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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Partie 2 Chapitre 9

Partie 2 Chapitre 9

– IX –

Trois mois s'étaient écoulés. Le divorce de Du Roy venait d'être prononcé. Sa femme avait repris son nom de Forestier, et comme les Walter devaient partir, le 15 juillet, pour Trouville, on décida de passer une journée à la campagne, avant de se séparer.

On choisit un jeudi, et on se mit en route dès neuf heures du matin, dans un grand landau de voyage à six places, attelé en poste à quatre chevaux.

On allait déjeuner à Saint-Germain, au pavillon Henri-IV. Bel-Ami avait demandé à être le seul homme de la partie, car il ne pouvait supporter la présence et la figure du marquis de Cazolles. Mais, au dernier moment, il fut décidé que le comte de Latour-Yvelin serait enlevé, au saut du lit. On l'avait prévenu la veille. La voiture remonta au grand trot l'avenue des Champs-Élysées, puis traversa le bois de Boulogne. Il faisait un admirable temps d'été, pas trop chaud. Les hirondelles traçaient sur le bleu du ciel de grandes lignes courbes qu'on croyait voir encore quand elles étaient passées. Les trois femmes se tenaient au fond du landau, la mère entre ses deux filles ; et les trois hommes, à reculons, Walter entre les deux invités.

On traversa la Seine, on contourna le Mont-Valérien, puis on gagna Bougival, pour longer ensuite la rivière jusqu'au Pecq. Le comte de Latour-Yvelin, un homme un peu mûr à longs favoris légers, dont le moindre souffle d'air agitaient les pointes, ce qui faisait dire à Du Roy : « Il obtient de jolis effets de vent dans sa barbe », contemplait Rose tendrement. Ils étaient fiancés depuis un mois.

Georges, fort pâle, regardait souvent Suzanne, qui était pâle aussi. Leurs yeux se rencontraient, semblaient se concerter, se comprendre, échanger secrètement une pensée, puis se fuyaient. Mme Walter était tranquille, heureuse.

Le déjeuner fut long. Avant de repartir pour Paris, Georges proposa de faire un tour sur la terrasse.

On s'arrêta d'abord pour examiner la vue. Tout le monde se mit en ligne le long du mur et on s'extasia sur l'étendue de l'horizon. La Seine, au pied d'une longue colline, coulait vers Maisons-Laffitte, comme un immense serpent couché dans la verdure. À droite, sur le sommet de la côte, l'aqueduc de Marly projetait sur le ciel son profil énorme de chenille à grandes pattes, et Marly disparaissait, au-dessous, dans un épais bouquet d'arbres. Par la plaine immense qui s'étendait en face, on voyait des villages, de place en place. Les pièces d'eau du Vésinet faisaient des taches nettes et propres dans la maigre verdure de la petite forêt. À gauche, tout au loin, on apercevait en l'air le clocher pointu de Sartrouville. Walter déclara :

« On ne peut trouver nulle part au monde un semblable panorama. Il n'y en a pas un pareil en Suisse. Puis on se mit en marche doucement pour faire une promenade et jouir un peu de cette perspective.

Georges et Suzanne restèrent en arrière. Dès qu'ils furent écartés de quelques pas, il lui dit d'une voix basse et contenue : « Suzanne, je vous adore. Je vous aime à en perdre la tête. Elle murmura :

« Moi aussi, Bel-Ami. Il reprit :

« Si je ne vous ai pas pour femme, je quitterai Paris et ce pays. Elle répondit :

« Essayez donc de me demander à papa. Peut-être qu'il voudra bien. Il eut un petit geste d'impatience : « Non, je vous le répète pour la dixième fois, c'est inutile. On me fermera la porte de votre maison ; on m'expulsera du journal ; et nous ne pourrons plus même nous voir. Voilà le joli résultat auquel je suis certain d'arriver par une demande en règle. On vous a promise au marquis de Cazolles. On espère que vous finirez par dire : « Oui. » Et on attend. Elle demanda :

« Qu'est-ce qu'il faut faire alors ? Il hésitait, la regardant de côté :

« M'aimez-vous assez pour commettre une folie ? Elle répondit résolument :

« Oui.

– Une grande folie ?

– Oui.

– La plus grande des folies ?

– Oui.

– Aurez-vous aussi assez de courage pour braver votre père et votre mère ?

– Oui.

– Bien vrai ?

– Oui.

– Eh bien, il y a un moyen, un seul ! Il faut que la chose vienne de vous, et pas de moi. Vous êtes une enfant gâtée, on vous laisse tout dire, on ne s'étonnera pas trop d'une audace de plus de votre part. Écoutez donc. Ce soir, en rentrant, vous irez trouver votre maman, d'abord, votre maman toute seule. Et vous lui avouerez que vous voulez m'épouser. Elle aura une grosse émotion et une grosse colère… »

Suzanne l'interrompit : « Oh ! maman voudra bien. Il reprit vivement :

« Non. Vous ne la connaissez pas. Elle sera plus fâchée et plus furieuse que votre père. Vous verrez comme elle refusera. Mais vous tiendrez bon, vous ne céderez pas ; vous répéterez que vous voulez m'épouser, moi, seul, rien que moi. Le ferez-vous ?

– Je le ferai.

– Et en sortant de chez votre mère, vous direz la même chose à votre père, d'un air très sérieux et très décidé. – Oui, oui. Et puis ?

– Et puis, c'est là que ça devient grave. Si vous êtes résolue, bien résolue, bien, bien, bien résolue à être ma femme, ma chère, chère petite Suzanne… Je vous… je vous enlèverai ! Elle eut une grande secousse de joie et faillit battre des mains.

« Oh ! quel bonheur ! vous m'enlèverez ? Quand ça m'enlèverez-vous ? Toute la vieille poésie des enlèvements nocturnes, des chaises de poste, des auberges, toutes les charmantes aventures des livres lui passèrent d'un coup dans l'esprit comme un songe enchanteur prêt à se réaliser. Elle répéta :

« Quand ça m'enlèverez-vous ? Il répondit très bas :

« Mais… ce soir… cette nuit. Elle demanda, frémissante :

« Et où irons-nous ?

– Ça, c'est mon secret. Réfléchissez à ce que vous faites. Songez bien qu'après cette fuite vous ne pourrez plus être que ma femme ! C'est le seul moyen, mais il est… il est très dangereux… pour vous. Elle déclara :

« Je suis décidée… où vous retrouverai-je ?

– Vous pourrez sortir de l'hôtel, toute seule ? – Oui.

Je sais ouvrir la petite porte.

– Eh bien, quand le concierge sera couché, vers minuit, venez me rejoindre place de la Concorde. Vous me trouverez dans un fiacre arrêté en face du ministère de la Marine.

– J'irai. – Bien vrai ?

– Bien vrai. Il lui prit la main et la serra :

« Oh ! que je vous aime ! Comme vous êtes bonne et brave ! Alors, vous ne voulez pas épouser M. de Cazolles ?

– Oh ! non.

– Votre père s'est beaucoup fâché quand vous avez dit non ? – Je crois bien, il voulait me remettre au couvent.

– Vous voyez qu'il est nécessaire d'être énergique. – Je le serai. Elle regardait le vaste horizon, la tête pleine de cette idée d'enlèvement. Elle irait plus loin que là-bas… avec lui !… Elle serait enlevée !… Elle était fière de ça ! Elle ne songeait guère à sa réputation, à ce qui pouvait lui arriver d'infâme. Le savait-elle, même ? Le soupçonnait-elle ?

Mme Walter, se retournant, cria :

« Mais viens donc, petite. Qu'est-ce que tu fais avec Bel-Ami ? Ils rejoignirent les autres. On parlait des bains de mer où on serait bientôt.

Puis on revint par Chatou pour ne pas refaire la même route.

George ne disait plus rien. Il songeait : Donc, si cette petite avait un peu d'audace, il allait réussir, enfin ! Depuis trois mois, il l'enveloppait dans l'irrésistible filet de sa tendresse. Il la séduisait, la captivait, la conquérait. Il s'était fait aimer par elle, comme il savait se faire aimer. Il avait cueilli sans peine son âme légère de poupée.

Il avait obtenu d'abord qu'elle refusât M. de Cazolles. Il venait d'obtenir qu'elle s'enfuît avec lui. Car il n'y avait pas d'autre moyen. Mme Walter, il le comprenait bien, ne consentirait jamais à lui donner sa fille. Elle l'aimait encore, elle l'aimerait toujours, avec une violence intraitable. Il la contenait par sa froideur calculée, mais il la sentait rongée par une passion impuissante et vorace. Jamais il ne pourrait la fléchir. Jamais elle n'admettrait qu'il prît Suzanne. Mais une fois qu'il tiendrait la petite au loin, il traiterait de puissance à puissance, avec le père. Pensant à tout cela, il répondait par phrases hachées aux choses qu'on lui disait et qu'il n'écoutait guère. Il parut revenir à lui lorsqu'il rentra dans Paris. Suzanne aussi songeait ; et le grelot des quatre chevaux sonnait dans sa tête, lui faisait voir des grandes routes infinies sous des clairs de lune éternels, des forêts sombres traversées, des auberges au bord du chemin, et la hâte des hommes d'écurie à changer l'attelage, car tout le monde devine qu'ils sont poursuivis. Quand le landau fut arrivé dans la cour de l'hôtel, on voulut retenir Georges à dîner. Il refusa et revint chez lui.

Après avoir un peu mangé, il mit de l'ordre dans ses papiers comme s'il allait faire un grand voyage. Il brûla des lettres compromettantes, en cacha d'autres, écrivit à quelques amis. De temps en temps il regardait la pendule, en pensant : « Ça doit chauffer là-bas. » Et une inquiétude le mordait au cœur. S'il allait échouer ? Mais que pouvait-il craindre ? Il se tirerait toujours d'affaire ! Pourtant c'était une grosse partie qu'il jouait, ce soir-là ! Il ressortit vers onze heures, erra quelque temps, prit un fiacre et se fit arrêter place de la Concorde, le long des arcades du ministère de la Marine.

De temps en temps il enflammait une allumette pour regarder l'heure à sa montre. Quand il vit approcher minuit, son impatience devint fiévreuse. À tout moment il passait la tête à la portière pour regarder.

Une horloge lointaine sonna douze coups, puis une autre plus près, puis deux ensemble, puis une dernière très loin. Quand celle-là eut cessé de tinter, il pensa : « C'est fini. C'est raté. Elle ne viendra pas. Il était cependant résolu à demeurer jusqu'au jour. Dans ces cas-là il faut être patient.

Il entendit encore sonner le quart, puis la demie, puis les trois quarts ; et toutes les horloges répétèrent une heure comme elles avaient annoncé minuit. Il n'attendait plus, il restait, creusant sa pensée pour deviner ce qui avait pu arriver. Tout à coup une tête de femme passa par la portière et demanda :

« Êtes-vous là, Bel-Ami ? Il eut un sursaut et une suffocation.

« C'est vous, Suzanne ? – Oui, c'est moi. Il ne parvenait point à tourner la poignée assez vite, et répétait :

« Ah !… c'est vous… c'est vous… entrez. Elle entra et se laissa tomber contre lui. Il cria au cocher : « Allez ! » Et le fiacre se mit en route.

Elle haletait, sans parler.

Il demanda :

« Eh bien, comment ça s'est-il passé ? Alors elle murmura, presque défaillante :

« Oh ! ç'a a été terrible, chez maman surtout. Il était inquiet et frémissant.

« Votre maman ? Qu'est-ce qu'elle a dit ? Contez-moi ça.

– Oh ! ça a été affreux. Je suis entrée chez elle et je lui ai récité ma petite affaire que j'avais bien préparée. Alors elle a pâli, puis elle a crié : « Jamais ! jamais ! » Moi, j'ai pleuré, je me suis fâchée, j'ai juré que je n'épouserais que vous. J'ai cru qu'elle allait me battre. Elle est devenue comme folle ; elle a déclaré qu'on me renverrait au couvent, dès le lendemain. Je ne l'avais jamais vue comme ça, jamais ! Alors papa est arrivé en l'entendant débiter toutes ses sottises. Il ne s'est pas fâché tant qu'elle, mais il a déclaré que vous n'étiez pas un assez beau parti. « Comme ils m'avaient mise en colère aussi, j'ai crié plus fort qu'eux. Et papa m'a dit de sortir avec un air dramatique qui ne lui allait pas du tout. C'est ce qui m'a décidée à me sauver avec vous. Me voilà, où allons-nous ? Il avait enlacé sa taille doucement ; et il écoutait de toutes ses oreilles, le cœur battant, une rancune haineuse s'éveillant en lui contre ces gens. Mais il la tenait, leur fille. Ils verraient, à présent.

Il répondit :

« Il est trop tard pour prendre le train ; cette voiture-là va donc nous conduire à Sèvres où nous passerons la nuit. Et demain nous partirons pour La Roche-Guyon. C'est un joli village, au bord de la Seine, entre Mantes et Bonnières. Elle murmura :

« C'est que je n'ai pas d'effets. Je n'ai rien. Il sourit, avec insouciance :

« Bah ! nous nous arrangerons là-bas. Le fiacre roulait le long des rues. Georges prit une main de la jeune fille et se mit à la baiser, lentement, avec respect. Il ne savait que lui raconter, n'étant guère accoutumé aux tendresses platoniques. Mais soudain il crut s'apercevoir qu'elle pleurait. Il demanda, avec terreur :

« Qu'est-ce que vous avez, ma chère petite ? Elle répondit, d'une voix toute mouillée : « C'est ma pauvre maman qui ne doit pas dormir à cette heure, si elle s'est aperçue de mon départ. Sa mère, en effet, ne dormait pas.

Aussitôt Suzanne sortie de sa chambre, Mme Walter était restée en face de son mari.

Elle demanda, éperdue, atterrée :

« Mon Dieu ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Walter cria, furieux :

« Ça veut dire que cet intrigant l'a enjôlée. C'est lui qui a fait refuser Cazolles. Il trouve la dot bonne, parbleu ! Il se mit à marcher avec rage à travers l'appartement et reprit : « Tu l'attirais sans cesse, aussi, toi, tu le flattais, tu le cajolais, tu n'avais pas assez de chatteries pour lui. C'était Bel-Ami par-ci, Bel-Ami par-là, du matin au soir. Te voilà payée. Elle murmura, livide :

« Moi ?… je l'attirais ! Il lui vociféra dans le nez :

« Oui, toi ! Vous êtes toutes folles de lui, la Marelle, Suzanne et les autres. Crois-tu que je ne voyais pas que tu ne pouvais point rester deux jours sans le faire venir ici ? Elle se dressa, tragique :

« Je ne vous permettrai pas de me parler ainsi. Vous oubliez que je n'ai pas été élevée, comme vous, dans une boutique. Il demeura d'abord immobile et stupéfait, puis il lâcha un « Nom de Dieu « furibond, et il sortit en tapant la porte. Dès qu'elle fut seule, elle alla, par instinct, vers la glace pour se regarder, comme pour voir si rien n'était changé en elle, tant ce qui arrivait lui paraissait impossible, monstrueux. Suzanne était amoureuse de Bel-Ami ! et Bel-Ami voulait épouser Suzanne ! Non ! elle s'était trompée, ce n'était pas vrai. La fillette avait eu une toquade bien naturelle pour ce beau garçon, elle avait espéré qu'on le lui donnerait pour mari ; elle avait fait son petit coup de tête ! Mais lui ? lui ne pouvait pas être complice de ça ! Elle réfléchissait, troublée comme on l'est devant les grandes catastrophes. Non, Bel-Ami ne devait rien savoir de l'escapade de Suzanne. Et elle songea longtemps à la perfidie et à l'innocence possibles de cet homme. Quel misérable, s'il avait préparé le coup ! Et qu'arriverait-il ? Que de dangers et de tourments elle prévoyait !

S'il ne savait rien, tout pouvait s'arranger encore. On ferait un voyage avec Suzanne pendant six mois, et ce serait fini. Mais comment pourrait-elle le revoir, elle, ensuite ? Car elle l'aimait toujours. Cette passion était entrée en elle à la façon de ces pointes de flèche qu'on ne peut plus arracher. Vivre sans lui était impossible. Autant mourir. Sa pensée s'égarait dans ces angoisses et dans ces incertitudes. Une douleur commençait à poindre dans sa tête ; ses idées devenaient pénibles, troubles, lui faisaient mal. Elle s'énervait à chercher, s'exaspérait de ne pas savoir. Elle regarda sa pendule, il était une heure passée. Elle se dit : « Je ne veux pas rester ainsi, je deviens folle. Il faut que je sache. Je vais réveiller Suzanne pour l'interroger. Et elle s'en alla, déchaussée, pour ne pas faire de bruit, une bougie à la main, vers la chambre de sa fille. Elle l'ouvrit bien doucement, entra, regarda le lit. Il n'était pas défait. Elle ne comprit point d'abord, et pensa que la fillette discutait encore avec son père. Mais aussitôt un soupçon horrible l'effleura et elle courut chez son mari. Elle y arriva d'un élan ; blême et haletante. Il était couché et lisait encore.

Il demanda effaré :

« Eh bien ! quoi ?

Qu'est-ce que tu as ? Elle balbutiait :

« As-tu vu Suzanne ?

– Moi ? Non. Pourquoi ?

– Elle est… elle est… partie. Elle n'est pas dans sa chambre. Il sauta d'un bond sur le tapis, chaussa ses pantoufles et, sans caleçon, la chemise au vent, il se précipita à son tour vers l'appartement de sa fille. Dès qu'il l'eut vu, il ne conserva point de doute. Elle s'était enfuie. Il tomba sur un fauteuil et posa sa lampe par terre devant lui.

Sa femme l'avait rejoint. Elle bégaya :

« Eh bien ? Il n'avait plus la force de répondre ; il n'avait plus de colère, il gémit : « C'est fait, il la tient. Nous sommes perdus. Elle ne comprenait pas :

« Comment perdus ?

– Eh ! oui, parbleu. Il faut bien qu'il l'épouse maintenant. Elle poussa une sorte de cri de bête :

« Lui ! jamais ! Tu es donc fou ? Il répondit tristement :

« Ça ne sert à rien de hurler. Il l'a enlevée, il l'a déshonorée. Le mieux est encore de la lui donner. En s'y prenant bien, personne ne saura cette aventure. Elle répéta, secouée d'une émotion terrible : « Jamais ! jamais il n'aura Suzanne ! Jamais je ne consentirai ! Walter murmura avec accablement :

« Mais il l'a. C'est fait. Et il la gardera et la cachera tant que nous n'aurons point cédé. Donc, pour éviter le scandale, il faut céder tout de suite. Sa femme, déchirée par une inavouable douleur, répéta :

« Non ! non.

Jamais je ne consentirai ! Il reprit, s'impatientant : « Mais il n'y a pas à discuter. Il le faut. Ah ! le gredin, comme il nous a joués… Il est fort tout de même. Nous aurions pu trouver beaucoup mieux comme position, mais pas comme intelligence et comme avenir. C'est un homme d'avenir. Il sera député et ministre. Mme Walter déclara, avec une énergie farouche :

« Jamais je ne lui laisserai épouser Suzanne… Tu entends… jamais ! Il finit par se fâcher et par prendre, en homme pratique, la défense de Bel-Ami.

« Mais, tais-toi donc… Je te répète qu'il le faut… qu'il le faut absolument. Et qui sait ? Peut-être ne le regretterons-nous pas. Avec les êtres de cette trempe là, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Tu as vu comme il a jeté bas, en trois articles, ce niais de Laroche-Mathieu, et comme il l'a fait avec dignité, ce qui était rudement difficile dans sa situation de mari. Enfin nous verrons. Toujours est-il que nous sommes pris. Nous ne pouvons plus nous tirer de là. Elle avait envie de crier, de se rouler par terre, de s'arracher les cheveux. Elle prononça encore, d'une voix exaspérée : « II ne l'aura pas… Je… ne… veux… pas ! Walter se leva, ramassa sa lampe, reprit :

« Tiens, tu es stupide comme toutes les femmes. Vous n'agissez jamais que par passion. Vous ne savez pas vous plier aux circonstances… vous êtes stupides ! Moi, je te dis qu'il l'épousera… Il le faut. Et il sortit en traînant ses pantoufles. Il traversa, fantôme comique en chemise de nuit, le large corridor du vaste hôtel endormi, et rentra, sans bruit, dans sa chambre.

Mme Walter restait debout, déchirée par une intolérable douleur. Elle ne comprenait pas encore bien, d'ailleurs. Elle souffrait seulement. Puis il lui sembla qu'elle ne pourrait pas demeurer là, immobile, jusqu'au jour. Elle sentait en elle un besoin violent de se sauver, de courir devant elle, de s'en aller, de chercher de l'aide, d'être secourue. Elle cherchait qui elle pourrait bien appeler à elle. Quel homme ! Elle n'en trouvait pas ! Un prêtre ! oui, un prêtre ! Elle se jetterait à ses pieds, lui avouerait tout, lui confesserait sa faute et son désespoir. Il comprendrait, lui, que ce misérable ne pouvait pas épouser Suzanne et il empêcherait cela.

Il lui fallait un prêtre tout de suite ! Mais où le trouver ? Où aller ? Pourtant elle ne pouvait rester ainsi.

Alors passa devant ses yeux, ainsi qu'une vision, l'image sereine de Jésus marchant sur les flots. Elle le vit comme elle le voyait en regardant le tableau. Donc il l'appelait. Il lui disait : « Venez à moi. Venez vous agenouiller à mes pieds. Je vous consolerai et je vous inspirerai ce qu'il faut faire. Elle prit sa bougie, sortit, et descendit pour gagner la serre. Le Jésus était tout au bout, dans un petit salon qu'on fermait par une porte vitrée afin que l'humidité des terres ne détériorât point la toile. Cela faisait une sorte de chapelle dans une forêt d'arbres singuliers. Quand Mme Walter entra dans le jardin d'hiver, ne l'ayant jamais vu que plein de lumière, elle demeura saisie devant sa profondeur obscure. Les lourdes plantes des pays chauds épaississaient l'atmosphère de leur haleine pesante. Et les portes n'étant plus ouvertes, l'air de ce bois étrange, enfermé sous un dôme de verre, entrait dans la poitrine avec peine, étourdissait, grisait, faisait plaisir et mal, donnait à la chair une sensation confuse de volupté énervante et de mort. La pauvre femme marchait doucement, émue par les ténèbres où apparaissaient, à la lueur errante de sa bougie, des plantes extravagantes, avec des aspects de monstres, des apparences d'êtres, des difformités bizarres. Tout d'un coup, elle aperçut le Christ. Elle ouvrit la porte qui le séparait d'elle, et tomba sur les genoux. Elle le pria d'abord éperdument, balbutiant des mots d'amour, des invocations passionnées et désespérées. Puis, l'ardeur de son appel se calmant, elle leva les yeux vers lui, et demeura saisie d'angoisse. Il ressemblait tellement à Bel-Ami, à la clarté tremblante de cette seule lumière l'éclairant à peine et d'en bas, que ce n'était plus Dieu, c'était son amant qui la regardait. C'étaient ses yeux, son front, l'expression de son visage, son air froid et hautain ! Elle balbutiait : « Jésus ! – Jésus ! – Jésus ! » Et le mot « Georges « lui venait aux lèvres. Tout à coup, elle pensa qu'à cette heure même, Georges, peut-être, possédait sa fille. Il était seul avec elle, quelque part, dans une chambre. Lui ! lui ! avec Suzanne !

Elle répétait : « Jésus !… Jésus ! » Mais elle pensait à eux… à sa fille et à son amant ! Ils étaient seuls, dans une chambre… et c'était la nuit. Elle les voyait. Elle les voyait si nettement qu'ils se dressaient devant elle, à la place du tableau. Ils se souriaient. Ils s'embrassaient. La chambre était sombre, le lit entrouvert. Elle se souleva pour aller vers eux, pour prendre sa fille par les cheveux et l'arracher à cette étreinte. Elle allait la saisir à la gorge, l'étrangler, sa fille qu'elle haïssait, sa fille qui se donnait à cet homme. Elle la touchait… ses mains rencontrèrent la toile. Elle heurtait les pieds du Christ.

Elle poussa un grand cri et tomba sur le dos. Sa bougie, renversée, s'éteignit. Que se passa-t-il ensuite ? Elle rêva longtemps des choses étranges, effrayantes. Toujours Georges et Suzanne passaient devant ses yeux, enlacés, avec Jésus-Christ qui bénissait leur horrible amour.

Elle sentait vaguement qu'elle n'était point chez elle. Elle voulait se lever, fuir, elle ne le pouvait pas. Une torpeur l'avait envahie, qui liait ses membres et ne lui laissait que sa pensée en éveil, trouble cependant, torturée par des images affreuses, irréelles, fantastiques, perdue dans un songe malsain, le songe étrange et parfois mortel que font entrer dans les cerveaux humains les plantes endormeuses des pays chauds, aux formes bizarres et aux parfums épais. Le jour venu, on ramassa Mme Walter, étendue sans connaissance, presque asphyxiée, devant Jésus marchant sur les flots. Elle fut si malade qu'on craignit pour sa vie. Elle ne reprit que le lendemain l'usage complet de sa raison. Alors, elle se mit à pleurer.

La disparition de Suzanne fut expliquée aux domestiques par un envoi brusque au couvent. Et M. Walter répondit à une longue lettre de Du Roy, en lui accordant la main de sa fille.

Bel-Ami avait jeté cette épître à la poste au moment de quitter Paris, car il l'avait préparée d'avance le soir de son départ. Il y disait, en termes respectueux, qu'il aimait depuis longtemps la jeune fille, que jamais aucun accord n'avait eu lieu entre eux, mais que la voyant venir à lui, en toute liberté, pour lui dire : « Je serai votre femme », il se jugeait autorisé à la garder, à la cacher même, jusqu'à ce qu'il eût obtenu une réponse des parents dont la volonté légale avait pour lui une valeur moindre que la volonté de sa fiancée. Il demandait que M. Walter répondît poste restante, un ami devant lui faire parvenir la lettre.

Quand il eut obtenu ce qu'il voulait, il ramena Suzanne à Paris et la renvoya chez ses parents, s'abstenant lui-même de paraître avant quelque temps. Ils avaient passé six jours au bord de la Seine, à La Roche-Guyon.

Jamais la jeune fille ne s'était tant amusée. Elle avait joué à la bergère. Comme il la faisait passer pour sa sœur, ils vivaient dans une intimité libre et chaste, une sorte de camaraderie amoureuse. Il jugeait habile de la respecter. Dès le lendemain de leur arrivée, elle acheta du linge et des vêtements de paysanne, et elle se mit à pêcher à la ligne, la tête couverte d'un immense chapeau de paille orné de fleurs des champs. Elle trouvait le pays délicieux. Il y avait là une vieille tour et un vieux château où l'on montrait d'admirables tapisseries. Georges, vêtu d'une vareuse achetée toute faite chez un commerçant du pays, promenait Suzanne, soit à pied, le long des berges, soit en bateau. Ils s'embrassaient à tout moment, frémissants, elle innocente et lui prêt à succomber. Mais il savait être fort : et quand il lui dit : « Nous retournerons à Paris demain, votre père m'accorde votre main », elle murmura naïvement : « Déjà, ça m'amusait tant d'être votre femme !


Partie 2 Chapitre 9 Part 2 Chapter 9 Parte 2 Capítulo 9

– IX –

Trois mois s'étaient écoulés. Three months had passed. Le divorce de Du Roy venait d'être prononcé. Du Roy's divorce had just been pronounced. Sa femme avait repris son nom de Forestier, et comme les Walter devaient partir, le 15 juillet, pour Trouville, on décida de passer une journée à la campagne, avant de se séparer. His wife had taken his name from Forestier, and as the Walter had to leave on the 15th of July, for Trouville, it was decided to spend a day in the country before separating.

On choisit un jeudi, et on se mit en route dès neuf heures du matin, dans un grand landau de voyage à six places, attelé en poste à quatre chevaux. We choose a Thursday, and set out at nine o'clock in the morning, in a large six-seater carriage, hitched to four horses.

On allait déjeuner à Saint-Germain, au pavillon Henri-IV. Bel-Ami avait demandé à être le seul homme de la partie, car il ne pouvait supporter la présence et la figure du marquis de Cazolles. Mais, au dernier moment, il fut décidé que le comte de Latour-Yvelin serait enlevé, au saut du lit. But at the last moment it was decided that Count de Latour-Yvelin should be taken off the bed. On l'avait prévenu la veille. He had been warned the day before. La voiture remonta au grand trot l'avenue des Champs-Élysées, puis traversa le bois de Boulogne. The carriage ran up the avenue des Champs-Elysees, then crossed the Bois de Boulogne. Il faisait un admirable temps d'été, pas trop chaud. Les hirondelles traçaient sur le bleu du ciel de grandes lignes courbes qu'on croyait voir encore quand elles étaient passées. The swallows traced on the blue of the sky large curved lines which one thought to see again when they were past. Les trois femmes se tenaient au fond du landau, la mère entre ses deux filles ; et les trois hommes, à reculons, Walter entre les deux invités.

On traversa la Seine, on contourna le Mont-Valérien, puis on gagna Bougival, pour longer ensuite la rivière jusqu'au Pecq. We crossed the Seine, we crossed Mont-Valerien, then we reached Bougival, then along the river to Pecq. Le comte de Latour-Yvelin, un homme un peu mûr à longs favoris légers, dont le moindre souffle d'air agitaient les pointes, ce qui faisait dire à Du Roy : « Il obtient de jolis effets de vent dans sa barbe », contemplait Rose tendrement. Count de Latour-Yvelin, a man a little ripe with long light favorites, whose slightest breath of air waved the tips, which made Du Roy say: "He gets pretty wind effects in his beard", contemplated Rose tenderly. Ils étaient fiancés depuis un mois. They had been engaged for a month.

Georges, fort pâle, regardait souvent Suzanne, qui était pâle aussi. Georges, very pale, often looked at Suzanne, who was also pale. Leurs yeux se rencontraient, semblaient se concerter, se comprendre, échanger secrètement une pensée, puis se fuyaient. Their eyes met, seemed to concert, understand each other, secretly exchange a thought, then fled. Mme Walter était tranquille, heureuse.

Le déjeuner fut long. The lunch was long. Avant de repartir pour Paris, Georges proposa de faire un tour sur la terrasse. Before leaving for Paris, Georges proposed a tour on the terrace.

On s'arrêta d'abord pour examiner la vue. We stopped first to examine the view. Tout le monde se mit en ligne le long du mur et on s'extasia sur l'étendue de l'horizon. Everyone went in line along the wall and we were ecstatic about the horizon. La Seine, au pied d'une longue colline, coulait vers Maisons-Laffitte, comme un immense serpent couché dans la verdure. The Seine, at the foot of a long hill, ran towards Maisons-Laffitte, like an immense serpent lying in the greenery. À droite, sur le sommet de la côte, l'aqueduc de Marly projetait sur le ciel son profil énorme de chenille à grandes pattes, et Marly disparaissait, au-dessous, dans un épais bouquet d'arbres. On the right, on the top of the coast, the Marly aqueduct projected on the sky its huge profile of caterpillars with big legs, and Marly disappeared, below, in a thick bouquet of trees. Par la plaine immense qui s'étendait en face, on voyait des villages, de place en place. Through the vast plain that stretched in front, we could see villages, from place to place. Les pièces d'eau du Vésinet faisaient des taches nettes et propres dans la maigre verdure de la petite forêt. The water features of the Vésinet made clean and clean spots in the lean greenery of the small forest. À gauche, tout au loin, on apercevait en l'air le clocher pointu de Sartrouville. Walter déclara :

« On ne peut trouver nulle part au monde un semblable panorama. Il n'y en a pas un pareil en Suisse. Puis on se mit en marche doucement pour faire une promenade et jouir un peu de cette perspective.

Georges et Suzanne restèrent en arrière. Dès qu'ils furent écartés de quelques pas, il lui dit d'une voix basse et contenue : As soon as they were a few steps apart, he said to her in a low, restrained voice: « Suzanne, je vous adore. Je vous aime à en perdre la tête. Elle murmura :

« Moi aussi, Bel-Ami. Il reprit :

« Si je ne vous ai pas pour femme, je quitterai Paris et ce pays. "If I do not have you for my wife, I will leave Paris and this country. Elle répondit :

« Essayez donc de me demander à papa. Peut-être qu'il voudra bien. Maybe he will be fine. Il eut un petit geste d'impatience : « Non, je vous le répète pour la dixième fois, c'est inutile. "No, I repeat for the tenth time, it's useless. On me fermera la porte de votre maison ; on m'expulsera du journal ; et nous ne pourrons plus même nous voir. I will close the door of your house; I will be expelled from the paper; and we will not be able to see each other anymore. Voilà le joli résultat auquel je suis certain d'arriver par une demande en règle. This is the pretty result to which I am certain to arrive by a request in order. On vous a promise au marquis de Cazolles. We promised you to the Marquis de Cazolles. On espère que vous finirez par dire : « Oui. Hopefully you'll end up saying, "Yes. » Et on attend. And we wait. Elle demanda : She asked:

« Qu'est-ce qu'il faut faire alors ? "What must we do then? Il hésitait, la regardant de côté : He hesitated, looking sideways:

« M'aimez-vous assez pour commettre une folie ? "Do you love me enough to commit a madness? Elle répondit résolument : She answered resolutely:

« Oui.

– Une grande folie ?

– Oui.

– La plus grande des folies ?

– Oui.

– Aurez-vous aussi assez de courage pour braver votre père et votre mère ? - Will you also have enough courage to brave your mother and father?

– Oui.

– Bien vrai ?

– Oui.

– Eh bien, il y a un moyen, un seul ! - Well, there is a way, only one! Il faut que la chose vienne de vous, et pas de moi. Vous êtes une enfant gâtée, on vous laisse tout dire, on ne s'étonnera pas trop d'une audace de plus de votre part. You are a spoiled child, we let you tell everything, we will not be surprised too much more audacity on your part. Écoutez donc. Ce soir, en rentrant, vous irez trouver votre maman, d'abord, votre maman toute seule. Et vous lui avouerez que vous voulez m'épouser. And you will admit that you want to marry me. Elle aura une grosse émotion et une grosse colère… » She will have a big emotion and a big anger ... "

Suzanne l'interrompit : Suzanne interrupted him: « Oh ! maman voudra bien. Mom will want it. Il reprit vivement : He went on quickly:

« Non. " No. Vous ne la connaissez pas. You do not know her. Elle sera plus fâchée et plus furieuse que votre père. Vous verrez comme elle refusera. You will see how she will refuse. Mais vous tiendrez bon, vous ne céderez pas ; vous répéterez que vous voulez m'épouser, moi, seul, rien que moi. But you will hold on, you will not give in; you will repeat that you want to marry me, alone, just me. Le ferez-vous ? Will you do it?

– Je le ferai. - I will do it.

– Et en sortant de chez votre mère, vous direz la même chose à votre père, d'un air très sérieux et très décidé. "And when you leave your mother's house, you will say the same thing to your father, with a very serious and decided manner. – Oui, oui. Et puis ?

– Et puis, c'est là que ça devient grave. - And then, that's where it gets serious. Si vous êtes résolue, bien résolue, bien, bien, bien résolue à être ma femme, ma chère, chère petite Suzanne… Je vous… je vous enlèverai ! If you are resolute, well resolved, well, well, well resolved to be my wife, my dear, dear little Suzanne ... I'll ... I'll take you away! Elle eut une grande secousse de joie et faillit battre des mains. She had a great jolt of joy and nearly clapped her hands.

« Oh ! quel bonheur ! vous m'enlèverez ? you will take me away? Quand ça m'enlèverez-vous ? When will it take me away? Toute la vieille poésie des enlèvements nocturnes, des chaises de poste, des auberges, toutes les charmantes aventures des livres lui passèrent d'un coup dans l'esprit comme un songe enchanteur prêt à se réaliser. All the old poetry of nocturnal kidnappings, postchairs, inns, all the charming adventures of the books passed to him at once in the mind like an enchanting dream ready to be realized. Elle répéta :

« Quand ça m'enlèverez-vous ? Il répondit très bas :

« Mais… ce soir… cette nuit. Elle demanda, frémissante :

« Et où irons-nous ?

– Ça, c'est mon secret. Réfléchissez à ce que vous faites. Songez bien qu'après cette fuite vous ne pourrez plus être que ma femme ! Remember that after this escape you can only be my wife! C'est le seul moyen, mais il est… il est très dangereux… pour vous. Elle déclara :

« Je suis décidée… où vous retrouverai-je ? "I've made up my mind... where will I find you?

– Vous pourrez sortir de l'hôtel, toute seule ? - Can you leave the hotel alone? – Oui.

Je sais ouvrir la petite porte. I know how to open the little door.

– Eh bien, quand le concierge sera couché, vers minuit, venez me rejoindre place de la Concorde. "Well, when the concierge is at bed, about midnight, come and join me at Place de la Concorde. Vous me trouverez dans un fiacre arrêté en face du ministère de la Marine. You will find me in a hackney stopped in front of the Department of the Navy.

– J'irai. – Bien vrai ?

– Bien vrai. Il lui prit la main et la serra :

« Oh ! que je vous aime ! Comme vous êtes bonne et brave ! Alors, vous ne voulez pas épouser M. de Cazolles ?

– Oh ! non.

– Votre père s'est beaucoup fâché quand vous avez dit non ? - Your father was very angry when you said no? – Je crois bien, il voulait me remettre au couvent. "I think so, he wanted to put me back in the convent.

– Vous voyez qu'il est nécessaire d'être énergique. – Je le serai. - I will be. Elle regardait le vaste horizon, la tête pleine de cette idée d'enlèvement. She was looking at the vast horizon, her head full of this idea of abduction. Elle irait plus loin que là-bas… avec lui !… Elle serait enlevée !… Elle était fière de ça ! She would go further than there ... with him! ... She would be kidnapped! ... She was proud of that! Elle ne songeait guère à sa réputation, à ce qui pouvait lui arriver d'infâme. She scarcely thought of his reputation, of what could happen to him infamously. Le savait-elle, même ? Did she know it? Le soupçonnait-elle ? Did she suspect it?

Mme Walter, se retournant, cria : Mrs. Walter, turning around, shouted:

« Mais viens donc, petite. Qu'est-ce que tu fais avec Bel-Ami ? Ils rejoignirent les autres. On parlait des bains de mer où on serait bientôt. We talked about sea bathing where we would be soon.

Puis on revint par Chatou pour ne pas refaire la même route. Then we came back by Chatou not to repeat the same route.

George ne disait plus rien. Il songeait : Donc, si cette petite avait un peu d'audace, il allait réussir, enfin ! He thought: So, if this girl had a little daring, he would succeed, finally! Depuis trois mois, il l'enveloppait dans l'irrésistible filet de sa tendresse. For three months he had enveloped her in the irresistible thread of her tenderness. Il la séduisait, la captivait, la conquérait. He seduced her, captivated her, conquered her. Il s'était fait aimer par elle, comme il savait se faire aimer. He had made himself loved by her, as he knew how to make himself loved. Il avait cueilli sans peine son âme légère de poupée. He had easily gathered his light doll soul.

Il avait obtenu d'abord qu'elle refusât M. de Cazolles. He had at first obtained that she refused M. de Cazolles. Il venait d'obtenir qu'elle s'enfuît avec lui. He had just got her to run away with him. Car il n'y avait pas d'autre moyen. Because there was no other way. Mme Walter, il le comprenait bien, ne consentirait jamais à lui donner sa fille. Mrs. Walter, he understood well, would never consent to give him his daughter. Elle l'aimait encore, elle l'aimerait toujours, avec une violence intraitable. She still loved him, she would always love him, with an intractable violence. Il la contenait par sa froideur calculée, mais il la sentait rongée par une passion impuissante et vorace. He contained it by his calculated coldness, but he felt it eaten away by impotent and voracious passion. Jamais il ne pourrait la fléchir. He could never bend her. Jamais elle n'admettrait qu'il prît Suzanne. She would never admit that he took Suzanne. Mais une fois qu'il tiendrait la petite au loin, il traiterait de puissance à puissance, avec le père. But once he would hold the little one off, he would treat power to power, with the father. Pensant à tout cela, il répondait par phrases hachées aux choses qu'on lui disait et qu'il n'écoutait guère. Thinking of all this, he replied in choppy sentences to the things that were said to him and that he hardly listened. Il parut revenir à lui lorsqu'il rentra dans Paris. He seemed to return to him when he returned to Paris. Suzanne aussi songeait ; et le grelot des quatre chevaux sonnait dans sa tête, lui faisait voir des grandes routes infinies sous des clairs de lune éternels, des forêts sombres traversées, des auberges au bord du chemin, et la hâte des hommes d'écurie à changer l'attelage, car tout le monde devine qu'ils sont poursuivis. Suzanne was also thinking; and the bell of the four horses was ringing in his head, making him see great endless roads under everlasting moonlight, dark forests crossed, inns by the way, and the haste of the stable men to change the carriage because everyone guesses that they are being pursued. Quand le landau fut arrivé dans la cour de l'hôtel, on voulut retenir Georges à dîner. When the landau had arrived in the courtyard of the hotel, they wanted to keep George at dinner. Il refusa et revint chez lui.

Après avoir un peu mangé, il mit de l'ordre dans ses papiers comme s'il allait faire un grand voyage. After eating a little, he put his papers in order as if he were going on a long trip. Il brûla des lettres compromettantes, en cacha d'autres, écrivit à quelques amis. He burned compromising letters, hid others, wrote to some friends. De temps en temps il regardait la pendule, en pensant : « Ça doit chauffer là-bas. From time to time he looked at the clock, thinking, "It must warm up there. » Et une inquiétude le mordait au cœur. And a worry was biting him in the heart. S'il allait échouer ? If he would fail? Mais que pouvait-il craindre ? But what could he fear? Il se tirerait toujours d'affaire ! He would always get out of trouble! Pourtant c'était une grosse partie qu'il jouait, ce soir-là ! Yet it was a big game he was playing tonight! Il ressortit vers onze heures, erra quelque temps, prit un fiacre et se fit arrêter place de la Concorde, le long des arcades du ministère de la Marine. He came out at eleven o'clock, wandered for some time, took a cab and was stopped at the Place de la Concorde, along the arcades of the Ministry of Marine.

De temps en temps il enflammait une allumette pour regarder l'heure à sa montre. From time to time he ignited a match to look at his watch. Quand il vit approcher minuit, son impatience devint fiévreuse. When he saw approaching midnight, his impatience became feverish. À tout moment il passait la tête à la portière pour regarder. At any moment he would pass his head to the door to look.

Une horloge lointaine sonna douze coups, puis une autre plus près, puis deux ensemble, puis une dernière très loin. A distant clock struck twelve times, then another closer, then two together, then one last far away. Quand celle-là eut cessé de tinter, il pensa : « C'est fini. C'est raté. Elle ne viendra pas. Il était cependant résolu à demeurer jusqu'au jour. Dans ces cas-là il faut être patient.

Il entendit encore sonner le quart, puis la demie, puis les trois quarts ; et toutes les horloges répétèrent une heure comme elles avaient annoncé minuit. Il n'attendait plus, il restait, creusant sa pensée pour deviner ce qui avait pu arriver. He did not wait any longer, he remained, digging his mind to guess what might have happened. Tout à coup une tête de femme passa par la portière et demanda : Suddenly a woman's head passed through the door and asked:

« Êtes-vous là, Bel-Ami ? "Are you there, Bel-Ami? Il eut un sursaut et une suffocation. He had a start and a suffocation.

« C'est vous, Suzanne ? "Is it you, Suzanne? – Oui, c'est moi. Il ne parvenait point à tourner la poignée assez vite, et répétait : He could not turn the handle fast enough, and repeated:

« Ah !… c'est vous… c'est vous… entrez. Elle entra et se laissa tomber contre lui. She entered and dropped against him. Il cria au cocher : « Allez ! He shouted to the coachman, "Go! » Et le fiacre se mit en route. And the cab set off.

Elle haletait, sans parler. She gasped, not to mention.

Il demanda : He asked :

« Eh bien, comment ça s'est-il passé ? Alors elle murmura, presque défaillante : Then she murmured, almost faltering:

« Oh ! " Oh ! ç'a a été terrible, chez maman surtout. It was terrible, especially at home. Il était inquiet et frémissant. He was worried and quivering.

« Votre maman ? " Your mum ? Qu'est-ce qu'elle a dit ? What did she say ? Contez-moi ça. Tell me that.

– Oh ! - Oh ! ça a été affreux. it was awful. Je suis entrée chez elle et je lui ai récité ma petite affaire que j'avais bien préparée. I entered her house and I recited to her my little business that I had prepared well. Alors elle a pâli, puis elle a crié : « Jamais ! jamais ! » Moi, j'ai pleuré, je me suis fâchée, j'ai juré que je n'épouserais que vous. I cried, I got angry, I swore I would only marry you. J'ai cru qu'elle allait me battre. I thought she was going to beat me. Elle est devenue comme folle ; elle a déclaré qu'on me renverrait au couvent, dès le lendemain. She became crazy; she said that I would be sent back to the convent the next day. Je ne l'avais jamais vue comme ça, jamais ! I had never seen it like that, ever! Alors papa est arrivé en l'entendant débiter toutes ses sottises. So daddy came over to hear him cheat all his nonsense. Il ne s'est pas fâché tant qu'elle, mais il a déclaré que vous n'étiez pas un assez beau parti. He was not so angry, but he said you were not a pretty good party. « Comme ils m'avaient mise en colère aussi, j'ai crié plus fort qu'eux. "As they had angered me too, I shouted louder than they did. Et papa m'a dit de sortir avec un air dramatique qui ne lui allait pas du tout. And dad told me to go out with a dramatic look that did not suit him at all. C'est ce qui m'a décidée à me sauver avec vous. That's what made me decide to save myself with you. Me voilà, où allons-nous ? Here I am, where are we going? Il avait enlacé sa taille doucement ; et il écoutait de toutes ses oreilles, le cœur battant, une rancune haineuse s'éveillant en lui contre ces gens. He had hugged his waist gently; and he listened with all his ears, his heart beating, a hateful rancor awakening in him against these people. Mais il la tenait, leur fille. But he was holding it, their daughter. Ils verraient, à présent. They would see now.

Il répondit : He answered :

« Il est trop tard pour prendre le train ; cette voiture-là va donc nous conduire à Sèvres où nous passerons la nuit. "It's too late to take the train; this car will then take us to Sèvres where we will spend the night. Et demain nous partirons pour La Roche-Guyon. C'est un joli village, au bord de la Seine, entre Mantes et Bonnières. Elle murmura :

« C'est que je n'ai pas d'effets. "It's because I have no effects. Je n'ai rien. Il sourit, avec insouciance : He smiles, carelessly:

« Bah ! "Bah! nous nous arrangerons là-bas. we'll work it out there. Le fiacre roulait le long des rues. Georges prit une main de la jeune fille et se mit à la baiser, lentement, avec respect. Georges took one of the girl's hands and began to kiss it, slowly, reverently. Il ne savait que lui raconter, n'étant guère accoutumé aux tendresses platoniques. He did not know what to tell him, not being accustomed to platonic tenderness. Mais soudain il crut s'apercevoir qu'elle pleurait. But suddenly he thought he knew she was crying. Il demanda, avec terreur :

« Qu'est-ce que vous avez, ma chère petite ? "What do you have, my dear child? Elle répondit, d'une voix toute mouillée : She answered, in a wet voice: « C'est ma pauvre maman qui ne doit pas dormir à cette heure, si elle s'est aperçue de mon départ. "It's my poor mother who must not sleep at this hour, if she noticed my departure. Sa mère, en effet, ne dormait pas. His mother did not sleep.

Aussitôt Suzanne sortie de sa chambre, Mme Walter était restée en face de son mari.

Elle demanda, éperdue, atterrée : She asked, bewildered, appalled:

« Mon Dieu ! Qu'est-ce que cela veut dire ? What does that mean ? Walter cria, furieux : Walter shouted furiously:

« Ça veut dire que cet intrigant l'a enjôlée. "It means that this intriguer has jolted her. C'est lui qui a fait refuser Cazolles. It was he who made Cazolles refuse. Il trouve la dot bonne, parbleu ! He finds the dowry good, good! Il se mit à marcher avec rage à travers l'appartement et reprit : He began to walk furiously through the apartment and continued: « Tu l'attirais sans cesse, aussi, toi, tu le flattais, tu le cajolais, tu n'avais pas assez de chatteries pour lui. "You attracted him constantly, too, you, you flattered him, you cajoled him, you did not have enough catteries for him. C'était Bel-Ami par-ci, Bel-Ami par-là, du matin au soir. Te voilà payée. Here you are paid. Elle murmura, livide : She murmured, livid:

« Moi ?… je l'attirais ! "Me? ... I attracted him! Il lui vociféra dans le nez : He shouted in his nose:

« Oui, toi ! " Yes you ! Vous êtes toutes folles de lui, la Marelle, Suzanne et les autres. You are all crazy about him, the Marelle, Suzanne and the others. Crois-tu que je ne voyais pas que tu ne pouvais point rester deux jours sans le faire venir ici ? Do you think I did not see that you could not stay two days without bringing him here? Elle se dressa, tragique : She stood up, tragic:

« Je ne vous permettrai pas de me parler ainsi. "I will not let you talk to me that way. Vous oubliez que je n'ai pas été élevée, comme vous, dans une boutique. You forget that I was not raised, like you, in a shop. Il demeura d'abord immobile et stupéfait, puis il lâcha un « Nom de Dieu « furibond, et il sortit en tapant la porte. He remained motionless and stupefied at first, then he dropped a furious "Name of God," and he went out, tapping the door. Dès qu'elle fut seule, elle alla, par instinct, vers la glace pour se regarder, comme pour voir si rien n'était changé en elle, tant ce qui arrivait lui paraissait impossible, monstrueux. As soon as she was alone, she instinctively went to the mirror to look at herself, as if to see if anything had changed in her, so much did it happen to be impossible, monstrous. Suzanne était amoureuse de Bel-Ami ! Suzanne was in love with Bel-Ami! et Bel-Ami voulait épouser Suzanne ! and Bel-Ami wanted to marry Suzanne! Non ! No ! elle s'était trompée, ce n'était pas vrai. she was wrong, it was not true. La fillette avait eu une toquade bien naturelle pour ce beau garçon, elle avait espéré qu'on le lui donnerait pour mari ; elle avait fait son petit coup de tête ! The girl had a very natural fancy for this handsome boy, she had hoped that she would be given as a husband; she had made her little impulse! Mais lui ? But him ? lui ne pouvait pas être complice de ça ! he could not be complicit in that! Elle réfléchissait, troublée comme on l'est devant les grandes catastrophes. She reflected, troubled as we are in the face of great catastrophes. Non, Bel-Ami ne devait rien savoir de l'escapade de Suzanne. No, Bel-Ami knew nothing of Suzanne's escapade. Et elle songea longtemps à la perfidie et à l'innocence possibles de cet homme. And she thought for a long time of the possible perfidy and innocence of this man. Quel misérable, s'il avait préparé le coup ! What a miserable thing, if he had prepared the blow! Et qu'arriverait-il ? And what would happen? Que de dangers et de tourments elle prévoyait ! What dangers and torments she foresaw!

S'il ne savait rien, tout pouvait s'arranger encore. If he did not know anything, everything could work out again. On ferait un voyage avec Suzanne pendant six mois, et ce serait fini. We would make a trip with Suzanne for six months, and it would be over. Mais comment pourrait-elle le revoir, elle, ensuite ? But how could she see him again? Car elle l'aimait toujours. Because she still loved him. Cette passion était entrée en elle à la façon de ces pointes de flèche qu'on ne peut plus arracher. This passion had entered into her like those arrowheads that can not be torn off. Vivre sans lui était impossible. To live without him was impossible. Autant mourir. As much to die. Sa pensée s'égarait dans ces angoisses et dans ces incertitudes. His thought was lost in these anxieties and uncertainties. Une douleur commençait à poindre dans sa tête ; ses idées devenaient pénibles, troubles, lui faisaient mal. A pain began to break in his head; his ideas became painful, troubled, hurt him. Elle s'énervait à chercher, s'exaspérait de ne pas savoir. She was anxious to search, exasperated at not knowing. Elle regarda sa pendule, il était une heure passée. She looked at her clock, it was an hour past. Elle se dit : « Je ne veux pas rester ainsi, je deviens folle. She says to herself, "I do not want to stay that way, I'm going crazy. Il faut que je sache. I have to know. Je vais réveiller Suzanne pour l'interroger. Et elle s'en alla, déchaussée, pour ne pas faire de bruit, une bougie à la main, vers la chambre de sa fille. And she went off, barefoot, so as not to make a noise, a candle in her hand, to her daughter's room. Elle l'ouvrit bien doucement, entra, regarda le lit. Il n'était pas défait. He was not defeated. Elle ne comprit point d'abord, et pensa que la fillette discutait encore avec son père. She did not understand at first, and thought the little girl was still talking to her father. Mais aussitôt un soupçon horrible l'effleura et elle courut chez son mari. But immediately a horrible suspicion touched her and she ran to her husband's house. Elle y arriva d'un élan ; blême et haletante. She arrived with a momentum; pale and panting. Il était couché et lisait encore. He was lying and still reading.

Il demanda effaré : He asked frightened:

« Eh bien ! quoi ?

Qu'est-ce que tu as ? Elle balbutiait : She stammered:

« As-tu vu Suzanne ?

– Moi ? Non. Pourquoi ?

– Elle est… elle est… partie. Elle n'est pas dans sa chambre. Il sauta d'un bond sur le tapis, chaussa ses pantoufles et, sans caleçon, la chemise au vent, il se précipita à son tour vers l'appartement de sa fille. He jumped on the carpet, slipped on his slippers and, without boxers, his shirt in the wind, he rushed back to his daughter's apartment. Dès qu'il l'eut vu, il ne conserva point de doute. As soon as he saw it, he did not remain in doubt. Elle s'était enfuie. She had run away. Il tomba sur un fauteuil et posa sa lampe par terre devant lui. He fell on an armchair and put his lamp on the floor in front of him.

Sa femme l'avait rejoint. His wife had joined him. Elle bégaya : She stammered:

« Eh bien ? " Well ? Il n'avait plus la force de répondre ; il n'avait plus de colère, il gémit : He no longer had the strength to answer; he no longer had anger, he moaned: « C'est fait, il la tient. "It's done, he's holding it. Nous sommes perdus. We are lost. Elle ne comprenait pas : She did not understand:

« Comment perdus ? "How lost?

– Eh ! oui, parbleu. Il faut bien qu'il l'épouse maintenant. He has to marry her now. Elle poussa une sorte de cri de bête : She let out a sort of beastly cry:

« Lui ! " Him ! jamais ! never ! Tu es donc fou ? Are you crazy? Il répondit tristement : He answered sadly:

« Ça ne sert à rien de hurler. "It's no use screaming. Il l'a enlevée, il l'a déshonorée. He took it away, he dishonored it. Le mieux est encore de la lui donner. The best is still to give it to him. En s'y prenant bien, personne ne saura cette aventure. By doing well, nobody will know this adventure. Elle répéta, secouée d'une émotion terrible : She repeated, shaken with a terrible emotion: « Jamais ! jamais il n'aura Suzanne ! Jamais je ne consentirai ! Walter murmura avec accablement :

« Mais il l'a. C'est fait. Et il la gardera et la cachera tant que nous n'aurons point cédé. And he will keep it and hide it until we have yielded. Donc, pour éviter le scandale, il faut céder tout de suite. So, to avoid the scandal, you have to give in right away. Sa femme, déchirée par une inavouable douleur, répéta : His wife, torn by a shameful pain, repeated:

« Non ! non.

Jamais je ne consentirai ! Il reprit, s'impatientant : « Mais il n'y a pas à discuter. Il le faut. It must. Ah ! le gredin, comme il nous a joués… Il est fort tout de même. the rascal, as he played us ... He is strong all the same. Nous aurions pu trouver beaucoup mieux comme position, mais pas comme intelligence et comme avenir. We could have found a much better position, but not as intelligence and as a future. C'est un homme d'avenir. He is a man of the future. Il sera député et ministre. He will be a member of Parliament and a minister. Mme Walter déclara, avec une énergie farouche : Mrs. Walter declared with fierce energy:

« Jamais je ne lui laisserai épouser Suzanne… Tu entends… jamais ! "I'll never let him marry Suzanne ... you hear ... never! Il finit par se fâcher et par prendre, en homme pratique, la défense de Bel-Ami. He ends up getting angry and taking, as a practical man, the defense of Bel-Ami.

« Mais, tais-toi donc… Je te répète qu'il le faut… qu'il le faut absolument. "But, shut up, then ... I repeat to you that it must be ... absolutely necessary. Et qui sait ? And who knows? Peut-être ne le regretterons-nous pas. Maybe we will not regret it. Avec les êtres de cette trempe là, on ne sait jamais ce qui peut arriver. With beings of this caliber, you never know what can happen. Tu as vu comme il a jeté bas, en trois articles, ce niais de Laroche-Mathieu, et comme il l'a fait avec dignité, ce qui était rudement difficile dans sa situation de mari. You saw how he threw down, in three articles, that fool of Laroche-Mathieu, and how he did it with dignity, which was roughly difficult in his situation as a husband. Enfin nous verrons. Finally we will see. Toujours est-il que nous sommes pris. Still, we are caught. Nous ne pouvons plus nous tirer de là. We can not get out of it anymore. Elle avait envie de crier, de se rouler par terre, de s'arracher les cheveux. She wanted to scream, roll around on the floor, tear her hair out. Elle prononça encore, d'une voix exaspérée : She said again, in an exasperated voice: « II ne l'aura pas… Je… ne… veux… pas ! "He will not have it ... I ... do not ... want ... no! Walter se leva, ramassa sa lampe, reprit : Walter got up, picked up his lamp, went on:

« Tiens, tu es stupide comme toutes les femmes. "Here, you are stupid like all women. Vous n'agissez jamais que par passion. You only act by passion. Vous ne savez pas vous plier aux circonstances… vous êtes stupides ! You do not know how to bend to circumstances ... you are stupid! Moi, je te dis qu'il l'épousera… Il le faut. I tell you he will marry her ... He must. Et il sortit en traînant ses pantoufles. And he went out dragging his slippers. Il traversa, fantôme comique en chemise de nuit, le large corridor du vaste hôtel endormi, et rentra, sans bruit, dans sa chambre. He crossed, comic ghost in nightgown, the wide corridor of the vast hotel asleep, and returned noiselessly to his room.

Mme Walter restait debout, déchirée par une intolérable douleur. Mrs. Walter remained standing, torn by unbearable pain. Elle ne comprenait pas encore bien, d'ailleurs. She did not understand well yet, by the way. Elle souffrait seulement. She only suffered. Puis il lui sembla qu'elle ne pourrait pas demeurer là, immobile, jusqu'au jour. Then it seemed to her that she could not remain there, motionless, until daybreak. Elle sentait en elle un besoin violent de se sauver, de courir devant elle, de s'en aller, de chercher de l'aide, d'être secourue. She felt in her a violent urge to escape, to run before her, to leave, to seek help, to be rescued. Elle cherchait qui elle pourrait bien appeler à elle. She was looking for who she could call her. Quel homme ! What a man ! Elle n'en trouvait pas ! She could not find one! Un prêtre ! A priest ! oui, un prêtre ! yes, a priest! Elle se jetterait à ses pieds, lui avouerait tout, lui confesserait sa faute et son désespoir. She would throw herself at his feet, confess everything to him, confess his fault and his despair. Il comprendrait, lui, que ce misérable ne pouvait pas épouser Suzanne et il empêcherait cela. He would understand that this wretch could not marry Suzanne and he would prevent that.

Il lui fallait un prêtre tout de suite ! He needed a priest right away! Mais où le trouver ? But where to find it? Où aller ? Where to go ? Pourtant elle ne pouvait rester ainsi. But she couldn't stay like that.

Alors passa devant ses yeux, ainsi qu'une vision, l'image sereine de Jésus marchant sur les flots. Then the serene image of Jesus walking on the waves passed before his eyes like a vision. Elle le vit comme elle le voyait en regardant le tableau. She saw him as she saw him looking at the painting. Donc il l'appelait. So he called her. Il lui disait : « Venez à moi. He said to her, "Come to me. Venez vous agenouiller à mes pieds. Come kneel at my feet. Je vous consolerai et je vous inspirerai ce qu'il faut faire. I will comfort you and I will inspire you what to do. Elle prit sa bougie, sortit, et descendit pour gagner la serre. She took her candle, went out, and went down to the greenhouse. Le Jésus était tout au bout, dans un petit salon qu'on fermait par une porte vitrée afin que l'humidité des terres ne détériorât point la toile. The Jesus was at the far end of the room, in a small salon closed off by a glass door to prevent the dampness of the soil from damaging the canvas. Cela faisait une sorte de chapelle dans une forêt d'arbres singuliers. It was like a chapel in a forest of singular trees. Quand Mme Walter entra dans le jardin d'hiver, ne l'ayant jamais vu que plein de lumière, elle demeura saisie devant sa profondeur obscure. When Mrs. Walter entered the conservatory, having only ever seen it full of light, she was stunned by its dark depths. Les lourdes plantes des pays chauds épaississaient l'atmosphère de leur haleine pesante. The heavy plants of hot countries thickened the atmosphere with their heavy breath. Et les portes n'étant plus ouvertes, l'air de ce bois étrange, enfermé sous un dôme de verre, entrait dans la poitrine avec peine, étourdissait, grisait, faisait plaisir et mal, donnait à la chair une sensation confuse de volupté énervante et de mort. La pauvre femme marchait doucement, émue par les ténèbres où apparaissaient, à la lueur errante de sa bougie, des plantes extravagantes, avec des aspects de monstres, des apparences d'êtres, des difformités bizarres. The poor woman walked slowly, moved by the darkness where, in the wandering light of her candle, extravagant plants appeared, with aspects of monsters, appearances of beings, bizarre deformities. Tout d'un coup, elle aperçut le Christ. Elle ouvrit la porte qui le séparait d'elle, et tomba sur les genoux. Elle le pria d'abord éperdument, balbutiant des mots d'amour, des invocations passionnées et désespérées. Puis, l'ardeur de son appel se calmant, elle leva les yeux vers lui, et demeura saisie d'angoisse. Then, as the ardor of her call subsided, she looked up at him, and remained seized with anguish. Il ressemblait tellement à Bel-Ami, à la clarté tremblante de cette seule lumière l'éclairant à peine et d'en bas, que ce n'était plus Dieu, c'était son amant qui la regardait. He looked so much like Bel-Ami, with the trembling brightness of that single light illuminating him barely and from below, that it was no longer God, it was her lover who was looking at her. C'étaient ses yeux, son front, l'expression de son visage, son air froid et hautain ! It was his eyes, his forehead, the expression on his face, his cold, haughty air! Elle balbutiait : « Jésus ! She stammered, "Jesus! – Jésus ! – Jésus ! » Et le mot « Georges « lui venait aux lèvres. Tout à coup, elle pensa qu'à cette heure même, Georges, peut-être, possédait sa fille. Il était seul avec elle, quelque part, dans une chambre. Lui ! lui ! avec Suzanne !

Elle répétait : « Jésus !… Jésus ! » Mais elle pensait à eux… à sa fille et à son amant ! Ils étaient seuls, dans une chambre… et c'était la nuit. Elle les voyait. Elle les voyait si nettement qu'ils se dressaient devant elle, à la place du tableau. She could see them so clearly that they stood in front of her, in place of the painting. Ils se souriaient. Ils s'embrassaient. La chambre était sombre, le lit entrouvert. The room was dark, the bed ajar. Elle se souleva pour aller vers eux, pour prendre sa fille par les cheveux et l'arracher à cette étreinte. She lifted herself to go to them, to take her daughter by the hair and tear her away from that embrace. Elle allait la saisir à la gorge, l'étrangler, sa fille qu'elle haïssait, sa fille qui se donnait à cet homme. She was going to seize her by the throat, to strangle her, her daughter whom she hated, her daughter who gave herself to this man. Elle la touchait… ses mains rencontrèrent la toile. She touched it ... her hands met the canvas. Elle heurtait les pieds du Christ. She was hitting the feet of Christ.

Elle poussa un grand cri et tomba sur le dos. She uttered a loud cry and fell on her back. Sa bougie, renversée, s'éteignit. His candle, overturned, went out. Que se passa-t-il ensuite ? What happened next? Elle rêva longtemps des choses étranges, effrayantes. She dreamed a long time of strange, frightening things. Toujours Georges et Suzanne passaient devant ses yeux, enlacés, avec Jésus-Christ qui bénissait leur horrible amour. Always Georges and Suzanne passed before his eyes, entwined, with Jesus Christ who blessed their horrible love.

Elle sentait vaguement qu'elle n'était point chez elle. She vaguely felt that she was not at home. Elle voulait se lever, fuir, elle ne le pouvait pas. She wanted to get up, run away, she could not. Une torpeur l'avait envahie, qui liait ses membres et ne lui laissait que sa pensée en éveil, trouble cependant, torturée par des images affreuses, irréelles, fantastiques, perdue dans un songe malsain, le songe étrange et parfois mortel que font entrer dans les cerveaux humains les plantes endormeuses des pays chauds, aux formes bizarres et aux parfums épais. A torpor had invaded him, which bound his limbs and left him only his thought awakened, however troubled, tortured by terrible images, unreal, fantastic, lost in an unhealthy dream, the strange dream and sometimes mortal that enter into the human brains the sleeping plants of hot countries, oddly shaped and with thick scents. Le jour venu, on ramassa Mme Walter, étendue sans connaissance, presque asphyxiée, devant Jésus marchant sur les flots. When the day came, Madame Walter was picked up, lying unconscious, almost asphyxiated, before Jesus walking on the waves. Elle fut si malade qu'on craignit pour sa vie. She was so sick that we feared for her life. Elle ne reprit que le lendemain l'usage complet de sa raison. She did not resume the next day the complete use of her reason. Alors, elle se mit à pleurer. So she started crying.

La disparition de Suzanne fut expliquée aux domestiques par un envoi brusque au couvent. The disappearance of Suzanne was explained to the servants by a sudden sending to the convent. Et M. Walter répondit à une longue lettre de Du Roy, en lui accordant la main de sa fille. And Mr. Walter answered a long letter from Du Roy, granting him the hand of his daughter.

Bel-Ami avait jeté cette épître à la poste au moment de quitter Paris, car il l'avait préparée d'avance le soir de son départ. Bel-Ami had sent this letter to the post office when he was leaving Paris, for he had prepared it in advance on the evening of his departure. Il y disait, en termes respectueux, qu'il aimait depuis longtemps la jeune fille, que jamais aucun accord n'avait eu lieu entre eux, mais que la voyant venir à lui, en toute liberté, pour lui dire : « Je serai votre femme », il se jugeait autorisé à la garder, à la cacher même, jusqu'à ce qu'il eût obtenu une réponse des parents dont la volonté légale avait pour lui une valeur moindre que la volonté de sa fiancée. He said, in respectful terms, that he had loved the girl for a long time, that no agreement had ever been reached between them, but that she saw her come to him, in complete freedom, to say to him: "I will be your he thought himself authorized to keep it, to conceal it even, until he had obtained an answer from the parents whose legal will was less important to him than the will of his betrothed. Il demandait que M. Walter répondît poste restante, un ami devant lui faire parvenir la lettre. He asked that Mr. Walter answer the remaining post, a friend to send him the letter.

Quand il eut obtenu ce qu'il voulait, il ramena Suzanne à Paris et la renvoya chez ses parents, s'abstenant lui-même de paraître avant quelque temps. When he had obtained what he wanted, he took Suzanne back to Paris and sent her home, abstaining from appearing for some time. Ils avaient passé six jours au bord de la Seine, à La Roche-Guyon.

Jamais la jeune fille ne s'était tant amusée. Never had the girl had so much fun. Elle avait joué à la bergère. She had played at the shepherdess. Comme il la faisait passer pour sa sœur, ils vivaient dans une intimité libre et chaste, une sorte de camaraderie amoureuse. As he pretended to be his sister, they lived in a free and chaste intimacy, a kind of amorous camaraderie. Il jugeait habile de la respecter. He considered it clever to respect it. Dès le lendemain de leur arrivée, elle acheta du linge et des vêtements de paysanne, et elle se mit à pêcher à la ligne, la tête couverte d'un immense chapeau de paille orné de fleurs des champs. The day after their arrival, she bought some clothes and some peasant clothes, and she began to fish with the line, her head covered with a huge straw hat adorned with wildflowers. Elle trouvait le pays délicieux. Il y avait là une vieille tour et un vieux château où l'on montrait d'admirables tapisseries. Georges, vêtu d'une vareuse achetée toute faite chez un commerçant du pays, promenait Suzanne, soit à pied, le long des berges, soit en bateau. George, wearing a tunic bought ready-made at a local shopkeeper, walked Suzanne, either on foot, along the banks, or by boat. Ils s'embrassaient à tout moment, frémissants, elle innocente et lui prêt à succomber. They kissed at any moment, quivering, she innocent and ready to succumb. Mais il savait être fort : et quand il lui dit : « Nous retournerons à Paris demain, votre père m'accorde votre main », elle murmura naïvement : « Déjà, ça m'amusait tant d'être votre femme ! But he knew how to be strong, and when he said to her, "We will return to Paris tomorrow, your father gives me your hand," she murmured naively, "Already it amused me so much to be your wife!