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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 7

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 7

– VII –

Depuis deux mois la conquête du Maroc était accomplie. La France, maîtresse de Tanger, possédait toute la côte africaine de la Méditerranée jusqu'à la régence de Tripoli, et elle avait garanti la dette du nouveau pays annexé. On disait que deux ministres gagnaient là une vingtaine de millions, et on citait, presque tout haut, Laroche-Mathieu.

Quand à Walter, personne dans Paris n'ignorait qu'il avait fait coup double et encaissé de trente à quarante millions sur l'emprunt, et de huit à dix millions sur des mines de cuivre et de fer, ainsi que sur d'immenses terrains achetés pour rien avant la conquête et revendus le lendemain de l'occupation française à des compagnies de colonisation. Il était devenu, en quelques jours, un des maîtres du monde, un de ces financiers omnipotents, plus forts que des rois, qui font courber les têtes, balbutier les bouches et sortir tout ce qu'il y a de bassesse, de lâcheté et d'envie au fond du cœur humain. Il n'était plus le juif Walter, patron d'une banque louche, directeur d'un journal suspect, député soupçonné de tripotages véreux. Il était Monsieur Walter, le riche Israélite.

Il le voulut montrer.

Sachant la gêne du prince de Carlsbourg qui possédait un des plus beaux hôtels de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec jardin sur les Champs-Élysées, il lui proposa d'acheter, en vingt-quatre heures, cet immeuble, avec ses meubles, sans changer de place un fauteuil. Il en offrait trois millions. Le prince, tenté par la somme, accepta.

Le lendemain, Walter s'installait dans son nouveau domicile. Alors il eut une autre idée, une véritable idée de conquérant qui veut prendre Paris, une idée à la Bonaparte.

Toute la ville allait voir en ce moment un grand tableau du peintre hongrois Karl Marcowitch, exposé chez l'expert Jacques Lenoble, et représentant le Christ marchant sur les flots. Les critiques d'art, enthousiasmés, déclaraient cette toile le plus magnifique chef-d'œuvre du siècle. Walter l'acheta cinq cent mille francs et l'enleva, coupant ainsi du jour au lendemain le courant établi de la curiosité publique et forçant Paris entier à parler de lui pour l'envier, le blâmer ou l'approuver. Puis, il fit annoncer par les journaux qu'il inviterait tous les gens connus dans la société parisienne à contempler, chez lui, un soir, l'œuvre magistrale du maître étranger, afin qu'on ne pût pas dire qu'il avait séquestré une œuvre d'art. Sa maison serait ouverte. Y viendrait qui voudrait. Il suffirait de montrer à la porte la lettre de convocation.

Elle était rédigée ainsi : « Monsieur et Madame Walter vous prient de leur faire l'honneur de venir voir chez eux, le 30 décembre, de neuf heures à minuit, la toile de Karl Marcowitch : Jésus marchant sur les flots, éclairée à « la lumière électrique ». Puis, en post-scriptum, en toutes petites lettres, on pouvait lire : « On dansera après minuit. Donc, ceux qui voudraient rester resteraient, et parmi ceux-là les Walter recruteraient leurs connaissances du lendemain.

Les autres regarderaient la toile, l'hôtel et les propriétaires, avec une curiosité mondaine, insolente ou indifférente, puis s'en iraient comme ils étaient venus. Et le père Walter savait bien qu'ils reviendraient, plus tard, comme ils étaient allés chez ses frères israélites devenus riches comme lui. Il fallait d'abord qu'ils entrassent dans sa maison, tous les pannés titrés qu'on cite dans les feuilles ; et ils y entreraient pour voir la figure d'un homme qui a gagné cinquante millions en six semaines ; ils y entreraient aussi pour voir et compter ceux qui viendraient là ; ils y entreraient encore parce qu'il avait eu le bon goût et l'adresse de les appeler à admirer un tableau chrétien chez lui, fils d'Israël. Il semblait leur dire : « Voyez, j'ai payé cinq cent mille francs le chef-d'œuvre religieux de Marcowitch, Jésus marchant sur les flots. Et ce chef-d'œuvre demeurera chez moi, sous mes yeux, toujours, dans la maison du juif Walter. Dans le monde, dans le monde des duchesses et du Jockey, on avait beaucoup discuté cette invitation qui n'engageait à rien, en somme. On irait là comme on allait voir des aquarelles chez M. Petit. Les Walter possédaient un chef-d'œuvre ; ils ouvraient leurs portes un soir pour que tout le monde pût l'admirer. Rien de mieux.

La Vie Française , depuis quinze jours, faisait chaque matin un écho sur cette soirée du 30 décembre et s'efforçait d'allumer la curiosité publique. Du Roy rageait du triomphe du Patron.

Il s'était cru riche avec les cinq cent mille francs extorqués à sa femme, et maintenant il se jugeait pauvre, affreusement pauvre, en comparant sa piètre fortune à la pluie de millions tombée autour de lui, sans qu'il eût su en rien ramasser. Sa colère envieuse augmentait chaque jour. Il en voulait à tout le monde, aux Walter qu'il n'avait plus été voir chez eux, à sa femme qui, trompée par Laroche, lui avait déconseillé de prendre des fonds marocains, et il en voulait surtout au ministre qui l'avait joué, qui s'était servi de lui et qui dînait à sa table deux fois par semaine ; Georges lui servait de secrétaire, d'agent, de porte-plume, et quand il écrivait sous sa dictée, il se sentait des envies folles d'étrangler ce bellâtre triomphant. Comme ministre, Laroche avait le succès modeste, et pour garder son portefeuille, il ne laissait point deviner qu'il était gonflé d'or. Mais Du Roy le sentait, cet or, dans la parole plus hautaine de l'avocat parvenu, dans son geste plus insolent, dans ses affirmations plus hardies, dans sa confiance en lui complète. Laroche régnait, maintenant, dans la maison Du Roy, ayant pris la place et les jours du comte de Vaudrec, et parlant aux domestiques ainsi qu'aurait fait un second maître. Georges le tolérait en frémissant, comme un chien qui veut mordre et n'ose pas. Mais il était souvent dur et brutal pour Madeleine, qui haussait les épaules et le traitait en enfant maladroit. Elle s'étonnait d'ailleurs de sa constante mauvaise humeur et répétait : « Je ne te comprends pas. Tu es toujours à te plaindre. Ta position est pourtant superbe. Il tournait le dos et ne répondait rien.

Il avait déclaré d'abord qu'il n'irait point à la fête du Patron, et qu'il ne voulait plus mettre les pieds chez ce sale juif. Depuis deux mois, Mme Walter lui écrivait chaque jour pour le supplier de venir, de lui donner un rendez-vous où il lui plairait, afin qu'elle lui remît, disait-elle, les soixante-dix mille francs qu'elle avait gagnés pour lui. Il ne répondait pas et jetait au feu ces lettres désespérées. Non pas qu'il eût renoncé à recevoir sa part de leur bénéfice, mais il voulait l'affoler, la traiter par le mépris, la fouler aux pieds. Elle était trop riche ! Il voulait se montrer fier.

Le jour même de l'exposition du tableau, comme Madeleine lui représentait qu'il avait grand tort de n'y vouloir pas aller, il répondit : Fiche-moi la paix. Je reste chez moi. Puis, après le dîner, il déclara tout à coup :

« Il vaut tout de même mieux subir cette corvée. Prépare-toi vite. Elle s'y attendait. « Je serai prête dans un quart d'heure », dit-elle. Il s'habilla en grognant, et même dans le fiacre il continua à expectorer sa bile. La cour d'honneur de l'hôtel de Carlsbourg était illuminée par quatre globes électriques qui avaient l'air de quatre petites lunes bleuâtres, aux quatre coins. Un magnifique tapis descendait les degrés du haut perron et, sur chacun, un homme en livrée restait roide comme une statue.

Du Roy murmura :

« En voilà de l'épate. Il levait les épaules, le cœur crispé de jalousie.

Sa femme lui dit :

« Tais-toi donc et fais-en autant. Ils entrèrent et remirent leurs lourds vêtements de sortie aux valets de pied qui s'avancèrent. Plusieurs femmes étaient là avec leurs maris, se débarrassaient aussi de leurs fourrures. On entendait murmurer : « C'est fort beau ! fort beau ! Le vestibule énorme était tendu de tapisseries qui représentaient l'aventure de Mars et de Vénus. À droite et à gauche partaient les deux bras d'un escalier monumental, qui se rejoignaient au premier étage. La rampe était une merveille de fer forgé, dont la vieille dorure éteinte faisait courir une lueur discrète le long des marches de marbre rouge.

À l'entrée des salons, deux petites filles, habillées l'une en folie rose, et l'autre en folie bleue, offraient des bouquets aux dames. On trouvait cela charmant.

Il y avait déjà foule dans les salons.

La plupart des femmes étaient en toilette de ville pour bien indiquer qu'elles venaient là comme elles allaient à toutes les expositions particulières. Celles qui comptaient rester au bal avaient les bras et la gorge nus.

Mme Walter, entourée d'amies, se tenait dans la seconde pièce, et répondait aux saluts des visiteurs. Beaucoup ne la connaissaient point et se promenaient comme dans un musée, sans s'occuper des maîtres du logis. Quand elle aperçut Du Roy, elle devint livide et fit un mouvement pour aller à lui. Puis elle demeura immobile, l'attendant. Il la salua avec cérémonie, tandis que Madeleine l'accablait de tendresses et de compliments. Alors Georges laissa sa femme auprès de la Patronne ; et il se perdit au milieu du public pour écouter les choses malveillantes qu'on devait dire, assurément. Cinq salons se suivaient, tendus d'étoffes précieuses, de broderies italiennes ou de tapis d'Orient de nuances et de styles différents, et portant sur leurs murailles des tableaux de maîtres anciens. On s'arrêtait surtout pour admirer une petite pièce Louis XVI, une sorte de boudoir tout capitonné en soie à bouquets roses sur un fond bleu pâle. Les meubles bas, en bois doré, couverts d'étoffe pareille à celle des murs, étaient d'une admirable finesse. Georges reconnaissait des gens célèbres, la duchesse de Terracine, le comte et la comtesse de Ravenel, le général prince d'Andremont, la toute belle marquise des Dunes, puis tous ceux et toutes celles qu'on voit aux premières représentations. On le saisit par le bras et une voix jeune, une voix heureuse lui murmura dans l'oreille : « Ah ! vous voilà enfin, méchant Bel-Ami. Pourquoi ne vous voit-on plus ? C'était Suzanne Walter le regardant avec ses yeux d'émail fin, sous le nuage frisé de ses cheveux blonds. Il fut enchanté de la revoir et lui serra franchement la main. Puis s'excusant : « Je n'ai pas pu. J'ai eu tant à faire, depuis deux mois, que je ne suis pas sorti. Elle reprit d'un air sérieux : « C'est mal, très mal, très mal. Vous nous faites beaucoup de peine, car nous vous adorons, maman et moi. Quant à moi, je ne puis me passer de vous. Si vous n'êtes pas là, je m'ennuie à mourir. Vous voyez que je vous le dis carrément pour que vous n'ayez plus le droit de disparaître comme ça. Donnez-moi le bras, je vais vous montrer moi-même Jésus marchant sur les flots, c'est tout au fond, derrière la serre. Papa l'a mis là-bas afin qu'on soit obligé de passer partout. C'est étonnant, comme il fait le paon, papa, avec cet hôtel. Ils allaient doucement à travers la foule. On se retournait pour regarder ce beau garçon et cette ravissante poupée.

Un peintre connu prononça :

« Tiens ! Voilà un joli couple. Il est amusant comme tout. Georges pensait : « Si j'avais été vraiment fort, c'est celle-là que j'aurais épousée. C'était possible, pourtant. Comment n'y ai-je pas songé ? Comment me suis-je laissé aller à prendre l'autre ? Quelle folie ! On agit toujours trop vite, on ne réfléchit jamais assez. Et l'envie, l'envie amère, lui tombait dans l'âme goutte à goutte, comme un fiel qui corrompait toutes ses joies, rendait odieuse son existence. Suzanne disait :

« Oh ! venez souvent, Bel-Ami, nous ferons des folies maintenant que papa est si riche. Nous nous amuserons comme des toqués. Il répondit, suivant toujours son idée :

« Oh ! vous allez vous marier maintenant. Vous épouserez quelque beau prince, un peu ruiné, et nous ne nous verrons plus guère. Elle s'écria avec franchise : « Oh ! non, pas encore, je veux quelqu'un qui me plaise, qui me plaise beaucoup, qui me plaise tout à fait. Je suis assez riche pour deux. Il souriait d'un sourire ironique et hautain, et il se mit à lui nommer les gens qui passaient, des gens très nobles, qui avaient vendu leurs titres rouillés à des filles de financiers comme elle, et qui vivaient maintenant près ou loin de leurs femmes, mais libres, impudents, connus et respectés. Il conclut :

« Je ne vous donne pas six mois pour vous laisser prendre à cet appât-là. Vous serez madame la Marquise, madame la Duchesse ou madame la Princesse, et vous me regarderez de très haut, mamz'elle. Elle s'indignait, lui tapait sur le bras avec son éventail, jurait qu'elle ne se marierait que selon son cœur. Il ricanait :

Nous verrons bien, vous êtes trop riche. Elle lui dit :

Mais vous aussi, vous avez eu un héritage. Il fit un « Oh ! » de pitié :

« Parlons-en. À peine vingt mille livres de rentes. Ce n'est pas lourd par le temps présent. – Mais votre femme a hérité également.

– Oui.

Un million à nous deux. Quarante mille de revenu. Nous ne pouvons même pas avoir une voiture à nous avec ça. Ils arrivaient au dernier salon, et en face d'eux s'ouvrait la serre, un large jardin d'hiver plein de grands arbres des pays chauds abritant des massifs de fleurs rares. En entrant sous cette verdure sombre où la lumière glissait comme une ondée d'argent, on respirait la fraîcheur tiède de la terre humide et un souffle lourd de parfums. C'était une étrange sensation douce, malsaine et charmante, de nature factice, énervante et molle. On marchait sur des tapis tout pareils à de la mousse entre deux épais massifs d'arbustes. Soudain Du Roy aperçut à sa gauche, sous un large dôme de palmiers, un vaste bassin de marbre blanc où l'on aurait pu se baigner et sur les bords duquel quatre grands cygnes en faïence de Delft laissaient tomber l'eau de leurs becs entrouverts. Le fond du bassin était sablé de poudre d'or et l'on voyait nager dedans quelques énormes poissons rouges, bizarres monstres chinois aux yeux saillants, aux écailles bordées de bleu, sortes de mandarins des ondes qui rappelaient, errants et suspendus ainsi sur ce fond d'or, les étranges broderies de là-bas. Le journaliste s'arrêta le cœur battant. Il se disait :

« Voilà, voilà du luxe. Voilà les maisons où il faut vivre. D'autres y sont parvenus. Pourquoi n'y arriverais-je point ? » Il songeait aux moyens, n'en trouvait pas sur-le-champ, et s'irritait de son impuissance. Sa compagne ne parlait plus, un peu songeuse. Il la regarda de côté et il pensa encore une fois : « Il suffisait pourtant d'épouser cette marionnette de chair. Mais Suzanne tout d'un coup parut se réveiller : « Attention », dit-elle.

Elle poussa Georges à travers un groupe qui barrait leur chemin, et le fit brusquement tourner à droite.

Au milieu d'un bosquet de plantes singulières qui tendaient en l'air leurs feuilles tremblantes, ouvertes comme des mains aux doigts minces, on apercevait un homme immobile, debout sur la mer. L'effet était surprenant. Le tableau, dont les côtés se trouvaient cachés dans les verdures mobiles, semblait un trou noir sur un lointain fantastique et saisissant.

Il fallait bien regarder pour comprendre. Le cadre coupait le milieu de la barque où se trouvaient les apôtres à peine éclairés par les rayons obliques d'une lanterne, dont l'un d'eux, assis sur le bordage, projetait toute la lumière sur Jésus qui s'en venait. Le Christ avançait le pied sur une vague qu'on voyait se creuser, soumise, aplanie, caressante sous le pas divin qui la foulait. Tout était sombre autour de l'Homme-Dieu. Seules les étoiles brillaient au ciel.

Les figures des apôtres, dans la lueur vague du fanal porté par celui qui montrait le Seigneur, paraissaient convulsées par la surprise.

C'était bien là l'œuvre puissante et inattendue d'un maître, une de ces œuvres qui bouleversent la pensée et vous laissent du rêve pour des années. Les gens qui regardaient cela demeuraient d'abord silencieux, puis s'en allaient, songeurs, et ne parlaient qu'ensuite de la valeur de la peinture. Du Roy, l'ayant contemplée quelque temps, déclara : « C'est chic de pouvoir se payer ces bibelots-là. Mais comme on le heurtait, en le poussant pour voir, il repartit, gardant toujours sous son bras la petite main de Suzanne qu'il serrait un peu. Elle lui demanda :

« Voulez-vous boire un verre de champagne ? Allons au buffet. Nous y trouverons papa. Et ils retraversèrent lentement tous les salons où la foule grossissait, houleuse, chez elle, une foule élégante de fête publique.

Georges soudain crut entendre une voix prononcer :

« C'est Laroche et Mme Du Roy. » Ces paroles lui effleurèrent l'oreille comme ces bruits lointains qui courent dans le vent. D'où venaient-elles ? Il chercha de tous les côtés, et il aperçut en effet sa femme qui passait, au bras du ministre. Ils causaient tout bas d'une façon intime en souriant, et les yeux dans les yeux. Il s'imagina remarquer qu'on chuchotait en les regardant, et il sentit en lui une envie brutale et stupide de sauter sur ces deux êtres et de les assommer à coups de poing. Elle le rendait ridicule. Il pensa à Forestier. On disait peut-être : « Ce cocu de Du Roy. » Qui était-elle ? une petite parvenue assez adroite, mais sans grands moyens, en vérité. On venait chez lui parce qu'on le redoutait, parce qu'on le sentait fort, mais on devait parler sans gêne de ce petit ménage de journalistes. Jamais il n'irait loin avec cette femme qui faisait sa maison toujours suspecte, qui se compromettrait toujours, dont l'allure dénonçait l'intrigante. Elle serait maintenant un boulet à son pied. Ah ! s'il avait deviné, s'il avait su ! Comme il aurait joué un peu plus large, plus fort ! Quelle belle partie il aurait pu gagner avec la petite Suzanne pour enjeu ! Comment avait-il été assez aveugle pour ne pas comprendre ça ?

Ils arrivaient à la salle à manger, une immense pièce à colonnes de marbre, aux murs tendus de vieux Gobelins.

Walter aperçut son chroniqueur et s'élança pour lui prendre les mains. Il était ivre de joie :

« Avez-vous tout vu ? Dis, Suzanne, lui as-tu tout montré ? Que de monde, n'est-ce pas, Bel-Ami ? Avez-vous vu le prince de Guerche ? Il est venu boire un verre de punch, tout à l'heure. Puis il s'élança vers le sénateur Rissolin qui traînait sa femme étourdie et ornée comme une boutique foraine. Un monsieur saluait Suzanne, un grand garçon mince, à favoris blonds, un peu chauve, avec cet air mondain qu'on reconnaît partout. Georges l'entendit nommer : le marquis de Cazolles, et il fut brusquement jaloux de cet homme. Depuis quand le connaissait-elle ? Depuis sa fortune sans doute ? Il devinait un prétendant.

On le prit par le bras. C'était Norbert de Varenne. Le vieux poète promenait ses cheveux gras et son habit fatigué d'un air indifférent et las. « Voilà ce qu'on appelle s'amuser, dit-il. Tout à l'heure on dansera ; et puis on se couchera ; et les petites filles seront contentes. Prenez du champagne, il est excellent. Il se fit emplir un verre et, saluant Du Roy qui en avait pris un autre :

« Je bois à la revanche de l'esprit sur les millions. Puis il ajouta, d'une voix douce : « Non pas qu'ils me gênent chez les autres ou que je leur en veuille. Mais je proteste par principe. Georges ne l'écoutait plus. Il cherchait Suzanne qui venait de disparaître avec le marquis de Cazolles, et quittant brusquement Norbert de Varenne, il se mit à la poursuite de la jeune fille.

Une cohue épaisse qui voulait boire l'arrêta. Comme il l'avait enfin franchie, il se trouva nez à nez avec le ménage de Marelle. Il voyait toujours la femme ; mais il n'avait pas rencontré depuis longtemps le mari, qui lui saisit les deux mains : « Que je vous remercie, mon cher, du conseil que vous m'avez fait donner par Clotilde. J'ai gagné près de cent mille francs avec l'emprunt marocain. C'est à vous que je les dois. On peut dire que vous êtes un ami précieux. Des hommes se retournaient pour regarder cette brunette élégante et jolie. Du Roy répondit :

« En échange de ce service, mon cher, je prends votre femme ou plutôt je lui offre mon bras. Il faut toujours séparer les époux. M. de Marelle s'inclina : « C'est juste. Si je vous perds, nous nous retrouverons ici dans une heure.

– Parfaitement. Et les deux jeunes gens s'enfoncèrent dans la foule, suivis par le mari. Clotilde répétait :

« Quels veinards que ces Walter. Ce que c'est tout de même que d'avoir l'intelligence des affaires. Georges répondit :

« Bah ! Les hommes forts arrivent toujours, soit par un moyen, soit par un autre. Elle reprit :

« Voilà deux filles qui auront de vingt à trente millions chacune. Sans compter que Suzanne est jolie. Il ne dit rien. Sa propre pensée sortie d'une autre bouche l'irritait. Elle n'avait pas encore vu Jésus marchant sur les flots. Il proposa de l'y conduire. Ils s'amusaient à dire du mal des gens, à se moquer des figures inconnues. Saint-Potin passa près d'eux, portant sur le revers de son habit des décorations nombreuses, ce qui les amusa beaucoup. Un ancien ambassadeur, venant derrière, montrait une brochette moins garnie.

Du Roy déclara :

« Quelle salade de société. Boisrenard, qui lui serra la main, avait aussi orné sa boutonnière de ruban vert et jaune sorti le jour du duel.

La vicomtesse de Percemur, énorme et parée, causait avec un duc dans le petit boudoir Louis XVI.

Georges murmura :

« Un tête-à-tête galant. Mais en traversant la serre, il revit sa femme assise près de Laroche-Mathieu, presque cachés tous deux derrière un bouquet de plantes. Ils semblaient dire :

« Nous nous sommes donnés un rendez-vous ici, un rendez-vous public. Car nous nous fichons de l'opinion. Mme de Marelle reconnut que ce Jésus de Karl Marcowitch était très étonnant ; et ils revinrent. Ils avaient perdu le mari.

Il demanda :

« Et Laurine, est-ce qu'elle m'en veut toujours ? – Oui, toujours autant. Elle refuse de te voir et s'en va quand on parle de toi. Il ne répondit rien. L'inimitié de cette fillette le chagrinait et lui pesait. Suzanne les saisit au détour d'une porte, criant : – Ah ! vous voilà ! Eh bien, Bel-Ami, vous allez rester seul. J'enlève la belle Clotilde pour lui montrer ma chambre. Et les deux femmes s'en allèrent, d'un pas pressé, glissant à travers le monde, de ce mouvement onduleux, de ce mouvement de couleuvre qu'elles savent prendre dans les foules. Presque aussitôt une voix murmura : « Georges ! C'était Mme Walter. Elle reprit très bas : « Oh ! que vous êtes férocement cruel ! Que vous me faites souffrir inutilement. J'ai chargé Suzette d'emmener celle qui vous accompagnait afin de pouvoir vous dire un mot. Écoutez, il faut… que je vous parle ce soir… ou bien… ou bien… vous ne savez pas ce que je ferai. Allez dans la serre. Vous y trouverez une porte à gauche et vous sortirez dans le jardin. Suivez l'allée qui est en face. Tout au bout vous verrez une tonnelle. Attendez-moi là dans dix minutes. Si vous ne voulez pas, je vous jure que je fais un scandale, ici, tout de suite ! Il répondit avec hauteur :

« Soit. J'y serai dans dix minutes à l'endroit que vous m'indiquez. Et ils se séparèrent. Mais Jacques Rival faillit le mettre en retard. Il l'avait pris par le bras et lui racontait un tas de choses avec l'air très exalté. Il venait sans doute du buffet. Enfin Du Roy le laissa aux mains de M. de Marelle retrouvé entre deux portes, et il s'enfuit. Il lui fallut encore prendre garde de n'être pas vu par sa femme et par Laroche. Il y parvint, car ils semblaient fort animés, et il se trouva dans le jardin.

L'air froid le saisit comme un bain de glace. Il pensa :

« Cristi, je vais attraper un rhume », et il mit son mouchoir à son cou en manière de cravate. Puis il suivit à pas lents l'allée, y voyant mal au sortir de la grande lumière des salons. Il distinguait à sa droite et à sa gauche des arbustes sans feuilles dont les branches menues frémissaient. Des lueurs grises passaient dans ces ramures, des lueurs venues des fenêtres de l'hôtel. Il aperçut quelque chose de blanc, au milieu du chemin, devant lui, et Mme Walter, les bras nus, la gorge nue, balbutia d'une voix frémissante : « Ah ! te voilà ? tu veux donc me tuer ? Il répondit tranquillement :

« Je t'en prie, pas de drame, n'est-ce pas, ou je fiche le camp tout de suite. Elle l'avait saisi par le cou, et, les lèvres tout près des lèvres, elle disait : « Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? Tu te conduis avec moi comme un misérable ! Qu'est-ce que je t'ai fait ? Il essayait de la repousser :

« Tu as entortillé tes cheveux à tous mes boutons la dernière fois que je t'ai vue, et ça a failli amener une rupture entre ma femme et moi. Elle demeura surprise, puis, faisant « non » de la tête :

« Oh ! ta femme s'en moque bien. C'est quelqu'une de tes maîtresses qui t'aura fait une scène. – Je n'ai pas de maîtresses. – Tais-toi donc ! Mais pourquoi ne viens-tu plus même me voir ? Pourquoi refuses-tu de dîner, rien qu'un jour par semaine, avec moi ? C'est atroce ce que je souffre ; je t'aime à n'avoir plus une pensée qui ne soit pour toi, à ne pouvoir rien regarder sans te voir devant mes yeux, à ne plus oser prononcer un mot sans avoir peur de dire ton nom ! Tu ne comprends pas ça, toi ! Il me semble que je suis prise dans des griffes, nouée dans un sac, je ne sais pas. Ton souvenir, toujours présent, me serre la gorge, me déchire quelque chose là, dans la poitrine, sous le sein, me casse les jambes à ne plus me laisser la force de marcher. Et je reste comme une bête, toute la journée, sur une chaise, en pensant à toi. Il la regardait avec étonnement. Ce n'était plus la grosse gamine folâtre qu'il avait connue, mais une femme éperdue, désespérée, capable de tout. Un projet vague, cependant, naissant dans son esprit.

Il répondit :

« Ma chère, l'amour n'est pas éternel. On se prend et on se quitte. Mais quand ça dure comme entre nous ça devient un boulet horrible. Je n'en veux plus. Voilà la vérité. Cependant, si tu sais devenir raisonnable, me recevoir et me traiter ainsi qu'un ami, je reviendrai comme autrefois. Te sens-tu capable de ça ? Elle posa ses deux bras nus sur l'habit noir de Georges et murmura : « Je suis capable de tout pour te voir.

– Alors, c'est convenu, dit-il, nous sommes amis, rien de plus. Elle balbutia :

« C'est convenu. » Puis tendant ses lèvres vers lui :

« Encore un baiser… le dernier. Il refusa doucement.

Non. Il faut tenir nos conventions. Elle se détourna en essuyant deux larmes, puis tirant de son corsage un paquet de papiers noués avec un ruban de soie rose, elle l'offrit à Du Roy : « Tiens. C'est ta part de bénéfice dans l'affaire du Maroc. J'étais si contente d'avoir gagné cela pour toi. Tiens, prends-le donc… »

Il voulait refuser :

« Non, je ne recevrai point cet argent ! Alors elle se révolta.

« Ah ! tu ne me feras pas ça, maintenant. Il est à toi, rien qu'à toi. Si tu ne le prends point, je le jetterai dans un égout. Tu ne me feras pas cela, Georges ? Il reçut le petit paquet et le glissa dans sa poche.

« Il faut rentrer, dit-il, tu vas attraper une fluxion de poitrine. Elle murmura :

« Tant mieux ! si je pouvais mourir. Elle lui prit une main, la baisa avec passion, avec rage, avec désespoir, et elle se sauva vers l'hôtel. Il revint doucement, en réfléchissant. Puis il rentra dans la serre, le front hautain, la lèvre souriante.

Sa femme et Laroche n'étaient plus là. La foule diminuait. Il devenait évident qu'on ne resterait pas au bal. Il aperçut Suzanne qui tenait le bras de sa sœur. Elles vinrent vers lui toutes les deux pour lui demander de danser le premier quadrille avec le comte de Latour-Yvelin.

Il s'étonna. « Qu'est-ce encore que celui-là ? Suzanne répondit avec malice :

« C'est un nouvel ami de ma sœur. Rose rougit et murmura :

« Tu es méchante, Suzette, ce monsieur n'est pas plus mon ami que le tien. L'autre souriait : « Je m'entends. Rose, fâchée, leur tourna le dos et s'éloigna. Du Roy prit familièrement le coude de la jeune fille restée près de lui et de sa voix caressante :

« Écoutez, ma chère petite, me croyez-vous bien votre ami ?

– Mais oui, Bel-Ami.

– Vous avez confiance en moi ?

– Tout à fait.

– Vous vous rappelez ce que je vous disais tantôt ?

– À propos de quoi ?

– À propos de votre mariage, ou plutôt de l'homme que vous épouserez. – Oui.

– Eh bien, voulez-vous me promettre une chose ?

– Oui, mais quoi ?

– C'est de me consulter toutes les fois qu'on demandera votre main, et de n'accepter personne sans avoir pris mon avis. – Oui, je veux bien.

– Et c'est un secret entre nous deux. Pas un mot de ça à votre père ni à votre mère.

– Pas un mot.

– C'est juré ? – C'est juré. Rival arrivait, l'air affairé : « Mademoiselle, votre papa vous demande pour le bal. Elle dit :

« Allons, Bel-Ami. Mais il refusa, décidé à partir tout de suite, voulant être seul pour penser. Trop de choses nouvelles venaient de pénétrer dans son esprit et il se mit à chercher sa femme. Au bout de quelque temps il l'aperçut qui buvait du chocolat, au buffet, avec deux messieurs inconnus. Elle leur présenta son mari, sans les nommer à lui.

Après quelques instants il demanda :

« Partons-nous ?

– Quand tu voudras. Elle prit son bras et ils retraversèrent les salons où le public devenait rare.

Elle demanda :

« Où est la Patronne ? je voudrais lui dire adieu.

– C'est inutile. Elle essaierait de nous garder au bal et j'en ai assez. – C'est vrai, tu as raison. Tout le long de la route ils furent silencieux. Mais, aussitôt rentrés en leur chambre, Madeleine souriante lui dit, sans même ôter son voile :

« Tu ne sais pas, j'ai une surprise pour toi., » Il grogna avec mauvaise humeur :

« Quoi donc ?

– Devine.

– Je ne ferai pas cet effort.

– Eh bien, c'est après-demain le premier janvier. – Oui.

– C'est le moment des étrennes. Oui.

– Voici les tiennes, que Laroche m'a remises tout à l'heure. Elle lui présenta une petite boîte noire qui semblait un écrin à bijoux.

Il l'ouvrit avec indifférence et aperçut la croix de la Légion d'honneur. Il devint un peu pâle, puis il sourit et déclara :

« J'aurais préféré dix millions. Cela ne lui coûte pas cher. Elle s'attendait à un transport de joie, et elle fut irritée de cette froideur. « Tu es vraiment incroyable. Rien ne te satisfait maintenant. Il répondit tranquillement :

« Cet homme ne fait que payer sa dette. Et il me doit encore beaucoup. Elle fut étonnée de son accent, et reprit :

« C'est pourtant beau, à ton âge. Il déclara :

« Tout est relatif. Je pourrais avoir davantage, aujourd'hui. Il avait pris l'écrin, il le posa tout ouvert sur la cheminée, considéra quelques instants l'étoile brillante couchée dedans. Puis il le referma, et se mit au lit en haussant les épaules.

L'Officiel du 1erjanvier annonça, en effet, la nomination de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, au grade de chevalier de la Légion d'honneur, pour services exceptionnels. Le nom était écrit en deux mots, ce qui fit à Georges plus de plaisir que la décoration même.

Une heure après avoir lu cette nouvelle devenue publique, il reçut un mot de la Patronne qui le suppliait de venir dîner chez elle, le soir même, avec sa femme, pour fêter cette distinction. Il hésita quelques minutes, puis jetant au feu ce billet écrit en termes ambigus, il dit à Madeleine : Nous dînerons ce soir chez les Walter. Elle fut étonnée.

Tiens ! mais je croyais que tu ne voulais plus y mettre les pieds ? Il murmura seulement :

« J'ai changé d'avis. Quand ils arrivèrent, la Patronne était seule dans le petit boudoir Louis XVI adopté pour ses réceptions intimes. Vêtue de noir, elle avait poudré ses cheveux, ce qui la rendait charmante. Elle avait l'air, de loin, d'une vieille, de près, d'une jeune, et, quand on la regardait bien, d'un joli piège pour les yeux. « Vous êtes en deuil ? » demanda Madeleine.

Elle répondit tristement :

« Oui et non. Je n'ai perdu personne des miens. Mais je suis arrivée à l'âge où on fait le deuil de sa vie. Je le porte aujourd'hui pour l'inaugurer. Désormais je le porterai dans mon cœur. Du Roy pensa : « Ça tiendra-t-il, cette résolution là ? Le dîner fut un peu morne. Seule Suzanne bavardait sans cesse. Rose semblait préoccupée. On félicita beaucoup le journaliste.

Le soir on s'en alla, errant et causant, par les salons et par la serre. Comme Du Roy marchait derrière, avec la Patronne, elle le retint par le bras.

« Écoutez, dit-elle à voix basse… Je ne vous parlerai plus de rien, jamais… Mais venez me voir, Georges. Vous voyez que je ne vous tutoie plus. Il m'est impossible de vivre sans vous, impossible. C'est une torture inimaginable. Je vous sens, je vous garde dans mes yeux, dans mon cœur et dans ma chair tout le jour et toute la nuit. C'est comme si vous m'aviez fait boire un poison qui me rongerait en dedans. Je ne puis pas. Non. Je ne puis pas. Je veux bien n'être pour vous qu'une vieille femme. Je me suis mise en cheveux blancs pour vous le montrer ; mais venez ici, venez de temps en temps, en ami. Elle lui avait pris la main et elle la serrait, la broyait, enfonçant ses ongles dans sa chair.

Il répondit avec calme :

C'est entendu. Il est inutile de reparler de ça. Vous voyez bien que je suis venu aujourd'hui, tout de suite, sur votre lettre. Walter, qui allait devant avec ses deux filles et Madeleine, attendit Du Roy auprès du Jésus marchant sur les flots.

« Figurez-vous, dit-il en riant, que j'ai trouvé ma femme hier à genoux devant ce tableau comme dans une chapelle. Elle faisait là ses dévotions. Ce que j'ai ri ! Mme Walter répliqua d'une voix ferme, d'une voix où vibrait une exaltation secrète : « C'est ce Christ-là qui sauvera mon âme. Il me donne du courage et de la force toutes les fois que je le regarde. Et, s'arrêtant en face du Dieu debout sur la mer, elle murmura : « Comme il est beau ! Comme ils en ont peur et comme ils l'aiment, ces hommes ! Regardez donc sa tête, ses yeux, comme il est simple et surnaturel en même temps ! Suzanne s'écria : « Mais il vous ressemble, Bel-Ami. Je suis sûre qu'il vous ressemble. Si vous aviez des favoris, ou bien s'il était rasé, vous seriez tout pareils tous les deux. Oh ! mais c'est frappant ! Elle voulut qu'il se mît debout à côté du tableau ; et tout le monde reconnut, en effet, que les deux figures se ressemblaient ! Chacun s'étonna. Walter trouva la chose bien singulière. Madeleine, en souriant, déclara que Jésus avait l'air plus viril. Mme Walter demeurait immobile, contemplant d'un œil fixe le visage de son amant à côté du visage du Christ, et elle était devenue aussi blanche que ses cheveux blancs.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 7 Bel Ami - Part 2 Chapter 7 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 7

– VII –

Depuis deux mois la conquête du Maroc était accomplie. For two months the conquest of Morocco was accomplished. La France, maîtresse de Tanger, possédait toute la côte africaine de la Méditerranée jusqu'à la régence de Tripoli, et elle avait garanti la dette du nouveau pays annexé. France, mistress of Tangier, possessed all the African coast of the Mediterranean until the regency of Tripoli, and she had guaranteed the debt of the new annexed country. On disait que deux ministres gagnaient là une vingtaine de millions, et on citait, presque tout haut, Laroche-Mathieu. It was said that two ministers were earning about twenty millions, and almost all of them were quoted Laroche-Mathieu.

Quand à Walter, personne dans Paris n'ignorait qu'il avait fait coup double et encaissé de trente à quarante millions sur l'emprunt, et de huit à dix millions sur des mines de cuivre et de fer, ainsi que sur d'immenses terrains achetés pour rien avant la conquête et revendus le lendemain de l'occupation française à des compagnies de colonisation. As for Walter, no one in Paris was unaware that he had made a double blow and cashed from thirty to forty millions on the loan, and from eight to ten millions on copper and iron mines, as well as on immense lands bought for nothing before the conquest and resold the day after the French occupation to companies of colonization. Il était devenu, en quelques jours, un des maîtres du monde, un de ces financiers omnipotents, plus forts que des rois, qui font courber les têtes, balbutier les bouches et sortir tout ce qu'il y a de bassesse, de lâcheté et d'envie au fond du cœur humain. He had become, in a few days, one of the masters of the world, one of those omnipotent financiers, stronger than kings, who bend their heads, stammer their mouths and bring out all that is baseness, cowardice and in the heart of the human heart. Il n'était plus le juif Walter, patron d'une banque louche, directeur d'un journal suspect, député soupçonné de tripotages véreux. He was no longer the Jew Walter, the boss of a shady bank, the director of a suspicious paper, a deputy suspected of tricks. Il était Monsieur Walter, le riche Israélite. He was Monsieur Walter, the rich Israelite.

Il le voulut montrer. He wanted to show it.

Sachant la gêne du prince de Carlsbourg qui possédait un des plus beaux hôtels de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec jardin sur les Champs-Élysées, il lui proposa d'acheter, en vingt-quatre heures, cet immeuble, avec ses meubles, sans changer de place un fauteuil. Knowing the embarrassment of the Prince of Carlsbourg, who owned one of the finest hotels in the rue du Faubourg-Saint-Honore, with a garden on the Champs-Elysees, he offered to buy it in twenty-four hours, with furniture, without changing seats an armchair. Il en offrait trois millions. Le prince, tenté par la somme, accepta.

Le lendemain, Walter s'installait dans son nouveau domicile. Alors il eut une autre idée, une véritable idée de conquérant qui veut prendre Paris, une idée à la Bonaparte. Then he had another idea, a real idea of conqueror who wants to take Paris, an idea to the Bonaparte.

Toute la ville allait voir en ce moment un grand tableau du peintre hongrois Karl Marcowitch, exposé chez l'expert Jacques Lenoble, et représentant le Christ marchant sur les flots. The whole city was going to see at the moment a large painting by the Hungarian painter Karl Marcowitch, exhibited by the expert Jacques Lenoble, and representing Christ walking on the waves. Les critiques d'art, enthousiasmés, déclaraient cette toile le plus magnifique chef-d'œuvre du siècle. The art critics, enthusiastic, declared this canvas the most magnificent masterpiece of the century. Walter l'acheta cinq cent mille francs et l'enleva, coupant ainsi du jour au lendemain le courant établi de la curiosité publique et forçant Paris entier à parler de lui pour l'envier, le blâmer ou l'approuver. Walter bought him five hundred thousand francs and took it off, thus cutting off the current of public curiosity overnight and forcing Paris to speak of him in order to envy, blame or approve him. Puis, il fit annoncer par les journaux qu'il inviterait tous les gens connus dans la société parisienne à contempler, chez lui, un soir, l'œuvre magistrale du maître étranger, afin qu'on ne pût pas dire qu'il avait séquestré une œuvre d'art. Then he had the newspapers announce that he would invite all known people in Parisian society to contemplate, at his house, one evening, the masterly work of the foreign master, so that it could not be said that he had sequestrated a work of art. Sa maison serait ouverte. Y viendrait qui voudrait. Anyone can come. Il suffirait de montrer à la porte la lettre de convocation.

Elle était rédigée ainsi : « Monsieur et Madame Walter vous prient de leur faire l'honneur de venir voir chez eux, le 30 décembre, de neuf heures à minuit, la toile de Karl Marcowitch : Jésus marchant sur les flots, éclairée à « la lumière électrique ». Puis, en post-scriptum, en toutes petites lettres, on pouvait lire : « On dansera après minuit. Donc, ceux qui voudraient rester resteraient, et parmi ceux-là les Walter recruteraient leurs connaissances du lendemain. So, those who would like to stay would stay, and among these the Walter would recruit their knowledge of the next day.

Les autres regarderaient la toile, l'hôtel et les propriétaires, avec une curiosité mondaine, insolente ou indifférente, puis s'en iraient comme ils étaient venus. The others would look at the canvas, the hotel and the owners, with a worldly curiosity, insolent or indifferent, then go away as they had come. Et le père Walter savait bien qu'ils reviendraient, plus tard, comme ils étaient allés chez ses frères israélites devenus riches comme lui. And Father Walter knew well that they would come back, later, as they had gone to his Jewish brethren who had become rich like him. Il fallait d'abord qu'ils entrassent dans sa maison, tous les pannés titrés qu'on cite dans les feuilles ; et ils y entreraient pour voir la figure d'un homme qui a gagné cinquante millions en six semaines ; ils y entreraient aussi pour voir et compter ceux qui viendraient là ; ils y entreraient encore parce qu'il avait eu le bon goût et l'adresse de les appeler à admirer un tableau chrétien chez lui, fils d'Israël. At first they had to enter his house, all the titled pieces which are quoted in the leaves; and they would come in to see the figure of a man who earned fifty millions in six weeks; they would also enter to see and count those who came there; they would go in again because he had the good taste and skill to call them to admire a Christian picture at home, son of Israel. Il semblait leur dire : « Voyez, j'ai payé cinq cent mille francs le chef-d'œuvre religieux de Marcowitch, Jésus marchant sur les flots. He seemed to be saying to them, "Look, I paid five hundred thousand francs for Marcowitch's religious masterpiece, Jesus walking on the waves. Et ce chef-d'œuvre demeurera chez moi, sous mes yeux, toujours, dans la maison du juif Walter. And this masterpiece will remain at home, under my eyes, always, in the house of the Jew Walter. Dans le monde, dans le monde des duchesses et du Jockey, on avait beaucoup discuté cette invitation qui n'engageait à rien, en somme. In the world, in the world of duchesses and jockey, there had been a lot of discussion about this invitation which did not involve anything, in short. On irait là comme on allait voir des aquarelles chez M. Petit. We would go there as we went to see watercolors at Mr. Petit's. Les Walter possédaient un chef-d'œuvre ; ils ouvraient leurs portes un soir pour que tout le monde pût l'admirer. The Walter possessed a masterpiece; they opened their doors one evening so that everyone could admire him. Rien de mieux.

La Vie Française , depuis quinze jours, faisait chaque matin un écho sur cette soirée du 30 décembre et s'efforçait d'allumer la curiosité publique. La Vie Francaise, for a fortnight, had been echoing the evening of the 30th of December each morning, and endeavored to kindle public curiosity. Du Roy rageait du triomphe du Patron. Du Roy raged at the triumph of the Boss.

Il s'était cru riche avec les cinq cent mille francs extorqués à sa femme, et maintenant il se jugeait pauvre, affreusement pauvre, en comparant sa piètre fortune à la pluie de millions tombée autour de lui, sans qu'il eût su en rien ramasser. He had thought himself rich with the five hundred thousand francs extorted from his wife, and now he judged himself poor, terribly poor, comparing his poor fortune with the rain of millions that had fallen around him, without him knowing anything. to pick up. Sa colère envieuse augmentait chaque jour. His envious anger grew every day. Il en voulait à tout le monde, aux Walter qu'il n'avait plus été voir chez eux, à sa femme qui, trompée par Laroche, lui avait déconseillé de prendre des fonds marocains, et il en voulait surtout au ministre qui l'avait joué, qui s'était servi de lui et qui dînait à sa table deux fois par semaine ; Georges lui servait de secrétaire, d'agent, de porte-plume, et quand il écrivait sous sa dictée, il se sentait des envies folles d'étrangler ce bellâtre triomphant. He blamed everyone, the Walter he had not been at home, his wife who, deceived by Laroche, had advised against taking Moroccan funds, and he especially wanted the minister who had played, who had used him and who dined at his table twice a week; Georges served him as secretary, agent, penholder, and when he wrote under his dictation, he felt a wild desire to strangle this triumphant fop. Comme ministre, Laroche avait le succès modeste, et pour garder son portefeuille, il ne laissait point deviner qu'il était gonflé d'or. As minister, Laroche had modest success, and to keep his wallet, he did not let it be guessed that he was swollen with gold. Mais Du Roy le sentait, cet or, dans la parole plus hautaine de l'avocat parvenu, dans son geste plus insolent, dans ses affirmations plus hardies, dans sa confiance en lui complète. But Du Roy felt it, that gold, in the more haughty words of the lawyer, in his more insolent gesture, in his bolder affirmations, in his complete confidence in him. Laroche régnait, maintenant, dans la maison Du Roy, ayant pris la place et les jours du comte de Vaudrec, et parlant aux domestiques ainsi qu'aurait fait un second maître. Laroche now reigned in the house of the King, having taken the place and the days of the Count de Vaudrec, and speaking to the servants as would have made a second master. Georges le tolérait en frémissant, comme un chien qui veut mordre et n'ose pas. Georges tolerated him, shuddering like a dog who wants to bite and does not dare. Mais il était souvent dur et brutal pour Madeleine, qui haussait les épaules et le traitait en enfant maladroit. But it was often hard and brutal for Madeleine, who shrugged and treated him like a clumsy child. Elle s'étonnait d'ailleurs de sa constante mauvaise humeur et répétait : She was surprised by her constant bad mood and repeated: « Je ne te comprends pas. Tu es toujours à te plaindre. You are always complaining. Ta position est pourtant superbe. Your position is superb though. Il tournait le dos et ne répondait rien. He turned his back and answered nothing.

Il avait déclaré d'abord qu'il n'irait point à la fête du Patron, et qu'il ne voulait plus mettre les pieds chez ce sale juif. He had declared at first that he would not go to the Patron's feast, and that he no longer wanted to set foot in that dirty Jew's house. Depuis deux mois, Mme Walter lui écrivait chaque jour pour le supplier de venir, de lui donner un rendez-vous où il lui plairait, afin qu'elle lui remît, disait-elle, les soixante-dix mille francs qu'elle avait gagnés pour lui. For the last two months Madame Walter had been writing to him every day begging him to come, to give her an appointment at her pleasure, that she might give him, she said, the seventy thousand francs she had won. for him. Il ne répondait pas et jetait au feu ces lettres désespérées. He did not answer and threw these desperate letters to the fire. Non pas qu'il eût renoncé à recevoir sa part de leur bénéfice, mais il voulait l'affoler, la traiter par le mépris, la fouler aux pieds. Not that he had given up receiving his share of their profits, but he wanted to frighten her, to treat her with contempt, to trample her under foot. Elle était trop riche ! She was too rich! Il voulait se montrer fier. He wanted to be proud.

Le jour même de l'exposition du tableau, comme Madeleine lui représentait qu'il avait grand tort de n'y vouloir pas aller, il répondit : On the very day of the exhibition of the painting, as Madeleine represented to him that he was very wrong in not wanting to go, he replied: Fiche-moi la paix. Give me peace. Je reste chez moi. Puis, après le dîner, il déclara tout à coup : Then, after dinner, he suddenly declared:

« Il vaut tout de même mieux subir cette corvée. "It is still better to undergo this chore. Prépare-toi vite. Get ready quickly. Elle s'y attendait. She expected it. « Je serai prête dans un quart d'heure », dit-elle. "I'll be ready in a quarter of an hour," she said. Il s'habilla en grognant, et même dans le fiacre il continua à expectorer sa bile. He dressed grumbling, and even in the cab he continued to expectorate his bile. La cour d'honneur de l'hôtel de Carlsbourg était illuminée par quatre globes électriques qui avaient l'air de quatre petites lunes bleuâtres, aux quatre coins. The courtyard of the Carlsbourg Hotel was illuminated by four electric globes that looked like four little bluish moons at the four corners. Un magnifique tapis descendait les degrés du haut perron et, sur chacun, un homme en livrée restait roide comme une statue. A magnificent carpet ran down the steps of the high staircase, and on each one a man in livery stood as stiff as a statue.

Du Roy murmura :

« En voilà de l'épate. "Here's an epic. Il levait les épaules, le cœur crispé de jalousie. He raised his shoulders, his heart tense with jealousy.

Sa femme lui dit :

« Tais-toi donc et fais-en autant. "Shut up and do as much. Ils entrèrent et remirent leurs lourds vêtements de sortie aux valets de pied qui s'avancèrent. They entered and put on their heavy outfits to the footmen who came forward. Plusieurs femmes étaient là avec leurs maris, se débarrassaient aussi de leurs fourrures. Several women were there with their husbands, also getting rid of their furs. On entendait murmurer : « C'est fort beau ! fort beau ! Le vestibule énorme était tendu de tapisseries qui représentaient l'aventure de Mars et de Vénus. The huge vestibule was covered with tapestries representing the adventure of Mars and Venus. À droite et à gauche partaient les deux bras d'un escalier monumental, qui se rejoignaient au premier étage. To the right and left left the two arms of a monumental staircase, which joined on the first floor. La rampe était une merveille de fer forgé, dont la vieille dorure éteinte faisait courir une lueur discrète le long des marches de marbre rouge. The railing was a marvel of wrought iron, whose old, extinct gilding cast a discreet gleam along the red marble steps.

À l'entrée des salons, deux petites filles, habillées l'une en folie rose, et l'autre en folie bleue, offraient des bouquets aux dames. At the entrance of the salons, two little girls, dressed one in pink madness, and the other in blue madness, offered bouquets to the ladies. On trouvait cela charmant.

Il y avait déjà foule dans les salons. There was already a crowd in the salons.

La plupart des femmes étaient en toilette de ville pour bien indiquer qu'elles venaient là comme elles allaient à toutes les expositions particulières. Most of the women were in town clothes to indicate that they came there as they went to all the particular exhibitions. Celles qui comptaient rester au bal avaient les bras et la gorge nus. Those who expected to stay at the ball had bare arms and throats.

Mme Walter, entourée d'amies, se tenait dans la seconde pièce, et répondait aux saluts des visiteurs. Mrs. Walter, surrounded by friends, stood in the second room and answered the greetings of the visitors. Beaucoup ne la connaissaient point et se promenaient comme dans un musée, sans s'occuper des maîtres du logis. Many did not know her and wandered around like in a museum, without caring for the masters of the house. Quand elle aperçut Du Roy, elle devint livide et fit un mouvement pour aller à lui. When she saw Du Roy, she became livid and made a movement to go to him. Puis elle demeura immobile, l'attendant. Then she remained motionless, waiting for him. Il la salua avec cérémonie, tandis que Madeleine l'accablait de tendresses et de compliments. He greeted her with ceremony, while Madeleine overwhelmed her with tenderness and compliments. Alors Georges laissa sa femme auprès de la Patronne ; et il se perdit au milieu du public pour écouter les choses malveillantes qu'on devait dire, assurément. Georges left his wife to the Patronne; and he lost himself in the midst of the public to listen to the malicious things that must be said, assuredly. Cinq salons se suivaient, tendus d'étoffes précieuses, de broderies italiennes ou de tapis d'Orient de nuances et de styles différents, et portant sur leurs murailles des tableaux de maîtres anciens. Five salons followed each other, stretched with precious stuffs, Italian embroidery, or Oriental rugs of different shades and styles, and bearing on their walls pictures of old masters. On s'arrêtait surtout pour admirer une petite pièce Louis XVI, une sorte de boudoir tout capitonné en soie à bouquets roses sur un fond bleu pâle. We stopped above all to admire a little Louis XVI room, a kind of boudoir all padded with silk with pink bouquets on a pale blue background. Les meubles bas, en bois doré, couverts d'étoffe pareille à celle des murs, étaient d'une admirable finesse. The low furniture, in gilded wood, covered with cloth like that of the walls, was of an admirable finesse. Georges reconnaissait des gens célèbres, la duchesse de Terracine, le comte et la comtesse de Ravenel, le général prince d'Andremont, la toute belle marquise des Dunes, puis tous ceux et toutes celles qu'on voit aux premières représentations. Georges recognized famous people, the Duchesse de Terracine, the Count and Countess de Ravenel, the General Prince d'Andremont, the all-beautiful Marquise des Dunes, and all those who are seen at first performances. On le saisit par le bras et une voix jeune, une voix heureuse lui murmura dans l'oreille : He was seized by the arm and a young voice, a happy voice whispered in his ear: « Ah ! vous voilà enfin, méchant Bel-Ami. Pourquoi ne vous voit-on plus ? C'était Suzanne Walter le regardant avec ses yeux d'émail fin, sous le nuage frisé de ses cheveux blonds. It was Suzanne Walter looking at him with her fine enamel eyes, under the curled cloud of her fair hair. Il fut enchanté de la revoir et lui serra franchement la main. He was delighted to see her again and shook his hand frankly. Puis s'excusant : Then apologizing: « Je n'ai pas pu. " I could not. J'ai eu tant à faire, depuis deux mois, que je ne suis pas sorti. I had so much to do for two months that I did not go out. Elle reprit d'un air sérieux : She resumed with a serious air: « C'est mal, très mal, très mal. Vous nous faites beaucoup de peine, car nous vous adorons, maman et moi. You make us very sad because we love you, mom and me. Quant à moi, je ne puis me passer de vous. As for me, I can not do without you. Si vous n'êtes pas là, je m'ennuie à mourir. If you're not here, I'm bored to death. Vous voyez que je vous le dis carrément pour que vous n'ayez plus le droit de disparaître comme ça. You see that I tell you plainly so that you no longer have the right to disappear like that. Donnez-moi le bras, je vais vous montrer moi-même Jésus marchant sur les flots, c'est tout au fond, derrière la serre. Give me your arm, I'll show you Jesus walking on the waves, it's at the back, behind the greenhouse. Papa l'a mis là-bas afin qu'on soit obligé de passer partout. Dad put it there so we had to go everywhere. C'est étonnant, comme il fait le paon, papa, avec cet hôtel. It's amazing, as he does the peacock, dad, with this hotel. Ils allaient doucement à travers la foule. They went slowly through the crowd. On se retournait pour regarder ce beau garçon et cette ravissante poupée. We turned to look at this beautiful boy and this lovely doll.

Un peintre connu prononça : A well-known painter pronounced:

« Tiens ! "Here! Voilà un joli couple. That's a nice couple. Il est amusant comme tout. It's fun like anything. Georges pensait : « Si j'avais été vraiment fort, c'est celle-là que j'aurais épousée. George thought, "If I had been really strong, that's the one I would have married. C'était possible, pourtant. It was possible, though. Comment n'y ai-je pas songé ? How did I not think of it? Comment me suis-je laissé aller à prendre l'autre ? How did I let myself go take the other? Quelle folie ! What madness ! On agit toujours trop vite, on ne réfléchit jamais assez. We always act too fast, we never think enough. Et l'envie, l'envie amère, lui tombait dans l'âme goutte à goutte, comme un fiel qui corrompait toutes ses joies, rendait odieuse son existence. And envy, bitter envy, fell into his soul drop by drop, like a gall that corrupted all his joys, made his existence odious. Suzanne disait :

« Oh ! venez souvent, Bel-Ami, nous ferons des folies maintenant que papa est si riche. come often, Bel-Ami, we'll go crazy now that daddy is so rich. Nous nous amuserons comme des toqués. We will have fun like crazy. Il répondit, suivant toujours son idée : He answered, always following his idea:

« Oh ! vous allez vous marier maintenant. you are getting married now. Vous épouserez quelque beau prince, un peu ruiné, et nous ne nous verrons plus guère. You will marry some pretty prince, a little ruined, and we will not see each other any more. Elle s'écria avec franchise : She exclaimed frankly: « Oh ! non, pas encore, je veux quelqu'un qui me plaise, qui me plaise beaucoup, qui me plaise tout à fait. Je suis assez riche pour deux. Il souriait d'un sourire ironique et hautain, et il se mit à lui nommer les gens qui passaient, des gens très nobles, qui avaient vendu leurs titres rouillés à des filles de financiers comme elle, et qui vivaient maintenant près ou loin de leurs femmes, mais libres, impudents, connus et respectés. He smiled with an ironical and haughty smile, and he began to name the people who passed, very noble people, who had sold their rusty titles to daughters of financiers like her, and who now lived near or far from their homes. women, but free, impudent, known and respected. Il conclut :

« Je ne vous donne pas six mois pour vous laisser prendre à cet appât-là. "I do not give you six months to let you take that bait. Vous serez madame la Marquise, madame la Duchesse ou madame la Princesse, et vous me regarderez de très haut, mamz'elle. You will be Madame la Marquise, Madame la Duchesse, or Madame la Princesse, and you will look at me from very high up, mamz'elle. Elle s'indignait, lui tapait sur le bras avec son éventail, jurait qu'elle ne se marierait que selon son cœur. She was indignant, tapping her on the arm with her fan, swearing that she would marry only according to her heart. Il ricanait :

Nous verrons bien, vous êtes trop riche. We'll see, you're too rich. Elle lui dit :

Mais vous aussi, vous avez eu un héritage. But you, too, have had an inheritance. Il fit un « Oh ! He made a "Oh! » de pitié : Of pity:

« Parlons-en. " Let's talk about it. À peine vingt mille livres de rentes. Barely twenty thousand francs a year. Ce n'est pas lourd par le temps présent. It is not heavy by the present time. – Mais votre femme a hérité également. - But your wife has inherited too.

– Oui. - Yes.

Un million à nous deux. One million to both of us. Quarante mille de revenu. Forty thousand of income. Nous ne pouvons même pas avoir une voiture à nous avec ça. We can not even have a car with us with that. Ils arrivaient au dernier salon, et en face d'eux s'ouvrait la serre, un large jardin d'hiver plein de grands arbres des pays chauds abritant des massifs de fleurs rares. They arrived at the last salon, and in front of them opened the greenhouse, a large winter garden full of tall trees of the warm countries sheltering masses of rare flowers. En entrant sous cette verdure sombre où la lumière glissait comme une ondée d'argent, on respirait la fraîcheur tiède de la terre humide et un souffle lourd de parfums. Entering under this dark greenery, where the light glided like a rush of silver, one breathed the warm coolness of the moist earth and a heavy breath of perfumes. C'était une étrange sensation douce, malsaine et charmante, de nature factice, énervante et molle. It was a strange sweet, unhealthy and charming sensation, of factitious, annoying and soft nature. On marchait sur des tapis tout pareils à de la mousse entre deux épais massifs d'arbustes. We walked on moss-like carpets between two thick shrubs. Soudain Du Roy aperçut à sa gauche, sous un large dôme de palmiers, un vaste bassin de marbre blanc où l'on aurait pu se baigner et sur les bords duquel quatre grands cygnes en faïence de Delft laissaient tomber l'eau de leurs becs entrouverts. Suddenly Du Roy saw on his left, under a broad dome of palm trees, a vast basin of white marble where one could have bathed and on the edges of which four large swans made of Delft faience dropped water from their open mouths. . Le fond du bassin était sablé de poudre d'or et l'on voyait nager dedans quelques énormes poissons rouges, bizarres monstres chinois aux yeux saillants, aux écailles bordées de bleu, sortes de mandarins des ondes qui rappelaient, errants et suspendus ainsi sur ce fond d'or, les étranges broderies de là-bas. The bottom of the basin was sandblasted with gold powder, and there were swimming in some huge goldfish, bizarre Chinese monsters with projecting eyes, blue-edged scales, sorts of mandarins waves that reminded, wandering and hanging like this. gold background, the strange embroidery there. Le journaliste s'arrêta le cœur battant. The journalist stopped with a beating heart. Il se disait :

« Voilà, voilà du luxe. "Here is luxury. Voilà les maisons où il faut vivre. These are the houses where you have to live. D'autres y sont parvenus. Others have succeeded. Pourquoi n'y arriverais-je point ? Why should I not reach there? » Il songeait aux moyens, n'en trouvait pas sur-le-champ, et s'irritait de son impuissance. He thought of the means, did not find them on the spot, and was irritated by his impotence. Sa compagne ne parlait plus, un peu songeuse. His companion was no longer talking, a little pensive. Il la regarda de côté et il pensa encore une fois : « Il suffisait pourtant d'épouser cette marionnette de chair. He looked at her side and he thought again: "It was enough, however, to marry this puppet of flesh. Mais Suzanne tout d'un coup parut se réveiller : But Suzanne suddenly seemed to wake up: « Attention », dit-elle.

Elle poussa Georges à travers un groupe qui barrait leur chemin, et le fit brusquement tourner à droite. She pushed George across a group that was blocking their way, and made him turn sharply to the right.

Au milieu d'un bosquet de plantes singulières qui tendaient en l'air leurs feuilles tremblantes, ouvertes comme des mains aux doigts minces, on apercevait un homme immobile, debout sur la mer. In the midst of a grove of singular plants which stretched their trembling leaves in the air, open like thin-fingered hands, one could see a motionless man standing on the sea. L'effet était surprenant. The effect was surprising. Le tableau, dont les côtés se trouvaient cachés dans les verdures mobiles, semblait un trou noir sur un lointain fantastique et saisissant. The painting, whose sides were hidden in the mobile greens, seemed a black hole on a fantastic and striking distance.

Il fallait bien regarder pour comprendre. It was necessary to look to understand. Le cadre coupait le milieu de la barque où se trouvaient les apôtres à peine éclairés par les rayons obliques d'une lanterne, dont l'un d'eux, assis sur le bordage, projetait toute la lumière sur Jésus qui s'en venait. The frame cut through the middle of the boat where the apostles were, scarcely enlightened by the oblique rays of a lantern, of which one of them, seated on the planking, projected all the light on Jesus who was coming. Le Christ avançait le pied sur une vague qu'on voyait se creuser, soumise, aplanie, caressante sous le pas divin qui la foulait. Christ advanced his foot on a wave that was being hollowed out, submissive, flattened, caressing under the divine step which trampled upon it. Tout était sombre autour de l'Homme-Dieu. Seules les étoiles brillaient au ciel.

Les figures des apôtres, dans la lueur vague du fanal porté par celui qui montrait le Seigneur, paraissaient convulsées par la surprise. The figures of the apostles, in the vague light of the lantern carried by the one who showed the Lord, seemed convulsed by surprise.

C'était bien là l'œuvre puissante et inattendue d'un maître, une de ces œuvres qui bouleversent la pensée et vous laissent du rêve pour des années. This was the powerful and unexpected work of a master, one of those works that upset thought and leave you dreaming for years. Les gens qui regardaient cela demeuraient d'abord silencieux, puis s'en allaient, songeurs, et ne parlaient qu'ensuite de la valeur de la peinture. The people who looked at it remained silent at first, then went off, pensive, and spoke only after the value of the painting. Du Roy, l'ayant contemplée quelque temps, déclara : « C'est chic de pouvoir se payer ces bibelots-là. "It's chic to be able to afford these trinkets. Mais comme on le heurtait, en le poussant pour voir, il repartit, gardant toujours sous son bras la petite main de Suzanne qu'il serrait un peu. But as he was bumped into him, pushing him to see, he left, still keeping under his arm Suzanne's little hand, which he was tightening a little. Elle lui demanda :

« Voulez-vous boire un verre de champagne ? Allons au buffet. Nous y trouverons papa. Et ils retraversèrent lentement tous les salons où la foule grossissait, houleuse, chez elle, une foule élégante de fête publique. And they walked slowly through all the drawing-rooms where the crowd was swelling, stormy, at her place, an elegant crowd of public fetes.

Georges soudain crut entendre une voix prononcer :

« C'est Laroche et Mme Du Roy. "It's Laroche and Madame Du Roy. » Ces paroles lui effleurèrent l'oreille comme ces bruits lointains qui courent dans le vent. These words touched his ear like those distant noises running in the wind. D'où venaient-elles ? Where did they come from? Il chercha de tous les côtés, et il aperçut en effet sa femme qui passait, au bras du ministre. He searched all around, and he saw his wife passing by, in the Minister's arm. Ils causaient tout bas d'une façon intime en souriant, et les yeux dans les yeux. They whispered in an intimate way, smiling, with eyes in their eyes. Il s'imagina remarquer qu'on chuchotait en les regardant, et il sentit en lui une envie brutale et stupide de sauter sur ces deux êtres et de les assommer à coups de poing. He imagined he was whispering, looking at them, and he felt in him a brutal and stupid urge to jump on these two beings and knock them out with their fists. Elle le rendait ridicule. She made him ridiculous. Il pensa à Forestier. On disait peut-être : « Ce cocu de Du Roy. It was said perhaps: "This cuckold Du Roy. » Qui était-elle ? Who was she? une petite parvenue assez adroite, mais sans grands moyens, en vérité. a little girl who was quite dexterous, but without great means, in truth. On venait chez lui parce qu'on le redoutait, parce qu'on le sentait fort, mais on devait parler sans gêne de ce petit ménage de journalistes. We came to his house because we dreaded him, because we felt strong, but we had to speak without embarrassment of this small household of journalists. Jamais il n'irait loin avec cette femme qui faisait sa maison toujours suspecte, qui se compromettrait toujours, dont l'allure dénonçait l'intrigante. He would never go far with that woman who made her home always suspicious, who would always compromise herself, whose appearance denounced the intriguing. Elle serait maintenant un boulet à son pied. She would now be a ball to his foot. Ah ! s'il avait deviné, s'il avait su ! if he had guessed, if he had known! Comme il aurait joué un peu plus large, plus fort ! As he would have played a little wider, stronger! Quelle belle partie il aurait pu gagner avec la petite Suzanne pour enjeu ! What a nice part he could have won with little Suzanne for stake! Comment avait-il été assez aveugle pour ne pas comprendre ça ? How had he been so blind as not to understand that?

Ils arrivaient à la salle à manger, une immense pièce à colonnes de marbre, aux murs tendus de vieux Gobelins. They arrived at the dining room, a huge room with marble columns, with the walls stretched by old Gobelins.

Walter aperçut son chroniqueur et s'élança pour lui prendre les mains. Walter perceived his chronicler and sprang forward to take his hands. Il était ivre de joie : He was drunk with joy:

« Avez-vous tout vu ? Dis, Suzanne, lui as-tu tout montré ? Que de monde, n'est-ce pas, Bel-Ami ? How many people, is not it, Bel-Ami? Avez-vous vu le prince de Guerche ? Have you seen Prince de Guerche? Il est venu boire un verre de punch, tout à l'heure. He came for a drink of punch just now. Puis il s'élança vers le sénateur Rissolin qui traînait sa femme étourdie et ornée comme une boutique foraine. Then he darted toward Senator Rissolin, who was dragging his dazed and adorned wife like a carnival shop. Un monsieur saluait Suzanne, un grand garçon mince, à favoris blonds, un peu chauve, avec cet air mondain qu'on reconnaît partout. A gentleman bowed to Suzanne, a tall, slender boy, with fair, bald whiskers, with that mundane look one recognizes everywhere. Georges l'entendit nommer : le marquis de Cazolles, et il fut brusquement jaloux de cet homme. Georges heard him name: the Marquis de Cazolles, and he was suddenly jealous of this man. Depuis quand le connaissait-elle ? Since when did she know him? Depuis sa fortune sans doute ? Since his fortune, no doubt? Il devinait un prétendant. He guessed a suitor.

On le prit par le bras. He was taken by the arm. C'était Norbert de Varenne. It was Norbert de Varenne. Le vieux poète promenait ses cheveux gras et son habit fatigué d'un air indifférent et las. The old poet walked his greasy hair and his tired clothes with an indifferent and weary air. « Voilà ce qu'on appelle s'amuser, dit-il. "This is called fun," he said. Tout à l'heure on dansera ; et puis on se couchera ; et les petites filles seront contentes. Just now we will dance; and then we will go to bed; and the little girls will be happy. Prenez du champagne, il est excellent. Take champagne, it is excellent. Il se fit emplir un verre et, saluant Du Roy qui en avait pris un autre : He filled himself a glass and, bowing to Du Roy who had taken another:

« Je bois à la revanche de l'esprit sur les millions. "I drink to the revenge of the mind on millions. Puis il ajouta, d'une voix douce : Then he added, in a soft voice: « Non pas qu'ils me gênent chez les autres ou que je leur en veuille. "Not that they bother me in others or that I want them. Mais je proteste par principe. But I protest in principle. Georges ne l'écoutait plus. Georges did not listen to him anymore. Il cherchait Suzanne qui venait de disparaître avec le marquis de Cazolles, et quittant brusquement Norbert de Varenne, il se mit à la poursuite de la jeune fille. He was looking for Suzanne, who had just disappeared with the Marquis de Cazolles, and quitting Norbert de Varenne abruptly, he set out in pursuit of the girl.

Une cohue épaisse qui voulait boire l'arrêta. A thick crush who wanted to drink stopped him. Comme il l'avait enfin franchie, il se trouva nez à nez avec le ménage de Marelle. As he had finally crossed it, he found himself face to face with Marelle's household. Il voyait toujours la femme ; mais il n'avait pas rencontré depuis longtemps le mari, qui lui saisit les deux mains : He always saw the woman; but he had not met for a long time the husband, who seized both his hands: « Que je vous remercie, mon cher, du conseil que vous m'avez fait donner par Clotilde. "I thank you, my dear, for the advice you gave me by Clotilde. J'ai gagné près de cent mille francs avec l'emprunt marocain. I earned nearly a hundred thousand francs with the Moroccan loan. C'est à vous que je les dois. I owe them to you. On peut dire que vous êtes un ami précieux. We can say that you are a precious friend. Des hommes se retournaient pour regarder cette brunette élégante et jolie. Men were turning to look at this pretty and pretty brunette. Du Roy répondit : Du Roy answered:

« En échange de ce service, mon cher, je prends votre femme ou plutôt je lui offre mon bras. "In exchange for this service, my dear, I take your wife or rather I offer her my arm. Il faut toujours séparer les époux. We must always separate the spouses. M. de Marelle s'inclina : M. de Marelle bowed: « C'est juste. " It's just. Si je vous perds, nous nous retrouverons ici dans une heure. If I lose you, we'll meet here in an hour.

– Parfaitement. Et les deux jeunes gens s'enfoncèrent dans la foule, suivis par le mari. And the two young men sank into the crowd, followed by the husband. Clotilde répétait : Clotilde repeated:

« Quels veinards que ces Walter. "What lucky that these Walter. Ce que c'est tout de même que d'avoir l'intelligence des affaires. What it is all the same to have business intelligence. Georges répondit : George replied:

« Bah ! "Bah! Les hommes forts arrivent toujours, soit par un moyen, soit par un autre. Strong men always come, either by some means or by another. Elle reprit : She went on:

« Voilà deux filles qui auront de vingt à trente millions chacune. "There are two girls who will have twenty to thirty millions each. Sans compter que Suzanne est jolie. Not to mention that Suzanne is pretty. Il ne dit rien. He does not say anything. Sa propre pensée sortie d'une autre bouche l'irritait. His own thought from another mouth irritated him. Elle n'avait pas encore vu Jésus marchant sur les flots. She had not yet seen Jesus walking on the waves. Il proposa de l'y conduire. Ils s'amusaient à dire du mal des gens, à se moquer des figures inconnues. Saint-Potin passa près d'eux, portant sur le revers de son habit des décorations nombreuses, ce qui les amusa beaucoup. Un ancien ambassadeur, venant derrière, montrait une brochette moins garnie. A former ambassador, coming in behind, was showing a lighter skewer.

Du Roy déclara :

« Quelle salade de société. "What a salad of society. Boisrenard, qui lui serra la main, avait aussi orné sa boutonnière de ruban vert et jaune sorti le jour du duel. Boisrenard, who shook his hand, had also adorned his buttonhole with green and yellow ribbon, which had been taken out on the day of the duel.

La vicomtesse de Percemur, énorme et parée, causait avec un duc dans le petit boudoir Louis XVI. The Vicomtesse de Percemur, enormous and adorned, was chatting with a duke in the little Louis XVI boudoir.

Georges murmura :

« Un tête-à-tête galant. Mais en traversant la serre, il revit sa femme assise près de Laroche-Mathieu, presque cachés tous deux derrière un bouquet de plantes. But as he walked through the greenhouse, he saw his wife sitting near Laroche-Mathieu, almost hidden behind a bunch of plants. Ils semblaient dire :

« Nous nous sommes donnés un rendez-vous ici, un rendez-vous public. "We made an appointment here, a public meeting. Car nous nous fichons de l'opinion. Because we do not care about opinion. Mme de Marelle reconnut que ce Jésus de Karl Marcowitch était très étonnant ; et ils revinrent. Madame de Marelle recognized that this Jesus of Karl Marcowitch was very surprising; and they came back. Ils avaient perdu le mari. They had lost the husband.

Il demanda : He asked :

« Et Laurine, est-ce qu'elle m'en veut toujours ? "And Laurine, does she still want me? – Oui, toujours autant. - Yes, always so much. Elle refuse de te voir et s'en va quand on parle de toi. She refuses to see you and goes away when we talk about you. Il ne répondit rien. He did not answer. L'inimitié de cette fillette le chagrinait et lui pesait. The enmity of this little girl saddened and weighed him. Suzanne les saisit au détour d'une porte, criant : Suzanne seized them at the bend of a door, shouting: – Ah ! vous voilà ! Eh bien, Bel-Ami, vous allez rester seul. Well, Bel-Ami, you'll be left alone. J'enlève la belle Clotilde pour lui montrer ma chambre. I take off the beautiful Clotilde to show her my room. Et les deux femmes s'en allèrent, d'un pas pressé, glissant à travers le monde, de ce mouvement onduleux, de ce mouvement de couleuvre qu'elles savent prendre dans les foules. And the two women went off, with a hurried step, slipping across the world, of this undulating movement, of that movement of snakes they know how to take in crowds. Presque aussitôt une voix murmura : « Georges ! C'était Mme Walter. Elle reprit très bas : « Oh ! que vous êtes férocement cruel ! Que vous me faites souffrir inutilement. J'ai chargé Suzette d'emmener celle qui vous accompagnait afin de pouvoir vous dire un mot. I charged Suzette to take the one who was with you to tell you a word. Écoutez, il faut… que je vous parle ce soir… ou bien… ou bien… vous ne savez pas ce que je ferai. Listen, I have to ... speak to you tonight ... either ... or ... you do not know what I'll do. Allez dans la serre. Go to the greenhouse. Vous y trouverez une porte à gauche et vous sortirez dans le jardin. You will find a door on the left and you will go out in the garden. Suivez l'allée qui est en face. Tout au bout vous verrez une tonnelle. At the end you will see an arbor. Attendez-moi là dans dix minutes. Si vous ne voulez pas, je vous jure que je fais un scandale, ici, tout de suite ! If you do not want to, I swear I'm doing a scandal here, right now! Il répondit avec hauteur : He answered with height:

« Soit. J'y serai dans dix minutes à l'endroit que vous m'indiquez. I'll be there in ten minutes where you tell me. Et ils se séparèrent. Mais Jacques Rival faillit le mettre en retard. But Jacques Rival almost put him late. Il l'avait pris par le bras et lui racontait un tas de choses avec l'air très exalté. He had taken him by the arm and told him a lot of things with a very exalted air. Il venait sans doute du buffet. It probably came from the buffet. Enfin Du Roy le laissa aux mains de M. de Marelle retrouvé entre deux portes, et il s'enfuit. Il lui fallut encore prendre garde de n'être pas vu par sa femme et par Laroche. He still had to be careful not to be seen by his wife and Laroche. Il y parvint, car ils semblaient fort animés, et il se trouva dans le jardin. He succeeded, for they seemed very animated, and he found himself in the garden.

L'air froid le saisit comme un bain de glace. Il pensa :

« Cristi, je vais attraper un rhume », et il mit son mouchoir à son cou en manière de cravate. Puis il suivit à pas lents l'allée, y voyant mal au sortir de la grande lumière des salons. Then he followed slowly the path, seeing it badly coming out of the great light of the salons. Il distinguait à sa droite et à sa gauche des arbustes sans feuilles dont les branches menues frémissaient. On his right and on his left he could see leafless shrubs with small branches quivering. Des lueurs grises passaient dans ces ramures, des lueurs venues des fenêtres de l'hôtel. Gray gleams passed through these branches, gleams from the windows of the hotel. Il aperçut quelque chose de blanc, au milieu du chemin, devant lui, et Mme Walter, les bras nus, la gorge nue, balbutia d'une voix frémissante : He saw something white, in the middle of the road, in front of him, and Madame Walter, bare-armed, her throat naked, stammered in a quivering voice: « Ah ! te voilà ? tu veux donc me tuer ? you want to kill me? Il répondit tranquillement : He answered quietly:

« Je t'en prie, pas de drame, n'est-ce pas, ou je fiche le camp tout de suite. "Please, no drama, do you, or I'll leave immediately. Elle l'avait saisi par le cou, et, les lèvres tout près des lèvres, elle disait : She had seized him by the neck, and, lips close to the lips, she said: « Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? Tu te conduis avec moi comme un misérable ! You're behaving like a wretch with me! Qu'est-ce que je t'ai fait ? Il essayait de la repousser : He was trying to push her away:

« Tu as entortillé tes cheveux à tous mes boutons la dernière fois que je t'ai vue, et ça a failli amener une rupture entre ma femme et moi. "You twisted your hair at all my buttons the last time I saw you, and it almost brought a break between my wife and me. Elle demeura surprise, puis, faisant « non » de la tête :

« Oh ! ta femme s'en moque bien. your wife couldn't care less. C'est quelqu'une de tes maîtresses qui t'aura fait une scène. This is one of your mistresses who will have made you a scene. – Je n'ai pas de maîtresses. - I do not have mistresses. – Tais-toi donc ! - Shut up! Mais pourquoi ne viens-tu plus même me voir ? But why do not you come to see me? Pourquoi refuses-tu de dîner, rien qu'un jour par semaine, avec moi ? Why do you refuse to dine, just one day a week, with me? C'est atroce ce que je souffre ; je t'aime à n'avoir plus une pensée qui ne soit pour toi, à ne pouvoir rien regarder sans te voir devant mes yeux, à ne plus oser prononcer un mot sans avoir peur de dire ton nom ! It is atrocious what I suffer; I love you no longer having a thought that is not for you, not being able to look at it without seeing you before my eyes, not daring to utter a word without being afraid to say your name! Tu ne comprends pas ça, toi ! Il me semble que je suis prise dans des griffes, nouée dans un sac, je ne sais pas. It seems to me that I am caught in claws, knotted in a bag, I do not know. Ton souvenir, toujours présent, me serre la gorge, me déchire quelque chose là, dans la poitrine, sous le sein, me casse les jambes à ne plus me laisser la force de marcher. Your memory, always present, squeezes my throat, tears me something there, in the chest, under the breast, breaks my legs to no longer allow me the strength to walk. Et je reste comme une bête, toute la journée, sur une chaise, en pensant à toi. Il la regardait avec étonnement. He looked at her with astonishment. Ce n'était plus la grosse gamine folâtre qu'il avait connue, mais une femme éperdue, désespérée, capable de tout. It was no longer the fat, playful girl he had known, but a distraught, desperate woman, capable of anything. Un projet vague, cependant, naissant dans son esprit. A vague project, however, arising in his mind.

Il répondit :

« Ma chère, l'amour n'est pas éternel. On se prend et on se quitte. Mais quand ça dure comme entre nous ça devient un boulet horrible. But when it lasts like us it becomes a horrible ball. Je n'en veux plus. I do not want it anymore. Voilà la vérité. That's the truth. Cependant, si tu sais devenir raisonnable, me recevoir et me traiter ainsi qu'un ami, je reviendrai comme autrefois. However, if you know how to be reasonable, receive me and treat me and a friend, I will come back as before. Te sens-tu capable de ça ? Elle posa ses deux bras nus sur l'habit noir de Georges et murmura : She put her two bare arms on Georges's black coat and murmured: « Je suis capable de tout pour te voir.

– Alors, c'est convenu, dit-il, nous sommes amis, rien de plus. "So, it's agreed," he said, "we're friends, nothing more. Elle balbutia : She stammered:

« C'est convenu. "It's agreed. » Puis tendant ses lèvres vers lui : Then extending his lips to him:

« Encore un baiser… le dernier. "Another kiss ... the last one. Il refusa doucement. He refused gently.

Non. No. Il faut tenir nos conventions. We must keep our conventions. Elle se détourna en essuyant deux larmes, puis tirant de son corsage un paquet de papiers noués avec un ruban de soie rose, elle l'offrit à Du Roy : « Tiens. She turned away, wiping away two tears, then pulling from her bodice a bundle of papers tied with a pink silk ribbon, she offered it to Du Roy: "Here. C'est ta part de bénéfice dans l'affaire du Maroc. J'étais si contente d'avoir gagné cela pour toi. I was so happy to have won this for you. Tiens, prends-le donc… » Here, take it, then ... "

Il voulait refuser :

« Non, je ne recevrai point cet argent ! Alors elle se révolta. So she rebelled.

« Ah ! tu ne me feras pas ça, maintenant. you will not do that to me now. Il est à toi, rien qu'à toi. It's yours, just yours. Si tu ne le prends point, je le jetterai dans un égout. If you do not take it, I'll throw it in a sewer. Tu ne me feras pas cela, Georges ? You will not do that to me, George? Il reçut le petit paquet et le glissa dans sa poche. He received the small package and slipped it into his pocket.

« Il faut rentrer, dit-il, tu vas attraper une fluxion de poitrine. "You have to go home," he said, "you're going to catch a chest inflammation. Elle murmura :

« Tant mieux ! "So much the better! si je pouvais mourir. if I could die. Elle lui prit une main, la baisa avec passion, avec rage, avec désespoir, et elle se sauva vers l'hôtel. She took her hand, kissed her passionately, furiously, desperately, and fled to the hotel. Il revint doucement, en réfléchissant. He came back slowly, thinking. Puis il rentra dans la serre, le front hautain, la lèvre souriante. Then he returned to the greenhouse, his haughty forehead, his lip smiling.

Sa femme et Laroche n'étaient plus là. His wife and Laroche were no longer there. La foule diminuait. The crowd diminished. Il devenait évident qu'on ne resterait pas au bal. It became obvious that we would not stay at the ball. Il aperçut Suzanne qui tenait le bras de sa sœur. He saw Suzanne holding her sister's arm. Elles vinrent vers lui toutes les deux pour lui demander de danser le premier quadrille avec le comte de Latour-Yvelin. They came to him both to ask him to dance the first quadrille with Count de Latour-Yvelin.

Il s'étonna. He was surprised. « Qu'est-ce encore que celui-là ? "What more than this one? Suzanne répondit avec malice : Suzanne answered maliciously:

« C'est un nouvel ami de ma sœur. "It's a new friend of my sister. Rose rougit et murmura : Rose blushed and murmured:

« Tu es méchante, Suzette, ce monsieur n'est pas plus mon ami que le tien. "You are wicked, Suzette, this gentleman is no more my friend than yours. L'autre souriait : The other was smiling: « Je m'entends. " I hear myself. Rose, fâchée, leur tourna le dos et s'éloigna. Rose, angry, turned her back on them and walked away. Du Roy prit familièrement le coude de la jeune fille restée près de lui et de sa voix caressante : Du Roy took familiarly the elbow of the girl who had remained near him and in his caressing voice:

« Écoutez, ma chère petite, me croyez-vous bien votre ami ? "Listen, my dear, do you believe me your friend?

– Mais oui, Bel-Ami. - Yes, Bel-Ami.

– Vous avez confiance en moi ? - Do you trust me?

– Tout à fait. - Absolutely.

– Vous vous rappelez ce que je vous disais tantôt ? - Do you remember what I told you earlier?

– À propos de quoi ? - About what ?

– À propos de votre mariage, ou plutôt de l'homme que vous épouserez. - About your marriage, or rather the man you marry. – Oui. - Yes.

– Eh bien, voulez-vous me promettre une chose ? "Well, will you promise me something?

– Oui, mais quoi ? - Yes but what ?

– C'est de me consulter toutes les fois qu'on demandera votre main, et de n'accepter personne sans avoir pris mon avis. - It is to consult me every time that one will ask your hand, and to accept nobody without having taken my opinion. – Oui, je veux bien. - Yes I want.

– Et c'est un secret entre nous deux. - And it's a secret between us two. Pas un mot de ça à votre père ni à votre mère. Not a word of it to your father or your mother.

– Pas un mot. - Not a word.

– C'est juré ? - Is it sworn? – C'est juré. - It's sworn. Rival arrivait, l'air affairé : Rival was coming in, looking busy: « Mademoiselle, votre papa vous demande pour le bal. "Mademoiselle, your dad asks you for the ball. Elle dit :

« Allons, Bel-Ami. Mais il refusa, décidé à partir tout de suite, voulant être seul pour penser. But he refused, decided to leave immediately, wanting to be alone to think. Trop de choses nouvelles venaient de pénétrer dans son esprit et il se mit à chercher sa femme. Too many new things had entered his mind and he began to look for his wife. Au bout de quelque temps il l'aperçut qui buvait du chocolat, au buffet, avec deux messieurs inconnus. After a while he saw him drinking chocolate at the buffet with two unknown gentlemen. Elle leur présenta son mari, sans les nommer à lui. She introduced them to her husband, without naming them to him.

Après quelques instants il demanda : After a few moments he asked:

« Partons-nous ? "Are we leaving?

– Quand tu voudras. - When you want. Elle prit son bras et ils retraversèrent les salons où le public devenait rare. She took his arm and they went back to the lounges where the public became rare.

Elle demanda : She asked:

« Où est la Patronne ? je voudrais lui dire adieu.

– C'est inutile. Elle essaierait de nous garder au bal et j'en ai assez. She would try to keep us at the ball and I'm tired of it. – C'est vrai, tu as raison. - Its true, you are right. Tout le long de la route ils furent silencieux. All along the road they were silent. Mais, aussitôt rentrés en leur chambre, Madeleine souriante lui dit, sans même ôter son voile : But as soon as they got back to their room, Madeleine smiled and said, without even taking off her veil:

« Tu ne sais pas, j'ai une surprise pour toi., » Il grogna avec mauvaise humeur : He growled in a bad mood:

« Quoi donc ? " What ?

– Devine. - Guess.

– Je ne ferai pas cet effort. - I will not make this effort.

– Eh bien, c'est après-demain le premier janvier. "Well, it's the day after tomorrow, the first of January. – Oui. - Yes.

– C'est le moment des étrennes. - It's the moment of New Year's gifts. Oui. Yes.

– Voici les tiennes, que Laroche m'a remises tout à l'heure. "Here are yours, which Laroche has given me just now. Elle lui présenta une petite boîte noire qui semblait un écrin à bijoux. She presented him with a little black box that looked like a jewelry box.

Il l'ouvrit avec indifférence et aperçut la croix de la Légion d'honneur. He opened it indifferently and saw the cross of the Legion of Honor. Il devint un peu pâle, puis il sourit et déclara : He became a little pale, then smiled and said:

« J'aurais préféré dix millions. "I would have preferred ten million. Cela ne lui coûte pas cher. It does not cost him much. Elle s'attendait à un transport de joie, et elle fut irritée de cette froideur. She expected a transport of joy, and she was irritated by this coldness. « Tu es vraiment incroyable. "You are really amazing. Rien ne te satisfait maintenant. Nothing satisfies you now. Il répondit tranquillement : He answered quietly:

« Cet homme ne fait que payer sa dette. "This man is only paying his debt. Et il me doit encore beaucoup. And he owes me a lot again. Elle fut étonnée de son accent, et reprit : She was astonished at his accent, and went on:

« C'est pourtant beau, à ton âge. "It's beautiful, however, at your age. Il déclara : He declared:

« Tout est relatif. " All is relative. Je pourrais avoir davantage, aujourd'hui. I could have more today. Il avait pris l'écrin, il le posa tout ouvert sur la cheminée, considéra quelques instants l'étoile brillante couchée dedans. He had taken the case, he set it all open on the mantelpiece, for a moment considered the brilliant star lying in it. Puis il le referma, et se mit au lit en haussant les épaules. Then he closed it again, and went to bed, shrugging his shoulders.

L'Officiel du 1erjanvier annonça, en effet, la nomination de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, au grade de chevalier de la Légion d'honneur, pour services exceptionnels. The Official of January 1st announced, indeed, the appointment of Mr. Prosper-Georges Du Roy, publicist, to the rank of knight of the Legion of Honor, for exceptional services. Le nom était écrit en deux mots, ce qui fit à Georges plus de plaisir que la décoration même. The name was written in two words, which made Georges more enjoyable than the decoration itself.

Une heure après avoir lu cette nouvelle devenue publique, il reçut un mot de la Patronne qui le suppliait de venir dîner chez elle, le soir même, avec sa femme, pour fêter cette distinction. An hour after reading this news, he received a word from the Patroness, who begged him to come and dine with her wife that very evening to celebrate this distinction. Il hésita quelques minutes, puis jetant au feu ce billet écrit en termes ambigus, il dit à Madeleine : Nous dînerons ce soir chez les Walter. He hesitated for a few minutes, and then tossing the note in ambiguous terms into the fire, he said to Madeleine, "We'll have dinner at the Walter's house tonight." Elle fut étonnée. She was surprised.

Tiens ! Here! mais je croyais que tu ne voulais plus y mettre les pieds ? but I thought you did not want to go there? Il murmura seulement : He only murmured:

« J'ai changé d'avis. " I changed my mind. Quand ils arrivèrent, la Patronne était seule dans le petit boudoir Louis XVI adopté pour ses réceptions intimes. When they arrived, the Patronne was alone in the little Louis XVI boudoir adopted for her private receptions. Vêtue de noir, elle avait poudré ses cheveux, ce qui la rendait charmante. Dressed in black, she had powdered her hair, which made her charming. Elle avait l'air, de loin, d'une vieille, de près, d'une jeune, et, quand on la regardait bien, d'un joli piège pour les yeux. She looked, from a distance, an old woman, a young woman, and, when she was looked at, a pretty trap for her eyes. « Vous êtes en deuil ? "Are you in mourning? » demanda Madeleine. Asked Madeleine.

Elle répondit tristement : She answered sadly:

« Oui et non. " Yes and no. Je n'ai perdu personne des miens. I did not lose anyone of mine. Mais je suis arrivée à l'âge où on fait le deuil de sa vie. But I have reached the age where one mourns one's life. Je le porte aujourd'hui pour l'inaugurer. I am wearing it today to inaugurate it. Désormais je le porterai dans mon cœur. From now on I will wear it in my heart. Du Roy pensa : « Ça tiendra-t-il, cette résolution là ? Du Roy thought, "Will it hold, this resolution there? Le dîner fut un peu morne. The dinner was a little dreary. Seule Suzanne bavardait sans cesse. Only Suzanne was chatting incessantly. Rose semblait préoccupée. Rose seemed preoccupied. On félicita beaucoup le journaliste. The journalist was congratulated.

Le soir on s'en alla, errant et causant, par les salons et par la serre. In the evening we went, wandering and chatting, through the salons and the greenhouse. Comme Du Roy marchait derrière, avec la Patronne, elle le retint par le bras. As Du Roy walked behind, with the Patronne, she held him by the arm.

« Écoutez, dit-elle à voix basse… Je ne vous parlerai plus de rien, jamais… Mais venez me voir, Georges. "Listen," she said in a low voice. "I will not talk to you about anything, never. But come and see me, Georges. Vous voyez que je ne vous tutoie plus. You see that I do not love you any more. Il m'est impossible de vivre sans vous, impossible. It is impossible for me to live without you, impossible. C'est une torture inimaginable. It's an unimaginable torture. Je vous sens, je vous garde dans mes yeux, dans mon cœur et dans ma chair tout le jour et toute la nuit. I feel you, I keep you in my eyes, in my heart and in my flesh all day and all night. C'est comme si vous m'aviez fait boire un poison qui me rongerait en dedans. It's as if you had made me drink a poison that would eat me inside. Je ne puis pas. I can not. Non. No. Je ne puis pas. I can not. Je veux bien n'être pour vous qu'une vieille femme. I do not want to be anything but an old woman. Je me suis mise en cheveux blancs pour vous le montrer ; mais venez ici, venez de temps en temps, en ami. I put myself in white hair to show you; but come here, come from time to time, as a friend. Elle lui avait pris la main et elle la serrait, la broyait, enfonçant ses ongles dans sa chair. She had taken her hand and she was squeezing it, grinding it, pushing her nails into her flesh.

Il répondit avec calme :

C'est entendu. Il est inutile de reparler de ça. It's useless to talk about that again. Vous voyez bien que je suis venu aujourd'hui, tout de suite, sur votre lettre. You see that I came today, right away, on your letter. Walter, qui allait devant avec ses deux filles et Madeleine, attendit Du Roy auprès du Jésus marchant sur les flots. Walter, who was going ahead with his two daughters and Madeleine, waited Du Roy beside the Jesus walking on the waves.

« Figurez-vous, dit-il en riant, que j'ai trouvé ma femme hier à genoux devant ce tableau comme dans une chapelle. "Imagine," said he, laughing, "that I found my wife kneeling before this picture as in a chapel. Elle faisait là ses dévotions. She was doing her devotions. Ce que j'ai ri ! What I laughed! Mme Walter répliqua d'une voix ferme, d'une voix où vibrait une exaltation secrète : Mrs. Walter replied firmly, in a voice in which a secret exaltation vibrated: « C'est ce Christ-là qui sauvera mon âme. "It is this Christ who will save my soul. Il me donne du courage et de la force toutes les fois que je le regarde. He gives me courage and strength whenever I look at him. Et, s'arrêtant en face du Dieu debout sur la mer, elle murmura : And, stopping in front of the God standing on the sea, she murmured: « Comme il est beau ! " How beautiful ! Comme ils en ont peur et comme ils l'aiment, ces hommes ! As they are afraid and as they like, these men! Regardez donc sa tête, ses yeux, comme il est simple et surnaturel en même temps ! Look at his head, his eyes, how simple and supernatural he is at the same time! Suzanne s'écria : Suzanne exclaimed: « Mais il vous ressemble, Bel-Ami. "But he looks like you, Bel-Ami. Je suis sûre qu'il vous ressemble. I'm sure he looks like you. Si vous aviez des favoris, ou bien s'il était rasé, vous seriez tout pareils tous les deux. If you had favorites, or if he was shaved, you would be both the same. Oh ! mais c'est frappant ! but it's striking! Elle voulut qu'il se mît debout à côté du tableau ; et tout le monde reconnut, en effet, que les deux figures se ressemblaient ! She wanted him to stand next to the board; and everyone recognized, in fact, that the two figures were alike! Chacun s'étonna. Walter trouva la chose bien singulière. Walter found the thing very singular. Madeleine, en souriant, déclara que Jésus avait l'air plus viril. Madeleine, smiling, declared that Jesus looked more manly. Mme Walter demeurait immobile, contemplant d'un œil fixe le visage de son amant à côté du visage du Christ, et elle était devenue aussi blanche que ses cheveux blancs. Mrs. Walter remained motionless, gazing fixedly at her lover's face beside the face of Christ, and she had become as white as her white hair.