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Oscar Wilde - Le Portrait de Dorian Gray, Le portrait de Dorian Gray Chapitre 13

Le portrait de Dorian Gray Chapitre 13

Chapitre XIII

Il sortit de la chambre, et commença à monter, Basil Hallward le suivant de près. Ils marchaient doucement, comme on fait instinctivement la nuit. La lampe projetait des ombres fantastiques sur le mur et sur l'escalier. Un vent qui s'élevait fit claquer les fenêtres. Lorsqu'ils atteignirent le palier supérieur, Dorian posa la lampe sur le plancher, et prenant sa clef, la tourna dans la serrure. – Vous insistez pour savoir, Basil ? demanda-t-il d'une voix basse. – Oui !

– J'en suis heureux, répondit-il souriant. Puis il ajouta un peu rudement :

– Vous êtes le seul homme au monde qui ayez le droit de savoir tout ce qui me concerne. Vous avez tenu plus de place dans ma vie que vous ne le pensez.

Et prenant la lampe il ouvrit la porte et entra. Un courant d'air froid les enveloppa et la flamme vacillant un instant prit une teinte orange foncé. Il tressaillit...

– Fermez la porte derrière vous, souffla-t-il en posant la lampe sur la table.

Hallward regarda autour de lui, profondément étonné. La chambre paraissait n'avoir pas été habitée depuis des années. Une tapisserie flamande fanée, un tableau couvert d'un voile, une vieille cassone italienne et une grande bibliothèque vide en étaient tout l'ameublement avec une chaise et une table. Comme Dorian allumait une bougie à demi consumée posée sur la cheminée, il vit que tout était couvert de poussière dans la pièce et que le tapis était en lambeaux. Une souris s'enfuit effarée derrière les lambris. Il y avait une odeur humide de moisissure.

– Ainsi, vous croyez que Dieu seul peut voir l'âme, Basil ? Écartez ce rideau, vous allez voir la mienne !...

Sa voix était froide et cruelle...

– Vous êtes fou, Dorian, ou bien vous jouez une comédie ? murmura le peintre en fronçant le sourcil.

– Vous n'osez pas ? Je l'ôterai moi-même, dit le jeune homme, arrachant le rideau de sa tringle et le jetant sur le parquet... Un cri d'épouvante jaillit des lèvres du peintre, lorsqu'il vit à la faible lueur de la lampe, la hideuse figure qui semblait grimacer sur la toile. Il y avait dans cette expression quelque chose qui le remplit de dégoût et d'effroi. Ciel ! Cela pouvait-il être la face, la propre face de Dorian Gray ? L'horreur, quelle qu'elle fut cependant, n'avait pas entièrement gâté cette beauté merveilleuse. De l'or demeurait dans la chevelure éclaircie et la bouche sensuelle avait encore de son écarlate. Les yeux boursouflés avaient gardé quelque chose de la pureté de leur azur, et les courbes élégantes des narines finement ciselées et du cou puissamment modelé n'avaient pas entièrement disparu. Oui, c'était bien Dorian lui-même. Mais qui avait fait cela ? Il lui sembla reconnaîtra sa peinture, et le cadre était bien celui qu'il avait dessiné. L'idée était monstrueuse, il s'en effraya !... Il saisit la bougie et l'approcha de la toile. Dans le coin gauche son nom était tracé en hautes lettres de vermillon pur...

C'était une odieuse parodie, une infâme, ignoble satire ! Jamais il n'avait fait cela... Cependant, c'était bien là son propre tableau. Il le savait, et il lui sembla que son sang, tout à l'heure brûlant, se gelait tout à coup. Son propre tableau !... Qu'est-ce que cela voulait dire ? Pourquoi cette transformation ? Il se retourna, regardant Dorian avec les yeux d'un fou. Ses lèvres tremblaient et sa langue desséchée ne pouvait articuler un seul mot. Il passa sa main sur son front ; il était tout humide d'une sueur froide. Le jeune homme était appuyé contre le manteau de la cheminée, le regardant avec cette étrange expression qu'on voit sur la figure de ceux qui sont absorbés dans le spectacle, lorsque joue un grand artiste. Ce n'était ni un vrai chagrin, ni une joie véritable. C'était l'expression d'un spectateur avec, peut-être, une lueur de triomphe dans ses yeux. Il avait ôté la fleur de sa boutonnière et la respirait avec affectation.

– Que veut dire tout cela ? s'écria enfin Hallward. Sa propre voix résonna avec un éclat inaccoutumé à ses oreilles.

– Il y a des années, lorsque j'étais un enfant, dit Dorian Gray, froissant la fleur dans sa main, vous m'avez rencontré, vous m'avez flatté et appris à être vain de ma beauté. Un jour, vous m'avez présenté à un de vos amis, qui m'expliqua le miracle de la jeunesse, et vous avez fait ce portrait qui me révéla le miracle de la beauté. Dans un moment de folie que, même maintenant, je ne sais si je regrette ou non, je fis un vœu, que vous appellerez peut-être une prière...

– Je m'en souviens ! Oh ! comme je m'en souviens ! Non ! C'est une chose impossible... Cette chambre est humide, la moisissure s'est mise sur la toile. Les couleurs que j'ai employées étaient de quelque mauvaise composition... Je vous dis que cette chose est impossible ! – Ah ! qu'y a-t-il d'impossible ? murmura le jeune homme, allant à la fenêtre et appuyant son front aux vitraux glacés.

– Vous m'aviez dit que vous l'aviez détruit ? – J'avais tort, c'est lui qui m'a détruit ! – Je ne puis croire que c'est là mon tableau. – Ne pouvez-vous y voir votre idéal ? dit Dorian amèrement.

– Mon idéal, comme vous l'appelez... – Comme vous l'appeliez !... – Il n'y avait rien de mauvais en lui, rien de honteux ; vous étiez pour moi un idéal comme je n'en rencontrerai plus jamais... Et ceci est la face d'un satyre. – C'est la face de mon âme ! – Seigneur ! Quelle chose j'ai idolâtrée ! Ce sont les yeux d'un démon !... – Chacun de nous porte en lui le ciel et l'enfer, Basil, s'écria Dorian, avec un geste farouche de désespoir... Hallward se retourna vers le portrait et le considéra.

– Mon Dieu ! si c'est vrai, dit-il, et si c'est là ce que vous avez fait de votre vie, vous devez être encore plus corrompu que ne l'imaginent ceux qui parlent contre vous ! Il approcha de nouveau la bougie pour mieux examiner la toile. La surface semblait n'avoir subi aucun changement, elle était telle qu'il l'avait laissée. C'était du dedans, apparemment, que la honte et l'horreur étaient venues. Par le moyen de quelque étrange vie intérieure, la lèpre du péché semblait ronger cette face. La pourriture d'un corps au fond d'un tombeau humide était moins effrayante !... Sa main eut un tremblement et la bougie tomba du chandelier sur le tapis où elle s'écrasa. Il posa le pied dessus la repoussant. Puis il se laissa tomber dans le fauteuil près de la table et ensevelit sa face dans ses mains.

– Bonté divine ! Dorian, quelle leçon ! quelle terrible leçon !

Il n'y eut pas de réponse, mais il put entendre le jeune homme qui sanglotait à la fenêtre. – Prions ! Dorian, prions ! murmura t-il.... Que nous a-t-on appris à dire dans notre enfance ? « Ne nous laissez pas tomber dans la tentation. Pardonnez-nous nos pêchés, purifiez-nous de nos iniquités ! » Redisons-le ensemble. La prière de votre orgueil a été entendue ; la prière de votre repentir sera aussi entendue ! Je vous ai trop adoré ! J'en suis puni. Vous vous êtes trop aimé... Nous sommes tous deux punis !

Dorian Gray se retourna lentement et le regardant avec des yeux obscurcis de larmes.

– Il est trop tard, Basil, balbutia t-il.

– Il n'est jamais trop tard, Dorian ! Agenouillons-nous et essayons de nous rappeler une prière. N'y a-t-il pas un verset qui dit : « Quoique vos péchés soient comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige » ? – Ces mots n'ont plus de sens pour moi, maintenant ! – Ah ! ne dites pas cela. Vous avez fait assez de mal dans votre vie. Mon Dieu ! Ne voyez-vous pas cette maudite face qui nous regarde ?

Dorian Gray regarda le portrait, et soudain, un indéfinissable sentiment de haine contre Basil Hallward s'empara de lui, comme s'il lui était suggéré par cette figure peinte sur la toile, soufflé dans son oreille par ces lèvres grimaçantes... Les sauvages instincts d'une bête traquée s'éveillaient en lui et il détesta cet homme assis à cette table plus qu'aucune chose dans sa vie !... Il regarda farouchement autour de lui... Un objet brillait sur le coffre peint en face de lui. Son œil s'y arrêta. Il se rappela ce que c'était : un couteau qu'il avait monté, quelques jours avant pour couper une corde et qu'il avait oublié de remporter. Il s'avança doucement, passant près d'Hallward. Arrivé derrière celui-ci, il prit le couteau et se retourna... Hallward fit un mouvement comme pour se lever de son fauteuil... Dorian bondit sur lui, lui enfonça le couteau derrière l'oreille, tranchant la carotide, écrasant la tête contre la table et frappant à coups furieux... Il y eut un gémissement étouffé et l'horrible bruit du sang dans la gorge. Trois fois les deux bras s'élevèrent convulsivement, agitant grotesquement dans le vide deux mains aux doigts crispés... Il frappa deux fois encore, mais l'homme ne bougea plus. Quelque chose commença à ruisseler par terre. Il s'arrêta un instant appuyant toujours sur la tête... Puis il jeta le couteau sur la table et écouta. Il n'entendit rien qu'un bruit de gouttelettes tombant doucement sur le tapis usé. Il ouvrit la porte et sortit sur le palier. La maison était absolument tranquille. Il n'y avait personne. Quelques instants, il resta penché sur la rampe cherchant à percer l'obscurité profonde et silencieuse du vide. Puis il ôta la clef de la serrure, rentra et s'enferma dans la chambre... L'homme était toujours assis dans le fauteuil, gisant contre la table, la tête penchée, le dos courbé, avec ses bras longs et fantastiques. N'eût été le trou rouge et béant du cou, et la petite mare de caillots noirs qui s'élargissait sur la table, on aurait pu croire que cet homme était simplement endormi. Comme cela avait été vite fait !... Il se sentait étrangement calme, et allant vers la fenêtre, il l'ouvrit et s'avança sur le balcon. Le vent avait balayé le brouillard et le ciel était comme la queue monstrueuse d'un paon, étoilé de myriades d'yeux d'or. Il regarda dans la rue et vit un policeman qui faisait sa ronde, dardant les longs rais de lumière de sa lanterne sur les portes des maisons silencieuses. La lueur cramoisie d'un coupé qui rôdait éclaira le coin de la rue, puis disparut. Une femme enveloppée d'un châle flottant se glissa lentement le long des grilles du square ; elle avançait en chancelant. De temps en temps, elle s'arrêtait pour regarder derrière elle ; puis, elle entonna une chanson d'une voix éraillée. Le policeman courut à elle et lui parla. Elle s'en alla en trébuchant et en éclatant de rire... Une bise âpre passa sur le square. Les lumières des gaz vacillèrent, blêmissantes, et les arbres dénudés entrechoquèrent leurs branches rouillées. Il frissonna et rentra en fermant la fenêtre...

Arrivé à la porte, il tourna la clef dans la serrure et ouvrit. Il n'avait pas jeté les yeux sur l'homme assassiné. Il sentit que le secret de tout cela ne changerait pas sa situation. L'ami qui avait peint le fatal portrait auquel toute sa misère était due était sorti de sa vie. C'était assez... Alors il se rappela la lampe. Elle était d'un curieux travail mauresque, faite d'argent massif incrustée d'arabesques d'acier bruni et ornée de grosses turquoises. Peut-être son domestique remarquerait-il son absence et des questions seraient posées... Il hésita un instant, puis rentra et la prit sur la table. Il ne put s'empêcher de regarder le mort. Comme il était tranquille ! Comme ses longues mains étaient horriblement blanches ! C'était une effrayante figure de cire... Ayant fermé la porte derrière lui, il descendit l'escalier tranquillement. Les marches craquaient sous ses pieds comme si elles eussent poussé des gémissements. Il s'arrêta plusieurs fois et attendit... Non, tout était tranquille... Ce n'était que le bruit de ses pas... Lorsqu'il fut dans la bibliothèque, il aperçut la valise et le pardessus dans un coin. Il fallait les cacher quelque part. Il ouvrit un placard secret dissimulé dans les boiseries où il gardait ses étranges déguisements ; il y enferma les objets. Il pourrait facilement les brûler plus tard. Alors il tira sa montre. Il était deux heures moins vingt.

Il s'assit et se mit à réfléchir... Tous les ans, tous les mois presque, des hommes étaient pendus en Angleterre pour ce qu'il venait de faire... Il y avait comme une folie de meurtre dans l'air. Quelque rouge étoile s'était approchée trop près de la terre... Et puis, quelles preuves y aurait-il contre lui ? Basil Hallward avait quitté sa maison à onze heures. Personne ne l'avait vu rentrer. La plupart des domestiques étaient à Selby Royal. Son valet était couché... Paris ! Oui. C'était à Paris que Basil était parti et par le train de minuit, comme il en avait l'intention. Avec ses habitudes particulières de réserve, il se passerait des mois avant que des soupçons pussent naître. Des mois ! Tout pouvait être détruit bien avant...

Une idée subite lui traversa l'esprit. Il mit sa pelisse et son chapeau et sortit dans le vestibule. Là, il s'arrêta, écoutant le pas lourd et ralenti du policeman sur le trottoir en face et regardant la lumière de sa lanterne sourde qui se reflétait dans une fenêtre. Il attendit, retenant sa respiration...

Après quelques instants, il tira le loquet et se glissa dehors, fermant la porte tout doucement derrière lui. Puis il sonna... Au bout de cinq minutes environ, son domestique apparut, à moitié habillé, paraissant tout endormi.

– Je suis fâché de vous avoir réveillé, Francis, dit-il en entrant, mais j'avais oublié mon passe-partout. Quelle heure est-il ?...

– Deux heures dix, monsieur, répondit l'homme regardant la pendule et clignotant des yeux. – Deux heures dix ! Je suis horriblement en retard ! Il faudra m'éveiller demain à neuf heures, j'ai quelque chose à faire. – Très bien, monsieur.

– Personne n'est venu ce soir ? – Mr Hallward, monsieur. Il est resté ici jusqu'à onze heures, et il est parti pour prendre le train. – Oh ! je suis fâché de ne pas l'avoir vu. A-t-il laissé un mot ?

– Non, monsieur, il a dit qu'il vous écrirait de Paris, s'il ne vous retrouvait pas au club. – Très bien, Francis. N'oubliez pas de m'appeler demain à neuf heures. – Non, monsieur.

L'homme disparut dans le couloir, en traînant ses savates. Dorian Gray jeta son pardessus et son chapeau sur une table et entra dans la bibliothèque. Il marcha de long en large pendant un quart d'heure, se mordant les lèvres, et réfléchissant. Puis il prit sur un rayon le Blue Book et commença à tourner les pages... « Alan Campbell, 152, Hertford Street, Mayfair ». Oui, c'était là l'homme qu'il lui fallait...


Le portrait de Dorian Gray Chapitre 13 Das Bildnis des Dorian Gray Kapitel 13 Obraz Doriana Graya Rozdział 13

Chapitre XIII

Il sortit de la chambre, et commença à monter, Basil Hallward le suivant de près. He left the room, and began to climb, Basil Hallward following close behind. Ils marchaient doucement, comme on fait instinctivement la nuit. They walked slowly, as one instinctively does at night. La lampe projetait des ombres fantastiques sur le mur et sur l'escalier. The lamp cast fantastic shadows on the wall and on the stairs. Un vent qui s'élevait fit claquer les fenêtres. A rising wind rattled the windows. Lorsqu'ils atteignirent le palier supérieur, Dorian posa la lampe sur le plancher, et prenant sa clef, la tourna dans la serrure. When they reached the upper landing, Dorian put the lamp on the floor, and taking his key, turned it in the lock. – Vous insistez pour savoir, Basil ? "Do you insist on knowing, Basil?" demanda-t-il d'une voix basse. he asked in a low voice. – Oui !

– J'en suis heureux, répondit-il souriant. "I'm happy about that," he replied smiling. Puis il ajouta un peu rudement : Then he added a little harshly:

– Vous êtes le seul homme au monde qui ayez le droit de savoir tout ce qui me concerne. “You are the only man in the world who has the right to know everything that concerns me. Vous avez tenu plus de place dans ma vie que vous ne le pensez. You have held more space in my life than you think.

Et prenant la lampe il ouvrit la porte et entra. And taking the lamp he opened the door and entered. Un courant d'air froid les enveloppa et la flamme vacillant un instant prit une teinte orange foncé. A current of cold air enveloped them and the flame, flickering for a moment, took on a deep orange tint. Il tressaillit...

– Fermez la porte derrière vous, souffla-t-il en posant la lampe sur la table. “Close the door behind you,” he whispered, putting the lamp on the table.

Hallward regarda autour de lui, profondément étonné. Hallward looked around, deeply surprised. La chambre paraissait n'avoir pas été habitée depuis des années. The room looked as if it hadn't been lived in for years. Une tapisserie flamande fanée, un tableau couvert d'un voile, une vieille cassone italienne et une grande bibliothèque vide en étaient tout l'ameublement avec une chaise et une table. A faded Flemish tapestry, a picture covered with a veil, an old Italian chest of drawers and a large empty bookcase were all the furniture, with a chair and a table. Comme Dorian allumait une bougie à demi consumée posée sur la cheminée, il vit que tout était couvert de poussière dans la pièce et que le tapis était en lambeaux. As Dorian lit a half-burnt candle on the mantelpiece, he saw that everything in the room was covered in dust and the carpet was in tatters. Une souris s'enfuit effarée derrière les lambris. A mouse fled scared behind the paneling. Il y avait une odeur humide de moisissure. There was a damp smell of mildew.

– Ainsi, vous croyez que Dieu seul peut voir l'âme, Basil ? "So you believe that only God can see the soul, Basil?" Écartez ce rideau, vous allez voir la mienne !... Pull aside this curtain, you will see mine!...

Sa voix était froide et cruelle... His voice was cold and cruel...

– Vous êtes fou, Dorian, ou bien vous jouez une comédie ? "Are you crazy, Dorian, or are you playing a comedy?" murmura le peintre en fronçant le sourcil. murmured the painter, frowning.

– Vous n'osez pas ? Je l'ôterai moi-même, dit le jeune homme, arrachant le rideau de sa tringle et le jetant sur le parquet... I'll take it off myself, said the young man, tearing the curtain from its rod and throwing it on the floor... Un cri d'épouvante jaillit des lèvres du peintre, lorsqu'il vit à la faible lueur de la lampe, la hideuse figure qui semblait grimacer sur la toile. A cry of terror burst from the lips of the painter, when he saw in the dim light of the lamp, the hideous figure which seemed to grimace on the canvas. Il y avait dans cette expression quelque chose qui le remplit de dégoût et d'effroi. There was something about that expression that filled him with disgust and dread. Ciel ! Cela pouvait-il être la face, la propre face de Dorian Gray ? Could this be the face, Dorian Gray's own face? L'horreur, quelle qu'elle fut cependant, n'avait pas entièrement gâté cette beauté merveilleuse. The horror, whatever it was, however, had not entirely spoiled this wondrous beauty. De l'or demeurait dans la chevelure éclaircie et la bouche sensuelle avait encore de son écarlate. Gold remained in the thinning hair and the sensual mouth still had its scarlet. Les yeux boursouflés avaient gardé quelque chose de la pureté de leur azur, et les courbes élégantes des narines finement ciselées et du cou puissamment modelé n'avaient pas entièrement disparu. The puffy eyes had retained something of the purity of their azure, and the elegant curves of the finely chiselled nostrils and powerfully shaped neck had not entirely disappeared. Oui, c'était bien Dorian lui-même. Yes, it was Dorian himself. Mais qui avait fait cela ? But who had done this? Il lui sembla reconnaîtra sa peinture, et le cadre était bien celui qu'il avait dessiné. He thought he would recognize his painting, and the frame was indeed the one he had drawn. L'idée était monstrueuse, il s'en effraya !... The idea was monstrous, he was frightened!... Il saisit la bougie et l'approcha de la toile. He grabbed the candle and held it close to the canvas. Dans le coin gauche son nom était tracé en hautes lettres de vermillon pur... In the left corner his name was written in tall letters of pure vermilion...

C'était une odieuse parodie, une infâme, ignoble satire ! It was an odious parody, an infamous, ignoble satire! Jamais il n'avait fait cela... Cependant, c'était bien là son propre tableau. He had never done this... However, this was his own painting. Il le savait, et il lui sembla que son sang, tout à l'heure brûlant, se gelait tout à coup. He knew it, and it seemed to him that his blood, just hot, suddenly froze. Son propre tableau !... His own painting!... Qu'est-ce que cela voulait dire ? What did that mean? Pourquoi cette transformation ? Why this transformation? Il se retourna, regardant Dorian avec les yeux d'un fou. He turned, looking at Dorian with the eyes of a madman. Ses lèvres tremblaient et sa langue desséchée ne pouvait articuler un seul mot. His lips quivered and his parched tongue couldn't articulate a single word. Il passa sa main sur son front ; il était tout humide d'une sueur froide. He passed his hand over his forehead; he was wet with a cold sweat. Le jeune homme était appuyé contre le manteau de la cheminée, le regardant avec cette étrange expression qu'on voit sur la figure de ceux qui sont absorbés dans le spectacle, lorsque joue un grand artiste. The young man was leaning against the mantle of the fireplace, looking at it with that strange expression which one sees on the face of those who are absorbed in the spectacle, when a great artist is playing. Ce n'était ni un vrai chagrin, ni une joie véritable. It was neither real sorrow nor real joy. C'était l'expression d'un spectateur avec, peut-être, une lueur de triomphe dans ses yeux. It was the expression of a spectator with, perhaps, a gleam of triumph in his eyes. Il avait ôté la fleur de sa boutonnière et la respirait avec affectation. He had taken the flower out of his buttonhole and was sniffing it with affectation.

– Que veut dire tout cela ? – What does all this mean? s'écria enfin Hallward. Sa propre voix résonna avec un éclat inaccoutumé à ses oreilles. His own voice rang out with an unaccustomed brilliance in his ears.

– Il y a des années, lorsque j'étais un enfant, dit Dorian Gray, froissant la fleur dans sa main, vous m'avez rencontré, vous m'avez flatté et appris à être vain de ma beauté. “Years ago when I was a child,” said Dorian Gray, crumpling the flower in his hand, “you met me, flattered me, and taught me to be vain of my beauty. Un jour, vous m'avez présenté à un de vos amis, qui m'expliqua le miracle de la jeunesse, et vous avez fait ce portrait qui me révéla le miracle de la beauté. One day, you introduced me to one of your friends, who explained to me the miracle of youth, and you made this portrait which revealed to me the miracle of beauty. Dans un moment de folie que, même maintenant, je ne sais si je regrette ou non, je fis un vœu, que vous appellerez peut-être une prière... In a moment of madness that, even now, I don't know if I regret or not, I made a wish, which you might call a prayer...

– Je m'en souviens ! - I remember ! Oh ! comme je m'en souviens ! Non ! C'est une chose impossible... Cette chambre est humide, la moisissure s'est mise sur la toile. It's an impossible thing... This room is damp, the mold has got on the canvas. Les couleurs que j'ai employées étaient de quelque mauvaise composition... Je vous dis que cette chose est impossible ! The colors I used were of some bad composition... I tell you that thing is impossible! – Ah ! qu'y a-t-il d'impossible ? what is impossible? murmura le jeune homme, allant à la fenêtre et appuyant son front aux vitraux glacés. muttered the young man, going to the window and leaning his forehead against the icy stained glass.

– Vous m'aviez dit que vous l'aviez détruit ? "Did you tell me you destroyed it?" – J'avais tort, c'est lui qui m'a détruit ! – I was wrong, it was he who destroyed me! – Je ne puis croire que c'est là mon tableau. “I can't believe that's my painting. – Ne pouvez-vous y voir votre idéal ? "Can't you see your ideal there?" dit Dorian amèrement. said Dorian bitterly.

– Mon idéal, comme vous l'appelez... “My ideal, as you call it... – Comme vous l'appeliez !... – Il n'y avait rien de mauvais en lui, rien de honteux ; vous étiez pour moi un idéal comme je n'en rencontrerai plus jamais... Et ceci est la face d'un satyre. “There was nothing bad about him, nothing shameful; you were for me an ideal such as I will never encounter again... And this is the face of a satyr. – C'est la face de mon âme ! "It is the face of my soul!" – Seigneur ! - Lord ! Quelle chose j'ai idolâtrée ! What a thing I idolized! Ce sont les yeux d'un démon !... Those are the eyes of a demon!... – Chacun de nous porte en lui le ciel et l'enfer, Basil, s'écria Dorian, avec un geste farouche de désespoir... "Each of us carries heaven and hell within us, Basil," cried Dorian, with a fierce gesture of despair... Hallward se retourna vers le portrait et le considéra. Hallward turned back to the portrait and considered it.

– Mon Dieu ! si c'est vrai, dit-il, et si c'est là ce que vous avez fait de votre vie, vous devez être encore plus corrompu que ne l'imaginent ceux qui parlent contre vous ! if that is true, he said, and if that is what you have done with your life, you must be even more corrupt than those who speak against you imagine! Il approcha de nouveau la bougie pour mieux examiner la toile. He approached the candle again to examine the canvas better. La surface semblait n'avoir subi aucun changement, elle était telle qu'il l'avait laissée. The surface seemed to have undergone no change, it was just as he had left it. C'était du dedans, apparemment, que la honte et l'horreur étaient venues. It was from within, apparently, that the shame and horror had come. Par le moyen de quelque étrange vie intérieure, la lèpre du péché semblait ronger cette face. By means of some strange inner life, the leprosy of sin seemed to eat away that face. La pourriture d'un corps au fond d'un tombeau humide était moins effrayante !... The rotting of a body at the bottom of a damp tomb was less frightening!... Sa main eut un tremblement et la bougie tomba du chandelier sur le tapis où elle s'écrasa. His hand trembled and the candle fell from the candlestick onto the carpet where it crashed. Il posa le pied dessus la repoussant. He put his foot on it, pushing it away. Puis il se laissa tomber dans le fauteuil près de la table et ensevelit sa face dans ses mains. Then he sank into the chair by the table and buried his face in his hands.

– Bonté divine ! - God's goodness ! Dorian, quelle leçon ! Dorian, what a lesson! quelle terrible leçon ! what a terrible lesson!

Il n'y eut pas de réponse, mais il put entendre le jeune homme qui sanglotait à la fenêtre. There was no response, but he could hear the young man sobbing at the window. – Prions ! – Pray! Dorian, prions ! murmura t-il.... Que nous a-t-on appris à dire dans notre enfance ? he whispered.... What were we taught to say in our childhood? « Ne nous laissez pas tomber dans la tentation. “Let us not fall into temptation. Pardonnez-nous nos pêchés, purifiez-nous de nos iniquités ! Forgive us of our sins, cleanse us of our iniquities! » Redisons-le ensemble. Let's say it again together. La prière de votre orgueil a été entendue ; la prière de votre repentir sera aussi entendue ! The prayer of your pride has been heard; the prayer of your repentance will also be heard! Je vous ai trop adoré ! I loved you so much! J'en suis puni. I am punished for it. Vous vous êtes trop aimé... Nous sommes tous deux punis ! You loved each other too much... We are both punished!

Dorian Gray se retourna lentement et le regardant avec des yeux obscurcis de larmes. Dorian Gray slowly turned and looked at him with eyes darkened with tears.

– Il est trop tard, Basil, balbutia t-il. "It's too late, Basil," he stammered.

– Il n'est jamais trop tard, Dorian ! “It's never too late, Dorian! Agenouillons-nous et essayons de nous rappeler une prière. Let's get on our knees and try to remember a prayer. N'y a-t-il pas un verset qui dit : « Quoique vos péchés soient comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige » ? Isn't there a verse that says, "Though your sins are as scarlet, I will make them white as snow"? – Ces mots n'ont plus de sens pour moi, maintenant ! “These words don't make sense to me now! – Ah ! ne dites pas cela. don't say that. Vous avez fait assez de mal dans votre vie. You have done enough harm in your life. Mon Dieu ! Ne voyez-vous pas cette maudite face qui nous regarde ? Don't you see that accursed face looking at us?

Dorian Gray regarda le portrait, et soudain, un indéfinissable sentiment de haine contre Basil Hallward s'empara de lui, comme s'il lui était suggéré par cette figure peinte sur la toile, soufflé dans son oreille par ces lèvres grimaçantes... Les sauvages instincts d'une bête traquée s'éveillaient en lui et il détesta cet homme assis à cette table plus qu'aucune chose dans sa vie !... Dorian Gray looked at the portrait, and suddenly an indefinable feeling of hatred against Basil Hallward seized him, as if suggested to him by that figure painted on the canvas, whispered in his ear by those grimacing lips... Wild instincts of a hunted beast awoke in him, and he hated that man sitting at that table more than anything in his life!... Il regarda farouchement autour de lui... Un objet brillait sur le coffre peint en face de lui. He looked around fiercely... An object shone on the painted chest in front of him. Son œil s'y arrêta. His eye stopped there. Il se rappela ce que c'était : un couteau qu'il avait monté, quelques jours avant pour couper une corde et qu'il avait oublié de remporter. He remembered what it was: a knife he had assembled a few days before to cut a rope and which he had forgotten to take home. Il s'avança doucement, passant près d'Hallward. He moved forward slowly, passing Hallward. Arrivé derrière celui-ci, il prit le couteau et se retourna... Hallward fit un mouvement comme pour se lever de son fauteuil... Dorian bondit sur lui, lui enfonça le couteau derrière l'oreille, tranchant la carotide, écrasant la tête contre la table et frappant à coups furieux... Arrived behind him, he took the knife and turned... Hallward made a movement as if to get up from his chair... Dorian leapt on him, thrust the knife behind his ear, slicing the head against the table and thumping furiously... Il y eut un gémissement étouffé et l'horrible bruit du sang dans la gorge. There was a muffled moan and the horrible sound of blood in his throat. Trois fois les deux bras s'élevèrent convulsivement, agitant grotesquement dans le vide deux mains aux doigts crispés... Il frappa deux fois encore, mais l'homme ne bougea plus. Three times the two arms were raised convulsively, waving grotesquely in the void two hands with clenched fingers... He knocked twice more, but the man did not move. Quelque chose commença à ruisseler par terre. Something started dripping on the ground. Il s'arrêta un instant appuyant toujours sur la tête... Puis il jeta le couteau sur la table et écouta. He stopped for a moment, still pressing his head... Then he threw the knife on the table and listened. Il n'entendit rien qu'un bruit de gouttelettes tombant doucement sur le tapis usé. He heard nothing but the sound of droplets gently falling on the worn carpet. Il ouvrit la porte et sortit sur le palier. He opened the door and stepped out onto the landing. La maison était absolument tranquille. The house was absolutely quiet. Il n'y avait personne. There was nobody. Quelques instants, il resta penché sur la rampe cherchant à percer l'obscurité profonde et silencieuse du vide. For a few moments he remained leaning over the banister, trying to pierce the deep, silent darkness of the void. Puis il ôta la clef de la serrure, rentra et s'enferma dans la chambre... L'homme était toujours assis dans le fauteuil, gisant contre la table, la tête penchée, le dos courbé, avec ses bras longs et fantastiques. Then he took the key out of the lock, went back and locked himself in the room... The man was still sitting in the armchair, lying against the table, his head bent, his back bent, with his long, fantastic arms. N'eût été le trou rouge et béant du cou, et la petite mare de caillots noirs qui s'élargissait sur la table, on aurait pu croire que cet homme était simplement endormi. If it hadn't been for the red, gaping hole in his neck, and the little pool of black clots that was spreading on the table, one would have thought that this man was simply asleep. Comme cela avait été vite fait !... How quickly it had been done!... Il se sentait étrangement calme, et allant vers la fenêtre, il l'ouvrit et s'avança sur le balcon. He felt oddly calm, and going to the window, he opened it and stepped out onto the balcony. Le vent avait balayé le brouillard et le ciel était comme la queue monstrueuse d'un paon, étoilé de myriades d'yeux d'or. The wind had swept away the fog and the sky was like the monstrous tail of a peacock, starred with myriads of golden eyes. Il regarda dans la rue et vit un policeman qui faisait sa ronde, dardant les longs rais de lumière de sa lanterne sur les portes des maisons silencieuses. He looked down the street and saw a policeman making his rounds, darting long shafts of light from his lantern on the doors of silent houses. La lueur cramoisie d'un coupé qui rôdait éclaira le coin de la rue, puis disparut. The crimson glow of a prowling coupe lit up the corner, then disappeared. Une femme enveloppée d'un châle flottant se glissa lentement le long des grilles du square ; elle avançait en chancelant. A woman wrapped in a flowing shawl slipped slowly along the gates of the square; she staggered forward. De temps en temps, elle s'arrêtait pour regarder derrière elle ; puis, elle entonna une chanson d'une voix éraillée. From time to time she stopped to look behind her; then she sang a song in a scratchy voice. Le policeman courut à elle et lui parla. The policeman ran to her and spoke to her. Elle s'en alla en trébuchant et en éclatant de rire... Une bise âpre passa sur le square. She left, stumbling and bursting out laughing... A harsh breeze passed over the square. Les lumières des gaz vacillèrent, blêmissantes, et les arbres dénudés entrechoquèrent leurs branches rouillées. The gaslights flickered white, and the bare trees rattled their rusty branches. Il frissonna et rentra en fermant la fenêtre... He shivered and went inside, closing the window...

Arrivé à la porte, il tourna la clef dans la serrure et ouvrit. When he reached the door, he turned the key in the lock and opened it. Il n'avait pas jeté les yeux sur l'homme assassiné. He hadn't looked at the murdered man. Il sentit que le secret de tout cela ne changerait pas sa situation. He felt that the secrecy of all this would not change his situation. L'ami qui avait peint le fatal portrait auquel toute sa misère était due était sorti de sa vie. The friend who had painted the fatal portrait to which all his misery was due had left his life. C'était assez... It was enough... Alors il se rappela la lampe. Then he remembered the lamp. Elle était d'un curieux travail mauresque, faite d'argent massif incrustée d'arabesques d'acier bruni et ornée de grosses turquoises. It was of curious Moorish workmanship, made of solid silver encrusted with arabesques of burnished steel and adorned with large turquoises. Peut-être son domestique remarquerait-il son absence et des questions seraient posées... Il hésita un instant, puis rentra et la prit sur la table. Perhaps his servant would notice his absence and questions would be asked... He hesitated for a moment, then went inside and took it from the table. Il ne put s'empêcher de regarder le mort. He couldn't help looking at the dead man. Comme il était tranquille ! How quiet he was! Comme ses longues mains étaient horriblement blanches ! How horribly white his long hands were! C'était une effrayante figure de cire... It was a frightening wax figure... Ayant fermé la porte derrière lui, il descendit l'escalier tranquillement. Having closed the door behind him, he descended the stairs quietly. Les marches craquaient sous ses pieds comme si elles eussent poussé des gémissements. The steps creaked under her feet as if she were moaning. Il s'arrêta plusieurs fois et attendit... Non, tout était tranquille... Ce n'était que le bruit de ses pas... He stopped several times and waited... No, everything was quiet... It was only the sound of his footsteps... Lorsqu'il fut dans la bibliothèque, il aperçut la valise et le pardessus dans un coin. When he was in the library, he saw the suitcase and the overcoat in a corner. Il fallait les cacher quelque part. Il ouvrit un placard secret dissimulé dans les boiseries où il gardait ses étranges déguisements ; il y enferma les objets. He opened a secret cupboard hidden in the woodwork where he kept his strange disguises; he locked up the objects there. Il pourrait facilement les brûler plus tard. He could easily burn them later. Alors il tira sa montre. So he pulled out his watch. Il était deux heures moins vingt. It was twenty to two.

Il s'assit et se mit à réfléchir... Tous les ans, tous les mois presque, des hommes étaient pendus en Angleterre pour ce qu'il venait de faire... Il y avait comme une folie de meurtre dans l'air. He sat down and began to think... Every year, almost every month, men were hanged in England for what he had just done... There was a sense of murderous madness in the air. . Quelque rouge étoile s'était approchée trop près de la terre... Et puis, quelles preuves y aurait-il contre lui ? Some red star had approached too close to the earth... And then, what proofs would there be against him? Basil Hallward avait quitté sa maison à onze heures. Basil Hallward had left his house at eleven o'clock. Personne ne l'avait vu rentrer. No one had seen him come home. La plupart des domestiques étaient à Selby Royal. Most of the servants were at Selby Royal. Son valet était couché... Paris ! His valet was in bed. Paris! Oui. C'était à Paris que Basil était parti et par le train de minuit, comme il en avait l'intention. It was to Paris that Basil had gone and by the midnight train, as he had intended. Avec ses habitudes particulières de réserve, il se passerait des mois avant que des soupçons pussent naître. With his particular habits of reserve, it would be months before suspicions could arise. Des mois ! Tout pouvait être détruit bien avant... Everything could be destroyed long before...

Une idée subite lui traversa l'esprit. A sudden idea crossed his mind. Il mit sa pelisse et son chapeau et sortit dans le vestibule. He put on his fur coat and hat and went out into the hall. Là, il s'arrêta, écoutant le pas lourd et ralenti du policeman sur le trottoir en face et regardant la lumière de sa lanterne sourde qui se reflétait dans une fenêtre. There he stopped, listening to the slow, heavy footsteps of the policeman on the sidewalk opposite and watching the light from his muffled lantern reflected in a window. Il attendit, retenant sa respiration... He waited, holding his breath...

Après quelques instants, il tira le loquet et se glissa dehors, fermant la porte tout doucement derrière lui. After a few moments, he pulled the latch and slipped out, closing the door quietly behind him. Puis il sonna... Au bout de cinq minutes environ, son domestique apparut, à moitié habillé, paraissant tout endormi. Then he rang... After about five minutes, his servant appeared, half-dressed, seemingly asleep.

– Je suis fâché de vous avoir réveillé, Francis, dit-il en entrant, mais j'avais oublié mon passe-partout. “I'm sorry to have woken you, Francis,” he said as he entered, “but I had forgotten my master key. Quelle heure est-il ?... What time is it ?...

– Deux heures dix, monsieur, répondit l'homme regardant la pendule et clignotant des yeux. “Ten past two, sir,” replied the man, looking at the clock and blinking. – Deux heures dix ! Je suis horriblement en retard ! I am horribly late! Il faudra m'éveiller demain à neuf heures, j'ai quelque chose à faire. I'll have to wake up tomorrow at nine o'clock, I have something to do. – Très bien, monsieur. - Very good sir.

– Personne n'est venu ce soir ? "Nobody came tonight?" – Mr Hallward, monsieur. “Mr. Hallward, sir. Il est resté ici jusqu'à onze heures, et il est parti pour prendre le train. He stayed here until eleven o'clock, and he left to catch the train. – Oh ! je suis fâché de ne pas l'avoir vu. I'm sorry I didn't see it. A-t-il laissé un mot ? Did he leave a note?

– Non, monsieur, il a dit qu'il vous écrirait de Paris, s'il ne vous retrouvait pas au club. “No, sir, he said he would write to you from Paris if he didn't find you at the club. – Très bien, Francis. "Very well, Francis. N'oubliez pas de m'appeler demain à neuf heures. Don't forget to call me tomorrow at nine o'clock. – Non, monsieur. - No sir.

L'homme disparut dans le couloir, en traînant ses savates. The man disappeared down the hall, dragging his slippers. Dorian Gray jeta son pardessus et son chapeau sur une table et entra dans la bibliothèque. Dorian Gray threw his overcoat and hat on a table and entered the library. Il marcha de long en large pendant un quart d'heure, se mordant les lèvres, et réfléchissant. He walked back and forth for a quarter of an hour, biting his lip, and thinking. Puis il prit sur un rayon le Blue Book et commença à tourner les pages... « Alan Campbell, 152, Hertford Street, Mayfair ». Then he took the Blue Book from a shelf and began to turn the pages... "Alan Campbell, 152 Hertford Street, Mayfair." Oui, c'était là l'homme qu'il lui fallait... Yes, that was the man he needed...