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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 6

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 6

– VI –

L'église était tendue de noir, et, sur le portail, un grand écusson coiffé d'une couronne annonçait aux passants qu'on enterrait un gentilhomme. La cérémonie venait de finir, les assistants s'en allaient lentement, défilant devant le cercueil et devant le neveu du comte de Vaudrec, qui serrait les mains et rendait les saluts. Quand Georges Du Roy et sa femme furent sortis, ils se mirent à marcher côte à côte, pour rentrer chez eux. Ils se taisaient, préoccupés.

Enfin, Georges prononça, comme parlant à lui-même :

« Vraiment, c'est bien étonnant ! Madeleine demanda :

« Quoi donc, mon ami ?

– Que Vaudrec ne nous ait rien laissé ! Elle rougit brusquement, comme si un voile rose se fût étendu tout à coup sur sa peau blanche, en montant de la gorge au visage, et elle dit :

« Pourquoi nous aurait-il laissé quelque chose ? Il n'y avait aucune raison pour ça ! Puis, après quelques instants de silence, elle reprit :

« Il existe peut-être un testament chez un notaire. Nous ne saurions rien encore. Il réfléchit, puis murmura :

« Oui, c'est probable, car, enfin, c'était notre meilleur ami, à tous les deux. Il dînait deux fois par semaine à la maison, il venait à tout moment. Il était chez lui chez nous, tout à fait chez lui. Il t'aimait comme un père, et il n'avait pas de famille, pas d'enfants, pas de frères ni de sœurs, rien qu'un neveu, un neveu éloigné. Oui, il doit y avoir un testament. Je ne tiendrais pas à grand-chose, un souvenir, pour prouver qu'il a pensé à nous, qu'il nous aimait, qu'il reconnaissait l'affection que nous avions pour lui. Il nous devait bien une marque d'amitié. Elle dit, d'un air pensif et indifférent : « C'est possible, en effet, qu'il y ait un testament. Comme ils rentraient chez eux, le domestique présenta une lettre à Madeleine. Elle l'ouvrit, puis la tendit à son mari. Étude de Maître Lamaneur

Notaire

17, rue des Vosges

Madame,

J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien passer à mon étude, de deux heures à quatre heures, mardi, mercredi ou jeudi, pour affaire qui vous concerne. Recevez, etc.

LAMANEUR.

Georges avait rougi, à son tour :

« Ça doit être ça. C'est drôle que ce soit toi qu'il appelle, et non moi qui suis légalement le chef de famille. Elle ne répondit point d'abord, puis après une courte réflexion : « Veux-tu que nous y allions tout à l'heure ? – Oui, je veux bien. Ils se mirent en route dès qu'ils eurent déjeuné. Lorsqu'ils entrèrent dans l'étude de maître Lamaneur, le premier clerc se leva avec un empressement marqué et les fit pénétrer chez son patron. Le notaire était un petit homme tout rond, rond de partout. Sa tête avait l'air d'une boule clouée sur une autre boule que portaient deux jambes si petites, si courtes qu'elles ressemblaient aussi presque à des boules. Il salua, indiqua des sièges, et dit en se tournant vers Madeleine :

« Madame, je vous ai appelée afin de vous donner connaissance du testament du comte de Vaudrec qui vous concerne. Georges ne put se tenir de murmurer :

« Je m'en étais douté. Le notaire ajouta :

« Je vais vous communiquer cette pièce, très courte d'ailleurs. Il atteignit un papier dans un carton devant lui, et lut :

« Je soussigné, Paul-Émile-Cyprien-Gontran, comte de Vaudrec, sain de corps et d'esprit, exprime ici mes dernières volontés. « La mort pouvant nous emporter à tout moment, je veux prendre, en prévision de son atteinte, la précaution d'écrire mon testament qui sera déposé chez maître Lamaneur. « N'ayant pas d'héritiers directs, je lègue toute ma fortune, composée de valeurs de bourse pour six cent mille francs et de biens-fonds pour cinq cent mille francs environ, à Mme Claire-Madeleine Du Roy, sans aucune charge ou condition. Je la prie d'accepter ce don d'un ami mort, comme preuve d'une affection dévouée, profonde et respectueuse. Le notaire ajouta :

« C'est tout. Cette pièce est datée du mois d'août dernier et a remplacé un document de même nature, fait il y a deux ans, au nom de Mme Claire-Madeleine Forestier. J'ai ce premier testament qui pourrait prouver, en cas de contestation de la part de la famille, que la volonté de M. le comte de Vaudrec n'a point varié. Madeleine, très pâle, regardait ses pieds. Georges, nerveux, roulait entre ses doigts le bout de sa moustache. Le notaire reprit, après un moment de silence :

« Il est bien entendu, monsieur, que madame ne peut accepter ce legs sans votre consentement. Du Roy se leva, et, d'un ton sec : « Je demande le temps de réfléchir. Le notaire, qui souriait, s'inclina, et d'une voix aimable : « Je comprends le scrupule qui vous fait hésiter, monsieur. Je dois ajouter que le neveu de M. de Vaudrec, qui a pris connaissance, ce matin même, des dernières intentions de son oncle, se déclare prêt à les respecter si on lui abandonne une somme de cent mille francs. À mon avis, le testament est inattaquable, mais un procès ferait du bruit qu'il vous conviendra peut-être d'éviter. Le monde a souvent des jugements malveillants. Dans tous les cas, pourrez-vous me faire connaître votre réponse sur tous les points avant samedi ? Georges s'inclina : « Oui, monsieur. » Puis il salua avec cérémonie, fit passer sa femme demeurée muette, et il sortit d'un air tellement roide que le notaire ne souriait plus. Dès qu'ils furent rentrés chez eux, Du Roy ferma brusquement la porte, et, jetant son chapeau sur le lit : « Tu as été la maîtresse de Vaudrec ? Madeleine, qui enlevait son voile, se retourna d'une secousse : « Moi ? Oh !

– Oui, toi. On ne laisse pas toute sa fortune à une femme, sans que… »

Elle était devenue tremblante et ne parvenait point à ôter les épingles qui retenaient le tissu transparent.

Après un moment de réflexion, elle balbutia, d'une voix agitée : « Voyons… voyons… tu es fou… tu es… tu es… Est-ce que toi-même… tout à l'heure… tu n'espérais pas… qu'il te laisserait quelque chose ? Georges restait debout, près d'elle, suivant toutes ses émotions, comme un magistrat qui cherche à surprendre les moindres défaillances d'un prévenu. Il prononça, en insistant sur chaque mot :

« Oui… il pouvait me laisser quelque chose, à moi… à moi, ton mari… à moi, son ami… entends-tu… mais pas à toi… à toi, son amie… à toi, ma femme. La distinction est capitale, essentielle, au point de vue des convenances… et de l'opinion publique. Madeleine, à son tour, le regardait fixement, dans la transparence des yeux, d'une façon profonde et singulière, comme pour y lire quelque chose, comme pour y découvrir cet inconnu de l'être qu'on ne pénètre jamais et qu'on peut à peine entrevoir en des secondes rapides, en ces moments de non-garde, ou d'abandon, ou d'inattention, qui sont comme des portes laissées entrouvertes sur les mystérieux dedans de l'esprit. Et elle articula lentement :

« Il me semble pourtant que si… qu'on eût trouvé au moins aussi étrange un legs de cette importance, de lui… à toi. Il demanda brusquement :

« Pourquoi ça ? Elle dit :

« Parce que… »

Elle hésita, puis reprit :

« Parce que tu es mon mari… que tu ne le connais en somme que depuis peu… parce que je suis son amie depuis très longtemps… moi… parce que son premier testament, fait du vivant de Forestier, était déjà en ma faveur. Georges s'était mis à marcher à grands pas. Il déclara :

« Tu ne peux pas accepter ça. Elle répondit avec indifférence :

« Parfaitement ; alors, ce n'est pas la peine d'attendre à samedi ; nous pouvons faire prévenir tout de suite maître Lamaneur. Il s'arrêta en face d'elle ; et ils demeurèrent de nouveau quelques instants les yeux dans les yeux, s'efforçant d'aller jusqu'à l'impénétrable secret de leurs cœurs, de se sonder jusqu'au vif de la pensée. Ils tâchaient de se voir à nu la conscience en une interrogation ardente et muette : lutte intime de deux êtres qui, vivant côte à côte, s'ignorent toujours, se soupçonnent, se flairent, se guettent, mais ne se connaissent pas jusqu'au fond vaseux de l'âme. Et, brusquement, il lui murmura dans le visage, à voix basse :

« Allons, avoue que tu étais la maîtresse de Vaudrec. Elle haussa les épaules :

« Tu es stupide… Vaudrec avait beaucoup d'affection pour moi, beaucoup… mais rien de plus… jamais. Il frappa du pied :

« Tu mens. Ce n'est pas possible. Elle répondit tranquillement :

« C'est comme ça, pourtant. Il se mit à marcher, puis, s'arrêtant encore : « Explique-moi, alors, pourquoi il te laisse toute sa fortune, à toi… »

Elle le fit avec un air nonchalant et désintéressé :

« C'est tout simple. Comme tu le disais tantôt, il n'avait que nous d'amis, ou plutôt que moi, car il m'a connue enfant. Ma mère était dame de compagnie chez des parents à lui. Il venait sans cesse ici, et, comme il n'avait pas d'héritiers naturels, il a pensé à moi. Qu'il ait eu un peu d'amour pour moi, c'est possible. Mais quelle est la femme qui n'a jamais été aimée ainsi ? Que cette tendresse cachée, secrète, ait mis mon nom sous sa plume quand il a pensé à prendre des dispositions dernières, pourquoi pas ? Il m'apportait des fleurs, chaque lundi. Tu ne t'en étonnais nullement et il ne t'en donnait point, à toi, n'est-ce pas ? Aujourd'hui, il me donne sa fortune par la même raison et parce qu'il n'a personne à qui l'offrir. Il serait, au contraire, extrêmement surprenant qu'il te l'eût laissée ? Pourquoi ? Que lui es-tu ? Elle parlait avec tant de naturel et de tranquillité que Georges hésitait.

Il reprit :

« C'est égal, nous ne pouvons accepter cet héritage dans ces conditions. Ce serait d'un effet déplorable. Tout le monde croirait la chose, tout le monde en jaserait et rirait de moi. Les confrères sont déjà trop disposés à me jalouser et à m'attaquer. Je dois avoir plus que personne le souci de mon honneur et le soin de ma réputation. Il m'est impossible d'admettre et de permettre que ma femme accepte un legs de cette nature d'un homme que la rumeur publique lui a déjà prêté pour amant. Forestier aurait peut-être toléré cela, lui, mais moi, non. Elle murmura avec douceur :

« Eh bien, mon ami, n'acceptons pas, ce sera un million de moins dans notre poche, voilà tout. Il marchait toujours, et il se mit à penser tout haut, parlant pour sa femme sans s'adresser à elle. « Eh bien, oui… un million… tant pis… Il n'a pas compris en testant quelle faute de tact, quel oubli des convenances il commettait. Il n'a pas vu dans quelle position fausse, ridicule, il allait me mettre… Tout est affaire de nuances dans la vie… Il fallait qu'il m'en laissât la moitié, ça arrangeait tout. Il s'assit, croisa ses jambes et se mit à rouler le bout de ses moustaches, comme il faisait aux heures d'ennui, d'inquiétude et de réflexion difficile. Madeleine prit une tapisserie à laquelle elle travaillait de temps en temps, et elle dit en choisissant ses laines :

« Moi, je n'ai qu'à me taire. C'est à toi de réfléchir. Il fut longtemps sans répondre, puis il prononça, en hésitant :

« Le monde ne comprendra jamais et que Vaudrec ait fait de toi son unique héritière et que j'aie admis cela, moi. Recevoir cette fortune de cette façon, ce serait avouer… avouer de ta part une liaison coupable, et de la mienne une complaisance infâme… Comprends-tu comment on interpréterait notre acceptation ? Il faudrait trouver un biais, un moyen adroit de pallier la chose. Il faudrait laisser entendre, par exemple, qu'il a partagé entre nous cette fortune, en donnant la moitié au mari, la moitié à la femme. Elle demanda :

« Je ne vois pas comment cela pourrait se faire, puisque le testament est formel. Il répondit :

« Oh ! c'est bien simple. Tu pourrais me laisser la moitié de l'héritage par donation entre vifs. Nous n'avons pas d'enfants, c'est donc possible. De cette façon, on fermerait la bouche à la malignité publique. Elle répliqua, un peu impatiente :

« Je ne vois pas non plus comment on fermerait la bouche à la malignité publique, puisque l'acte est là, signé par Vaudrec. Il reprit avec colère :

« Avons-nous besoin de le montrer et de l'afficher sur les murs ? Tu es stupide, à la fin. Nous dirons que le comte de Vaudrec nous a laissé sa fortune par moitié… Voilà… Or, tu ne peux accepter ce legs sans mon autorisation. Je te la donne, à la seule condition d'un partage qui m'empêchera de devenir la risée du monde. Elle le regarda encore d'un regard perçant. « Comme tu voudras. Je suis prête. Alors il se leva et se remit à marcher. Il paraissait hésiter de nouveau et il évitait maintenant l'œil pénétrant de sa femme. Il disait :

« Non… décidément non… peut-être vaut-il mieux y renoncer tout à fait… c'est plus digne.. plus correct… plus honorable… Pourtant, de cette façon on n'aurait rien à supposer, absolument rien. Les gens les plus scrupuleux ne pourraient que s'incliner. Il s'arrêta devant Madeleine : « Eh bien, si tu veux, ma chérie, je vais retourner tout seul chez maître Lamaneur pour le consulter et lui expliquer la chose. Je lui dirai mon scrupule, et j'ajouterai que nous nous sommes arrêtés à l'idée d'un partage, par convenance, pour qu'on ne puisse pas jaboter. Du moment que j'accepte la moitié de cet héritage, il est bien évident que personne n'a plus le droit de sourire. C'est dire hautement : « Ma femme accepte parce que j'accepte, moi, son mari, qui suis juge de ce qu'elle peut faire sans se compromettre. » Autrement, ça aurait fait scandale. Madeleine murmura simplement :

« Comme tu voudras. Il commença à parler avec abondance : « Oui, c'est clair comme le jour avec cet arrangement de la séparation par moitié. Nous héritons d'un ami qui n'a pas voulu établir de différence entre nous, qui n'a pas voulu faire de distinction, qui n'a pas voulu avoir l'air de dire : « Je préfère l'un ou l'autre après ma mort comme je l'ai préféré dans ma vie. » Il aimait mieux la femme, bien entendu, mais en laissant sa fortune à l'un comme à l'autre il a voulu exprimer nettement que sa préférence était toute platonique. Et sois certaine que, s'il y avait songé, c'est ce qu'il aurait fait. Il n'a pas réfléchi, il n'a pas prévu les conséquences. Comme tu le disais fort bien tout à l'heure, c'est à toi qu'il offrait des fleurs chaque semaine, c'est à toi qu'il a voulu laisser son dernier souvenir sans se rendre compte… » Elle l'arrêta avec une nuance d'irritation : « C'est entendu. J'ai compris. Tu n'as pas besoin de tant d'explications. Va tout de suite chez le notaire. Il balbutia, rougissant :

« Tu as raison, j'y vais. Il prit son chapeau, puis, au moment de sortir :

« Je vais tâcher d'arranger la difficulté du neveu pour cinquante mille francs, n'est-ce pas ? Elle répondit avec hauteur :

« Non. Donne-lui les cent mille francs qu'il demande. Et prends-les sur ma part, si tu veux. Il murmura, honteux soudain :

« Ah ! mais non, nous partagerons. En laissant cinquante mille francs chacun, il nous reste encore un million net. Puis il ajouta :

« À tout à l'heure, ma petite Made. Et il alla expliquer au notaire la combinaison qu'il prétendit imaginée par sa femme. Ils signèrent le lendemain une donation entre vifs de cinq cent mille francs que Madeleine Du Roy abandonnait à son mari.

Puis, en sortant de l'étude, comme il faisait beau, Georges proposa de descendre à pied jusqu'aux boulevards. Il se montrait gentil, plein de soins, d'égards, de tendresse. Il riait, heureux de tout, tandis qu'elle demeurait songeuse et un peu sévère. C'était un jour d'automne assez froid. La foule semblait pressée et marchait à pas rapides. Du Roy conduisit sa femme devant la boutique où il avait regardé si souvent le chronomètre désiré.

« Veux-tu que je t'offre un bijou ? » dit-il.

Elle murmura, avec indifférence :

« Comme il te plaira. Ils entrèrent. Il demanda :

« Que préfères-tu, un collier, un bracelet, ou des boucles d'oreilles ? La vue des bibelots d'or et des pierres fines emportait sa froideur voulue, et elle parcourait d'un œil allumé et curieux les vitrines pleines de joyaux. Et soudain, émue par un désir :

« Voilà un bien joli bracelet. C'était une chaîne d'une forme bizarre, dont chaque anneau portait une pierre différente. Georges demanda :

« Combien ce bracelet ? Le joaillier répondit :

« Trois mille francs, monsieur.

– Si vous me le laissez à deux mille cinq, c'est une affaire entendue. L'homme hésita, puis répondit : « Non, monsieur, c'est impossible. Du Roy reprit :

« Tenez, vous ajouterez ce chronomètre pour quinze cents francs, cela fait quatre mille, que je paierai comptant. Est-ce dit ? Si vous ne voulez pas, je vais ailleurs. Le bijoutier, perplexe, finit par accepter.

« Eh bien, soit, monsieur. Et le journaliste, après avoir donné son adresse, ajouta :

« Vous ferez graver sur le chronomètre mes initiales G.R.C., en lettres enlacées au-dessous d'une couronne de baron. Madeleine, surprise, se mit à sourire. Et quand ils sortirent, elle prit son bras avec une certaine tendresse. Elle le trouvait vraiment adroit et fort. Maintenant qu'il avait des rentes, il lui fallait un titre, c'était juste. Le marchand le saluait :

« Vous pouvez compter sur moi, ce sera prêt pour jeudi, monsieur le baron. Ils passèrent devant le Vaudeville. On y jouait une pièce nouvelle.

« Si tu veux, dit-il, nous irons ce soir au théâtre, tâchons de trouver une loge. Ils trouvèrent une loge et la prirent. Il ajouta :

« Si nous dînions au cabaret ?

– Oh ! oui, je veux bien. Il était heureux comme un souverain, et cherchait ce qu'ils pourraient bien faire encore. « Si nous allions chercher Mme de Marelle pour passer la soirée avec nous ? Son mari est ici, m'a-t-on dit. Je serai enchanté de lui serrer la main. Ils y allèrent. Georges, qui redoutait un peu la première rencontre avec sa maîtresse, n'était point fâché que sa femme fût présente pour éviter toute explication. Mais Clotilde parut ne se souvenir de rien et força même son mari à accepter l'invitation. Le dîner fut gai et la soirée charmante.

Georges et Madeleine rentrèrent fort tard. Le gaz était éteint. Pour éclairer les marches, le journaliste enflammait de temps en temps une allumette-bougie.

En arrivant sur le palier du premier étage, la flamme subite éclatant sous le frottement fit surgir dans la glace leurs deux figures illuminées au milieu des ténèbres de l'escalier. Ils avaient l'air de fantômes apparus et prêts à s'évanouir dans la nuit. Du Roy leva la main pour bien éclairer leurs images, et il dit, avec un rire de triomphe :

« Voilà des millionnaires qui passent.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 6 Bel Ami - Part 2 Chapter 6 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 6

– VI –

L'église était tendue de noir, et, sur le portail, un grand écusson coiffé d'une couronne annonçait aux passants qu'on enterrait un gentilhomme. The church was tense with black, and on the portal a large escutcheon crowned with a crown announced to passers-by that a gentleman was being buried. La cérémonie venait de finir, les assistants s'en allaient lentement, défilant devant le cercueil et devant le neveu du comte de Vaudrec, qui serrait les mains et rendait les saluts. The ceremony had just finished, the assistants went slowly, marching before the coffin and before the nephew of the Count de Vaudrec, who was shaking hands and giving salutes. Quand Georges Du Roy et sa femme furent sortis, ils se mirent à marcher côte à côte, pour rentrer chez eux. When Georges Du Roy and his wife were out, they began to walk side by side to return home. Ils se taisaient, préoccupés. They were silent, worried.

Enfin, Georges prononça, comme parlant à lui-même : Finally, George said, as if talking to himself:

« Vraiment, c'est bien étonnant ! "Really, it's amazing! Madeleine demanda : Madeleine asked:

« Quoi donc, mon ami ? "What, my friend?

– Que Vaudrec ne nous ait rien laissé ! - That Vaudrec did not leave us anything! Elle rougit brusquement, comme si un voile rose se fût étendu tout à coup sur sa peau blanche, en montant de la gorge au visage, et elle dit : She blushed suddenly, as if a pink veil had suddenly spread over her white skin, rising from her throat to her face, and she said:

« Pourquoi nous aurait-il laissé quelque chose ? "Why would he leave us something? Il n'y avait aucune raison pour ça ! There was no reason for that! Puis, après quelques instants de silence, elle reprit : Then, after a few moments of silence, she went on:

« Il existe peut-être un testament chez un notaire. "There may be a will at a notary's office. Nous ne saurions rien encore. We will not know anything yet. Il réfléchit, puis murmura : He thought, then murmured:

« Oui, c'est probable, car, enfin, c'était notre meilleur ami, à tous les deux. "Yes, it's likely because, at last, it was our best friend, both of you. Il dînait deux fois par semaine à la maison, il venait à tout moment. He dined twice a week at home, he came at any time. Il était chez lui chez nous, tout à fait chez lui. He was at home with us, quite at home. Il t'aimait comme un père, et il n'avait pas de famille, pas d'enfants, pas de frères ni de sœurs, rien qu'un neveu, un neveu éloigné. Oui, il doit y avoir un testament. Yes, there must be a will. Je ne tiendrais pas à grand-chose, un souvenir, pour prouver qu'il a pensé à nous, qu'il nous aimait, qu'il reconnaissait l'affection que nous avions pour lui. I would not care much, a memory, to prove that he thought of us, that he loved us, that he recognized the affection we had for him. Il nous devait bien une marque d'amitié. He owed us a mark of friendship. Elle dit, d'un air pensif et indifférent : She says, with a thoughtful and indifferent air: « C'est possible, en effet, qu'il y ait un testament. "It is possible, indeed, that there is a testament. Comme ils rentraient chez eux, le domestique présenta une lettre à Madeleine. As they returned home, the servant presented a letter to Madeleine. Elle l'ouvrit, puis la tendit à son mari. She opened it, then handed it to her husband. Étude de Maître Lamaneur Study of Master Lamaneur

Notaire Notary

17, rue des Vosges

Madame,

J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien passer à mon étude, de deux heures à quatre heures, mardi, mercredi ou jeudi, pour affaire qui vous concerne. I have the honor to ask you to study at my office, from two o'clock to four o'clock, on Tuesday, Wednesday or Thursday, for your business. Recevez, etc. Receive, etc.

LAMANEUR. Lamaneur.

Georges avait rougi, à son tour : George had blushed, in turn:

« Ça doit être ça. " That must be it. C'est drôle que ce soit toi qu'il appelle, et non moi qui suis légalement le chef de famille. It's funny that it's you he's calling, not me who's legally the head of the family. Elle ne répondit point d'abord, puis après une courte réflexion : She did not answer at first, then after a short reflection: « Veux-tu que nous y allions tout à l'heure ? "Do you want us to go there earlier? – Oui, je veux bien. - Yes I want. Ils se mirent en route dès qu'ils eurent déjeuné. They started off as soon as they had lunch. Lorsqu'ils entrèrent dans l'étude de maître Lamaneur, le premier clerc se leva avec un empressement marqué et les fit pénétrer chez son patron. When they entered the study of Master Lamaneur, the first clerk arose with marked eagerness and made them enter his boss's house. Le notaire était un petit homme tout rond, rond de partout. The notary was a little man all round, round everywhere. Sa tête avait l'air d'une boule clouée sur une autre boule que portaient deux jambes si petites, si courtes qu'elles ressemblaient aussi presque à des boules. Her head looked like a ball nailed to another ball that had two legs so small, so short that they almost looked like balls. Il salua, indiqua des sièges, et dit en se tournant vers Madeleine : He bowed, pointed to seats, and said, turning to Madeleine,

« Madame, je vous ai appelée afin de vous donner connaissance du testament du comte de Vaudrec qui vous concerne. "Madame, I have called you to inform you of Count Vaudrec's will, which concerns you. Georges ne put se tenir de murmurer : George could not help murmuring:

« Je m'en étais douté. "I had doubted it. Le notaire ajouta : The notary added:

« Je vais vous communiquer cette pièce, très courte d'ailleurs. "I will give you this piece, very short indeed. Il atteignit un papier dans un carton devant lui, et lut : He reached a paper in a box in front of him, and read:

« Je soussigné, Paul-Émile-Cyprien-Gontran, comte de Vaudrec, sain de corps et d'esprit, exprime ici mes dernières volontés. "I, the undersigned, Paul-Émile-Cyprien-Gontran, count of Vaudrec, healthy body and spirit, here express my last wishes. « La mort pouvant nous emporter à tout moment, je veux prendre, en prévision de son atteinte, la précaution d'écrire mon testament qui sera déposé chez maître Lamaneur. "Death being able to carry us away at any moment, I want to take, in anticipation of its attainment, the precaution of writing my will, which will be deposited with Master Lamaneur. « N'ayant pas d'héritiers directs, je lègue toute ma fortune, composée de valeurs de bourse pour six cent mille francs et de biens-fonds pour cinq cent mille francs environ, à Mme Claire-Madeleine Du Roy, sans aucune charge ou condition. "Having no direct heirs, I bequeath all my fortune, consisting of stock exchange values for six hundred thousand francs and land for five hundred thousand francs approximately, to Mrs. Claire-Madeleine Du Roy, without any charge or condition. Je la prie d'accepter ce don d'un ami mort, comme preuve d'une affection dévouée, profonde et respectueuse. I ask her to accept this gift from a dead friend, as proof of a devoted, profound and respectful affection. Le notaire ajouta :

« C'est tout. Cette pièce est datée du mois d'août dernier et a remplacé un document de même nature, fait il y a deux ans, au nom de Mme Claire-Madeleine Forestier. This piece is dated last August and replaced a document of the same nature, made two years ago, on behalf of Mrs. Claire-Madeleine Forestier. J'ai ce premier testament qui pourrait prouver, en cas de contestation de la part de la famille, que la volonté de M. le comte de Vaudrec n'a point varié. I have this first will which could prove, in the event of dispute on the part of the family, that the will of the Count de Vaudrec has not varied. Madeleine, très pâle, regardait ses pieds. Madeleine, very pale, looked at her feet. Georges, nerveux, roulait entre ses doigts le bout de sa moustache. Georges, nervous, rolled the tip of his mustache between his fingers. Le notaire reprit, après un moment de silence :

« Il est bien entendu, monsieur, que madame ne peut accepter ce legs sans votre consentement. "It is understood, sir, that madame can not accept this legacy without your consent. Du Roy se leva, et, d'un ton sec : Du Roy rose, and, dryly: « Je demande le temps de réfléchir. "I ask for time to think. Le notaire, qui souriait, s'inclina, et d'une voix aimable : The notary, smiling, bowed, and in a kind voice: « Je comprends le scrupule qui vous fait hésiter, monsieur. "I understand the scruple that makes you hesitate, sir. Je dois ajouter que le neveu de M. de Vaudrec, qui a pris connaissance, ce matin même, des dernières intentions de son oncle, se déclare prêt à les respecter si on lui abandonne une somme de cent mille francs. I must add that the nephew of M. de Vaudrec, who, this very morning, learned of his uncle's last intentions, declares himself ready to respect them if he is given a sum of one hundred thousand francs. À mon avis, le testament est inattaquable, mais un procès ferait du bruit qu'il vous conviendra peut-être d'éviter. In my opinion, the will is unassailable, but a lawsuit would make a noise that you may want to avoid. Le monde a souvent des jugements malveillants. The world often has malicious judgments. Dans tous les cas, pourrez-vous me faire connaître votre réponse sur tous les points avant samedi ? In any case, can you tell me your answer on all points before Saturday? Georges s'inclina : « Oui, monsieur. » Puis il salua avec cérémonie, fit passer sa femme demeurée muette, et il sortit d'un air tellement roide que le notaire ne souriait plus. Then he saluted with ceremony, made his mute wife pass, and he went out so stiffly that the notary no longer smiled. Dès qu'ils furent rentrés chez eux, Du Roy ferma brusquement la porte, et, jetant son chapeau sur le lit : As soon as they returned home, Du Roy abruptly shut the door, and, throwing his hat on the bed, « Tu as été la maîtresse de Vaudrec ? "You were the mistress of Vaudrec? Madeleine, qui enlevait son voile, se retourna d'une secousse : Madeleine, who was removing her veil, turned back with a jolt: « Moi ? " Me ? Oh ! Oh !

– Oui, toi. On ne laisse pas toute sa fortune à une femme, sans que… » You do not leave all your fortune to a woman, without ... "

Elle était devenue tremblante et ne parvenait point à ôter les épingles qui retenaient le tissu transparent. She had become trembling and could not remove the pins that held the transparent fabric.

Après un moment de réflexion, elle balbutia, d'une voix agitée : After a moment of reflection, she stammered, in a choppy voice: « Voyons… voyons… tu es fou… tu es… tu es… Est-ce que toi-même… tout à l'heure… tu n'espérais pas… qu'il te laisserait quelque chose ? "Come on ... let's see ... you're crazy ... you're ... you're ... Did you ... just now ... did not you hope ... that he'd leave you something?" Georges restait debout, près d'elle, suivant toutes ses émotions, comme un magistrat qui cherche à surprendre les moindres défaillances d'un prévenu. George remained standing beside her, following all his emotions, like a magistrate who tries to surprise the slightest defaults of an accused. Il prononça, en insistant sur chaque mot : He said, insisting on every word:

« Oui… il pouvait me laisser quelque chose, à moi… à moi, ton mari… à moi, son ami… entends-tu… mais pas à toi… à toi, son amie… à toi, ma femme. "Yes ... he could leave me something, to me ... to me, your husband ... to me, his friend ... do you hear ... but not to you ... to you, his friend ... to you, my wife. La distinction est capitale, essentielle, au point de vue des convenances… et de l'opinion publique. The distinction is capital, essential, from the point of view of propriety ... and public opinion. Madeleine, à son tour, le regardait fixement, dans la transparence des yeux, d'une façon profonde et singulière, comme pour y lire quelque chose, comme pour y découvrir cet inconnu de l'être qu'on ne pénètre jamais et qu'on peut à peine entrevoir en des secondes rapides, en ces moments de non-garde, ou d'abandon, ou d'inattention, qui sont comme des portes laissées entrouvertes sur les mystérieux dedans de l'esprit. Madeleine, in her turn, stared at him, in the transparency of her eyes, in a deep and singular way, as though to read something about it, as if to discover the unknown of being that one never penetrates and that we can scarcely glimpse in rapid seconds, in those moments of noncommittal, or of abandonment, or of inattention, which are like doors left ajar on the mysterious within of the mind. Et elle articula lentement : And she slowly articulated:

« Il me semble pourtant que si… qu'on eût trouvé au moins aussi étrange un legs de cette importance, de lui… à toi. "It seems to me, however, that if ... we should have found at least as strange a legacy of this importance, of him ... to you. Il demanda brusquement : He asked abruptly:

« Pourquoi ça ? " Why this ? Elle dit : She says :

« Parce que… » " Because… "

Elle hésita, puis reprit : She hesitated, then went on:

« Parce que tu es mon mari… que tu ne le connais en somme que depuis peu… parce que je suis son amie depuis très longtemps… moi… parce que son premier testament, fait du vivant de Forestier, était déjà en ma faveur. "Because you are my husband ... that you only know him in the last while ... because I have been his friend for a very long time ... me ... because his first will, made while Forestier was alive, was already in my favor. Georges s'était mis à marcher à grands pas. George began to stride along. Il déclara : He declared:

« Tu ne peux pas accepter ça. "You can not accept that. Elle répondit avec indifférence : She replied with indifference:

« Parfaitement ; alors, ce n'est pas la peine d'attendre à samedi ; nous pouvons faire prévenir tout de suite maître Lamaneur. "Perfectly; then, it is not worth the wait on Saturday; we can let Master Lamaneur know immediately. Il s'arrêta en face d'elle ; et ils demeurèrent de nouveau quelques instants les yeux dans les yeux, s'efforçant d'aller jusqu'à l'impénétrable secret de leurs cœurs, de se sonder jusqu'au vif de la pensée. He stopped in front of her; and they remained for a moment again with their eyes in their eyes, endeavoring to go as far as the impenetrable secret of their hearts, to search themselves to the heart of their thoughts. Ils tâchaient de se voir à nu la conscience en une interrogation ardente et muette : lutte intime de deux êtres qui, vivant côte à côte, s'ignorent toujours, se soupçonnent, se flairent, se guettent, mais ne se connaissent pas jusqu'au fond vaseux de l'âme. They tried to see the nakedness of the conscience in an ardent and mute interrogation: an intimate struggle between two beings who, living side by side, are still unaware of each other, suspecting each other, sniffing each other, waiting for each other, but do not know each other until muddy bottom of the soul. Et, brusquement, il lui murmura dans le visage, à voix basse : And, suddenly, he whispered in his face, in a low voice:

« Allons, avoue que tu étais la maîtresse de Vaudrec. "Come, admit that you were the mistress of Vaudrec. Elle haussa les épaules : She shrugged.

« Tu es stupide… Vaudrec avait beaucoup d'affection pour moi, beaucoup… mais rien de plus… jamais. "You're stupid ... Vaudrec had a lot of affection for me, a lot ... but nothing more ... ever. Il frappa du pied : He stomped:

« Tu mens. " You lie. Ce n'est pas possible. It is not possible. Elle répondit tranquillement : She answered quietly:

« C'est comme ça, pourtant. "It's like that, though. Il se mit à marcher, puis, s'arrêtant encore : He began to walk, then, stopping again: « Explique-moi, alors, pourquoi il te laisse toute sa fortune, à toi… » "Explain to me, then, why he leaves you all his fortune, to you ..."

Elle le fit avec un air nonchalant et désintéressé : She did so with a nonchalant and disinterested air:

« C'est tout simple. "It's simple. Comme tu le disais tantôt, il n'avait que nous d'amis, ou plutôt que moi, car il m'a connue enfant. As you said earlier, he had only us friends, or rather me, because he knew me as a child. Ma mère était dame de compagnie chez des parents à lui. My mother was a pet lady with relatives of her. Il venait sans cesse ici, et, comme il n'avait pas d'héritiers naturels, il a pensé à moi. He came here constantly, and since he had no natural heirs, he thought of me. Qu'il ait eu un peu d'amour pour moi, c'est possible. That he had a little love for me is possible. Mais quelle est la femme qui n'a jamais été aimée ainsi ? But who is the woman who has never been loved in this way? Que cette tendresse cachée, secrète, ait mis mon nom sous sa plume quand il a pensé à prendre des dispositions dernières, pourquoi pas ? That this hidden, secret tenderness put my name under his pen when he thought of making last dispositions, why not? Il m'apportait des fleurs, chaque lundi. He brought me flowers every Monday. Tu ne t'en étonnais nullement et il ne t'en donnait point, à toi, n'est-ce pas ? You were not surprised at it, and he did not give it to you, did you? Aujourd'hui, il me donne sa fortune par la même raison et parce qu'il n'a personne à qui l'offrir. Today, he gives me his fortune for the same reason and because he has no one to offer it to. Il serait, au contraire, extrêmement surprenant qu'il te l'eût laissée ? On the contrary, it would be extremely surprising if he had left it to you? Pourquoi ? Why ? Que lui es-tu ? What are you to him? Elle parlait avec tant de naturel et de tranquillité que Georges hésitait.

Il reprit : He said :

« C'est égal, nous ne pouvons accepter cet héritage dans ces conditions. "It's the same, we can not accept this inheritance in these conditions. Ce serait d'un effet déplorable. It would be a deplorable effect. Tout le monde croirait la chose, tout le monde en jaserait et rirait de moi. Everyone would believe it, everyone would talk about it and laugh at me. Les confrères sont déjà trop disposés à me jalouser et à m'attaquer. The confreres are already too willing to jealousy and attack me. Je dois avoir plus que personne le souci de mon honneur et le soin de ma réputation. I must have more than anyone the concern for my honor and the care of my reputation. Il m'est impossible d'admettre et de permettre que ma femme accepte un legs de cette nature d'un homme que la rumeur publique lui a déjà prêté pour amant. It is impossible for me to admit and allow my wife to accept a legacy of this nature of a man whom public rumor has already lent her as a lover. Forestier aurait peut-être toléré cela, lui, mais moi, non. Forestier might have tolerated that, but me, no. Elle murmura avec douceur : She murmured gently:

« Eh bien, mon ami, n'acceptons pas, ce sera un million de moins dans notre poche, voilà tout. "Well, my friend, do not accept, it will be a million less in our pocket, that's all. Il marchait toujours, et il se mit à penser tout haut, parlant pour sa femme sans s'adresser à elle. He was still walking, and he began to think aloud, speaking for his wife without addressing her. « Eh bien, oui… un million… tant pis… Il n'a pas compris en testant quelle faute de tact, quel oubli des convenances il commettait. "Well, yes ... a million ... too bad ... He did not understand by testing what lack of tact, what forgetting the proprieties he was committing. Il n'a pas vu dans quelle position fausse, ridicule, il allait me mettre… Tout est affaire de nuances dans la vie… Il fallait qu'il m'en laissât la moitié, ça arrangeait tout. He did not see in what false, ridiculous position he was going to put me ... Everything is a matter of nuances in life ... He had to leave me half of it, it made everything easier. Il s'assit, croisa ses jambes et se mit à rouler le bout de ses moustaches, comme il faisait aux heures d'ennui, d'inquiétude et de réflexion difficile. He sat down, crossed his legs and rolled the end of his mustaches, as he did in times of boredom, anxiety and difficult thinking. Madeleine prit une tapisserie à laquelle elle travaillait de temps en temps, et elle dit en choisissant ses laines : Madeleine took a tapestry which she worked from time to time, and she said, choosing her wool:

« Moi, je n'ai qu'à me taire. "I just have to shut up. C'est à toi de réfléchir. It's up to you to think. Il fut longtemps sans répondre, puis il prononça, en hésitant : He was a long time without answering, then he said hesitatingly:

« Le monde ne comprendra jamais et que Vaudrec ait fait de toi son unique héritière et que j'aie admis cela, moi. "The world will never understand and that Vaudrec has made you his only heiress and I have admitted that. Recevoir cette fortune de cette façon, ce serait avouer… avouer de ta part une liaison coupable, et de la mienne une complaisance infâme… Comprends-tu comment on interpréterait notre acceptation ? To receive this fortune in this way would be to confess ... to confess a guilty affair on your part, and mine an infamous complacency ... Do you understand how one would interpret our acceptance? Il faudrait trouver un biais, un moyen adroit de pallier la chose. It would be necessary to find a bias, a clever way to make up for it. Il faudrait laisser entendre, par exemple, qu'il a partagé entre nous cette fortune, en donnant la moitié au mari, la moitié à la femme. It should be suggested, for example, that he shared this fortune among us, giving half to the husband, half to the wife. Elle demanda :

« Je ne vois pas comment cela pourrait se faire, puisque le testament est formel. "I do not see how that could be done, since the testament is formal. Il répondit :

« Oh ! c'est bien simple. Tu pourrais me laisser la moitié de l'héritage par donation entre vifs. You could leave me half of the inheritance by donation inter vivos. Nous n'avons pas d'enfants, c'est donc possible. De cette façon, on fermerait la bouche à la malignité publique. In this way, one would close one's mouth to public malignity. Elle répliqua, un peu impatiente : She replied, a little impatiently:

« Je ne vois pas non plus comment on fermerait la bouche à la malignité publique, puisque l'acte est là, signé par Vaudrec. "I do not see how one would close the mouth to public malignity, since the act is there, signed by Vaudrec. Il reprit avec colère :

« Avons-nous besoin de le montrer et de l'afficher sur les murs ? "Do we need to show it and display it on the walls? Tu es stupide, à la fin. You're stupid at the end. Nous dirons que le comte de Vaudrec nous a laissé sa fortune par moitié… Voilà… Or, tu ne peux accepter ce legs sans mon autorisation. We will say that the Count of Vaudrec has left us his fortune in half ... That's it ... But you can not accept this legacy without my authorization. Je te la donne, à la seule condition d'un partage qui m'empêchera de devenir la risée du monde. I give it to you, on the sole condition of a sharing that will prevent me from becoming the laughing stock of the world. Elle le regarda encore d'un regard perçant. She looked at him again with a piercing look. « Comme tu voudras. " However you want. Je suis prête. I am ready. Alors il se leva et se remit à marcher. So he got up and started walking again. Il paraissait hésiter de nouveau et il évitait maintenant l'œil pénétrant de sa femme. He seemed to be hesitating again, and he was now avoiding the penetrating eye of his wife. Il disait :

« Non… décidément non… peut-être vaut-il mieux y renoncer tout à fait… c'est plus digne.. plus correct… plus honorable… Pourtant, de cette façon on n'aurait rien à supposer, absolument rien. "No ... decidedly no ... maybe it's better to give it up altogether ... it's more dignified .. more correct ... more honorable ... Yet in this way we would have nothing to assume, absolutely nothing. Les gens les plus scrupuleux ne pourraient que s'incliner. The most scrupulous people could only bow. Il s'arrêta devant Madeleine : He stopped in front of Madeleine: « Eh bien, si tu veux, ma chérie, je vais retourner tout seul chez maître Lamaneur pour le consulter et lui expliquer la chose. "Well, if you want, my darling, I'll go back alone to Master Lamaneur to consult him and explain it to him. Je lui dirai mon scrupule, et j'ajouterai que nous nous sommes arrêtés à l'idée d'un partage, par convenance, pour qu'on ne puisse pas jaboter. I will tell him my scruples, and I will add that we have stopped at the idea of sharing, out of convenience, so that we can not talk. Du moment que j'accepte la moitié de cet héritage, il est bien évident que personne n'a plus le droit de sourire. As long as I accept half of this inheritance, it is obvious that no one has the right to smile anymore. C'est dire hautement : « Ma femme accepte parce que j'accepte, moi, son mari, qui suis juge de ce qu'elle peut faire sans se compromettre. This is to say highly: "My wife accepts because I accept her husband, who is a judge of what she can do without compromising herself. » Autrement, ça aurait fait scandale. Otherwise it would have been a scandal. Madeleine murmura simplement :

« Comme tu voudras. Il commença à parler avec abondance : « Oui, c'est clair comme le jour avec cet arrangement de la séparation par moitié. He began to speak abundantly: "Yes, it is clear as the day with this arrangement of the separation by half. Nous héritons d'un ami qui n'a pas voulu établir de différence entre nous, qui n'a pas voulu faire de distinction, qui n'a pas voulu avoir l'air de dire : « Je préfère l'un ou l'autre après ma mort comme je l'ai préféré dans ma vie. » Il aimait mieux la femme, bien entendu, mais en laissant sa fortune à l'un comme à l'autre il a voulu exprimer nettement que sa préférence était toute platonique. He liked the woman better, of course, but in leaving his fortune to both he wanted to express clearly that his preference was quite platonic. Et sois certaine que, s'il y avait songé, c'est ce qu'il aurait fait. And be sure that if he had thought about it, that's what he would have done. Il n'a pas réfléchi, il n'a pas prévu les conséquences. He did not think, he did not foresee the consequences. Comme tu le disais fort bien tout à l'heure, c'est à toi qu'il offrait des fleurs chaque semaine, c'est à toi qu'il a voulu laisser son dernier souvenir sans se rendre compte… » As you said very well just now, it is to you that he offered flowers every week, it is to you that he wanted to leave his last memory without realizing ... " Elle l'arrêta avec une nuance d'irritation : She stopped him with a hint of irritation: « C'est entendu. J'ai compris. Tu n'as pas besoin de tant d'explications. Va tout de suite chez le notaire. Il balbutia, rougissant :

« Tu as raison, j'y vais. Il prit son chapeau, puis, au moment de sortir :

« Je vais tâcher d'arranger la difficulté du neveu pour cinquante mille francs, n'est-ce pas ? "I will try to arrange the nephew's difficulty for fifty thousand francs, will not it? Elle répondit avec hauteur :

« Non. Donne-lui les cent mille francs qu'il demande. Et prends-les sur ma part, si tu veux. Il murmura, honteux soudain : He murmured, suddenly ashamed:

« Ah ! mais non, nous partagerons. En laissant cinquante mille francs chacun, il nous reste encore un million net. Puis il ajouta :

« À tout à l'heure, ma petite Made. Et il alla expliquer au notaire la combinaison qu'il prétendit imaginée par sa femme. And he went to explain to the notary the combination which he pretended to have imagined by his wife. Ils signèrent le lendemain une donation entre vifs de cinq cent mille francs que Madeleine Du Roy abandonnait à son mari. On the following day they signed an inter vivos donation of five hundred thousand francs, which Madeleine Du Roy abandoned to her husband.

Puis, en sortant de l'étude, comme il faisait beau, Georges proposa de descendre à pied jusqu'aux boulevards. Then, on leaving the study, as it was fine, Georges proposed to walk down to the boulevards. Il se montrait gentil, plein de soins, d'égards, de tendresse. He was kind, full of care, consideration, tenderness. Il riait, heureux de tout, tandis qu'elle demeurait songeuse et un peu sévère. He laughed, happy with everything, while she remained pensive and a little stern. C'était un jour d'automne assez froid. It was a cold autumn day. La foule semblait pressée et marchait à pas rapides. Du Roy conduisit sa femme devant la boutique où il avait regardé si souvent le chronomètre désiré.

« Veux-tu que je t'offre un bijou ? » dit-il.

Elle murmura, avec indifférence :

« Comme il te plaira. Ils entrèrent. They entered. Il demanda :

« Que préfères-tu, un collier, un bracelet, ou des boucles d'oreilles ? "What do you prefer, a necklace, a bracelet, or earrings? La vue des bibelots d'or et des pierres fines emportait sa froideur voulue, et elle parcourait d'un œil allumé et curieux les vitrines pleines de joyaux. The sight of the trinkets of gold and fine stones carried away her desired coldness, and she traversed with an eye lit and curious the windows full of jewels. Et soudain, émue par un désir : And suddenly, moved by a desire:

« Voilà un bien joli bracelet. "This is a very nice bracelet. C'était une chaîne d'une forme bizarre, dont chaque anneau portait une pierre différente. It was a weirdly shaped chain, each ring of which bore a different stone. Georges demanda :

« Combien ce bracelet ? Le joaillier répondit : The jeweler answered:

« Trois mille francs, monsieur. "Three thousand francs, sir.

– Si vous me le laissez à deux mille cinq, c'est une affaire entendue. "If you leave it to me at two thousand and five, it is a matter heard. L'homme hésita, puis répondit : The man hesitated, then replied: « Non, monsieur, c'est impossible. "No, sir, it's impossible. Du Roy reprit :

« Tenez, vous ajouterez ce chronomètre pour quinze cents francs, cela fait quatre mille, que je paierai comptant. "Here, you will add this chronometer for fifteen hundred francs, that's four thousand, which I will pay in cash. Est-ce dit ? Si vous ne voulez pas, je vais ailleurs. If you do not want to, I go elsewhere. Le bijoutier, perplexe, finit par accepter. The jeweler, perplexed, finally accepts.

« Eh bien, soit, monsieur. "Well, be it, sir. Et le journaliste, après avoir donné son adresse, ajouta : And the journalist, after giving his address, added:

« Vous ferez graver sur le chronomètre mes initiales G.R.C., en lettres enlacées au-dessous d'une couronne de baron. "You will have engraved on the chronometer my initials GRC, in letters entwined under a crown of baron. Madeleine, surprise, se mit à sourire. Et quand ils sortirent, elle prit son bras avec une certaine tendresse. And when they came out, she took his arm with a certain tenderness. Elle le trouvait vraiment adroit et fort. She found him really adroit and strong. Maintenant qu'il avait des rentes, il lui fallait un titre, c'était juste. Now that he had annuities, he needed a title, that was right. Le marchand le saluait : The merchant greeted him:

« Vous pouvez compter sur moi, ce sera prêt pour jeudi, monsieur le baron. "You can count on me, it will be ready for Thursday, Mr. Baron. Ils passèrent devant le Vaudeville. They passed the Vaudeville. On y jouait une pièce nouvelle. There was a new play.

« Si tu veux, dit-il, nous irons ce soir au théâtre, tâchons de trouver une loge. "If you wish," said he, "we will go to the theater tonight, let us find a box. Ils trouvèrent une loge et la prirent. They found a dressing room and took it. Il ajouta :

« Si nous dînions au cabaret ? "How about dinner at the cabaret?

– Oh ! oui, je veux bien. Il était heureux comme un souverain, et cherchait ce qu'ils pourraient bien faire encore. He was happy as a ruler, and was looking for what they could do well again. « Si nous allions chercher Mme de Marelle pour passer la soirée avec nous ? "If we went to get Madame de Marelle to spend the evening with us? Son mari est ici, m'a-t-on dit. Her husband is here, I was told. Je serai enchanté de lui serrer la main. Ils y allèrent. They went there. Georges, qui redoutait un peu la première rencontre avec sa maîtresse, n'était point fâché que sa femme fût présente pour éviter toute explication. George, who feared a little the first meeting with his mistress, was not sorry that his wife was present to avoid any explanation. Mais Clotilde parut ne se souvenir de rien et força même son mari à accepter l'invitation. But Clotilde seemed to remember nothing and even forced her husband to accept the invitation. Le dîner fut gai et la soirée charmante.

Georges et Madeleine rentrèrent fort tard. Le gaz était éteint. Pour éclairer les marches, le journaliste enflammait de temps en temps une allumette-bougie. To light the steps, the journalist would occasionally light a candle-match.

En arrivant sur le palier du premier étage, la flamme subite éclatant sous le frottement fit surgir dans la glace leurs deux figures illuminées au milieu des ténèbres de l'escalier. On arriving at the landing on the first floor, the sudden flame bursting under the friction made their two illuminated figures rise up in the mirror in the midst of the darkness of the staircase. Ils avaient l'air de fantômes apparus et prêts à s'évanouir dans la nuit. They looked like ghosts appeared and ready to faint in the night. Du Roy leva la main pour bien éclairer leurs images, et il dit, avec un rire de triomphe : Du Roy raised his hand to enlighten their images, and he said, with a triumphant laugh:

« Voilà des millionnaires qui passent. "Here are millionaires passing.