×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 8

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 8

– VIII –

Pendant le reste de l'hiver, les Du Roy allèrent souvent chez les Walter. Georges même y dînait seul à tout instant, Madeleine se disant fatiguée et préférant rester chez elle.

Il avait adopté le vendredi comme jour fixe, et la Patronne n'invitait jamais personne ce soir-là ; il appartenait à Bel-Ami, rien qu'à lui. Après dîner, on jouait aux cartes, on donnait à manger aux poissons chinois, on vivait et on s'amusait en famille. Plusieurs fois, derrière une porte, derrière un massif de la serre, dans un coin sombre, Mme Walter avait saisi brusquement dans ses bras le jeune homme, et, le serrant de toute sa force sur sa poitrine, lui avait jeté dans l'oreille : « Je t'aime !… je t'aime !… je t'aime à en mourir ! » Mais toujours il l'avait repoussée froidement, en répondant d'un ton sec : « Si vous recommencez, je ne viendrai plus ici. Vers la fin de mars, on parla tout à coup du mariage des deux sœurs. Rose devait épouser disait-on, le comte de Latour-Yvelin, et Suzanne, le marquis de Cazolles. Ces deux hommes étaient devenus des familiers de la maison, de ces familiers à qui on accorde des faveurs spéciales, des prérogatives sensibles.

Georges et Suzanne vivaient dans une sorte d'intimité fraternelle et libre, bavardaient pendant des heures, se moquaient de tout le monde et semblaient se plaire beaucoup ensemble. Jamais ils n'avaient reparlé du mariage possible de la jeune fille, ni des prétendants qui se présentaient. Comme le Patron avait emmené Du Roy pour déjeuner, un matin, Mme Walter, après le repas, fut appelée pour répondre à un fournisseur. Et Georges dit à Suzanne : « Allons donner du pain aux poissons rouges. Ils prirent chacun sur la table un gros morceau de mie et s'en allèrent dans la serre. Tout le long de la vasque de marbre on laissait par terre des coussins afin qu'on pût se mettre à genoux autour du bassin, pour être plus près des bêtes nageantes. Les jeunes gens en prirent chacun un, côte à côte, et, penchés vers l'eau, commencèrent à jeter dedans des boulettes qu'ils roulaient entre leurs doigts. Les poissons, dès qu'ils les aperçurent, s'en vinrent, en remuant la queue, battant des nageoires, roulant leurs gros yeux saillants, tournant sur eux-mêmes, plongeant pour attraper la proie ronde qui s'enfonçait, et remontant aussitôt pour en demander une autre. Ils avaient des mouvements drôles de la bouche, des élans brusques et rapides, une allure étrange de petits monstres ; et sur le sable d'or du fond ils se détachaient en rouge ardent, passant comme des flammes dans l'onde transparente, ou montrant, aussitôt qu'ils s'arrêtaient, le filet bleu qui bordait leurs écailles. Georges et Suzanne voyaient leurs propres figures renversées dans l'eau, et ils souriaient à leurs images. Tout à coup, il dit à voix basse :

« Ce n'est pas bien de me faire des cachotteries, Suzanne. Elle demanda :

« Quoi donc, Bel-Ami ?

– Vous ne vous rappelez pas ce que vous m'avez promis, ici même, le soir de la fête ? – Mais non !

– De me consulter toutes les fois qu'on demanderait votre main. – Eh bien ?

– Eh bien, on l'a demandée. – Qui ça ?

– Vous le savez bien.

– Non. Je vous jure.

– Si, vous le savez ! Ce grand fat de marquis de Cazolles.

– Il n'est pas fat, d'abord. – C'est possible ! mais il est stupide ; ruiné par le jeu et usé par la noce. C'est vraiment un joli parti pour vous, si jolie, si fraîche, et si intelligente. Elle demanda en souriant :

« Qu'est-ce que vous avez contre lui ? – Moi ? Rien.

– Mais si. Il n'est pas tout ce que vous dites. – Allons donc. C'est un sot et un intrigant. Elle se tourna un peu, cessant de regarder dans l'eau : « Voyons, qu'est-ce que vous avez ? Il prononça, comme si on lui eût arraché un secret du fond du cœur.

« J'ai… j'ai… j'ai que je suis jaloux de lui. Elle s'étonna modérément : « Vous ?

– Oui, moi !

– Tiens. Pourquoi ça ?

– Parce que je suis amoureux de vous, et vous le savez bien, méchante ! Alors elle dit d'un ton sévère : « Vous êtes fou, Bel-Ami ! Il reprit :

« Je le sais bien que je suis fou. Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous, une jeune fille ? Je suis plus que fou, je suis coupable, presque misérable. Je n'ai pas d'espoir possible, et je perds la raison à cette pensée. Et quand j'entends dire que vous allez vous marier, j'ai des accès de fureur à tuer quelqu'un. Il faut me pardonner ça, Suzanne ! Il se tut. Les poissons à qui on ne jetait plus de pain demeuraient immobiles, rangés presque en lignes, pareils à des soldats anglais, et regardant les figures penchées de ces deux personnes qui ne s'occupaient plus d'eux. La jeune fille murmura, moitié tristement, moitié gaiement :

« C'est dommage que vous soyez marié. Que voulez-vous ?

On n'y peut rien. C'est fini ! Il se retourna brusquement vers elle, et il lui dit, tout près, dans la figure :

« Si j'étais libre, moi, m'épouseriez-vous ? Elle répondit, avec un accent sincère :

« Oui, Bel-Ami, je vous épouserais, car vous me plaisez beaucoup plus que tous les autres. Il se leva, et balbutiant :

« Merci…, merci…, je vous en supplie, ne dites « oui « à personne ? Attendez encore un peu. Je vous en supplie ! Me le promettez-vous ? Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre ce qu'il voulait : « Je vous le promets. Du Roy jeta dans l'eau le gros morceau de pain qu'il tenait encore aux mains, et il s'enfuit, comme s'il eût perdu la tête, sans dire adieu. Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet de mie qui flottait n'ayant point été pétri par les doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces. Ils l'entraînaient à l'autre bout du bassin, s'agitaient au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante, une espèce de fleur animée et tournoyante, une fleur vivante, tombée à l'eau la tête en bas. Suzanne, surprise, inquiète, se redressa, et s'en revint tout doucement. Le journaliste était parti.

Il rentra chez lui, fort calme, et comme Madeleine écrivait des lettres, il lui demanda :

« Dînes-tu vendredi chez les Walter ? Moi, j'irai. Elle hésita :

« Non. Je suis un peu souffrante. J'aime mieux rester ici. Il répondit :

« Comme il te plaira. Personne ne te force. Puis il reprit son chapeau et ressortit aussitôt.

Depuis longtemps il l'épiait, la surveillait et la suivait, sachant toutes ses démarches. L'heure qu'il attendait était enfin venue. Il ne s'était point trompé au ton dont elle avait répondu : « J'aime mieux rester ici. Il fut aimable pour elle pendant les jours qui suivirent. Il parut même gai, ce qui ne lui était plus ordinaire. Elle disait : « Voilà que tu redeviens gentil. Il s'habilla de bonne heure le vendredi pour faire quelques courses avant d'aller chez le Patron, affirmait-il. Puis il partit vers six heures, après avoir embrassé sa femme, et il alla chercher un fiacre place Notre-Dame-de-Lorette.

Il dit au cocher :

« Vous vous arrêterez en face du numéro 17, rue Fontaine, et vous resterez là jusqu'à ce que je vous donne l'ordre de vous en aller. Vous me conduirez ensuite au restaurant du Coq-Faisan, rue Lafayette. La voiture se mit en route au trot lent du cheval, et Du Roy baissa les stores. Dès qu'il fut en face de sa porte, il ne la quitta plus des yeux. Après dix minutes d'attente, il vit sortir Madeleine qui remonta vers les boulevards extérieurs. Aussitôt qu'elle fut loin, il passa la tête « la portière, et il cria : « Allez. Le fiacre se remit en marche, et le déposa devant le Coq-Faisan, restaurant bourgeois connu dans le quartier. Georges entra dans la salle commune, et mangea doucement, en regardant l'heure à sa montre de temps en temps. À sept heures et demie, comme il avait bu son café, pris deux verres de fine champagne et fumé, avec lenteur, un bon cigare, il sortit, héla une autre voiture qui passait à vide, et se fit conduire rue La Rochefoucauld.

Il monta, sans rien demander au concierge, au troisième étage de la maison qu'il avait indiquée, et quand une bonne lui eut ouvert : « M. Guibert de Lorme est chez lui, n'est-ce pas ? – Oui, monsieur. On le fit pénétrer dans le salon, où il attendit quelques instants. Puis un homme entra, grand, décoré, avec l'air militaire, et portant des cheveux gris, bien qu'il fût jeune encore. Du Roy le salua, puis lui dit :

« Comme je le prévoyais, monsieur le commissaire de police, ma femme dîne avec son amant dans le logement garni qu'ils ont loué rue des Martyrs. Le magistrat s'inclina : « Je suis à votre disposition, monsieur. Georges reprit :

« Vous avez jusqu'à neuf heures, n'est-ce pas ? Cette limite passée, vous ne pouvez plus pénétrer dans un domicile particulier pour y constater un adultère.

– Non, monsieur, sept heures en hiver, neuf heures à partir du 31 mars. Nous sommes au 5 avril, nous avons donc jusqu'à neuf heures. – Eh bien, monsieur le commissaire, j'ai une voiture en bas, nous pouvons prendre les agents qui vous accompagneront, puis nous attendrons un peu devant la porte. Plus nous arriverons tard, plus nous avons de chance de bien les surprendre en flagrant délit.

– Comme il vous plaira, monsieur. Le commissaire sortit, puis revint, vêtu d'un pardessus qui cachait sa ceinture tricolore. Il s'effaça pour laisser passer Du Roy. Mais le journaliste, dont l'esprit était préoccupé, refusait de sortir le premier, et répétait : « Après vous… après vous. Le magistrat prononça :

« Passez donc, monsieur, je suis chez moi. L'autre, aussitôt, franchit la porte en saluant. Ils allèrent d'abord au commissariat chercher trois agents en bourgeois qui attendaient, car Georges avait prévenu dans la journée que la surprise aurait lieu ce soir-là. Un des hommes monta sur le siège, à côté du cocher. Les deux autres entrèrent dans le fiacre, qui gagna la rue des Martyrs.

Du Roy disait :

« J'ai le plan de l'appartement. C'est au second. Nous trouverons d'abord un petit vestibule, puis la chambre à coucher. Les trois pièces se commandent. Aucune sortie ne peut faciliter la fuite. Il y a un serrurier un peu plus loin. Il se tiendra prêt à être réquisitionné par vous. Quand ils furent devant la maison indiquée, il n'était encore que huit heures un quart, et ils attendirent en silence pendant plus de vingt minutes. Mais lorsqu'il vit que les trois quarts allaient sonner, Georges dit : « Allons maintenant. » Et ils montèrent l'escalier sans s'occuper du portier, qui ne les remarqua point, d'ailleurs. Un des agents demeura dans la rue pour surveiller la sortie.

Les quatre hommes s'arrêtèrent au second étage, et Du Roy colla d'abord son oreille contre la porte, puis son œil au trou de la serrure. Il n'entendit rien et ne vit rien. Il sonna.

Le commissaire dit à ses agents :

« Vous resterez ici, prêts à tout appel. Et ils attendirent. Au bout de deux ou trois minutes Georges tira de nouveau le bouton du timbre plusieurs fois de suite. Ils perçurent un bruit au fond de l'appartement ; puis un pas léger s'approcha. Quelqu'un venait épier. Le journaliste alors frappa vivement avec son doigt plié contre le bois des panneaux.

Une voix, une voix de femme, qu'on cherchait à déguiser, demanda : « Qui est là ? L'officier municipal répondit : « Ouvrez, au nom de la loi. La voix répéta :

« Qui êtes-vous ?

– Je suis le commissaire de police. Ouvrez, ou je fais forcer la porte. La voix reprit :

« Que voulez-vous ?

Et Du Roy dit :

C'est moi. Il est inutile de chercher à nous échapper. Le pas léger, un pas de pieds nus, s'éloigna, puis revint au bout de quelques secondes. Georges dit :

Si vous ne voulez pas ouvrir, nous enfonçons la porte. Il serrait la poignée de cuivre, et d'une épaule il poussait lentement. Comme on ne répondait plus, il donna tout à coup une secousse si violente et si vigoureuse que la vieille serrure de cette maison meublée céda. Les vis arrachées sortirent du bois et le jeune homme faillit tomber sur Madeleine qui se tenait debout dans l'antichambre, vêtue d'une chemise et d'un jupon, les cheveux défaits, les jambes dévêtues, une bougie à la main. Il s'écria : C'est elle, nous les tenons. » Et il se jeta dans l'appartement. Le commissaire ayant ôté son chapeau, le suivit. Et la jeune femme effarée s'en vint derrière eux en les éclairant. Ils traversèrent une salle à manger dont la table non desservie montrait les restes du repas : des bouteilles à champagne vides, une terrine de foies gras ouverte, une carcasse de poulet et des morceaux de pain à moitié mangés. Deux assiettes posées sur le dressoir portaient des piles d'écailles d'huîtres. La chambre semblait ravagée par une lutte. Une robe coiffait une chaise, une culotte d'homme restait à cheval sur le bras d'un fauteuil. Quatre bottines, deux grandes et deux petites, traînaient au pied du lit, tombées sur le flanc.

C'était une chambre de maison garnie, aux meubles communs, où flottait cette odeur odieuse et fade des appartements d'hôtel, odeur émanée des rideaux, des matelas, des murs, des sièges, odeur de toutes les personnes qui avaient couché ou vécu, un jour ou six mois, dans ce logis public, et laissé là un peu de leur senteur, de cette senteur humaine qui, s'ajoutant à celle des devanciers, formait à la longue une puanteur confuse, douce et intolérable, la même dans tous ces lieux. Une assiette à gâteaux, une bouteille de chartreuse et deux petits verres encore à moitié pleins encombraient la cheminée. Le sujet de la pendule de bronze était caché par un grand chapeau d'homme. Le commissaire se retourna vivement, et regardant Madeleine dans les yeux :

« Vous êtes bien Mme Claire-Madeleine Du Roy, épouse légitime de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, ici présent ? Elle articula, d'une voix étranglée : « Oui, monsieur.

– Que faites-vous ici ? Elle ne répondit pas.

Le magistrat reprit : « Que faites-vous ici ? Je vous trouve hors de chez vous, presque dévêtue dans un appartement meublé. Qu'êtes-vous venue y faire ? Il attendit quelques instants. Puis, comme elle gardait toujours le silence :

– Du moment que vous ne voulez pas l'avouer, madame, je vais être contraint de le constater. On voyait dans le lit la forme d'un corps caché sous le drap. Le commissaire s'approcha et appela : « Monsieur ? L'homme caché ne remua pas. Il paraissait tourner le dos, la tête enfoncée sous un oreiller.

L'officier toucha ce qui semblait être l'épaule, et répéta : « Monsieur, ne me forcez pas, je vous prie, à des actes. Mais le corps voilé demeurait aussi immobile que s'il eût été mort. Du Roy, qui s'était avancé vivement, saisit la couverture, la tira et, arrachant l'oreiller, découvrit la figure livide de M. Laroche-Mathieu. Il se pencha vers lui et, frémissant de l'envie de le saisir au cou pour l'étrangler, il lui dit, les dents serrées : « Ayez donc au moins le courage de votre infamie. Le magistrat demanda encore :

« Qui êtes-vous ?

» L'amant, éperdu, ne répondant pas, il reprit : « Je suis commissaire de police et je vous somme de me dire votre nom ! Georges, qu'une colère bestiale faisait trembler, cria : « Mais répondez donc, lâche, ou je vais vous nommer, moi. Alors l'homme couché balbutia : « Monsieur le commissaire, vous ne devez pas me laisser insulter par cet individu. Est-ce à vous ou à lui que j'ai affaire ? Est-ce à vous ou à lui que je dois répondre ? Il paraissait n'avoir plus de salive dans la bouche. L'officier répondit : « C'est à moi, monsieur, à moi seul. Je vous demande qui vous êtes ? L'autre se tut. Il tenait le drap serré contre son cou et roulait des yeux effarés. Ses petites moustaches retroussées semblaient toutes noires sur sa figure blême.

Le commissaire reprit :

« Vous ne voulez pas répondre ? Alors je serai forcé de vous arrêter. Dans tous les cas, levez-vous. Je vous interrogerai lorsque vous serez vêtu. Le corps s'agita dans le lit, et la tête murmura : « Mais je ne peux pas devant vous. Le magistrat demanda :

« Pourquoi ça ? L'autre balbutia : C'est que je suis… je suis… je suis tout nu. Du Roy se mit à ricaner, et ramassant une chemise tombée à terre, il la jeta sur la couche en criant :

« Allons donc… levez-vous… Puisque vous vous êtes déshabillé devant ma femme, vous pouvez bien vous habiller devant moi. Puis il tourna le dos et revint vers la cheminée.

Madeleine avait retrouvé son sang-froid, et voyant tout perdu, elle était prête à tout oser. Une audace de bravade faisait briller son œil ; et, roulant un morceau de papier, elle alluma, comme pour une réception, les dix bougies des vilains candélabres posés au coin de la cheminée. Puis elle s'adossa au marbre et tendant au feu mourant un de ses pieds nus, qui soulevait par derrière son jupon à peine arrêté sur les hanches, elle prit une cigarette dans un étui de papier rose, l'enflamma et se mit à fumer. Le commissaire était revenu vers elle, attendant que son complice fût debout.

Elle demanda avec insolence :

« Vous faites souvent ce métier-là, monsieur ? Il répondit gravement :

« Le moins possible, madame. Elle lui souriait sous le nez :

« Je vous en félicite, ça n'est pas propre. Elle affectait de ne pas regarder, de ne pas voir son mari.

Mais le monsieur du lit s'habillait. Il avait passé son pantalon, chaussé ses bottines et il se rapprocha, en endossant son gilet.

L'officier de police se tourna vers lui : « Maintenant, monsieur, voulez-vous me dire qui vous êtes ? L'autre ne répondit pas. Le commissaire prononça :

« Je me vois forcé de vous arrêter. Alors l'homme s'écria brusquement : « Ne me touchez pas. Je suis inviolable ! Du Roy s'élança vers lui, comme pour le terrasser, et il lui grogna dans la figure : « II y a flagrant délit… flagrant délit. Je peux vous faire arrêter, si je veux… oui, je le peux. Puis, d'un ton vibrant : « Cet homme s'appelle Laroche-Mathieu, ministre des Affaires étrangères. Le commissaire de police recula stupéfait, et balbutiant :

« En vérité, monsieur, voulez-vous me dire qui vous êtes, à la fin ? L'homme se décida, et avec force : « Pour une fois, ce misérable-là n'a point menti. Je me nomme, en effet, Laroche-Mathieu, ministre. Puis tendant le bras vers la poitrine de Georges, où apparaissait comme une lueur, un petit point rouge, il ajouta :

« Et le gredin que voici porte sur son habit la croix d'honneur que je lui ai donnée. Du Roy était devenu livide. D'un geste rapide, il arracha de sa boutonnière la courte flamme de ruban, et, la jetant dans la cheminée : « Voilà ce que vaut une décoration qui vient de salops de votre espèce. Ils étaient face à face, les dents près des dents, exaspérés, les poings serrés, l'un maigre et la moustache au vent, l'autre gras et la moustache en croc. Le commissaire passa vivement entre les deux et, les écartant avec ses mains :

« Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité ! Ils se turent et se tournèrent les talons. Madeleine, immobile, fumait toujours, en souriant.

L'officier de police reprit : – « Monsieur le ministre, je vous ai surpris, seul avec Mme Du Roy, que voici, vous couché, elle presque nue. Vos vêtements étant jetés pêle-mêle à travers l'appartement, cela constitue un flagrant délit d'adultère. Vous ne pouvez nier l'évidence. Qu'avez-vous à répondre ? Laroche-Mathieu murmura :

« Je n'ai rien à dire, faites votre devoir. Le commissaire s'adressa à Madeleine : « Avouez-vous, madame, que monsieur soit votre amant ? Elle prononça crânement :

« Je ne le nie pas, il est mon amant !

– Cela suffit, »

Puis le magistrat prit quelques notes sur l'état et la disposition du logis. Comme il finissait d'écrire, le ministre qui avait achevé de s'habiller et qui attendait, le paletot sur le bras, le chapeau à la main, demanda : « Avez-vous encore besoin de moi, monsieur ? Que dois-je faire ? Puis-je me retirer ? Du Roy se retourna vers lui et souriant avec insolence :

« Pourquoi donc ? Nous avons fini. Vous pouvez vous recoucher, monsieur ; nous allons vous laisser seuls. Et posant le doigt sur le bras de l'officier de police : « Retirons-nous, monsieur le commissaire, nous n'avons plus rien à faire en ce lieu. Un peu surpris, le magistrat le suivit ; mais, sur le seuil de la chambre, Georges s'arrêta pour le laisser passer. L'autre s'y refusait par cérémonie. Du Roy insistait : « Passez donc, monsieur. » Le commissaire dit : « Après vous. » Alors le journaliste salua, et sur le ton d'une politesse ironique : « C'est votre tour, monsieur le commissaire de police. Je suis presque chez moi, ici. Puis il referma la porte doucement, avec un air de discrétion.

Une heure plus tard, Georges Du Roy entrait dans les bureaux de La Vie Française .

M. Walter était déjà là, car il continuait à diriger et à surveiller avec sollicitude son journal qui avait pris une extension énorme et qui favorisait beaucoup les opérations grandissantes de sa banque.

Le directeur leva la tête et demanda :

« Tiens, vous voici ? Vous semblez tout drôle ! Pourquoi n'êtes-vous pas venu dîner à la maison ? D'où sortez-vous donc ? Le jeune homme, qui était sûr de son effet, déclara, en pesant sur chaque mot :

« Je viens de jeter bas le ministre des Affaires étrangères. L'autre crut qu'il plaisantait. « De jeter bas… Comment ?

– Je vais changer le cabinet. Voilà tout ! Il n'est pas trop tôt de chasser cette charogne. Le vieux, stupéfait, crut que son chroniqueur était gris. Il murmura :

« Voyons, vous déraisonnez.

– Pas du tout. Je viens de surprendre M. Laroche-Mathieu en flagrant délit d'adultère avec ma femme. Le commissaire de police a constaté la chose. Le ministre est foutu. Walter, interdit, releva tout à fait ses lunettes sur son front et demanda :

« Vous ne vous moquez pas de moi ?

– Pas du tout. Je vais même faire un écho là-dessus.

– Mais alors que voulez-vous ?

– Jeter bas ce fripon, ce misérable, ce malfaiteur public ! Georges posa son chapeau sur un fauteuil, puis ajouta :

« Gare à ceux que je trouve sur mon chemin. Je ne pardonne jamais. Le directeur hésitait encore à comprendre. Il murmura :

« Mais… votre femme ?

– Ma demande en divorce sera faite dès demain matin. Je la renvoie à feu Forestier.

– Vous voulez divorcer ?

– Parbleu. J'étais ridicule. Mais il me fallait faire la bête pour les surprendre. Ça y est. Je suis maître de la situation. M. Walter n'en revenait pas ; et il regardait Du Roy avec des yeux effarés, pensant : « Bigre. Ç'est un gaillard bon à ménager. Georges reprit :

« Me voici libre… J'ai une certaine fortune. Je me présenterai aux élections au renouvellement d'octobre, dans mon pays où je suis fort connu. Je ne pouvais pas me poser ni me faire respecter avec cette femme qui était suspecte à tout le monde. Elle m'avait pris comme un niais, elle m'avait enjôlé et capturé. Mais depuis que je savais son jeu, je la surveillais, la gredine. Il se mit à rire et ajouta :

« C'est ce pauvre Forestier qui était cocu… cocu sans s'en douter, confiant et tranquille. Me voici débarrassé de la teigne qu'il m'avait laissée. J'ai les mains déliées. Maintenant, j'irai loin. Il s'était mis à califourchon sur une chaise. Il répéta, comme s'il eût songé : « J'irai loin. Et le père Walter le regardait toujours de ses yeux découverts, ses lunettes restant relevées sur le front, et il se disait : « Oui, il ira loin, le gredin. Georges se releva :

« Je vais rédiger l'écho. Il faut le faire avec discrétion. Mais vous savez, il sera terrible pour le ministre. C'est un homme à la mer. On ne peut pas le repêcher. La Vie Française n'a plus d'intérêt à le ménager. Le vieux hésita quelques instants, puis il en prit son parti :

« Faites, dit-il, tant pis pour ceux qui se fichent dans ces pétrins-là.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 8 Bel Ami - Part 2 Chapter 8 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 8

– VIII – - VIII -

Pendant le reste de l'hiver, les Du Roy allèrent souvent chez les Walter. During the rest of the winter, the Du Roys often went to the Walter's. Georges même y dînait seul à tout instant, Madeleine se disant fatiguée et préférant rester chez elle. Georges himself dined alone at all times, Madeleine saying she was tired and preferring to stay at home.

Il avait adopté le vendredi comme jour fixe, et la Patronne n'invitait jamais personne ce soir-là ; il appartenait à Bel-Ami, rien qu'à lui. He had adopted Friday as a fixed day, and the Patronne never invited anyone that night; he belonged to Bel-Ami, just to him. Après dîner, on jouait aux cartes, on donnait à manger aux poissons chinois, on vivait et on s'amusait en famille. After dinner, we played cards, fed Chinese fish, lived and had fun with the family. Plusieurs fois, derrière une porte, derrière un massif de la serre, dans un coin sombre, Mme Walter avait saisi brusquement dans ses bras le jeune homme, et, le serrant de toute sa force sur sa poitrine, lui avait jeté dans l'oreille : « Je t'aime !… je t'aime !… je t'aime à en mourir ! Several times, behind a door, behind a hollow of the greenhouse, in a dark corner, Madame Walter had suddenly seized the young man in his arms, and, squeezing him with all his strength on his chest, had thrown into his ear : "I love you! ... I love you! ... I love you to death! » Mais toujours il l'avait repoussée froidement, en répondant d'un ton sec : « Si vous recommencez, je ne viendrai plus ici. Vers la fin de mars, on parla tout à coup du mariage des deux sœurs. Rose devait épouser disait-on, le comte de Latour-Yvelin, et Suzanne, le marquis de Cazolles. Rose was to marry the Comte de Latour-Yvelin, and Suzanne, the Marquis de Cazolles. Ces deux hommes étaient devenus des familiers de la maison, de ces familiers à qui on accorde des faveurs spéciales, des prérogatives sensibles. These two men had become familiar with the house, those familiar to whom special favors and sensitive prerogatives were granted.

Georges et Suzanne vivaient dans une sorte d'intimité fraternelle et libre, bavardaient pendant des heures, se moquaient de tout le monde et semblaient se plaire beaucoup ensemble. Georges and Suzanne lived in a kind of fraternal and free intimacy, chatted for hours, laughed at everyone and seemed to like each other a lot. Jamais ils n'avaient reparlé du mariage possible de la jeune fille, ni des prétendants qui se présentaient. Never had they spoken again of the possible marriage of the girl, nor pretenders who presented themselves. Comme le Patron avait emmené Du Roy pour déjeuner, un matin, Mme Walter, après le repas, fut appelée pour répondre à un fournisseur. As the Boss had taken Du Roy for breakfast one morning, after dinner Walter was called to answer a supplier. Et Georges dit à Suzanne : « Allons donner du pain aux poissons rouges. And George said to Suzanne: "Let's go give some bread to goldfish. Ils prirent chacun sur la table un gros morceau de mie et s'en allèrent dans la serre. They each took a large piece of bread on the table and went to the greenhouse. Tout le long de la vasque de marbre on laissait par terre des coussins afin qu'on pût se mettre à genoux autour du bassin, pour être plus près des bêtes nageantes. All along the marble basin, cushions were left on the ground so that one could kneel around the pool to be closer to the swimming animals. Les jeunes gens en prirent chacun un, côte à côte, et, penchés vers l'eau, commencèrent à jeter dedans des boulettes qu'ils roulaient entre leurs doigts. Les poissons, dès qu'ils les aperçurent, s'en vinrent, en remuant la queue, battant des nageoires, roulant leurs gros yeux saillants, tournant sur eux-mêmes, plongeant pour attraper la proie ronde qui s'enfonçait, et remontant aussitôt pour en demander une autre. The fish, as soon as they saw them, came, wagging their tail, flapping their fins, rolling their big projecting eyes, turning on themselves, plunging to catch the round prey which was sinking, and going back at once. to ask for another one. Ils avaient des mouvements drôles de la bouche, des élans brusques et rapides, une allure étrange de petits monstres ; et sur le sable d'or du fond ils se détachaient en rouge ardent, passant comme des flammes dans l'onde transparente, ou montrant, aussitôt qu'ils s'arrêtaient, le filet bleu qui bordait leurs écailles. They had funny movements of the mouth, quick and rapid jerks, a strange look of little monsters; and on the golden sand of the bottom they stood out in fiery red, passing like flames in the transparent wave, or showing, as soon as they stopped, the blue net which bordered their scales. Georges et Suzanne voyaient leurs propres figures renversées dans l'eau, et ils souriaient à leurs images. Tout à coup, il dit à voix basse :

« Ce n'est pas bien de me faire des cachotteries, Suzanne. "It's not good to be secretive, Suzanne. Elle demanda :

« Quoi donc, Bel-Ami ?

– Vous ne vous rappelez pas ce que vous m'avez promis, ici même, le soir de la fête ? – Mais non !

– De me consulter toutes les fois qu'on demanderait votre main. - To consult me whenever you ask for your hand. – Eh bien ?

– Eh bien, on l'a demandée. – Qui ça ?

– Vous le savez bien.

– Non. Je vous jure.

– Si, vous le savez ! Ce grand fat de marquis de Cazolles. This great fat marquis de Cazolles.

– Il n'est pas fat, d'abord. - It is not fat, first. – C'est possible ! mais il est stupide ; ruiné par le jeu et usé par la noce. but he is stupid; ruined by the game and worn out by the wedding. C'est vraiment un joli parti pour vous, si jolie, si fraîche, et si intelligente. It's really a nice party for you, so pretty, so fresh, and so smart. Elle demanda en souriant : She asked with a smile:

« Qu'est-ce que vous avez contre lui ? "What do you have against him? – Moi ? Rien.

– Mais si. Il n'est pas tout ce que vous dites. It's not all you say. – Allons donc. C'est un sot et un intrigant. He is a fool and an intriguer. Elle se tourna un peu, cessant de regarder dans l'eau : She turned a little, ceasing to look in the water: « Voyons, qu'est-ce que vous avez ? "Come on, what do you have? Il prononça, comme si on lui eût arraché un secret du fond du cœur. He pronounced, as if a secret had been wrenched from his heart.

« J'ai… j'ai… j'ai que je suis jaloux de lui. "I ... I ... I have that I'm jealous of him. Elle s'étonna modérément : She was surprised moderately: « Vous ?

– Oui, moi !

– Tiens. Pourquoi ça ?

– Parce que je suis amoureux de vous, et vous le savez bien, méchante ! - Because I am in love with you, and you know it well, nasty! Alors elle dit d'un ton sévère : So she said in a severe tone: « Vous êtes fou, Bel-Ami ! "You are crazy, Bel-Ami! Il reprit : He said :

« Je le sais bien que je suis fou. "I know that I'm crazy. Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous, une jeune fille ? Should I confess that to you, a married man, to you, a girl? Je suis plus que fou, je suis coupable, presque misérable. I am more than crazy, I am guilty, almost miserable. Je n'ai pas d'espoir possible, et je perds la raison à cette pensée. I have no hope, and I lose my mind in this thought. Et quand j'entends dire que vous allez vous marier, j'ai des accès de fureur à tuer quelqu'un. And when I hear you're getting married, I have fits of rage to kill someone. Il faut me pardonner ça, Suzanne ! I must forgive myself, Suzanne! Il se tut. He was silent. Les poissons à qui on ne jetait plus de pain demeuraient immobiles, rangés presque en lignes, pareils à des soldats anglais, et regardant les figures penchées de ces deux personnes qui ne s'occupaient plus d'eux. The fish, to whom no more bread was thrown, remained motionless, ranged almost in lines, like English soldiers, and looking at the leaning figures of these two persons who no longer cared for them. La jeune fille murmura, moitié tristement, moitié gaiement : The girl murmured, half sadly, half cheerfully:

« C'est dommage que vous soyez marié. "It's unfortunate that you are married. Que voulez-vous ? What do you want ?

On n'y peut rien. Nothing can be done. C'est fini ! It's finish ! Il se retourna brusquement vers elle, et il lui dit, tout près, dans la figure : He turned abruptly towards her, and said to him, very near, in the face:

« Si j'étais libre, moi, m'épouseriez-vous ? "If I were free, would you marry me? Elle répondit, avec un accent sincère : She replied, with a sincere accent:

« Oui, Bel-Ami, je vous épouserais, car vous me plaisez beaucoup plus que tous les autres. "Yes, Bel-Ami, I will marry you, for you please me much more than all the others. Il se leva, et balbutiant : He stood up, and stammering:

« Merci…, merci…, je vous en supplie, ne dites « oui « à personne ? "Thank you ..., thank you ..., I beg you, do not say" yes "to anyone? Attendez encore un peu. Wait a little longer. Je vous en supplie ! I beg you ! Me le promettez-vous ? Do you promise me? Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre ce qu'il voulait : She murmured, a little confused and without understanding what he wanted: « Je vous le promets. " I promise you. Du Roy jeta dans l'eau le gros morceau de pain qu'il tenait encore aux mains, et il s'enfuit, comme s'il eût perdu la tête, sans dire adieu. Du Roy threw in the water the big piece of bread which he still held in his hands, and he fled, as if he had lost his head, without saying goodbye. Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet de mie qui flottait n'ayant point été pétri par les doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces. All the fish threw themselves eagerly upon this pack of crumbs that had not been kneaded by the fingers, and they cut it up with their greedy mouths. Ils l'entraînaient à l'autre bout du bassin, s'agitaient au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante, une espèce de fleur animée et tournoyante, une fleur vivante, tombée à l'eau la tête en bas. They dragged him to the other end of the basin, moved below, now forming a moving cluster, a kind of animated and whirling flower, a living flower, fallen into the water upside down. Suzanne, surprise, inquiète, se redressa, et s'en revint tout doucement. Suzanne, surprised, anxious, straightened up, and came back slowly. Le journaliste était parti. The journalist was gone.

Il rentra chez lui, fort calme, et comme Madeleine écrivait des lettres, il lui demanda : He returned home, very calm, and as Madeleine wrote letters, he asked her:

« Dînes-tu vendredi chez les Walter ? "Do you dine on Friday at the Walter's? Moi, j'irai. I will go. Elle hésita : She hesitated:

« Non. " No. Je suis un peu souffrante. I am a little sick. J'aime mieux rester ici. I prefer to stay here. Il répondit : He answered :

« Comme il te plaira. "As you please. Personne ne te force. Nobody forces you. Puis il reprit son chapeau et ressortit aussitôt. Then he took his hat and went out immediately.

Depuis longtemps il l'épiait, la surveillait et la suivait, sachant toutes ses démarches. For a long time he had watched her, watched her, and followed her, knowing all her steps. L'heure qu'il attendait était enfin venue. The hour he was waiting for had finally come. Il ne s'était point trompé au ton dont elle avait répondu : « J'aime mieux rester ici. He was not mistaken in the tone of which she had replied: "I prefer to stay here. Il fut aimable pour elle pendant les jours qui suivirent. He was kind to her during the days that followed. Il parut même gai, ce qui ne lui était plus ordinaire. He even seemed gay, which was no longer ordinary. Elle disait : « Voilà que tu redeviens gentil. She said, "Now you're nice again. Il s'habilla de bonne heure le vendredi pour faire quelques courses avant d'aller chez le Patron, affirmait-il. He dressed early on Friday to do some shopping before going to the Boss, he said. Puis il partit vers six heures, après avoir embrassé sa femme, et il alla chercher un fiacre place Notre-Dame-de-Lorette. Then he left at about six o'clock, after kissing his wife, and went to fetch a cab from Notre-Dame-de-Lorette.

Il dit au cocher :

« Vous vous arrêterez en face du numéro 17, rue Fontaine, et vous resterez là jusqu'à ce que je vous donne l'ordre de vous en aller. "You will stop in front of number 17, Fontaine Street, and you will stay there until I order you to leave. Vous me conduirez ensuite au restaurant du Coq-Faisan, rue Lafayette. La voiture se mit en route au trot lent du cheval, et Du Roy baissa les stores. Dès qu'il fut en face de sa porte, il ne la quitta plus des yeux. As soon as he was in front of his door, he never left her eyes. Après dix minutes d'attente, il vit sortir Madeleine qui remonta vers les boulevards extérieurs. After ten minutes of waiting, he saw Madeleine coming out, who went back to the outer boulevards. Aussitôt qu'elle fut loin, il passa la tête « la portière, et il cria : As soon as she was far away, he put his head in the door, and he shouted: « Allez. Le fiacre se remit en marche, et le déposa devant le Coq-Faisan, restaurant bourgeois connu dans le quartier. The cab set off again, and set it down in front of the Cock-Pheasant, a well-known middle-class restaurant in the neighborhood. Georges entra dans la salle commune, et mangea doucement, en regardant l'heure à sa montre de temps en temps. George entered the common room, and ate slowly, looking at the clock from time to time. À sept heures et demie, comme il avait bu son café, pris deux verres de fine champagne et fumé, avec lenteur, un bon cigare, il sortit, héla une autre voiture qui passait à vide, et se fit conduire rue La Rochefoucauld. At half-past seven, as he had drunk his coffee, took two glasses of fine champagne, and slowly smoked a good cigar, he went out, hailed another car which was passing empty, and was driven to Rue La Rochefoucauld.

Il monta, sans rien demander au concierge, au troisième étage de la maison qu'il avait indiquée, et quand une bonne lui eut ouvert : He went upstairs, without asking the concierge, on the third floor of the house he had indicated, and when a servant had opened to him: « M. Guibert de Lorme est chez lui, n'est-ce pas ? "Monsieur Guibert de Lorme is at home, is not it? – Oui, monsieur. On le fit pénétrer dans le salon, où il attendit quelques instants. He was made to enter the salon, where he waited a few moments. Puis un homme entra, grand, décoré, avec l'air militaire, et portant des cheveux gris, bien qu'il fût jeune encore. Then a man entered, tall, decorated, with military air, and wearing gray hair, though he was still young. Du Roy le salua, puis lui dit :

« Comme je le prévoyais, monsieur le commissaire de police, ma femme dîne avec son amant dans le logement garni qu'ils ont loué rue des Martyrs. "As I expected, Mr. Police Commissioner, my wife dines with her lover in the lodgings they rented rue des Martyrs. Le magistrat s'inclina : The magistrate bowed: « Je suis à votre disposition, monsieur. Georges reprit :

« Vous avez jusqu'à neuf heures, n'est-ce pas ? "You have up to nine hours, do not you? Cette limite passée, vous ne pouvez plus pénétrer dans un domicile particulier pour y constater un adultère. This past limit, you can no longer enter a particular home to see adultery.

– Non, monsieur, sept heures en hiver, neuf heures à partir du 31 mars. "No, sir, seven o'clock in the winter, nine o'clock from the 31st of March. Nous sommes au 5 avril, nous avons donc jusqu'à neuf heures. We are at April 5, so we have until nine o'clock. – Eh bien, monsieur le commissaire, j'ai une voiture en bas, nous pouvons prendre les agents qui vous accompagneront, puis nous attendrons un peu devant la porte. - Well, Commissioner, I have a car downstairs, we can take the agents who will accompany you, then we will wait a little in front of the door. Plus nous arriverons tard, plus nous avons de chance de bien les surprendre en flagrant délit. The sooner we arrive, the more likely we are to surprise them in the act.

– Comme il vous plaira, monsieur. Le commissaire sortit, puis revint, vêtu d'un pardessus qui cachait sa ceinture tricolore. The commissioner went out, then came back, dressed in an overcoat that hid his tricolor belt. Il s'effaça pour laisser passer Du Roy. He faded to let Du Roy pass. Mais le journaliste, dont l'esprit était préoccupé, refusait de sortir le premier, et répétait : « Après vous… après vous. But the journalist, whose mind was preoccupied, refused to go out first, and repeated: "After you ... after you. Le magistrat prononça :

« Passez donc, monsieur, je suis chez moi. "Come on, sir, I am at home. L'autre, aussitôt, franchit la porte en saluant. The other immediately went through the door, bowing. Ils allèrent d'abord au commissariat chercher trois agents en bourgeois qui attendaient, car Georges avait prévenu dans la journée que la surprise aurait lieu ce soir-là. They went first to the police station to look for three agents in bourgeois who were waiting, because George had warned during the day that the surprise would take place that evening. Un des hommes monta sur le siège, à côté du cocher. One of the men got into the seat next to the coachman. Les deux autres entrèrent dans le fiacre, qui gagna la rue des Martyrs. The other two entered the cab, which reached the Rue des Martyrs.

Du Roy disait :

« J'ai le plan de l'appartement. "I have the plan of the apartment. C'est au second. It's on the second floor. Nous trouverons d'abord un petit vestibule, puis la chambre à coucher. We will first find a small vestibule, then the bedroom. Les trois pièces se commandent. The three pieces are ordered. Aucune sortie ne peut faciliter la fuite. No exit can facilitate the escape. Il y a un serrurier un peu plus loin. There is a locksmith a little further. Il se tiendra prêt à être réquisitionné par vous. He will stand ready to be requisitioned by you. Quand ils furent devant la maison indiquée, il n'était encore que huit heures un quart, et ils attendirent en silence pendant plus de vingt minutes. When they were in front of the indicated house, it was still a quarter past eight, and they waited in silence for more than twenty minutes. Mais lorsqu'il vit que les trois quarts allaient sonner, Georges dit : « Allons maintenant. But when he saw that three quarters were going to ring, George said, "Come now. » Et ils montèrent l'escalier sans s'occuper du portier, qui ne les remarqua point, d'ailleurs. And they went upstairs without taking care of the porter, who did not notice them, moreover. Un des agents demeura dans la rue pour surveiller la sortie. One of the agents remained in the street to watch the exit.

Les quatre hommes s'arrêtèrent au second étage, et Du Roy colla d'abord son oreille contre la porte, puis son œil au trou de la serrure. The four men stopped on the second floor, and Du Roy first glued his ear to the door, then his eye to the keyhole. Il n'entendit rien et ne vit rien. He heard nothing and saw nothing. Il sonna. He rang.

Le commissaire dit à ses agents : The commissioner tells his agents:

« Vous resterez ici, prêts à tout appel. "You'll stay here, ready for any call. Et ils attendirent. And they waited. Au bout de deux ou trois minutes Georges tira de nouveau le bouton du timbre plusieurs fois de suite. At the end of two or three minutes George pulled the button of the stamp again several times. Ils perçurent un bruit au fond de l'appartement ; puis un pas léger s'approcha. They heard a noise in the back of the apartment; then a slight step approached. Quelqu'un venait épier. Someone came to watch. Le journaliste alors frappa vivement avec son doigt plié contre le bois des panneaux. The journalist then struck hard with his finger bent against the wood of the panels.

Une voix, une voix de femme, qu'on cherchait à déguiser, demanda : A voice, a woman's voice, which one sought to disguise, asked: « Qui est là ? " Who is here ? L'officier municipal répondit : The municipal officer replied: « Ouvrez, au nom de la loi. "Open, in the name of the law. La voix répéta : The voice repeated:

« Qui êtes-vous ? " Who are you ?

– Je suis le commissaire de police. - I am the police commissioner. Ouvrez, ou je fais forcer la porte. Open, or I force the door open. La voix reprit : The voice went on:

« Que voulez-vous ? " What do you want ?

Et Du Roy dit : And Du Roy says:

C'est moi. It's me. Il est inutile de chercher à nous échapper. Le pas léger, un pas de pieds nus, s'éloigna, puis revint au bout de quelques secondes. The light step, a step of barefoot, went away, then returned after a few seconds. Georges dit : George says:

Si vous ne voulez pas ouvrir, nous enfonçons la porte. If you do not want to open, we drive the door. Il serrait la poignée de cuivre, et d'une épaule il poussait lentement. He was clutching the copper handle, and with one shoulder he was pushing slowly. Comme on ne répondait plus, il donna tout à coup une secousse si violente et si vigoureuse que la vieille serrure de cette maison meublée céda. As they were no longer answered, he suddenly gave a shock so violent and vigorous that the old lock of this furnished house yielded. Les vis arrachées sortirent du bois et le jeune homme faillit tomber sur Madeleine qui se tenait debout dans l'antichambre, vêtue d'une chemise et d'un jupon, les cheveux défaits, les jambes dévêtues, une bougie à la main. The screws torn out of the woods and the young man almost fell on Madeleine who was standing in the antechamber, dressed in a shirt and petticoat, her hair undone, her legs stripped, a candle in her hand. Il s'écria : C'est elle, nous les tenons. He exclaimed: It is she, we hold them. » Et il se jeta dans l'appartement. And he threw himself into the apartment. Le commissaire ayant ôté son chapeau, le suivit. The Commissioner having taken off his hat, followed him. Et la jeune femme effarée s'en vint derrière eux en les éclairant. And the frightened young woman came up behind them, lighting them up. Ils traversèrent une salle à manger dont la table non desservie montrait les restes du repas : des bouteilles à champagne vides, une terrine de foies gras ouverte, une carcasse de poulet et des morceaux de pain à moitié mangés. They passed through a dining room whose unserved table showed the remains of the meal: empty champagne bottles, an open foie gras terrine, a chicken carcass, and half-eaten pieces of bread. Deux assiettes posées sur le dressoir portaient des piles d'écailles d'huîtres. Two plates resting on the dresser carried piles of oyster scales. La chambre semblait ravagée par une lutte. The room seemed ravaged by a struggle. Une robe coiffait une chaise, une culotte d'homme restait à cheval sur le bras d'un fauteuil. A dress was wearing a chair, a man's breeches was straddling the arm of an armchair. Quatre bottines, deux grandes et deux petites, traînaient au pied du lit, tombées sur le flanc. Four boots, two large and two small, were lying at the foot of the bed, fallen on their sides.

C'était une chambre de maison garnie, aux meubles communs, où flottait cette odeur odieuse et fade des appartements d'hôtel, odeur émanée des rideaux, des matelas, des murs, des sièges, odeur de toutes les personnes qui avaient couché ou vécu, un jour ou six mois, dans ce logis public, et laissé là un peu de leur senteur, de cette senteur humaine qui, s'ajoutant à celle des devanciers, formait à la longue une puanteur confuse, douce et intolérable, la même dans tous ces lieux. It was a room of furnished house, with common furniture, where floated the odious odor and fade of the hotel apartments, smell emanated from the curtains, mattresses, walls, seats, smell of all the people who had slept or lived for a day or six months, in this public dwelling, and left there a little of their scent, of that human scent which, adding to that of the predecessors, formed in the long run a confused, sweet and intolerable stench, the same in all these places. Une assiette à gâteaux, une bouteille de chartreuse et deux petits verres encore à moitié pleins encombraient la cheminée. A plate of cakes, a bottle of chartreuse and two small glasses still half full encumbered the chimney. Le sujet de la pendule de bronze était caché par un grand chapeau d'homme. The subject of the bronze clock was hidden by a large man's hat. Le commissaire se retourna vivement, et regardant Madeleine dans les yeux : The commissioner turned quickly, and looking at Madeleine in the eyes:

« Vous êtes bien Mme Claire-Madeleine Du Roy, épouse légitime de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, ici présent ? "You are Mrs. Claire-Madeleine Du Roy, legitimate wife of Mr. Prosper-Georges Du Roy, publicist, here present? Elle articula, d'une voix étranglée : She said, in a strangled voice: « Oui, monsieur. " Yes sir.

– Que faites-vous ici ? - What are you doing here ? Elle ne répondit pas. She did not answer.

Le magistrat reprit : « Que faites-vous ici ? The magistrate continued, "What are you doing here? Je vous trouve hors de chez vous, presque dévêtue dans un appartement meublé. I find you out of your home, almost undressed in a furnished apartment. Qu'êtes-vous venue y faire ? What did you come to do there? Il attendit quelques instants. He waited a few moments. Puis, comme elle gardait toujours le silence : Then, as she always kept silent:

– Du moment que vous ne voulez pas l'avouer, madame, je vais être contraint de le constater. "As long as you do not want to admit it, ma'am, I will be forced to see it. On voyait dans le lit la forme d'un corps caché sous le drap. The bed was like a body hidden under the sheet. Le commissaire s'approcha et appela : The commissioner approached and called: « Monsieur ? "Sir? L'homme caché ne remua pas. The hidden man did not stir. Il paraissait tourner le dos, la tête enfoncée sous un oreiller. He seemed to turn his back, his head buried under a pillow.

L'officier toucha ce qui semblait être l'épaule, et répéta : « Monsieur, ne me forcez pas, je vous prie, à des actes. The officer touched what appeared to be the shoulder, and repeated: "Sir, do not force me, I pray you, to acts. Mais le corps voilé demeurait aussi immobile que s'il eût été mort. But the veiled body remained as motionless as if it had been dead. Du Roy, qui s'était avancé vivement, saisit la couverture, la tira et, arrachant l'oreiller, découvrit la figure livide de M. Laroche-Mathieu. Du Roy, who had advanced rapidly, seized the blanket, pulled it, and, tearing off the pillow, discovered the livid face of M. Laroche-Mathieu. Il se pencha vers lui et, frémissant de l'envie de le saisir au cou pour l'étrangler, il lui dit, les dents serrées : He leaned toward him and, quivering with the urge to grab him by the neck to strangle him, he said to her, teeth clenched: « Ayez donc au moins le courage de votre infamie. "Have at least the courage of your infamy. Le magistrat demanda encore : The magistrate asked again:

« Qui êtes-vous ? " Who are you ?

» L'amant, éperdu, ne répondant pas, il reprit : The lover, bewildered, not answering, he continued: « Je suis commissaire de police et je vous somme de me dire votre nom ! "I am police commissioner and I am summoning you to tell me your name! Georges, qu'une colère bestiale faisait trembler, cria : Georges, whom a bestial anger shook, shouted: « Mais répondez donc, lâche, ou je vais vous nommer, moi. "But answer, coward, or I will name you. Alors l'homme couché balbutia : Then the lying man stammered: « Monsieur le commissaire, vous ne devez pas me laisser insulter par cet individu. "Commissioner, you must not let me be insulted by this individual. Est-ce à vous ou à lui que j'ai affaire ? Is it you or him that I'm dealing with? Est-ce à vous ou à lui que je dois répondre ? Is it to you or to him that I must answer? Il paraissait n'avoir plus de salive dans la bouche. He seemed to have no more saliva in his mouth. L'officier répondit : The officer replied: « C'est à moi, monsieur, à moi seul. "It's mine, sir, to me alone. Je vous demande qui vous êtes ? I'm asking you who you are? L'autre se tut. The other was silent. Il tenait le drap serré contre son cou et roulait des yeux effarés. He held the sheet tight against his neck and rolled his frightened eyes. Ses petites moustaches retroussées semblaient toutes noires sur sa figure blême. His little turned-up mustaches seemed all black on his pale face.

Le commissaire reprit : The commissioner went on:

« Vous ne voulez pas répondre ? Alors je serai forcé de vous arrêter. Dans tous les cas, levez-vous. Je vous interrogerai lorsque vous serez vêtu. Le corps s'agita dans le lit, et la tête murmura : « Mais je ne peux pas devant vous. "But I can not in front of you. Le magistrat demanda :

« Pourquoi ça ? L'autre balbutia : C'est que je suis… je suis… je suis tout nu. Du Roy se mit à ricaner, et ramassant une chemise tombée à terre, il la jeta sur la couche en criant : Du Roy sneered, and picking up a shirt that had fallen to the ground, he threw it on the bed, crying:

« Allons donc… levez-vous… Puisque vous vous êtes déshabillé devant ma femme, vous pouvez bien vous habiller devant moi. "Come on ... get up ... Since you undressed in front of my wife, you can dress in front of me. Puis il tourna le dos et revint vers la cheminée. Then he turned his back and came back to the fireplace.

Madeleine avait retrouvé son sang-froid, et voyant tout perdu, elle était prête à tout oser. Madeleine had regained her composure, and seeing everything lost, she was ready to dare everything. Une audace de bravade faisait briller son œil ; et, roulant un morceau de papier, elle alluma, comme pour une réception, les dix bougies des vilains candélabres posés au coin de la cheminée. An audacity of bravado made his eye shine; and, rolling a piece of paper, she lit, as if for a reception, the ten candles of the ugly candelabra placed at the corner of the fireplace. Puis elle s'adossa au marbre et tendant au feu mourant un de ses pieds nus, qui soulevait par derrière son jupon à peine arrêté sur les hanches, elle prit une cigarette dans un étui de papier rose, l'enflamma et se mit à fumer. Then she leaned against the marble and with one of her bare feet stretching to the dying fire, who lifted her petticoat from her hips just behind her hips, took a cigarette from a pink paper case, set it on fire and began to smoke. . Le commissaire était revenu vers elle, attendant que son complice fût debout. The commissioner had returned to her, waiting for his accomplice to stand up.

Elle demanda avec insolence : She insolently asked:

« Vous faites souvent ce métier-là, monsieur ? "Do you often do that job, sir? Il répondit gravement : He replied gravely:

« Le moins possible, madame. "As little as possible, ma'am. Elle lui souriait sous le nez : She smiled under his nose:

« Je vous en félicite, ça n'est pas propre. "I congratulate you, it's not clean. Elle affectait de ne pas regarder, de ne pas voir son mari. She affected not to look, not to see her husband.

Mais le monsieur du lit s'habillait. But the gentleman of the bed was getting dressed. Il avait passé son pantalon, chaussé ses bottines et il se rapprocha, en endossant son gilet. He had put on his pants, put on his boots and he came closer, donning his waistcoat.

L'officier de police se tourna vers lui : « Maintenant, monsieur, voulez-vous me dire qui vous êtes ? L'autre ne répondit pas. Le commissaire prononça :

« Je me vois forcé de vous arrêter. Alors l'homme s'écria brusquement : « Ne me touchez pas. Je suis inviolable ! I am inviolable! Du Roy s'élança vers lui, comme pour le terrasser, et il lui grogna dans la figure : Du Roy rushed towards him, as if to defeat him, and he grunted in his face: « II y a flagrant délit… flagrant délit. "There is flagrant crime ... flagrante delicto. Je peux vous faire arrêter, si je veux… oui, je le peux. I can make you stop, if I want ... yes, I can. Puis, d'un ton vibrant : Then, in a vibrant tone: « Cet homme s'appelle Laroche-Mathieu, ministre des Affaires étrangères. "This man's name is Laroche-Mathieu, Minister of Foreign Affairs. Le commissaire de police recula stupéfait, et balbutiant : The police commissioner recoiled stupefiedly, and stammering:

« En vérité, monsieur, voulez-vous me dire qui vous êtes, à la fin ? "In truth, sir, will you tell me who you are, in the end? L'homme se décida, et avec force : The man decided, and with force: « Pour une fois, ce misérable-là n'a point menti. "For once, this wretch did not lie. Je me nomme, en effet, Laroche-Mathieu, ministre. I am named, in fact, Laroche-Mathieu, Minister. Puis tendant le bras vers la poitrine de Georges, où apparaissait comme une lueur, un petit point rouge, il ajouta : Then extending his arm to George's chest, where a little red dot appeared, he added:

« Et le gredin que voici porte sur son habit la croix d'honneur que je lui ai donnée. "And this rascal wears on his coat the cross of honor that I gave him. Du Roy était devenu livide. Du Roy had become livid. D'un geste rapide, il arracha de sa boutonnière la courte flamme de ruban, et, la jetant dans la cheminée : With a quick gesture, he tore off the short ribbon flame from his buttonhole, and throwing it into the fireplace: « Voilà ce que vaut une décoration qui vient de salops de votre espèce. "That's what a decoration that comes from salops of your kind is worth. Ils étaient face à face, les dents près des dents, exaspérés, les poings serrés, l'un maigre et la moustache au vent, l'autre gras et la moustache en croc. They were face to face, their teeth close to their teeth, exasperated, their fists clenched, one lean and mustache in the wind, the other fat and the mustache in a hook. Le commissaire passa vivement entre les deux et, les écartant avec ses mains : The commissioner passed quickly between the two and spreading them with his hands:

« Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité ! "Gentlemen, you forget yourself, you lack dignity! Ils se turent et se tournèrent les talons. They were silent and turned on their heels. Madeleine, immobile, fumait toujours, en souriant. Madeleine, still, was still smoking, smiling.

L'officier de police reprit : The police officer continued: – « Monsieur le ministre, je vous ai surpris, seul avec Mme Du Roy, que voici, vous couché, elle presque nue. "Monsieur le Ministre, I have surprised you, alone with Madame Du Roy, who is lying in bed, almost naked. Vos vêtements étant jetés pêle-mêle à travers l'appartement, cela constitue un flagrant délit d'adultère. Your clothes being thrown pell-mell through the apartment, this is a flagrant offense of adultery. Vous ne pouvez nier l'évidence. You can not deny the obvious. Qu'avez-vous à répondre ? What do you have to answer? Laroche-Mathieu murmura : Laroche-Mathieu murmured:

« Je n'ai rien à dire, faites votre devoir. "I have nothing to say, do your duty. Le commissaire s'adressa à Madeleine : The commissioner spoke to Madeleine: « Avouez-vous, madame, que monsieur soit votre amant ? "Do you admit, madame, that monsieur is your lover? Elle prononça crânement : She pronounced craniumily:

« Je ne le nie pas, il est mon amant ! "I do not deny it, he is my lover!

– Cela suffit, » - It's enough, "

Puis le magistrat prit quelques notes sur l'état et la disposition du logis. Then the magistrate took some notes on the state and disposition of the house. Comme il finissait d'écrire, le ministre qui avait achevé de s'habiller et qui attendait, le paletot sur le bras, le chapeau à la main, demanda : As he finished writing, the minister who had finished dressing and was waiting, his overcoat on his arm, his hat in his hand, asked: « Avez-vous encore besoin de moi, monsieur ? Que dois-je faire ? Puis-je me retirer ? Can I retire? Du Roy se retourna vers lui et souriant avec insolence : Du Roy turned to him and smiled insolently:

« Pourquoi donc ? " Why is that ? Nous avons fini. We are finished. Vous pouvez vous recoucher, monsieur ; nous allons vous laisser seuls. You can go back to bed, sir; we will leave you alone. Et posant le doigt sur le bras de l'officier de police : And laying a finger on the officer's arm: « Retirons-nous, monsieur le commissaire, nous n'avons plus rien à faire en ce lieu. "Withdraw, Commissioner, we have nothing to do in this place. Un peu surpris, le magistrat le suivit ; mais, sur le seuil de la chambre, Georges s'arrêta pour le laisser passer. A little surprised, the magistrate followed him; but on the threshold of the room Georges stopped to let him pass. L'autre s'y refusait par cérémonie. The other refused by ceremony. Du Roy insistait : « Passez donc, monsieur. Du Roy insisted: "Go on, monsieur. » Le commissaire dit : « Après vous. The commissioner says, "After you. » Alors le journaliste salua, et sur le ton d'une politesse ironique : « C'est votre tour, monsieur le commissaire de police. Then the journalist bowed, and in a tone of ironic politeness: "It's your turn, Mr. Police Commissioner. Je suis presque chez moi, ici. I'm almost at home here. Puis il referma la porte doucement, avec un air de discrétion. Then he closed the door softly, with an air of discretion.

Une heure plus tard, Georges Du Roy entrait dans les bureaux de La Vie Française . An hour later, Georges Du Roy entered the offices of La Vie Francaise.

M. Walter était déjà là, car il continuait à diriger et à surveiller avec sollicitude son journal qui avait pris une extension énorme et qui favorisait beaucoup les opérations grandissantes de sa banque. Mr. Walter was already there, for he continued to supervise and watch his newspaper, which had grown enormously and greatly favored the growing operations of his bank.

Le directeur leva la tête et demanda : The director raised his head and asked:

« Tiens, vous voici ? "Here you are? Vous semblez tout drôle ! You seem so funny! Pourquoi n'êtes-vous pas venu dîner à la maison ? Why did not you come to dine at home? D'où sortez-vous donc ? Where are you from? Le jeune homme, qui était sûr de son effet, déclara, en pesant sur chaque mot : The young man, who was sure of his effect, declared, weighing on every word:

« Je viens de jeter bas le ministre des Affaires étrangères. "I have just cast the Minister of Foreign Affairs. L'autre crut qu'il plaisantait. The other thought he was joking. « De jeter bas… Comment ?

– Je vais changer le cabinet. Voilà tout ! Il n'est pas trop tôt de chasser cette charogne. It is not too early to hunt this carrion. Le vieux, stupéfait, crut que son chroniqueur était gris. The old man, stupefied, thought his columnist was gray. Il murmura :

« Voyons, vous déraisonnez. "Come on, you're nonsense.

– Pas du tout. - Not at all. Je viens de surprendre M. Laroche-Mathieu en flagrant délit d'adultère avec ma femme. I just surprised Mr. Laroche-Mathieu in the act of adultery with my wife. Le commissaire de police a constaté la chose. The police commissioner found this. Le ministre est foutu. The minister is done. Walter, interdit, releva tout à fait ses lunettes sur son front et demanda : Walter, forbidden, raised his glasses on his forehead and asked:

« Vous ne vous moquez pas de moi ? "Do not you make fun of me?

– Pas du tout. - Not at all. Je vais même faire un écho là-dessus. I will even echo that.

– Mais alors que voulez-vous ? - But what do you want?

– Jeter bas ce fripon, ce misérable, ce malfaiteur public ! - Throw down this rascal, this wretch, this public perpetrator! Georges posa son chapeau sur un fauteuil, puis ajouta : George put his hat on an armchair, then added:

« Gare à ceux que je trouve sur mon chemin. "Beware of those I find on my way. Je ne pardonne jamais. I never forgive. Le directeur hésitait encore à comprendre. The director still hesitated to understand. Il murmura : He murmured:

« Mais… votre femme ? "But ... your wife?

– Ma demande en divorce sera faite dès demain matin. - My petition for divorce will be made tomorrow morning. Je la renvoie à feu Forestier. I refer it to the late Forestier.

– Vous voulez divorcer ? - You want to divorce?

– Parbleu. - Parbleu. J'étais ridicule. I was ridiculous. Mais il me fallait faire la bête pour les surprendre. But I had to do the beast to surprise them. Ça y est. That's it. Je suis maître de la situation. I am in control of the situation. M. Walter n'en revenait pas ; et il regardait Du Roy avec des yeux effarés, pensant : « Bigre. Mr. Walter could not believe it; and he looked at Du Roy with frightened eyes, thinking: "Bigre. Ç'est un gaillard bon à ménager. He is a good fellow to spare. Georges reprit : George continued:

« Me voici libre… J'ai une certaine fortune. "Here I am free ... I have a certain fortune. Je me présenterai aux élections au renouvellement d'octobre, dans mon pays où je suis fort connu. I will run for the October renewal elections, in my country where I am well known. Je ne pouvais pas me poser ni me faire respecter avec cette femme qui était suspecte à tout le monde. I could not ask myself or be respected by this woman who was suspicious of everyone. Elle m'avait pris comme un niais, elle m'avait enjôlé et capturé. She had taken me like a fool, she had joked and captured me. Mais depuis que je savais son jeu, je la surveillais, la gredine. But since I knew her game, I watched her, the rogue. Il se mit à rire et ajouta : He laughed and added:

« C'est ce pauvre Forestier qui était cocu… cocu sans s'en douter, confiant et tranquille. "It is poor Forestier who was cuckold ... cuckold without suspecting it, confident and quiet. Me voici débarrassé de la teigne qu'il m'avait laissée. Here I am rid of the ringworm he had left me. J'ai les mains déliées. My hands are untied. Maintenant, j'irai loin. Now, I'll go far. Il s'était mis à califourchon sur une chaise. He had straddled on a chair. Il répéta, comme s'il eût songé : « J'irai loin. Et le père Walter le regardait toujours de ses yeux découverts, ses lunettes restant relevées sur le front, et il se disait : « Oui, il ira loin, le gredin. And Father Walter was still staring at him with his eyes uncovered, his glasses resting on his forehead, and he said to himself, "Yes, he will go far, the rascal. Georges se releva :

« Je vais rédiger l'écho. "I will write the echo. Il faut le faire avec discrétion. It must be done with discretion. Mais vous savez, il sera terrible pour le ministre. But you know, it will be terrible for the minister. C'est un homme à la mer. He is a man at the sea. On ne peut pas le repêcher. We can not fish it. La Vie Française n'a plus d'intérêt à le ménager. French life no longer has an interest in helping it. Le vieux hésita quelques instants, puis il en prit son parti : The old man hesitated a few moments, then he made up his mind:

« Faites, dit-il, tant pis pour ceux qui se fichent dans ces pétrins-là. "Do," said he, "so much the worse for those who do not care.