plusieurs jours. – On parle encore de la disparition de ce pauvre Basil.

– J'aurais cru qu'on finirait par s'en fatiguer, dit Dorian se versant un peu de vin, et fronçant légèrement les sourcils. – Mon cher ami, on n'a parlé de cela que pendant six semaines, et le public anglais n'a pas la force de supporter plus d'un sujet de conversation tous les trois mois. Il a été cependant assez bien partagé, récemment : il y a eu mon propre divorce, et le suicide d'Alan Campbell ; à présent, c'est la disparition mystérieuse d'un artiste. On croit à Scotland-Yard que l'homme à l'ulster gris qui quitta Londres pour Paris, le neuf novembre, par le train de minuit, était ce pauvre Basil, et la police française déclare que Basil n'est jamais venu à Paris. J'aime à penser que dans une quinzaine, nous apprendrons qu'on l'a vu à San-Francisco. C'est une chose bizarre, mais on voit à San-Francisco toutes les personnes qu'on croit disparues. Ce doit être une ville délicieuse ; elle possède toutes les attractions du monde futur...

– Que pensez-vous qu'il soit arrivé à Basil ? demanda Dorian levant son verre de Bourgogne à la lumière et s'émerveillant lui-même du calme avec lequel il discutait ce sujet. – Je n'en ai pas la moindre idée. Si Basil veut se cacher, ce n'est point là mon affaire. S'il est mort... je n'ai pas besoin d'y penser. La mort est la seule chose qui m'ait jamais terrifié. Je la hais !...

– Pourquoi, dit paresseusement l'autre. – Parce que, répondit lord Henry en passant sous ses narines le treillis doré d'une boîte ouverte de vinaigrette, on survit à tout de nos jours, excepté à cela. La mort et la vulgarité sont les deux seules choses au dix-neuvième siècle que l'on ne peut expliquer... Allons prendre le café dans le salon, Dorian. Vous me jouerez du Chopin. Le gentleman avec qui ma femme est partie interprétait Chopin d'une manière exquise... Pauvre Victoria !... Je l'aimais beaucoup ; la maison est un peu triste sans elle. La vie conjugale est simplement une habitude, une mauvaise habitude. Mais on regrette même la perte de ses mauvaises habitudes ; peut être est-ce celles-là que l'on regrette le plus ; elles sont une partie essentielle de la personnalité. Dorian ne dit rien, mais se levant de table, il passa dans la chambre voisine, s'assit au piano et laissa ses doigts errer sur les ivoires blancs et noirs des touches. Quand on apporta le café, il s'arrêta, et regardant lord Henry, lui dit : – Harry, ne vous est-il jamais, venu à l'idée que Basil avait été assassiné ? Lord Henry eut un bâillement :

– Basil était très connu et portait toujours une montre Waterbury... Pourquoi l'aurait-on assassiné ? Il n'était pas assez habile pour avoir des ennemis ; je ne parle pas de son merveilleux talent de peintre ; mais un homme peut peindre comme Velasquez et être aussi terne que possible. Basil était réellement un peu lourdaud... Il m'intéressa une fois, quand il me confia, il y a des années, la sauvage adoration qu'il avait pour vous et que vous étiez le motif dominant de son art. – J'aimais beaucoup Basil, dit Dorian, avec une intonation triste dans la voix. Mais ne dit-on pas qu'il a été assassiné ? – Oui, quelques journaux... Cela ne me semble guère probable. Je sais qu'il y a quelques vilains endroits dans Paris, mais Basil n'était pas homme à les fréquenter. Il n'était pas curieux ; c'était son défaut principal. – Que diriez-vous, Harry, si je vous disais que j'ai assassiné Basil ? dit Dorian en l'observant attentivement pendant qu'il parlait. – Je vous dirais, mon cher ami, que vous posez pour un caractère qui ne vous va pas. Tout crime est vulgaire, comme toute vulgarité est crime. Ça ne vous siérait pas de commettre un meurtre. Je suis désolé de blesser peut-être votre vanité en parlant ainsi, mais je vous assure que c'est vrai. Le crime appartient exclusivement aux classes inférieures ; je ne les blâme d'ailleurs nullement. J'imagine que le crime est pour elles ce que l'art est à nous, simplement une méthode de se procurer d'extraordinaires sensations. – Une méthode pour se procurer des sensations ? Croyez-vous donc qu'un homme qui a commis un crime pourrait recommencer ce même crime ? Ne me racontez pas cela !...

– Toute chose devient un plaisir quand on la fait trop souvent, dit en riant lord Henry. C'est là un des plus importants secrets de l'existence. Je croirais, cependant, que le meurtre est toujours une faute ; on ne doit jamais rien commettre dont on ne puisse causer après dîner... Mais ne parlons plus du pauvre Basil. Je voudrais croire qu'il a pu avoir une fin aussi romantique que celle que vous supposez ; mais je ne puis... Il a dû tomber d'un omnibus dans la Seine, et le conducteur n'en a point parlé... Oui, telle a été probablement sa fin... Je le vois très bien sur le dos, gisant sous les eaux vertes avec de lourdes péniches passant sur lui et de longues herbes dans les cheveux. Voyez-vous, je ne crois pas qu'il eût fait désormais une belle œuvre. Pendant les dix dernières années, sa peinture s'en allait beaucoup. Dorian poussa un soupir, et lord Henry traversant la chambre, alla chatouiller la tête d'un curieux perroquet de Java, un gros oiseau au plumage gris, à la crête et à la queue vertes, qui se balançait sur un bambou. Comme ses doigts effilés le touchaient, il fit se mouvoir la dartre blanche de ses paupières clignotantes sur ses prunelles semblables à du verre noir et commença à se dandiner en avant et en arrière.

– Oui, continua lord Henry se tournant et sortant son mouchoir de sa poche, sa peinture s'en allait tout à fait. Il me semblait avoir perdu quelque chose. Il avait perdu un idéal. Quand vous et lui cessèrent d'être grands amis, il cessa d'être un grand artiste. Qu'est-ce qui vous sépara ?... Je crois qu'il vous ennuyait. Si cela fût, il ne vous oublia jamais. C'est une habitude qu'ont tous les fâcheux. À propos qu'est donc devenu cet admirable portrait qu'il avait peint d'après vous ? Je crois ne point l'avoir revu depuis qu'il y mit la dernière main. Ah ! oui, je me souviens que vous m'avez dit, il y a des années, l'avoir envoyé à Selby et qu'il fut égaré ou volé en route. Vous ne l'avez jamais retrouvé ?... Quel malheur ! C'était vraiment un chef-d'œuvre ! Je me souviens que je voulais l'acheter. Je voudrais l'avoir acheté maintenant. Il appartenait à la meilleure époque de Basil. Depuis lors, ses œuvres montrèrent ce curieux mélange de mauvaise peinture et de bonnes intentions qui fait qu'un homme mérite d'être appelé un représentant de l'art anglais. Avez-vous mis des annonces pour le retrouver ? Vous auriez dû en mettre.

– Je ne me souviens plus, dit Dorian. Je crois que oui. Mais je ne l'ai jamais aimé. Je regrette d'avoir posé pour ce portrait. Le souvenir de tout cela m'est odieux. Il me remet toujours en mémoire ces vers d'une pièce connue, Hamlet, je crois...Voyons, que disent-ils ?... Like the painting of a sorrow,

A face without a heart. [1]

« Oui, c'était tout à fait cela... Lord Henry se mit à rire...

– Si un homme traite sa vie en artiste, son cerveau c'est son cœur, répondit-il s'enfonçant dans un fauteuil. Dorian Gray secoua la tête et plaqua quelques accords sur le piano.« Like the painting of a sorrow » répéta-t-il « a face without a heart. L'autre se renversa, le regardant les yeux à demi fermés... – À propos, Dorian, interrogea-t-il après une pose, quel profit y a-t-il pour un homme qui gagne le monde entier et perd – comment diable était-ce ? – sa propre âme ?

Le piano sonnait faux... Dorian s'arrêta et regardant son ami : – Pourquoi me demandez-vous cela, Harry ?

– Mon cher ami, dit lord Henry, levant ses sourcils d'un air surpris, je vous le demande parce que je suppose que vous pouvez me faire une réponse. Voilà tout. J'étais au Parc dimanche dernier et près de l'Arche de Marbre se trouvait un rassemblement de gens mal vêtus qui écoutaient quelque vulgaire prédicateur de carrefour. Au moment où je passais, j'entendis cet homme proposant cette question à son auditoire. Elle me frappa comme étant assez dramatique. Londres est riche en incidents de ce genre.

« Un dimanche humide, un chrétien bizarre en mackintosh, un cercle de figures blanches et maladives sous un toit inégal de parapluies ruisselants, une phrase merveilleuse jeté au vent comme un cri par des lèvres hystériques, tout cela était là une chose vraiment belle dans son genre, et tout à fait suggestive. Je songeais à dire au prophète que l'art avait une âme, mais que l'homme n'en avait pas. Je crains, cependant, qu'il ne m'eût point compris. – Non, Harry. L'âme est une terrible réalité. On peut l'acheter, la vendre, en trafiquer. On peut l'empoisonner ou la rendre parfaite. Il y a une âme en chacun de nous. Je le sais.

– En êtes-vous bien sûr, Dorian ?

– Absolument sûr.

– Ah ! alors ce doit être une illusion. Les choses dont on est absolument sûr, ne sont jamais vraies. C'est la fatalité de la Foi et la leçon du Roman. Comme vous êtes grave ! Ne soyez pas aussi sérieux. Qu'avons-nous de commun, vous et moi, avec les superstitions de notre temps ? Rien... Nous sommes débarrassés de notre croyance à l'Âme... Jouez-moi quelque chose, Dorian. Jouez-moi un nocturne, et tout en jouant, dites-moi tout bas comment vous avez pu garder votre jeunesse. Vous devez avoir quelque secret. Je n'ai que dix ans de plus que vous et je suis flétri, usé, jauni. Vous êtes vraiment merveilleux, Dorian. Vous n'avez jamais été plus charmant à voir que ce soir. Vous me rappelez le premier jour que je vous ai vu. Vous étiez un peu plus joufflu et timide, tout à fait extraordinaire. Vous avez changé, certes, mais pas en apparence. Je voudrais bien que vous me disiez votre secret. Pour retrouver ma jeunesse, je ferais tout au monde, excepté de prendre de l'exercice ; de me lever de bonne heure ou d'être respectable... Ô jeunesse ! Rien ne te vaut ! Quelle absurdité de parler de l'ignorance des jeunes gens ! Les seuls hommes dont j'écoute les opinions avec respect sont ceux qui sont plus jeunes que moi. Ils me paraissent marcher devant moi. La vie leur a révélé ses dernières merveilles. Quant aux vieux, je les contredis toujours. Je le fais par principe. Si vous leur demandez leur opinion sur un événement d'hier, ils vous donnent gravement les opinions courantes en 1820, alors qu'on portait des bas longs... qu'on croyait à tout et qu'on ne savait absolument rien. Comme ce morceau que vous jouez-là est délicieux ! J'imagine que Chopin a dû l'écrire à Majorque, pendant que la mer gémissait autour de sa villa et que l'écume salée éclaboussait les vitres ? C'est exquisement romantique. C'est une grâce vraiment, qu'un art nous soit laissé qui n'est pas un art d'imitation ! Ne vous arrêtez pas ; j'ai besoin de musique ce soir. Il me semble que vous êtes le jeune Apollon et que je suis Marsyas vous écoutant. J'ai mes propres chagrins, Dorian, et dont vous n'en avez jamais rien su. Le drame de la vieillesse n'est pas qu'on est vieux, mais bien qu'on fût jeune. Je suis étonné quelquefois de ma propre sincérité. Ah ! Dorian, que vous êtes heureux ! Quelle vie exquise que la vôtre ! Vous avez goûté longuement de toutes choses. Vous avez écrasé les raisins mûrs contre votre palais. Rien ne vous a été caché. Et tout cela vous fût comme le son d'une musique : vous n'en avez pas été atteint. Vous êtes toujours le même.

– Je ne suis pas le même, Harry.

– Si, vous êtes le même. Je me figure ce que sera le restant de vos jours. Ne le gâtez par aucun renoncement. Vous êtes à présent un être accompli. Ne vous rendez pas incomplet. Vous êtes actuellement sans défaut... Ne hochez pas la tête ; vous le savez bien. Cependant, ne vous faites pas illusion. La vie ne se gouverne pas par la volonté ou les intentions. C'est une question de nerfs, de fibres, de cellules lentement élaborées où se cache la pensée et où les passions ont leurs rêves. Vous pouvez vous croire sauvé et fort. Mais un ton de couleur entrevu dans la chambre, un ciel matinal, un certain parfum que vous avez aimé et qui vous apporte de subtiles ressouvenances, un vers d'un poème oublié qui vous revient en mémoire, une phrase musicale que vous ne jouez plus, c'est de tout cela, Dorian, je vous assure que dépend notre existence. Browning l'a écrit quelque part, mais nos sens nous le font imaginer aisément. Il y a des moments où l'odeur du lilas blanc me pénètre et où je crois revivre le plus étrange mois de toute ma vie. Je voudrais pouvoir changer avec vous, Dorian. Le monde a hurlé contre nous deux, mais il vous a eu et vous aura toujours en adoration. Vous êtes le type que notre époque demande et qu'elle craint d'avoir trouvé. Je suis heureux que vous n'ayez jamais rien fait : ni modelé une statue, ni peint une toile, ni produit autre chose que vous-même !... Votre art, ce fut votre vie. Vous vous êtes mis vous-même en musique. Vos jours sont vos sonnets.

Dorian se leva du piano et passant la main dans sa chevelure :

– Oui, murmura-t-il, la vie me fut exquise... Mais je ne veux plus vivre cette même vie, Harry. Et vous ne devriez pas me dire ces choses extravagantes. Vous ne me connaissez pas tout entier. Si vous saviez tout, je crois bien que vous vous éloigneriez de moi. Vous riez ? Ne riez pas...

– Pourquoi vous arrêtez-vous de jouer, Dorian ? Remettez-vous au piano et jouez-moi encore ce Nocturne. Voyez cette large lune couleur de miel qui monte dans le ciel sombre. Elle attend que vous la charmiez. Si vous jouez, elle va se rapprocher de la terre... Vous ne voulez pas ? Allons au club, alors. La soirée a été charmante, il faut bien la terminer. Il y a quelqu'un au White qui désire infiniment faire votre connaissance : le jeune lord Pool, l'aîné des fils de Bournemouth. Il copie déjà vos cravates et m'a demandé de vous être présenté. Il est tout à fait charmant, et me fait presque songer à vous.

– J'espère que non, dit Dorian avec un regard triste, mais je me sens fatigué ce soir, Harry ; je n'irai pas club. Il est près de onze heures, et je désire me coucher de bonne heure.

– Restez... Vous n'avez jamais si bien joué que ce soir. Il y avait dans votre façon de jouer quelque chose de merveilleux. C'était d'un sentiment que je n'avais encore jamais entendu. – C'est parce que je vais devenir bon, répondit-il en souriant. Je suis déjà un peu changé.

– Vous ne pouvez changer avec moi, Dorian, dit lord Henry. Nous serons toujours deux amis.

– Pourtant, vous m'avez un jour empoisonné avec un livre. Je n'oublierai pas cela... Harry, promettez-moi de ne plus jamais prêter ce livre à personne. Il est malfaisant.

– Mon cher ami, vous commencez à faire de la morale. Vous allez bientôt devenir comme les convertis et les revivalistes, prévenant tout le monde contre les péchés dont ils sont eux-mêmes fatigués. Vous êtes trop charmant pour faire cela. D'ailleurs, ça ne sert à rien. Nous sommes ce que nous sommes et serons ce que nous pourrons. Quant à être empoisonné par un livre, on ne vit jamais rien de pareil. L'art n'a aucune influence sur les actions ; il annihile le désir d'agir, il est superbement stérile. Les livres que le monde appelle immoraux sont les livres qui lui montrent sa propre honte. Voilà tout. Mais ne discutons pas de littérature... Venez demain, je monte à cheval à onze heures. Nous pourrons faire une promenade ensemble et je vous mènerai ensuite déjeuner chez lady Branksome. C'est une femme charmante, elle désire vous consulter sur une tapisserie qu'elle voudrait acheter. Pensez-vous venir ? Ou bien déjeunerons-nous avec notre petite duchesse ? Elle dit qu'elle ne vous voit plus. Peut-être êtes-vous fatigué de Gladys ? Je le pensais. Sa manière d'esprit vous donne sur les nerfs... Dans tous les cas, soyez ici à onze heures. – Faut-il vraiment que je vienne, Harry ?

– Certainement, le Parc est adorable en ce moment. Je crois qu'il n'y a jamais eu autant de lilas depuis l'année où j'ai fait votre connaissance. – Très bien, je serai ici à onze heures, dit Dorian. Bonsoir, Harry...

Arrivé à la porte, il hésita un moment comme s'il eût eu encore quelque chose à dire. Puis il soupira et sortit...

[1] Comme la peinture d'un chagrin – Une figure sans cœur.


Le portrait de Dorian Gray Chapitre 19 The Picture of Dorian Gray Chapter 19

Chapitre XIX

– Pourquoi me dire que vous voulez devenir bon ? "Why tell me you want to become good?" s'écria lord Henry, trempant ses doigts blancs dans un bol de cuivre rouge rempli d'eau de rosé. cried Lord Henry, dipping his white fingers into a red copper bowl filled with rose water. Vous êtes absolument parfait. You are absolutely perfect. Ne changez pas, de grâce... Don't change, please...

Dorian Gray hocha la tête :

– Non, Harry. J'ai fait trop de choses abominables dans ma vie ; je n'en veux plus faire. I have done too many abominable things in my life; I don't want to do it anymore. J'ai commencé hier mes bonnes actions. I started my good deeds yesterday. – Où étiez-vous hier ? - Where were you yesterday ?

– À la campagne, Harry... Je demeurais dans une petite auberge. “In the country, Harry... I was staying in a little inn.

– Mon cher ami, dit lord Henry en souriant, tout le monde peut être bon à la campagne ; on n'y trouve point de tentations... C'est pourquoi les gens qui vivent hors de la ville sont absolument incivilisés ; la civilisation n'est d'aucune manière, une chose facile à atteindre. “My dear friend,” said Lord Henry, smiling, “everyone can be good in the country; there are no temptations there... This is why the people who live outside the city are absolutely uncivilized; civilization is by no means an easy thing to attain. Il n'y a que deux façons d'y arriver : par la culture ou la corruption. There are only two ways to get there: through culture or corruption. Les gens de la campagne n'ont aucune occasion d'atteindre l'une ou l'autre ; aussi stagnent-ils... Country people have no opportunity to attain either; so they stagnate... – La culture ou la corruption, répéta Dorian... Je les ai un peu connues. “Culture or corruption,” repeated Dorian. “I knew them a little. Il me semble terrible, maintenant, que ces deux mots puissent se trouver réunis. It seems terrible to me now that these two words can be found together. Car j'ai un nouvel idéal, Harry. Because I have a new ideal, Harry. Je veux changer ; je pense que je le suis déjà. I want to change ; I think I already am.

– Vous ne m'avez pas encore dit quelle était votre bonne action ; ou bien me disiez-vous que vous en aviez fait plus d'une ? “You haven't told me yet what your good deed was; or were you telling me that you had done more than one? demanda son compagnon pendant qu'il versait dans son assiette une petite pyramide cramoisie de fraises aromatiques, et qu'il la neigeait de sucre en poudre au moyen d'une cuiller tamisée en forme de coquille. asked his companion as he poured a small crimson pyramid of aromatic strawberries onto his plate, and snowed it with powdered sugar with a sifted shell-shaped spoon. – Je puis vous la dire, Harry. “I can tell you, Harry. Ce n'est pas une histoire que je raconterai à tout le monde... J'ai épargné une femme. This is not a story I will tell to everyone... I spared a woman. Cela semble vain, mais vous comprendrez ce que je veux dire... Elle était très belle et ressemblait étonnamment à Sibyl Vane. It seems vain, but you will understand what I mean... She was very beautiful and looked surprisingly like Sibyl Vane. Je pense que c'est cela qui m'attira vers elle. I think that's what drew me to her. Vous vous souvenez de Sibyl, n'est-ce pas ? You remember Sibyl, don't you? Comme cela me semble loin !... How far that seems to me! Hetty n'était pas de notre classe, naturellement ; c'était une simple fille de village. Hetty was out of our class, of course; she was a simple village girl. Mais je l'aimais réellement ; je suis sûr que je l'aimais. But I really loved him; I'm sure I loved him. Pendant ce merveilleux mois de mai que nous avons eu, j'avais pris l'habitude d'aller la voir deux ou trois fois pas semaine. During this wonderful month of May that we had, I used to go and see her two or three times a week. Hier, elle me rencontra dans un petit verger. Yesterday she met me in a small orchard. Les fleurs de pommier lui couvraient les cheveux et elle riait. Apple blossoms covered her hair and she was laughing. Nous devions partir ensemble ce matin à l'aube... Soudainement, je me décidai à la quitter, la laissant fleur comme je l'avais trouvée... We were to leave together this morning at dawn... Suddenly, I decided to leave her, leaving her flower as I had found her... – J'aime à croire que la nouveauté de l'émotion doit vous avoir donné un frisson de vrai plaisir, Dorian, interrompit lord Henry. “I like to think the novelty of the emotion must have given you a thrill of real pleasure, Dorian,” interrupted Lord Henry. Mais je puis finir pour vous votre idylle. But I can finish your idyll for you. Vous lui avez donné de bons conseils et... brisé son cœur... C'était le commencement de votre réforme ? You gave him good advice and... broke his heart... This was the beginning of your reformation? – Harry, vous êtes méchant ! "Harry, you're mean!" Vous ne devriez pas dire ces choses abominables. You shouldn't say those abominable things. Le cœur d'Hetty n'est pas brisé ; elle pleura, cela s'entend, et ce fut tout. Hetty's heart isn't broken; she wept, of course, and that was all. Mais elle n'est point déshonorée ; elle peut vivre, comme Perdita, dans son jardin où poussent la menthe et le souci. But she is not dishonored; she can live, like Perdita, in her garden where mint and marigold grow. – Et pleurer sur un Florizel sans foi, ajouta lord Henry en riant et se renversant sur le dossier de sa chaise. “And weep over a faithless Florizel,” added Lord Henry, laughing and leaning back in his chair. Mon cher Dorian, vos manières sont curieusement enfantines... Pensez-vous que désormais, cette jeune fille se contentera de quelqu'un de son rang... Je suppose qu'elle se mariera quelque jour à un rude charretier ou à un paysan grossier ; le fait de vous avoir rencontré, de vous avoir aimé, lui fera détester son mari, et elle sera malheureuse. My dear Dorian, your manners are curiously childish... Do you think that from now on this young girl will be content with someone of her rank... I suppose she will some day marry a rough carter or a peasant? rude ; the fact of having met you, of having loved you, will make her hate her husband, and she will be unhappy. Au point de vue moral, je ne puis dire que j'augure bien de votre grand renoncement... Pour un début, c'est pauvre... En outre savez-vous si le corps d'Hetty ne flotte pas à présent dans quelque étang de moulin, éclairé par les étoiles, entouré par des nénuphars, comme Ophélie ?... From the moral point of view, I cannot say that I augur well for your great renunciation... For a beginning, it is poor... Besides, do you know if Hetty's body is not now floating in some mill pond, lit by the stars, surrounded by water lilies, like Ophelia?... – Je ne veux penser à cela, Harry ? "I don't want to think about that, Harry?" Vous vous moquez de tout, et, de cette façon, vous suggérez les tragédies les plus sérieuses... Je suis désolé de vous en avertir, mais je ne fais plus attention à ce que vous me dites. You make fun of everything, and in this way you suggest the most serious tragedies... I am sorry to warn you of this, but I no longer pay attention to what you tell me. Je sais que j'ai bien fait d'agir ainsi. I know I did well to do so. Pauvre Hetty : Comme je me rendais à cheval à la ferme, ce matin, j'aperçus sa figure blanche à la fenêtre, comme un bouquet de jasmin. Poor Hetty: As I was riding to the farm this morning, I saw her white face at the window, like a bouquet of jasmine. Ne parlons plus de cela, et n'essayez pas de me persuader que la première bonne action que j'aie faite depuis des années, le premier petit sacrifice de moi-même que je me connaisse, soit une sorte de péché. Let's not talk about that any more, and don't try to persuade me that the first good deed I've done in years, the first little self-sacrifice I know of, is some kind of sin. J'ai besoin d'être meilleur. I need to be better. Je deviens meilleur... Parlez-moi de vous. I'm getting better... Tell me about yourself. Que dit-on à la ville ? What do we say to the city? Je n'ai pas été au club depuis plusieurs jours. I haven't been to the club for several days. – On parle encore de la disparition de ce pauvre Basil. “There is still talk of the disappearance of poor Basil.

– J'aurais cru qu'on finirait par s'en fatiguer, dit Dorian se versant un peu de vin, et fronçant légèrement les sourcils. "I thought we'd get tired of it," Dorian said, pouring himself some wine and frowning slightly. – Mon cher ami, on n'a parlé de cela que pendant six semaines, et le public anglais n'a pas la force de supporter plus d'un sujet de conversation tous les trois mois. “My dear friend, this has only been talked about for six weeks, and the English public can't bear more than one subject of conversation every three months. Il a été cependant assez bien partagé, récemment : il y a eu mon propre divorce, et le suicide d'Alan Campbell ; à présent, c'est la disparition mystérieuse d'un artiste. It has, however, been fairly well shared recently: there was my own divorce, and the suicide of Alan Campbell; now it's the mysterious disappearance of an artist. On croit à Scotland-Yard que l'homme à l'ulster gris qui quitta Londres pour Paris, le neuf novembre, par le train de minuit, était ce pauvre Basil, et la police française déclare que Basil n'est jamais venu à Paris. It is believed at Scotland-Yard that the man in the gray ulster who left London for Paris on the ninth of November on the midnight train was poor Basil, and the French police declare that Basil never came to Paris. . J'aime à penser que dans une quinzaine, nous apprendrons qu'on l'a vu à San-Francisco. I like to think that in a fortnight, we will learn that we saw him in San Francisco. C'est une chose bizarre, mais on voit à San-Francisco toutes les personnes qu'on croit disparues. It's a weird thing, but you see in San Francisco all the people you think are missing. Ce doit être une ville délicieuse ; elle possède toutes les attractions du monde futur... It must be a delightful city; it has all the attractions of the future world...

– Que pensez-vous qu'il soit arrivé à Basil ? "What do you think happened to Basil?" demanda Dorian levant son verre de Bourgogne à la lumière et s'émerveillant lui-même du calme avec lequel il discutait ce sujet. Dorian asked, raising his glass of Burgundy to the light and marveling at the calmness with which he discussed the subject. – Je n'en ai pas la moindre idée. - I do not have the faintest idea. Si Basil veut se cacher, ce n'est point là mon affaire. If Basil wants to hide, that's none of my business. S'il est mort... je n'ai pas besoin d'y penser. If he's dead... I don't need to think about it. La mort est la seule chose qui m'ait jamais terrifié. Death is the only thing that has ever terrified me. Je la hais !... I hate her!...

– Pourquoi, dit paresseusement l'autre. “Why?” said the other lazily. – Parce que, répondit lord Henry en passant sous ses narines le treillis doré d'une boîte ouverte de vinaigrette, on survit à tout de nos jours, excepté à cela. "Because," replied Lord Henry, passing the gilt latticework of an open box of vinaigrette under his nostrils, "one survives everything these days except that." La mort et la vulgarité sont les deux seules choses au dix-neuvième siècle que l'on ne peut expliquer... Allons prendre le café dans le salon, Dorian. Death and vulgarity are the only two things in the nineteenth century that cannot be explained... Let's have coffee in the living room, Dorian. Vous me jouerez du Chopin. You will play Chopin for me. Le gentleman avec qui ma femme est partie interprétait Chopin d'une manière exquise... Pauvre Victoria !... The gentleman with whom my wife left interpreted Chopin in an exquisite manner... Poor Victoria!... Je l'aimais beaucoup ; la maison est un peu triste sans elle. I loved him so much ; the house is a bit sad without it. La vie conjugale est simplement une habitude, une mauvaise habitude. Married life is simply a habit, a bad habit. Mais on regrette même la perte de ses mauvaises habitudes ; peut être est-ce celles-là que l'on regrette le plus ; elles sont une partie essentielle de la personnalité. But one even regrets the loss of one's bad habits; perhaps these are the ones we regret the most; they are an essential part of the personality. Dorian ne dit rien, mais se levant de table, il passa dans la chambre voisine, s'assit au piano et laissa ses doigts errer sur les ivoires blancs et noirs des touches. Dorian said nothing, but getting up from the table, he went into the next room, sat down at the piano and let his fingers wander over the white and black ivories of the keys. Quand on apporta le café, il s'arrêta, et regardant lord Henry, lui dit : When the coffee was brought, he stopped, and looking at Lord Henry, said to him: – Harry, ne vous est-il jamais, venu à l'idée que Basil avait été assassiné ? "Harry, did it ever occur to you that Basil had been murdered?" Lord Henry eut un bâillement : Lord Henry yawned:

– Basil était très connu et portait toujours une montre Waterbury... Pourquoi l'aurait-on assassiné ? “Basil was very famous and always wore a Waterbury watch... Why would he have been murdered? Il n'était pas assez habile pour avoir des ennemis ; je ne parle pas de son merveilleux talent de peintre ; mais un homme peut peindre comme Velasquez et être aussi terne que possible. He was not clever enough to have enemies; I am not talking about his marvelous talent as a painter; but a man can paint like Velasquez and be as dull as possible. Basil était réellement un peu lourdaud... Il m'intéressa une fois, quand il me confia, il y a des années, la sauvage adoration qu'il avait pour vous et que vous étiez le motif dominant de son art. Basil was really a bit clumsy... He interested me once, when he confided to me, years ago, the wild adoration he had for you and that you were the dominant motif of his art. – J'aimais beaucoup Basil, dit Dorian, avec une intonation triste dans la voix. “I really liked Basil,” Dorian said, with a sad tone in his voice. Mais ne dit-on pas qu'il a été assassiné ? But don't we say that he was assassinated? – Oui, quelques journaux... Cela ne me semble guère probable. – Yes, a few newspapers... That doesn't seem likely to me. Je sais qu'il y a quelques vilains endroits dans Paris, mais Basil n'était pas homme à les fréquenter. I know there are a few nasty places in Paris, but Basil was not one to go to them. Il n'était pas curieux ; c'était son défaut principal. He wasn't curious; it was his main fault. – Que diriez-vous, Harry, si je vous disais que j'ai assassiné Basil ? "What would you say, Harry, if I told you that I murdered Basil?" dit Dorian en l'observant attentivement pendant qu'il parlait. Dorian said, watching him carefully as he spoke. – Je vous dirais, mon cher ami, que vous posez pour un caractère qui ne vous va pas. “I would tell you, my dear friend, that you are posing for a character that does not suit you. Tout crime est vulgaire, comme toute vulgarité est crime. All crime is vulgar, as all vulgarity is crime. Ça ne vous siérait pas de commettre un meurtre. It wouldn't suit you to commit murder. Je suis désolé de blesser peut-être votre vanité en parlant ainsi, mais je vous assure que c'est vrai. I am sorry to perhaps hurt your vanity by speaking thus, but I assure you that it is true. Le crime appartient exclusivement aux classes inférieures ; je ne les blâme d'ailleurs nullement. Crime belongs exclusively to the lower classes; I don't blame them at all. J'imagine que le crime est pour elles ce que l'art est à nous, simplement une méthode de se procurer d'extraordinaires sensations. I imagine that crime is to them what art is to us, simply a method of procuring extraordinary sensations. – Une méthode pour se procurer des sensations ? – A method of procuring sensations? Croyez-vous donc qu'un homme qui a commis un crime pourrait recommencer ce même crime ? Do you believe, then, that a man who has committed a crime could repeat the same crime? Ne me racontez pas cela !... Don't tell me that!...

– Toute chose devient un plaisir quand on la fait trop souvent, dit en riant lord Henry. “Everything becomes a pleasure when you do it too often,” said Lord Henry, laughing. C'est là un des plus importants secrets de l'existence. This is one of the most important secrets of existence. Je croirais, cependant, que le meurtre est toujours une faute ; on ne doit jamais rien commettre dont on ne puisse causer après dîner... Mais ne parlons plus du pauvre Basil. I would believe, however, that murder is always a fault; you should never do anything that you can't talk about after dinner. But let's not talk about poor Basil any more. Je voudrais croire qu'il a pu avoir une fin aussi romantique que celle que vous supposez ; mais je ne puis... Il a dû tomber d'un omnibus dans la Seine, et le conducteur n'en a point parlé... Oui, telle a été probablement sa fin... Je le vois très bien sur le dos, gisant sous les eaux vertes avec de lourdes péniches passant sur lui et de longues herbes dans les cheveux. I would like to believe that he could have had as romantic an ending as you suppose; but I can't... He must have fallen from an omnibus into the Seine, and the driver didn't mention it... Yes, that was probably his end... I can see him very well on his back , lying under the green waters with heavy barges passing over him and long grass in his hair. Voyez-vous, je ne crois pas qu'il eût fait désormais une belle œuvre. You see, I don't think he would have done a fine job now. Pendant les dix dernières années, sa peinture s'en allait beaucoup. During the last ten years, his painting was going away a lot. Dorian poussa un soupir, et lord Henry traversant la chambre, alla chatouiller la tête d'un curieux perroquet de Java, un gros oiseau au plumage gris, à la crête et à la queue vertes, qui se balançait sur un bambou. Dorian sighed, and Lord Henry, crossing the room, went to tickle the head of a curious Javan parrot, a large bird with gray plumage, green crest and tail, which was swinging on a bamboo. Comme ses doigts effilés le touchaient, il fit se mouvoir la dartre blanche de ses paupières clignotantes sur ses prunelles semblables à du verre noir et commença à se dandiner en avant et en arrière. As her slender fingers touched him, he moved the white dart of his blinking eyelids over his black glass-like pupils and began to waddle back and forth.

– Oui, continua lord Henry se tournant et sortant son mouchoir de sa poche, sa peinture s'en allait tout à fait. “Yes,” continued Lord Henry, turning and taking his handkerchief out of his pocket, “his paint was quite gone. Il me semblait avoir perdu quelque chose. It seemed to me that I had lost something. Il avait perdu un idéal. He had lost an ideal. Quand vous et lui cessèrent d'être grands amis, il cessa d'être un grand artiste. When you and he stopped being great friends, he stopped being a great artist. Qu'est-ce qui vous sépara ?... What separated you?... Je crois qu'il vous ennuyait. I think he bored you. Si cela fût, il ne vous oublia jamais. If so, he never forgot you. C'est une habitude qu'ont tous les fâcheux. It's a habit that all annoying people have. À propos qu'est donc devenu cet admirable portrait qu'il avait peint d'après vous ? By the way, what has become of this admirable portrait he painted, according to you? Je crois ne point l'avoir revu depuis qu'il y mit la dernière main. I don't think I've seen him since he put the finishing touches to it. Ah ! oui, je me souviens que vous m'avez dit, il y a des années, l'avoir envoyé à Selby et qu'il fut égaré ou volé en route. yes, I remember you telling me years ago that you sent it to Selby and it was lost or stolen on the way. Vous ne l'avez jamais retrouvé ?... Have you ever found it?... Quel malheur ! What a pity ! C'était vraiment un chef-d'œuvre ! It was truly a masterpiece! Je me souviens que je voulais l'acheter. I remember I wanted to buy it. Je voudrais l'avoir acheté maintenant. I wish I had bought it now. Il appartenait à la meilleure époque de Basil. He belonged to Basil's best time. Depuis lors, ses œuvres montrèrent ce curieux mélange de mauvaise peinture et de bonnes intentions qui fait qu'un homme mérite d'être appelé un représentant de l'art anglais. Since then his works have exhibited that curious mixture of bad painting and good intentions which makes a man deserve to be called a representative of English art. Avez-vous mis des annonces pour le retrouver ? Did you put any ads to find him? Vous auriez dû en mettre. You should have put some.

– Je ne me souviens plus, dit Dorian. "I don't remember," Dorian said. Je crois que oui. I think so. Mais je ne l'ai jamais aimé. But I never liked him. Je regrette d'avoir posé pour ce portrait. I regret having posed for this portrait. Le souvenir de tout cela m'est odieux. The memory of all this is odious to me. Il me remet toujours en mémoire ces vers d'une pièce connue, Hamlet, je crois...Voyons, que disent-ils ?... He always reminds me of these verses from a well-known play, Hamlet, I believe... Let's see, what do they say?... Like the painting of a sorrow,

A face without a heart. [1]

« Oui, c'était tout à fait cela... "Yes, that was exactly it... Lord Henry se mit à rire... Lord Henry laughed...

– Si un homme traite sa vie en artiste, son cerveau c'est son cœur, répondit-il s'enfonçant dans un fauteuil. “If a man treats his life like an artist, his brain is his heart,” he replied, sinking into an armchair. Dorian Gray secoua la tête et plaqua quelques accords sur le piano.« Like the painting of a sorrow » répéta-t-il « a face without a heart. Dorian Gray shook his head and struck a few chords on the piano. “Like the painting of a sorrow” he repeated “a face without a heart. L'autre se renversa, le regardant les yeux à demi fermés... The other leaned back, looking at him with half-closed eyes... – À propos, Dorian, interrogea-t-il après une pose, quel profit y a-t-il pour un homme qui gagne le monde entier et perd – comment diable était-ce ? “By the way, Dorian,” he asked after a break, “what profit is there to a man who wins the whole world and loses—how the hell was that? – sa propre âme ?

Le piano sonnait faux... Dorian s'arrêta et regardant son ami : The piano sounded out of tune... Dorian stopped and looked at his friend: – Pourquoi me demandez-vous cela, Harry ? "Why do you ask me that, Harry?"

– Mon cher ami, dit lord Henry, levant ses sourcils d'un air surpris, je vous le demande parce que je suppose que vous pouvez me faire une réponse. 'My dear friend,' said Lord Henry, raising his eyebrows in surprise, 'I ask you because I suppose you can answer me. Voilà tout. That is all. J'étais au Parc dimanche dernier et près de l'Arche de Marbre se trouvait un rassemblement de gens mal vêtus qui écoutaient quelque vulgaire prédicateur de carrefour. I was at the Park last Sunday, and near the Marble Arch was a gathering of poorly dressed people listening to some vulgar crossroads preacher. Au moment où je passais, j'entendis cet homme proposant cette question à son auditoire. As I was passing, I heard this man proposing this question to his audience. Elle me frappa comme étant assez dramatique. She struck me as quite dramatic. Londres est riche en incidents de ce genre. London is rich in such incidents.

« Un dimanche humide, un chrétien bizarre en mackintosh, un cercle de figures blanches et maladives sous un toit inégal de parapluies ruisselants, une phrase merveilleuse jeté au vent comme un cri par des lèvres hystériques, tout cela était là une chose vraiment belle dans son genre, et tout à fait suggestive. "A wet Sunday, a queer Christian in mackintosh, a circle of sickly white faces under an uneven roof of dripping umbrellas, a marvelous phrase thrown to the wind like a cry from hysterical lips, all this was a truly beautiful thing in its kind, and quite suggestive. Je songeais à dire au prophète que l'art avait une âme, mais que l'homme n'en avait pas. I was thinking of telling the prophet that art had a soul, but man had none. Je crains, cependant, qu'il ne m'eût point compris. I fear, however, that he did not understand me. – Non, Harry. L'âme est une terrible réalité. The soul is a terrible reality. On peut l'acheter, la vendre, en trafiquer. You can buy it, sell it, tamper with it. On peut l'empoisonner ou la rendre parfaite. You can poison it or make it perfect. Il y a une âme en chacun de nous. There is a soul in each of us. Je le sais.

– En êtes-vous bien sûr, Dorian ?

– Absolument sûr.

– Ah ! alors ce doit être une illusion. then it must be an illusion. Les choses dont on est absolument sûr, ne sont jamais vraies. Things that we are absolutely sure of are never true. C'est la fatalité de la Foi et la leçon du Roman. It is the fatality of Faith and the lesson of the Novel. Comme vous êtes grave ! How serious you are! Ne soyez pas aussi sérieux. Don't be so serious. Qu'avons-nous de commun, vous et moi, avec les superstitions de notre temps ? What do you and I have in common with the superstitions of our time? Rien... Nous sommes débarrassés de notre croyance à l'Âme... Jouez-moi quelque chose, Dorian. Nothing ... We got rid of our belief in Soul ... Play something for me, Dorian. Jouez-moi un nocturne, et tout en jouant, dites-moi tout bas comment vous avez pu garder votre jeunesse. Play me a nocturne, and as you play, whisper to me how you managed to keep your youth. Vous devez avoir quelque secret. You must have some secret. Je n'ai que dix ans de plus que vous et je suis flétri, usé, jauni. I am only ten years older than you and I am withered, worn, yellowed. Vous êtes vraiment merveilleux, Dorian. You are truly wonderful, Dorian. Vous n'avez jamais été plus charmant à voir que ce soir. You have never been more charming to see than tonight. Vous me rappelez le premier jour que je vous ai vu. You remind me of the first day I saw you. Vous étiez un peu plus joufflu et timide, tout à fait extraordinaire. You were a bit more chubby and shy, quite extraordinary. Vous avez changé, certes, mais pas en apparence. You have changed, of course, but not in appearance. Je voudrais bien que vous me disiez votre secret. I would like you to tell me your secret. Pour retrouver ma jeunesse, je ferais tout au monde, excepté de prendre de l'exercice ; de me lever de bonne heure ou d'être respectable... Ô jeunesse ! To regain my youth, I would do anything except exercise; to get up early or to be respectable... O youth! Rien ne te vaut ! Nothing beats you! Quelle absurdité de parler de l'ignorance des jeunes gens ! What nonsense to speak of the ignorance of young people! Les seuls hommes dont j'écoute les opinions avec respect sont ceux qui sont plus jeunes que moi. The only men whose opinions I listen to with respect are those younger than me. Ils me paraissent marcher devant moi. They seem to walk in front of me. La vie leur a révélé ses dernières merveilles. Life has revealed its last wonders to them. Quant aux vieux, je les contredis toujours. As for the old people, I always contradict them. Je le fais par principe. I do it on principle. Si vous leur demandez leur opinion sur un événement d'hier, ils vous donnent gravement les opinions courantes en 1820, alors qu'on portait des bas longs... qu'on croyait à tout et qu'on ne savait absolument rien. If you ask them their opinion on an event of yesterday, they gravely give you the current opinions in 1820, when we wore long stockings... we believed in everything and we knew absolutely nothing. Comme ce morceau que vous jouez-là est délicieux ! How delicious is this piece you are playing! J'imagine que Chopin a dû l'écrire à Majorque, pendant que la mer gémissait autour de sa villa et que l'écume salée éclaboussait les vitres ? I imagine that Chopin must have written it in Majorca, while the sea moaned around his villa and the salty foam spattered the windows? C'est exquisement romantique. C'est une grâce vraiment, qu'un art nous soit laissé qui n'est pas un art d'imitation ! It is truly a grace that an art be left to us which is not an art of imitation! Ne vous arrêtez pas ; j'ai besoin de musique ce soir. Do not stop ; I need music tonight. Il me semble que vous êtes le jeune Apollon et que je suis Marsyas vous écoutant. It seems to me that you are the young Apollo and that I am Marsyas listening to you. J'ai mes propres chagrins, Dorian, et dont vous n'en avez jamais rien su. I have my own sorrows, Dorian, and you never knew about them. Le drame de la vieillesse n'est pas qu'on est vieux, mais bien qu'on fût jeune. The drama of old age is not that one is old, but that one was young. Je suis étonné quelquefois de ma propre sincérité. I am sometimes amazed at my own sincerity. Ah ! Dorian, que vous êtes heureux ! Dorian, how happy you are! Quelle vie exquise que la vôtre ! What an exquisite life is yours! Vous avez goûté longuement de toutes choses. You have tasted all things for a long time. Vous avez écrasé les raisins mûrs contre votre palais. You have crushed the ripe grapes against your palate. Rien ne vous a été caché. Nothing has been hidden from you. Et tout cela vous fût comme le son d'une musique : vous n'en avez pas été atteint. And all that sounded to you like the sound of music: you were not touched by it. Vous êtes toujours le même. You are still the same.

– Je ne suis pas le même, Harry. “I'm not the same, Harry.

– Si, vous êtes le même. – Yes, you are the same. Je me figure ce que sera le restant de vos jours. I imagine what the rest of your days will be like. Ne le gâtez par aucun renoncement. Do not spoil him by any renunciation. Vous êtes à présent un être accompli. You are now an accomplished being. Ne vous rendez pas incomplet. Don't make yourself incomplete. Vous êtes actuellement sans défaut... Ne hochez pas la tête ; vous le savez bien. You are currently flawless... Do not shake your head; You know it well. Cependant, ne vous faites pas illusion. However, do not delude yourself. La vie ne se gouverne pas par la volonté ou les intentions. Life is not governed by will or intentions. C'est une question de nerfs, de fibres, de cellules lentement élaborées où se cache la pensée et où les passions ont leurs rêves. It is a question of nerves, of fibers, of slowly developed cells where thought is hidden and where the passions have their dreams. Vous pouvez vous croire sauvé et fort. You can believe yourself safe and strong. Mais un ton de couleur entrevu dans la chambre, un ciel matinal, un certain parfum que vous avez aimé et qui vous apporte de subtiles ressouvenances, un vers d'un poème oublié qui vous revient en mémoire, une phrase musicale que vous ne jouez plus, c'est de tout cela, Dorian, je vous assure que dépend notre existence. But a tone of color glimpsed in the room, a morning sky, a certain perfume that you loved and which brings you subtle memories, a line from a forgotten poem that comes back to you, a musical phrase that you no longer play , it is on all that, Dorian, I assure you that our existence depends. Browning l'a écrit quelque part, mais nos sens nous le font imaginer aisément. Browning wrote it down somewhere, but our senses make it easy for us to imagine. Il y a des moments où l'odeur du lilas blanc me pénètre et où je crois revivre le plus étrange mois de toute ma vie. There are times when the smell of white lilac penetrates me and I think I'm reliving the strangest month of my life. Je voudrais pouvoir changer avec vous, Dorian. I wish I could change with you, Dorian. Le monde a hurlé contre nous deux, mais il vous a eu et vous aura toujours en adoration. The world howled at both of us, but it had you and will always have you in adoration. Vous êtes le type que notre époque demande et qu'elle craint d'avoir trouvé. You are the type our age demands and fears it has found. Je suis heureux que vous n'ayez jamais rien fait : ni modelé une statue, ni peint une toile, ni produit autre chose que vous-même !... I am happy that you have never done anything: neither modeled a statue, nor painted a canvas, nor produced anything other than yourself!... Votre art, ce fut votre vie. Your art was your life. Vous vous êtes mis vous-même en musique. You put yourself in music. Vos jours sont vos sonnets. Your days are your sonnets.

Dorian se leva du piano et passant la main dans sa chevelure : Dorian got up from the piano and ran his hand through his hair:

– Oui, murmura-t-il, la vie me fut exquise... Mais je ne veux plus vivre cette même vie, Harry. “Yes,” he whispered, “life was exquisite to me… But I don't want to live that same life anymore, Harry. Et vous ne devriez pas me dire ces choses extravagantes. And you shouldn't say such extravagant things to me. Vous ne me connaissez pas tout entier. You don't know me completely. Si vous saviez tout, je crois bien que vous vous éloigneriez de moi. If you knew everything, I believe you would walk away from me. Vous riez ? Ne riez pas... Do not laugh...

– Pourquoi vous arrêtez-vous de jouer, Dorian ? "Why do you stop playing, Dorian?" Remettez-vous au piano et jouez-moi encore ce Nocturne. Go back to the piano and play me this Nocturne again. Voyez cette large lune couleur de miel qui monte dans le ciel sombre. See that large honey-colored moon rising in the dark sky. Elle attend que vous la charmiez. She is waiting for you to charm her. Si vous jouez, elle va se rapprocher de la terre... Vous ne voulez pas ? If you play, it will get closer to the ground... Won't you? Allons au club, alors. Let's go to the club, then. La soirée a été charmante, il faut bien la terminer. The evening was charming, it must end well. Il y a quelqu'un au White qui désire infiniment faire votre connaissance : le jeune lord Pool, l'aîné des fils de Bournemouth. There is someone at the White who very much desires to make your acquaintance: young Lord Pool, Bournemouth's eldest son. Il copie déjà vos cravates et m'a demandé de vous être présenté. He is already copying your ties and asked me to be introduced to you. Il est tout à fait charmant, et me fait presque songer à vous. He is quite charming, and almost makes me think of you.

– J'espère que non, dit Dorian avec un regard triste, mais je me sens fatigué ce soir, Harry ; je n'irai pas club. 'I hope not,' said Dorian with a sad look, 'but I feel tired tonight, Harry; I will not go club. Il est près de onze heures, et je désire me coucher de bonne heure. It is almost eleven o'clock, and I want to go to bed early.

– Restez... Vous n'avez jamais si bien joué que ce soir. – Stay... You've never played so well as tonight. Il y avait dans votre façon de jouer quelque chose de merveilleux. There was something marvelous about the way you played. C'était d'un sentiment que je n'avais encore jamais entendu. It was a feeling I had never heard before. – C'est parce que je vais devenir bon, répondit-il en souriant. “It's because I'm going to get good,” he replied, smiling. Je suis déjà un peu changé. I am already a little changed.

– Vous ne pouvez changer avec moi, Dorian, dit lord Henry. “You cannot change with me, Dorian,” said Lord Henry. Nous serons toujours deux amis. We will always be two friends.

– Pourtant, vous m'avez un jour empoisonné avec un livre. “However, you poisoned me one day with a book. Je n'oublierai pas cela... Harry, promettez-moi de ne plus jamais prêter ce livre à personne. I won't forget this...Harry, promise me never to lend this book to anyone again. Il est malfaisant. He is evil.

– Mon cher ami, vous commencez à faire de la morale. – My dear friend, you are beginning to lecture. Vous allez bientôt devenir comme les convertis et les revivalistes, prévenant tout le monde contre les péchés dont ils sont eux-mêmes fatigués. You will soon become like the converts and revivalists, warning everyone against the sins of which they themselves are weary. Vous êtes trop charmant pour faire cela. You are too charming to do that. D'ailleurs, ça ne sert à rien. Besides, it's useless. Nous sommes ce que nous sommes et serons ce que nous pourrons. We are what we are and will be what we can. Quant à être empoisonné par un livre, on ne vit jamais rien de pareil. As for being poisoned by a book, you never saw anything like it. L'art n'a aucune influence sur les actions ; il annihile le désir d'agir, il est superbement stérile. Art has no influence on actions; it annihilates the desire to act, it is superbly sterile. Les livres que le monde appelle immoraux sont les livres qui lui montrent sa propre honte. The books the world calls immoral are the books that show it its own shame. Voilà tout. Mais ne discutons pas de littérature... Venez demain, je monte à cheval à onze heures. But let's not discuss literature. Come tomorrow, I'll ride at eleven o'clock. Nous pourrons faire une promenade ensemble et je vous mènerai ensuite déjeuner chez lady Branksome. We can take a walk together and then I'll take you to lunch at Lady Branksome's. C'est une femme charmante, elle désire vous consulter sur une tapisserie qu'elle voudrait acheter. She is a charming woman, she wants to consult you about a tapestry she would like to buy. Pensez-vous venir ? Do you plan to come? Ou bien déjeunerons-nous avec notre petite duchesse ? Or shall we have lunch with our little duchess? Elle dit qu'elle ne vous voit plus. She says she doesn't see you anymore. Peut-être êtes-vous fatigué de Gladys ? Maybe you are tired of Gladys? Je le pensais. I thought so. Sa manière d'esprit vous donne sur les nerfs... Dans tous les cas, soyez ici à onze heures. His manner of wit gets on your nerves... In any case, be here at eleven o'clock. – Faut-il vraiment que je vienne, Harry ? "Do I really have to come, Harry?"

– Certainement, le Parc est adorable en ce moment. – Certainly, the Park is adorable at the moment. Je crois qu'il n'y a jamais eu autant de lilas depuis l'année où j'ai fait votre connaissance. I don't think there have been so many lilacs since the year I met you. – Très bien, je serai ici à onze heures, dit Dorian. “Very well, I'll be here at eleven o'clock,” Dorian said. Bonsoir, Harry...

Arrivé à la porte, il hésita un moment comme s'il eût eu encore quelque chose à dire. Arrived at the door, he hesitated a moment as if he still had something to say. Puis il soupira et sortit... Then he sighed and left...

[1] Comme la peinture d'un chagrin – Une figure sans cœur. [1] Like the painting of a grief – A heartless figure.