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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 5

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 5

– V –

L'automne était venu. Les Du Roy avaient passé à Paris tout l'été, menant une campagne énergique dans La Vie Française en faveur du nouveau cabinet pendant les courtes vacances des députés.

Quoiqu'on fût seulement dans les premiers jours d'octobre, les Chambres allaient reprendre leurs séances, car les affaires du Maroc devenaient menaçantes.

Personne, au fond, ne croyait à une expédition vers Tanger, bien que, le jour de la séparation du Parlement, un député de la droite, le comte de Lambert-Sarrazin, dans un discours plein d'esprit, applaudi même par les centres, eût offert de parier et de donner en gage sa moustache, comme avait fait jadis un célèbre vice-roi des Indes, contre les favoris du chef du Conseil, que le nouveau cabinet ne se pourrait tenir d'imiter l'ancien et d'envoyer une armée à Tanger, en pendant à celle de Tunis, par amour de la symétrie, comme on met deux vases sur une cheminée. Il avait ajouté : « La terre d'Afrique est en effet une cheminée pour la France, messieurs, une cheminée qui brûle notre meilleur bois, une cheminée à grand tirage qu'on allume avec le papier de la Banque. « Vous vous êtes offert la fantaisie artiste d'orner l'angle de gauche d'un bibelot tunisien qui vous coûte cher, vous verrez que M. Marrot va vouloir imiter son prédécesseur et orner l'angle de droite avec un bibelot marocain. Ce discours, demeuré célèbre, avait servi de thème à Du Roy pour dix articles sur la colonie algérienne, pour toute sa série interrompue lors de ses débuts au journal, et il avait soutenu énergiquement l'idée d'une expédition militaire, bien qu'il fût convaincu qu'elle n'aurait pas lieu. Il avait fait vibrer la corde patriotique et bombardé l'Espagne avec tout l'arsenal d'arguments méprisants qu'on emploie contre les peuples dont les intérêts sont contraires aux vôtres.

La Vie Française avait gagné une importance considérable à ses attaches connues avec le pouvoir. Elle donnait, avant les feuilles les plus sérieuses, les nouvelles politiques, indiquait par des nuances les intentions des ministres, ses amis ; et tous les journaux de Paris et de la province cherchaient chez elle leurs informations. On la citait, on la redoutait, on commençait à la respecter. Ce n'était plus l'organe suspect d'un groupe de tripoteurs politiques, mais l'organe avoué du cabinet. Laroche-Mathieu était l'âme du journal et Du Roy son porte-voix. Le père Walter, député muet et directeur cauteleux, sachant s'effacer, s'occupait dans l'ombre, disait-on, d'une grosse affaire de mines de cuivre, au Maroc.

Le salon de Madeleine était devenu un centre influent, où se réunissaient chaque semaine plusieurs membres du cabinet. Le président du Conseil avait même dîné deux fois chez elle ; et les femmes des hommes d'État, qui hésitaient autrefois à franchir sa porte, se vantaient à présent d'être ses amies, lui faisant plus de visites qu'elles n'en recevaient d'elle.

Le ministre des Affaires étrangères régnait presque en maître dans la maison. Il y venait à toute heure, apportant des dépêches, des renseignements, des informations qu'il dictait soit au mari, soit à la femme, comme s'ils eussent été ses secrétaires.

Quand Du Roy, après le départ du ministre, demeurait seul en face de Madeleine, il s'emportait, avec des menaces dans la voix, et des insinuations perfides dans les paroles, contre les allures de ce médiocre parvenu.

Mais elle haussait les épaules avec mépris, répétant :

« Fais-en autant que lui, toi. Deviens ministre ; et tu pourras faire ta tête. Jusque-là, tais-toi. Il frisait sa moustache en la regardant de côté.

« On ne sait pas de quoi je suis capable, disait-il, on l'apprendra peut-être, un jour. Elle répondait avec philosophie :

« Qui vivra, verra. Le matin de la rentrée des Chambres, la jeune femme, encore au lit, faisait mille recommandations à son mari, qui s'habillait afin d'aller déjeuner chez M. Laroche-Mathieu et de recevoir ses instructions avant la séance, pour l'article politique du lendemain dans La Vie Française , cet article devant être une sorte de déclaration officieuse des projets réels du cabinet.

Madeleine disait :

« Surtout n'oublie pas de lui demander si le général Belloncle est envoyé à Oran, comme il en est question. Cela aurait une grande signification. Georges, nerveux, répondit :

« Mais je sais aussi bien que toi ce que j'ai à faire. Fiche-moi la paix avec tes rabâchages. Elle reprit tranquillement :

« Mon cher, tu oublies toujours la moitié des commissions dont je te charge pour le ministre. Il grogna :

« Il m'embête, ton ministre, à la fin ! C'est un serin. Elle dit avec calme :

« Ce n'est pas plus mon ministre que le tien. Il t'est plus utile qu'à moi. Il s'était tourné un peu vers elle en ricanant :

« Pardon, il ne me fait pas la cour, à moi. Elle déclara, lentement :

« À moi non plus, d'ailleurs ; mais il fait notre fortune. Il se tut, puis après quelques instants :

« Si j'avais à choisir parmi tes adorateurs, j'aimerais encore mieux cette vieille ganache de Vaudrec. Qu'est-ce qu'il devient, celui-là ? je ne l'ai pas vu depuis huit jours. Elle répliqua, sans s'émouvoir :

« Il est souffrant, il m'a écrit qu'il gardait même le lit avec une attaque de goutte. Tu devrais passer prendre de ses nouvelles. Tu sais qu'il t'aime beaucoup, et cela lui ferait plaisir. Georges répondit :

« Oui, certainement, j'irai tantôt. Il avait achevé sa toilette, et, son chapeau sur la tête, il cherchait s'il n'avait rien négligé. N'ayant rien trouvé, il s'approcha du lit, embrassa sa femme sur le front :

« À tantôt, ma chérie, je ne serai pas rentré avant sept heures au plus tôt. Et il sortit. M. Laroche-Mathieu l'attendait, car il déjeunait à dix heures ce jour-là, le conseil devant se réunir à midi, avant la réouverture du Parlement.

Dès qu'ils furent à table, seuls avec le secrétaire particulier du ministre, Mme Laroche-Mathieu n'ayant pas voulu changer l'heure de son repas, Du Roy parla de son article, il en indiqua la ligne, consultant ses notes griffonnées sur des cartes de visite ; puis quand il eut fini :

« Voyez-vous quelque chose à modifier, mon cher ministre ?

– Fort peu, mon cher ami. Vous êtes peut-être un peu trop affirmatif dans l'affaire du Maroc. Parlez de l'expédition comme si elle devait avoir lieu, mais en laissant bien entendre qu'elle n'aura pas lieu et que vous n'y croyez pas le moins du monde. Faites que le public lise bien entre les lignes que nous n'irons pas nous fourrer dans cette aventure.

– Parfaitement. J'ai compris, et je me ferai bien comprendre. Ma femme m'a chargé de vous demander à ce sujet si le général Belloncle serait envoyé à Oran. Après ce que vous venez de dire, je conclus que non. L'homme d'État répondit :

« Non. Puis on causa de la session qui s'ouvrait. Laroche-Mathieu se mit à pérorer, préparant l'effet des phrases qu'il allait répandre sur ses collègues quelques heures plus tard. Il agitait sa main droite, levant en l'air tantôt sa fourchette, tantôt son couteau, tantôt une bouchée de pain, et sans regarder personne, s'adressant à l'Assemblée invisible, il expectorait son éloquence liquoreuse de beau garçon bien coiffé. Une très petite moustache roulée redressait sur sa lèvre deux pointes pareilles à des queues de scorpion, et ses cheveux huilés de brillantine, séparés au milieu du front, arrondissaient sur ses tempes deux bandeaux de bellâtre provincial. Il était un peu trop gras, un peu bouffi, bien que jeune ; le ventre tendait son gilet. Le secrétaire particulier mangeait et buvait tranquillement, accoutumé sans doute à ses douches de faconde ; mais Du Roy, que la jalousie du succès obtenu mordait au cœur, songeait : « Va donc, ganache ! Quels crétins que ces hommes politiques ! Et, comparant sa valeur à lui, à l'importance bavarde de ce ministre, il se disait : « Cristi, si j'avais seulement cent mille francs nets pour me présenter à la députation dans mon beau pays de Rouen, pour rouler dans la pâte de leur grosse malice mes braves Normands finauds et lourdauds, quel homme d'État je ferais, à côté de ces polissons imprévoyants. Jusqu'au café, M. Laroche-Mathieu parla, puis, ayant vu qu'il était tard, il sonna pour qu'on fit avancer son coupé, et, tendant la main au journaliste :

« C'est bien compris, mon cher ami ?

– Parfaitement, mon cher ministre, comptez sur moi. Et Du Roy s'en alla tout doucement vers le journal, pour commencer son article, car il n'avait rien à faire jusqu'à quatre heures. À quatre heures, il devait retrouver, rue de Constantinople, Mme de Marelle qu'il y voyait toujours régulièrement deux fois par semaine, le lundi et le vendredi.

Mais en rentrant de la rédaction, on lui remit une dépêche fermée ; elle était de Mme Walter, et disait :

« Il faut absolument que je te parle aujourd'hui. C'est très grave, très grave. Attends-moi à deux heures, rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service.

« Ton amie jusqu'à la mort,

« VIRGINIE. Il jura : « Nom de Dieu ! quel crampon. » Et, saisi par un excès de mauvaise humeur, il ressortit aussitôt, trop irrité pour travailler.

Depuis six semaines il essayait de rompre avec elle sans parvenir à lasser son attachement acharné.

Elle avait eu, après sa chute, un accès de remords épouvantable, et, dans trois rendez-vous successifs, avait accablé son amant de reproches et de malédictions. Ennuyé de ces scènes, et déjà rassasié de cette femme mûre et dramatique, il s'était simplement éloigné, espérant que l'aventure serait finie de cette façon. Mais alors elle s'était accrochée à lui éperdument, se jetant dans cet amour comme on se jette dans une rivière avec une pierre au cou. Il s'était laissé reprendre, par faiblesse, par complaisance, par égards ; et elle l'avait emprisonné dans une passion effrénée et fatigante, elle l'avait persécuté de sa tendresse.

Elle voulait le voir tous les jours, l'appelait à tout moment par des télégrammes, pour des rencontres rapides au coin des rues, dans un magasin, dans un jardin public.

Elle lui répétait alors, en quelques phrases, toujours les mêmes, qu'elle l'adorait et l'idolâtrait, puis elle le quittait en lui jurant « qu'elle était bien heureuse de l'avoir vu ».

Elle se montrait tout autre qu'il ne l'avait rêvée, essayant de le séduire avec des grâces puériles, des enfantillages d'amour ridicules à son âge. Étant demeurée jusque-là strictement honnête, vierge de cœur, fermée à tout sentiment, ignorante de toute sensualité, ça avait été tout d'un coup chez cette femme sage dont la quarantaine tranquille semblait un automne pâle après un été froid, ça avait été une sorte de printemps fané, plein de petites fleurs mal sorties et de bourgeons avortés, une étrange éclosion d'amour de fillette, d'amour tardif ardent et naïf, fait d'élans imprévus, de petits cris de seize ans, de cajoleries embarrassantes, de grâces vieillies sans avoir été jeunes. Elle lui écrivait dix lettres en un jour, des lettres niaisement folles, d'un style bizarre, poétique et risible, orné comme celui des Indiens, plein de noms de bêtes et d'oiseaux.

Dès qu'ils étaient seuls, elle l'embrassait avec des gentillesses lourdes de grosse gamine, des moues de lèvres un peu grotesques, des sauteries qui secouaient sa poitrine trop pesante sous l'étoffe du corsage. Il était surtout écœuré de l'entendre dire « Mon rat », « Mon chien », « Mon chat », « Mon bijou », « Mon oiseau bleu », « Mon trésor », et de la voir s'offrir à lui chaque fois avec une petite comédie de pudeur enfantine, de petits mouvements de crainte qu'elle jugeait gentils, et de petits jeux de pensionnaire dépravée.

Elle demandait : « À qui cette bouche-là ? » Et quand il ne répondait pas tout de suite : « C'est à moi », – elle insistait jusqu'à le faire pâlir d'énervement.

Elle aurait dû sentir, lui semblait-il, qu'il faut, en amour, un tact, une adresse, une prudence et une justesse extrêmes, que s'étant donnée à lui, elle mûre, mère de famille, femme du monde, elle devait se livrer gravement, avec une sorte d'emportement contenu, sévère, avec des larmes peut-être, mais avec les larmes de Didon, non plus avec celles de Juliette.

Elle lui répétait sans cesse :

« Comme je t'aime, mon petit ! M'aimes-tu autant, dis, mon bébé ? Il ne pouvait plus l'entendre prononcer « mon petit « ni « mon bébé « sans avoir envie de l'appeler « ma vieille ».

Elle lui disait :

« Quelle folie j'ai faite de te céder. Mais je ne le regrette pas. C'est si bon d'aimer. Tout cela semblait à Georges irritant dans cette bouche. Elle murmurait : « C'est si bon d'aimer « comme l'aurait fait une ingénue, au théâtre.

Et puis elle l'exaspérait par la maladresse de sa caresse. Devenue soudain sensuelle sous le baiser de ce beau garçon qui avait si fort allumé son sang, elle apportait dans son étreinte une ardeur inhabile et une application sérieuse qui donnaient à rire à Du Roy et le faisaient songer aux vieillards qui essaient d'apprendre à lire.

Et quand elle aurait dû le meurtrir dans ses bras, en le regardant ardemment de cet œil profond et terrible qu'ont certaines femmes défraîchies, superbes en leur dernier amour, quand elle aurait dû le mordre de sa bouche muette et frissonnante en l'écrasant sous sa chair épaisse et chaude, fatiguée mais insatiable, elle se trémoussait comme une gamine et zézayait pour être gracieuse :

T'aime tant, mon petit. T'aime tant. Fais un beau m'amour à ta petite femme ! Il avait alors une envie folle de jurer, de prendre son chapeau et de partir en tapant la porte.

Ils s'étaient vus souvent, dans les premiers temps, rue de Constantinople, mais Du Roy, qui redoutait une rencontre avec Mme de Marelle, trouvait mille prétextes maintenant pour se refuser à ces rendez-vous.

Il avait dû alors venir presque tous les jours chez elle, tantôt déjeuner, tantôt dîner. Elle lui serrait la main sous la table, lui tendait sa bouche derrière les portes. Mais lui s'amusait surtout à jouer avec Suzanne qui l'égayait par ses drôleries. Dans son corps de poupée s'agitait un esprit agile et malin, imprévu et sournois, qui faisait toujours la parade comme une marionnette de foire. Elle se moquait de tout et de tout le monde, avec un à-propos mordant. Georges excitait sa verve, la poussait à l'ironie, et ils s'entendaient à merveille.

Elle l'appelait à tout instant :

« Écoutez, Bel-Ami. Venez ici, Bel-Ami. Il quittait aussitôt la maman pour courir à la fillette qui lui murmurait quelque méchanceté dans l'oreille, et ils riaient de tout leur cœur.

Cependant, dégoûté de l'amour de la mère, il en arrivait à une insurmontable répugnance ; il ne pouvait plus la voir, ni l'entendre, ni penser à elle sans colère. Il cessa donc d'aller chez elle, de répondre à ses lettres, et de céder à ses appels.

Elle comprit enfin qu'il ne l'aimait plus, et souffrit horriblement. Mais elle s'acharna, elle l'épia, le suivit, l'attendit dans un fiacre aux stores baissés, à la porte du journal, à la porte de sa maison, dans les rues où elle espérait qu'il passerait.

Il avait envie de la maltraiter, de l'injurier, de la frapper, de lui dire nettement : « Zut, j'en ai assez, vous m'embêtez. » Mais il gardait toujours quelques ménagements, à cause de La Vie Française ; et il tâchait, à force de froideur, de duretés enveloppées d'égards et même de paroles rudes par moments, de lui faire comprendre qu'il fallait bien que cela finît.

Elle s'entêtait surtout à chercher des ruses pour l'attirer rue de Constantinople, et il tremblait sans cesse que les deux femmes ne se trouvassent, un jour, nez à nez, à la porte.

Son affection pour Mme de Marelle, au contraire, avait grandi pendant l'été. Il l'appelait son « gamin », et décidément elle lui plaisait. Leurs deux natures avaient des crochets pareils ; ils étaient bien, l'un et l'autre, de la race aventureuse des vagabonds de la vie, de ces vagabonds mondains qui ressemblent fort, sans s'en douter, aux bohèmes des grandes routes.

Ils avaient eu un été d'amour charmant, un été d'étudiants qui font la noce, s'échappant pour aller déjeuner ou dîner à Argenteuil, à Bougival, à Maisons, à Poissy, passant des heures dans un bateau à cueillir des fleurs le long des berges. Elle adorait les fritures de Seine, les gibelottes et les matelotes, les tonnelles des cabarets et les cris des canotiers. Il aimait partir avec elle, par un jour clair, sur l'impériale d'un train de banlieue et traverser, en disant des bêtises gaies, la vilaine campagne de Paris où bourgeonnent d'affreux chalets bourgeois.

Et quand il lui fallait rentrer pour dîner chez Mme Walter, il haïssait la vieille maîtresse acharnée, en souvenir de la jeune qu'il venait de quitter, et qui avait défloré ses désirs et moissonné son ardeur dans les herbes du bord de l'eau.

Il se croyait enfin à peu près délivré de la Patronne, à qui il avait exprimé d'une façon claire, presque brutale, sa résolution de rompre, quand il reçut au journal le télégramme l'appelant, à deux heures, rue de Constantinople.

Il le relisait en marchant : « Il faut absolument que je te parle aujourd'hui. C'est très grave, très grave. Attends-moi à deux heures rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service.

Ton amie jusqu'à la mort. – VIRGINIE. Il pensait : « Qu'est-ce qu'elle me veut encore, cette vieille chouette ? Je parie qu'elle n'a rien à me dire. Elle va me répéter qu'elle m'adore. Pourtant il faut voir. Elle parle d'une chose très grave et d'un grand service, c'est peut-être vrai. Et Clotilde qui vient à quatre heures. Il faut que j'expédie la première à trois heures au plus tard. Sacristi ! pourvu qu'elles ne se rencontrent pas. Quelles rosses de femmes ! Et il songea qu'en effet la sienne était la seule qui ne le tourmentait jamais. Elle vivait de son côté, et elle avait l'air de l'aimer beaucoup, aux heures destinées à l'amour, car elle n'admettait pas qu'on dérangeât l'ordre immuable des occupations ordinaires de la vie.

Il allait, à pas lents, vers son logis de rendez-vous, s'excitant mentalement contre la Patronne :

« Ah ! je vais la recevoir d'une jolie façon si elle n'a rien à me dire. Le français de Cambronne sera académique auprès du mien. Je lui déclare que je ne fiche plus les pieds chez elle, d'abord. Et il entra pour entendre Mme Walter.

Elle arriva presque aussitôt, et dès qu'elle l'eut aperçu :

« Ah ! tu as reçu ma dépêche ! Quelle chance ! Il avait pris un visage méchant :

« Parbleu, je l'ai trouvée au journal, au moment où je partais pour la Chambre. Qu'est-ce que tu me veux encore ? Elle avait relevé sa voilette pour l'embrasser, et elle s'approchait avec un air craintif et soumis de chienne souvent battue.

« Comme tu es cruel pour moi… Comme tu me parles durement… Qu'est-ce que je t'ai fait ? Tu ne te figures pas comme je souffre par toi ! Il grogna :

« Tu ne vas pas recommencer ? Elle était debout tout près de lui, attendant un sourire, un geste pour se jeter dans ses bras.

Elle murmura :

« Il ne fallait pas me prendre pour me traiter ainsi, il fallait me laisser sage et heureuse, comme j'étais. Te rappelles-tu ce que tu me disais dans l'église, et comme tu m'as fait entrer de force dans cette maison ? Et voilà maintenant comment tu me parles ! comment tu me reçois ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! que tu me fais mal ! Il frappa du pied, et, violemment :

« Ah ! mais, zut ! En voilà assez. Je ne peux pas te voir une minute sans entendre cette chanson-là. On dirait vraiment que je t'ai prise à douze ans et que tu étais ignorante comme un ange. Non, ma chère, rétablissons les faits, il n'y a pas eu détournement de mineure. Tu t'es donnée à moi, en plein âge de raison. Je t'en remercie, je t'en suis absolument reconnaissant, mais je ne suis pas tenu d'être attaché à ta jupe jusqu'à la mort. Tu as un mari et j'ai une femme. Nous ne sommes libres ni l'un ni l'autre. Nous nous sommes offert un caprice, ni vu ni connu, c'est fini. Elle dit :

« Oh ! que tu es brutal ! que tu es grossier, que tu es infâme ! Non ! je n'étais plus une jeune fille, mais je n'avais jamais aimé, jamais failli… »

Il lui coupa la parole :

« Tu me l'as déjà répété vingt fois, je le sais. Mais tu avais eu deux enfants… je ne t'ai donc pas déflorée… »

Elle recula :

« Oh ! Georges, c'est indigne !… »

Et portant ses deux mains à sa poitrine, elle commença à suffoquer, avec des sanglots qui lui montaient à la gorge.

Quand il vit les larmes arriver, il prit son chapeau sur le coin de la cheminée :

« Ah ! tu vas pleurer ! Alors, bonsoir. C'est pour cette représentation-là que tu m'avais fait venir ? Elle fit un pas afin de lui barrer la route et, tirant vivement un mouchoir de sa poche, s'essuya les yeux d'un geste brusque. Sa voix s'affermit sous l'effort de sa volonté et elle dit interrompue par un chevrotement de douleur :

« Non… je suis venue pour… pour te donner une nouvelle… une nouvelle politique… pour te donner le moyen de gagner cinquante mille francs… ou même plus… si tu veux. Il demanda, adouci tout à coup :

Comment ça ! Qu'est-ce que tu veux dire ?

– J'ai surpris par hasard, hier soir, quelques mots de mon mari et de Laroche. Ils ne se cachaient pas beaucoup devant moi, d'ailleurs. Mais Walter recommandait au ministre de ne pas te mettre dans le secret parce que tu dévoilerais tout. Du Roy avait reposé son chapeau sur une chaise. Il attendait, très attentif.

« Alors, qu'est-ce qu'il y a ?

– Ils vont s'emparer du Maroc !

– Allons donc. J'ai déjeuné avec Laroche qui m'a presque dicté les intentions du cabinet.

Non, mon chéri, ils t'ont joué parce qu'ils ont peur qu'on connaisse leur combinaison.

– Assieds-toi », dit Georges.

Et il s'assit lui-même sur un fauteuil. Alors elle attira par terre un petit tabouret, et s'accroupit dessus, entre les jambes du jeune homme. Elle reprit, d'une voix câline :

« Comme je pense toujours à toi, je fais attention maintenant à tout ce qu'on chuchote autour de moi. Et elle se mit, doucement, à lui expliquer comment elle avait deviné depuis quelque temps qu'on préparait quelque chose à son insu, qu'on se servait de lui en redoutant son concours.

Elle disait :

« Tu sais, quand on aime, on devient rusée. Enfin, la veille, elle avait compris. C'était une grosse affaire, une très grosse affaire préparée dans l'ombre. Elle souriait maintenant, heureuse de son adresse ; elle s'exaltait, parlant en femme de financier, habituée à voir machiner les coups de bourse, les évolutions des valeurs, les accès de hausse et de baisse ruinant en deux heures de spéculation des milliers de petits bourgeois, de petits rentiers, qui ont placé leurs économies sur des fonds garantis par des noms d'hommes honorés, respectés, hommes politiques ou hommes de banque.

Elle répétait :

« Oh ! c'est très fort ce qu'ils ont fait. Très fort. C'est Walter qui a tout mené d'ailleurs, et il s'y entend. Vraiment, c'est de premier ordre. Il s'impatientait de ces préparations.

« Voyons, dis vite.

– Eh bien, voilà. L'expédition de Tanger était décidée entre eux dès le jour où Laroche a pris les Affaires étrangères ; et, peu à peu, ils ont racheté tout l'emprunt du Maroc qui était tombé à soixante-quatre ou cinq francs. Ils l'ont racheté très habilement, par le moyen d'agents suspects, véreux, qui n'éveillaient aucune méfiance. Ils ont roulé même les Rothschild, qui s'étonnaient de voir toujours demander du marocain. On leur a répondu en nommant les intermédiaires, tous tarés, tous à la côte. Ça a tranquillisé la grande banque. Et puis maintenant on va faire l'expédition, et dès que nous serons là-bas, l'État français garantira la dette. Nos amis auront gagné cinquante ou soixante millions. Tu comprends l'affaire ? Tu comprends aussi comme on a peur de tout le monde, peur de la moindre indiscrétion. Elle avait appuyé sa tête sur le gilet du jeune homme, et les bras posés sur ses jambes, elle se serrait, se collait contre lui, sentant bien qu'elle l'intéressait à présent, prête à tout faire, à tout commettre, pour une caresse, pour un sourire.

Il demanda :

« Tu es bien sûre ? Elle répondit avec confiance :

« Oh ! je crois bien ! Il déclara :

« C'est très fort, en effet. Quant à ce salop de Laroche, en voilà un que je repincerai. Oh ! le gredin ! qu'il prenne garde à lui !… qu'il prenne garde à lui… Sa carcasse de ministre me restera entre les doigts ! Puis il se mit à réfléchir, et il murmura :

« Il faudrait pourtant profiter de ça.

– Tu peux encore acheter de l'emprunt, dit-elle. Il n'est qu'à soixante-douze francs. Il reprit :

« Oui, mais je n'ai pas d'argent disponible. Elle leva les yeux vers lui, des yeux pleins de supplication.

« J'y ai pensé, mon chat, et si tu étais bien gentil, bien gentil, si tu m'aimais un peu, tu me laisserais t'en prêter. Il répondit brusquement, presque durement :

« Quant à ça, non, par exemple. Elle murmura, d'une voix implorante :

« Écoute, il y a une chose que tu peux faire sans emprunter de l'argent. Je voulais en acheter pour dix mille francs de cet emprunt, moi, pour me créer une petite cassette. Eh bien, j'en prendrai pour vingt mille ! Tu te mets de moitié. Tu comprends bien que je ne vais pas rembourser ça à Walter. Il n'y a donc rien à payer pour le moment. Si ça réussit, tu gagnes soixante-dix mille francs. Si ça ne réussit pas, tu me devras dix mille francs que tu me paieras à ton gré. Il dit encore :

« Non, je n'aime guère ces combinaisons-là. Alors, elle raisonna pour le décider, elle lui prouva qu'il engageait en réalité dix mille francs sur parole, qu'il courait des risques, par conséquent, qu'elle ne lui avançait rien puisque les déboursés étaient faits par la Banque Walter.

Elle lui démontra en outre que c'était lui qui avait mené, dans La Vie Française , toute la campagne politique qui rendait possible cette affaire, qu'il serait bien naïf en n'en profitant pas.

Il hésitait encore. Elle ajouta :

« Mais songe donc qu'en vérité c'est Walter qui te les avance, ces dix mille francs, et que tu lui as rendu des services qui valent plus que ça.

– Eh bien, soit, dit-il. Je me mets de moitié avec toi. Si nous perdons, je te rembourserai dix mille francs. Elle fut si contente qu'elle se releva, saisit à deux mains sa tête et se mit à l'embrasser avidement.

Il ne se défendit point d'abord, puis comme elle s'enhardissait, l'étreignant et le dévorant de caresses, il songea que l'autre allait venir tout à l'heure et que s'il faiblissait il perdrait du temps, et laisserait aux bras de la vieille une ardeur qu'il valait mieux garder pour la jeune.

Alors il la repoussa doucement.

« Voyons, sois sage », dit-il.

Elle le regarda avec des yeux désolés :

« Oh ! Georges, je ne peux même plus t'embrasser. Il répondit :

« Non, pas aujourd'hui. J'ai un peu de migraine et cela me fait mal. Alors elle se rassit, docile, entre ses jambes. Elle demanda :

« Veux-tu venir dîner demain à la maison ? Quel plaisir tu me ferais ! Il hésita, puis n'osa point refuser.

« Mais oui, certainement.

– Merci, mon chéri. Elle frottait lentement sa joue sur la poitrine du jeune homme, d'un mouvement câlin et régulier, et un de ses longs cheveux noirs se prit dans le gilet.

Elle s'en aperçut, et une idée folle lui traversa l'esprit, une de ces idées superstitieuses qui sont souvent toute la raison des femmes. Elle se mit à enrouler tout doucement ce cheveu autour d'un bouton. Puis elle en attacha un autre au bouton suivant, un autre encore à celui du dessus. À chaque bouton elle en nouait un.

Il allait les arracher tout à l'heure, en se levant. Il lui ferait mal, quel bonheur ! Et il emporterait quelque chose d'elle, sans le savoir, il emporterait une petite mèche de sa chevelure, dont il n'avait jamais demandé. C'était un lien par lequel elle l'attachait, un lien secret, invisible ! un talisman qu'elle laissait sur lui. Sans le vouloir, il penserait à elle, il rêverait d'elle, il l'aimerait un peu plus le lendemain.

Il dit tout à coup :

« Il va falloir que je te quitte parce qu'on m'attend à la Chambre pour la fin de la séance. Je ne puis manquer aujourd'hui. Elle soupira :

« Oh ! déjà. » Puis, résignée :

« Va, mon chéri, mais tu viendras dîner demain. Et, brusquement, elle s'écarta. Ce fut sur sa tête une douleur courte et vive comme si on lui eût piqué la peau avec des aiguilles. Son cœur battait ; elle était contente d'avoir souffert un peu par lui.

« Adieu ! » dit-elle.

Il la prit dans ses bras avec un sourire compatissant et lui baisa les yeux froidement.

Mais elle, affolée par ce contact, murmura encore une fois : « Déjà ! » Et son regard suppliant montrait la chambre dont la porte était ouverte.

Il l'éloigna de lui, et d'un ton pressé :

« Il faut que je me sauve, je vais arriver en retard. Alors elle lui tendit ses lèvres qu'il effleura à peine, et lui ayant donné son ombrelle qu'elle oubliait, il reprit :

« Allons, allons, dépêchons-nous, il est plus de trois heures. Elle sortit devant lui ; elle répétait :

« Demain, sept heures. Il répondit :

« Demain, sept heures. Ils se séparèrent. Elle tourna à droite, et lui à gauche.

Du Roy remonta jusqu'au boulevard extérieur. Puis, il redescendit le boulevard Malesherbes, qu'il se mit à suivre, à pas lents. En passant devant un pâtissier, il aperçut des marrons glacés dans une coupe de cristal, et il pensa : « Je vais en rapporter une livre pour Clotilde. » Il acheta un sac de ces fruits sucrés qu'elle aimait à la folie. À quatre heures, il était rentré pour attendre sa jeune maîtresse.

Elle vint un peu en retard parce que son mari était arrivé pour huit jours. Elle demanda :

« Peux-tu venir dîner demain ? Il serait enchanté de te voir.

– Non, je dîne chez le Patron. Nous avons un tas de combinaisons politiques et financières qui nous occupent. Elle avait enlevé son chapeau. Elle ôtait maintenant son corsage qui la serrait trop.

Il lui montra le sac sur la cheminée :

« Je t'ai apporté des marrons glacés. Elle battit des mains :

« Quelle chance ! comme tu es mignon. Elle les prit, en goûta un, et déclara :

« Ils sont délicieux. Je sens que je n'en laisserai pas un seul. Puis elle ajouta en regardant Georges avec une gaieté sensuelle :

« Tu caresses donc tous mes vices ? Elle mangeait lentement les marrons et jetait sans cesse un coup d'œil au fond du sac pour voir s'il en restait toujours.

Elle dit :

« Tiens, assieds-toi dans le fauteuil, je vais m'accroupir entre tes jambes pour grignoter mes bonbons.

Je serai très bien. Il sourit, s'assit, et la prit entre ses cuisses ouvertes comme il tenait tout à l'heure Mme Walter.

Elle levait la tête vers lui pour lui parler, et disait, la bouche pleine :

« Tu ne sais pas, mon chéri, j'ai rêvé de toi, j'ai rêvé que nous faisions un grand voyage, tous les deux, sur un chameau. Il avait deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse, et nous traversions le désert. Nous avions emporté des sandwiches dans un papier et du vin dans une bouteille et nous faisions la dînette sur nos bosses. Mais ça m'ennuyait parce que nous ne pouvions pas faire autre chose, nous étions trop loin l'un de l'autre, et moi je voulais descendre. Il répondit :

« Moi aussi je veux descendre. Il riait, s'amusant de l'histoire, il la poussait à dire des bêtises, à bavarder, à raconter tous ces enfantillages, toutes ces niaiseries tendres que débitent les amoureux. Ces gamineries, qu'il trouvait gentilles dans la bouche de Mme de Marelle, l'auraient exaspéré dans celle de Mme Walter.

Clotilde l'appelait aussi : « Mon chéri, mon petit, mon chat. » Ces mots lui semblaient doux et caressants. Dits par l'autre tout à l'heure, ils l'irritaient et l'écœuraient. Car les paroles d'amour, qui sont toujours les mêmes, prennent le goût des lèvres dont elles sortent.

Mais il pensait, tout en s'égayant de ces folies, aux soixante-dix mille francs qu'il allait gagner, et, brusquement, il arrêta, avec deux petits coups de doigt sur la tête, le verbiage de son amie :

« Écoute, ma chatte. Je vais te charger d'une commission pour ton mari. Dis-lui de ma part d'acheter, demain, pour dix mille francs d'emprunt du Maroc qui est à soixante-douze ; et je lui promets qu'il aura gagné de soixante à quatre-vingt mille francs avant trois mois. Recommande-lui le silence absolu. Dis-lui, de ma part, que l'expédition de Tanger est décidée et que l'État Français va garantir la dette marocaine. Mais ne te coupe pas avec d'autres. C'est un secret d'État que je confie là. Elle l'écoutait, sérieuse. Elle murmura :

« Je te remercie. Je préviendrai mon mari dès ce soir. Tu peux compter sur lui ; il ne parlera pas. C'est un homme très sûr. Il n'y a aucun danger. Mais elle avait mangé tous les marrons. Elle écrasa le sac entre ses mains et le jeta dans la cheminée. Puis elle dit : « Allons nous coucher. » Et sans se lever elle commença à déboutonner le gilet de Georges.

Tout à coup elle s'arrêta, et tirant entre deux doigts un long cheveu pris dans une boutonnière, elle se mit à rire :

« Tiens. Tu as emporté un cheveu de Madeleine. En voilà un mari fidèle ! Puis, redevenue sérieuse, elle examina longuement sur sa main l'imperceptible fil qu'elle avait trouvé et elle murmura :

« Ce n'est pas de Madeleine, il est brun. Il sourit :

« Il vient probablement de la femme de chambre. Mais elle inspectait le gilet avec une attention de policier, et elle cueillit un second cheveu enroulé autour d'un bouton ; puis elle en aperçut un troisième ; et, pâlie, tremblante un peu, elle s'écria :

« Oh ! tu as couché avec une femme qui t'a mis des cheveux à tous tes boutons. Il s'étonnait, il balbutiait :

« Mais non. Tu es folle… »

Soudain il se rappela, comprit, se troubla d'abord, puis nia en ricanant, pas fâché au fond qu'elle le soupçonnât d'avoir des bonnes fortunes.

Elle cherchait toujours et toujours trouvait des cheveux qu'elle déroulait d'un mouvement rapide et jetait ensuite sur le tapis.

Elle avait deviné, avec son instinct rusé de femme, et elle balbutiait, furieuse, rageant et prête à pleurer :

« Elle t'aime, celle-là… et elle a voulu te faire emporter quelque chose d'elle… Oh ! que tu es traître… »

Mais elle poussa un cri, un cri strident de joie nerveuse : « Oh !… oh !… c'est une vieille… voilà un cheveu blanc… Ah ! tu prends des vieilles femmes maintenant… Est-ce qu'elles te paient… dis… est-ce qu'elles te paient ?… Ah ! tu en es aux vieilles femmes… Alors tu n'as plus besoin de moi… garde l'autre… »

Elle se leva, courut à son corsage jeté sur une chaise et elle le remit rapidement.

Il voulait la retenir, honteux et balbutiant :

« Mais non… Clo… tu es stupide… je ne sais pas ce que c'est… écoute… reste… voyons… reste… »

Elle répétait :

« Garde ta vieille femme… garde-la… fais-toi faire une bague avec ses cheveux… avec ses cheveux blancs… Tu en as assez pour ça… »

Avec des gestes brusques et prompts elle s'était habillée, recoiffée et voilée ; et comme il voulait la saisir, elle lui lança, à toute volée, un soufflet par la figure. Pendant qu'il demeurait étourdi, elle ouvrit la porte et s'enfuit.

Dès qu'il fut seul, une rage furieuse le saisit contre cette vieille rosse de mère Walter. Ah ! il allait l'envoyer coucher, celle-là, et durement.

Il bassina avec de l'eau sa joue rouge. Puis il sortit à son tour, en méditant sa vengeance. Cette fois il ne pardonnerait point. Ah ! mais non !

Il descendit jusqu'au boulevard, et, flânant, s'arrêta devant la boutique d'un bijoutier pour regarder un chronomètre dont il avait envie depuis longtemps, et qui valait dix-huit cents francs.

Il pensa, tout à coup, avec une secousse de joie au cœur : « Si je gagne mes soixante-dix mille francs, je pourrai me le payer. » Et il se mit à rêver à toutes les choses qu'il ferait avec ces soixante-dix mille francs.

D'abord il serait nommé député. Et puis il achèterait son chronomètre, et puis il jouerait à la Bourse, et puis encore… et puis encore…

Il ne voulait pas entrer au journal, préférant causer avec Madeleine avant de revoir Walter et d'écrire son article ; et il se mit en route pour revenir chez lui.

Il atteignait la rue Drouot quand il s'arrêta net ; il avait oublié de prendre des nouvelles du comte de Vaudrec, qui demeurait Chaussée-d'Antin. Il revint donc, flânant toujours, pensant à mille choses, dans une songerie heureuse, à des choses douces, à des choses bonnes, à la fortune prochaine et aussi à cette crapule de Laroche et à cette vieille teigne de Patronne. Il ne s'inquiétait point, d'ailleurs, de la colère de Clotilde, sachant bien qu'elle pardonnait vite.

Quand il demanda au concierge de la maison où demeurait le comte de Vaudrec :

« Comment va M. de Vaudrec ? On m'a appris qu'il était souffrant, ces jours derniers. L'homme répondit :

« M. le comte est très mal, monsieur. On croit qu'il ne passera pas la nuit, la goutte est remontée au cœur. Du Roy demeura tellement effaré qu'il ne savait plus ce qu'il devait faire ! Vaudrec mourant ! Des idées confuses passaient en lui, nombreuses, troublantes, qu'il n'osait point s'avouer à lui-même.

Il balbutia : « Merci… je reviendrai… », sans comprendre ce qu'il disait.

Puis il sauta dans un fiacre et se fit conduire chez lui.

Sa femme était rentrée. Il pénétra dans sa chambre essoufflé et lui annonça tout de suite :

« Tu ne sais pas ? Vaudrec est mourant ! Elle était assise et lisait une lettre. Elle leva les yeux et trois fois de suite répéta :

« Hein ? Tu dis ?… tu dis ?… tu dis ?…

– Je te dis que Vaudrec est mourant d'une attaque de goutte remontée au cœur. » Puis il ajouta :

« Qu'est-ce que tu comptes faire ? Elle s'était dressée, livide, les joues secouées d'un tremblement nerveux, puis elle se mit à pleurer affreusement, en cachant sa figure dans ses mains. Elle demeurait debout, secouée par des sanglots, déchirée par le chagrin.

Mais soudain elle dompta sa douleur, et, s'essuyant les yeux :

« J'y… j'y vais… ne t'occupe pas de moi… je ne sais pas à quelle heure je reviendrai… ne m'attends point… »

Il répondit :

« Très bien. Va. Ils se serrèrent la main, et elle partit si vite qu'elle oublia de prendre ses gants.

Georges, ayant dîné seul, se mit à écrire son article. Il le fit exactement selon les intentions du ministre, laissant entendre aux lecteurs que l'expédition du Maroc n'aurait pas lieu. Puis il le porta au journal, causa quelques instants avec le Patron et repartit en fumant, le cœur léger sans qu'il comprît pourquoi.

Sa femme n'était pas rentrée. Il se coucha et s'endormit.

Madeleine revint vers minuit. Georges, réveillé brusquement, s'était assis dans son lit.

Il demanda :

« Eh bien ? Il ne l'avait jamais vue si pâle et si émue. Elle murmura :

« II est mort.

– Ah ! Et… il ne t'a rien dit ?

– Rien. Il avait perdu connaissance quand je suis arrivée. Georges songeait. Des questions lui venaient aux lèvres qu'il n'osait point faire.

« Couche-toi », dit-il.

Elle se déshabilla rapidement, puis se glissa auprès de lui.

Il reprit :

« Avait-il des parents à son lit de mort ?

– Rien qu'un neveu.

– Ah ! Le voyait-il souvent, ce neveu ?

– Jamais. Ils ne s'étaient point rencontrés depuis dix ans.

– Avait-il d'autres parents ?

– Non… Je ne crois pas.

– Alors… c'est ce neveu qui doit hériter ?

– Je ne sais pas.

– II était très riche, Vaudrec ?

– Oui, très riche.

– Sais-tu ce qu'il avait à peu près ?

– Non, pas au juste. Un ou deux millions, peut-être ? Il ne dit plus rien. Elle souffla la bougie. Et ils demeurèrent étendus côte à côte dans la nuit, silencieux, éveillés et songeant.

Il n'avait plus envie de dormir. Il trouvait maigres maintenant les soixante-dix mille francs promis par Mme Walter. Soudain il crut que Madeleine pleurait. Il demanda pour s'en assurer :

« Dors-tu ?

– Non. Elle avait la voix mouillée et tremblante. Il reprit :

« J'ai oublié de te dire tantôt que ton ministre nous a fichus dedans.

– Comment ça ? Et il lui conta, tout au long, avec tous les détails, la combinaison préparée entre Laroche et Walter.

Quand il eut fini, elle demanda :

« Comment sais-tu ça ? Il répondit :

« Tu me permettras de ne point te le dire. Tu as tes procédés d'information que je ne pénètre point. J'ai les miens que je désire garder. Je réponds en tout cas de l'exactitude de mes renseignements. Alors elle murmura :

« Oui, c'est possible… Je me doutais qu'ils faisaient quelque chose sans nous. Mais Georges que le sommeil ne gagnait pas, s'était rapproché de sa femme, et, doucement, il lui baisa l'oreille. Elle le repoussa avec vivacité :

« Je t'en prie, laisse-moi tranquille, n'est-ce pas ? Je ne suis point d'humeur à batifoler. Il se retourna, résigné, vers le mur, et, ayant fermé les yeux, il finit par s'endormir.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 5 Bel Ami - Part 2 Chapter 5 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 5

– V –

L’automne était venu. Les Du Roy avaient passé à Paris tout l’été, menant une campagne énergique dans La Vie Française en faveur du nouveau cabinet pendant les courtes vacances des députés.

Quoiqu’on fût seulement dans les premiers jours d’octobre, les Chambres allaient reprendre leurs séances, car les affaires du Maroc devenaient menaçantes. Although it was only in the first days of October, the Chambers were resuming their meetings, for the affairs of Morocco were becoming menacing.

Personne, au fond, ne croyait à une expédition vers Tanger, bien que, le jour de la séparation du Parlement, un député de la droite, le comte de Lambert-Sarrazin, dans un discours plein d’esprit, applaudi même par les centres, eût offert de parier et de donner en gage sa moustache, comme avait fait jadis un célèbre vice-roi des Indes, contre les favoris du chef du Conseil, que le nouveau cabinet ne se pourrait tenir d’imiter l’ancien et d’envoyer une armée à Tanger, en pendant à celle de Tunis, par amour de la symétrie, comme on met deux vases sur une cheminée. Nobody, deep down, believed in an expedition to Tangier, although, on the day of the separation of Parliament, a deputy on the right, the Earl of Lambert-Sarrazin, in a witty speech, applauded even by the centers. would have offered to bet and to pledge his mustache, as a famous Viceroy of the Indies had formerly done, against the favorites of the chief of the Council, that the new cabinet could not be held to imitate the old and to send an army to Tangier, and to that of Tunis, for the sake of symmetry, as one puts two vases on a chimney. Il avait ajouté : « La terre d’Afrique est en effet une cheminée pour la France, messieurs, une cheminée qui brûle notre meilleur bois, une cheminée à grand tirage qu’on allume avec le papier de la Banque. He added: "The land of Africa is indeed a chimney for France, gentlemen, a chimney burning our best wood, a chimney with large draw that is lit with the paper of the Bank. « Vous vous êtes offert la fantaisie artiste d’orner l’angle de gauche d’un bibelot tunisien qui vous coûte cher, vous verrez que M. Marrot va vouloir imiter son prédécesseur et orner l’angle de droite avec un bibelot marocain. "You have offered the fancy artist to adorn the left corner of a Tunisian trinket that is expensive, you will see that Mr. Marrot will want to imitate his predecessor and decorate the right corner with a Moroccan trinket. Ce discours, demeuré célèbre, avait servi de thème à Du Roy pour dix articles sur la colonie algérienne, pour toute sa série interrompue lors de ses débuts au journal, et il avait soutenu énergiquement l’idée d’une expédition militaire, bien qu’il fût convaincu qu’elle n’aurait pas lieu. This speech, still famous, had been Du Roy's theme for ten articles on the Algerian colony, for all his series interrupted during his debut at the newspaper, and he had strongly supported the idea of a military expedition, although he was convinced that it would not happen. Il avait fait vibrer la corde patriotique et bombardé l’Espagne avec tout l’arsenal d’arguments méprisants qu’on emploie contre les peuples dont les intérêts sont contraires aux vôtres.

La Vie Française avait gagné une importance considérable à ses attaches connues avec le pouvoir. Elle donnait, avant les feuilles les plus sérieuses, les nouvelles politiques, indiquait par des nuances les intentions des ministres, ses amis ; et tous les journaux de Paris et de la province cherchaient chez elle leurs informations. On la citait, on la redoutait, on commençait à la respecter. We quoted her, we dreaded her, we began to respect her. Ce n’était plus l’organe suspect d’un groupe de tripoteurs politiques, mais l’organe avoué du cabinet. It was no longer the suspect organ of a group of political gamblers, but the avowed body of the cabinet. Laroche-Mathieu était l’âme du journal et Du Roy son porte-voix. Laroche-Mathieu was the soul of the newspaper and Du Roy his mouthpiece. Le père Walter, député muet et directeur cauteleux, sachant s’effacer, s’occupait dans l’ombre, disait-on, d’une grosse affaire de mines de cuivre, au Maroc. Father Walter, mute deputy and cautious director, knowing how to fade, was busy in the shadows, it was said, of a big case of copper mines, in Morocco.

Le salon de Madeleine était devenu un centre influent, où se réunissaient chaque semaine plusieurs membres du cabinet. Madeleine's salon had become an influential center, where several members of the cabinet met weekly. Le président du Conseil avait même dîné deux fois chez elle ; et les femmes des hommes d’État, qui hésitaient autrefois à franchir sa porte, se vantaient à présent d’être ses amies, lui faisant plus de visites qu’elles n’en recevaient d’elle. The President of the Council had even dined twice at home; and the wives of the statesmen, who at one time hesitated to cross her door, now boasted of being her friends, making more visits to her than they received from her.

Le ministre des Affaires étrangères régnait presque en maître dans la maison. The Minister of Foreign Affairs reigned supreme in the house. Il y venait à toute heure, apportant des dépêches, des renseignements, des informations qu’il dictait soit au mari, soit à la femme, comme s’ils eussent été ses secrétaires. He came there at all hours, bringing dispatches, information, information which he dictated either to the husband or to the woman, as if they had been his secretaries.

Quand Du Roy, après le départ du ministre, demeurait seul en face de Madeleine, il s’emportait, avec des menaces dans la voix, et des insinuations perfides dans les paroles, contre les allures de ce médiocre parvenu. When Du Roy, after the departure of the minister, remained alone in front of Madeleine, he was carried away, with threats in his voice, and perfidious insinuations in the words, against the appearance of this mediocre parvenu.

Mais elle haussait les épaules avec mépris, répétant : But she shrugged scornfully, repeating:

« Fais-en autant que lui, toi. "Do as much as him, you. Deviens ministre ; et tu pourras faire ta tête. Become a minister and you can make your head. Jusque-là, tais-toi. Until then, shut up. Il frisait sa moustache en la regardant de côté. He curled his mustache, looking sideways.

« On ne sait pas de quoi je suis capable, disait-il, on l’apprendra peut-être, un jour. "We do not know what I'm capable of," he said, "maybe we'll learn it someday. Elle répondait avec philosophie : She replied philosophically:

« Qui vivra, verra. " Time will tell. Le matin de la rentrée des Chambres, la jeune femme, encore au lit, faisait mille recommandations à son mari, qui s’habillait afin d’aller déjeuner chez M. Laroche-Mathieu et de recevoir ses instructions avant la séance, pour l’article politique du lendemain dans La Vie Française , cet article devant être une sorte de déclaration officieuse des projets réels du cabinet. On the morning of the return of the Chambers, the young woman, still in bed, made a thousand recommendations to her husband, who dressed to go to lunch with Mr. Laroche-Mathieu and receive his instructions before the meeting, for the Political article of the next day in La Vie Francaise, this article must be a sort of unofficial statement of the real projects of the cabinet.

Madeleine disait :

« Surtout n’oublie pas de lui demander si le général Belloncle est envoyé à Oran, comme il en est question. "Above all, do not forget to ask him if General Belloncle is sent to Oran, as is the case. Cela aurait une grande signification. It would have a great meaning. Georges, nerveux, répondit : Georges, nervous, replied:

« Mais je sais aussi bien que toi ce que j’ai à faire. "But I know as well as you what I have to do. Fiche-moi la paix avec tes rabâchages. Give me peace with your reticence. Elle reprit tranquillement :

« Mon cher, tu oublies toujours la moitié des commissions dont je te charge pour le ministre. "My dear, you always forget about half the commissions I charge you for the minister. Il grogna : He growled:

« Il m’embête, ton ministre, à la fin ! "He annoys me, your minister, at the end! C’est un serin. It's a cannon. Elle dit avec calme : She calmly says:

« Ce n’est pas plus mon ministre que le tien. "It's not my minister any more than yours. Il t’est plus utile qu’à moi. It is more useful to you than to me. Il s’était tourné un peu vers elle en ricanant : He had turned a little to her, sneering:

« Pardon, il ne me fait pas la cour, à moi. "Excuse me, he does not make love to me. Elle déclara, lentement :

« À moi non plus, d’ailleurs ; mais il fait notre fortune. "To me neither, by the way; but he makes our fortune. Il se tut, puis après quelques instants : He was silent, then after a few moments:

« Si j’avais à choisir parmi tes adorateurs, j’aimerais encore mieux cette vieille ganache de Vaudrec. "If I had to choose among your worshipers, I would still prefer this old Vaudrec ganache. Qu’est-ce qu’il devient, celui-là ? What's becoming of him? je ne l’ai pas vu depuis huit jours. I have not seen him for eight days. Elle répliqua, sans s’émouvoir : She replied, without being moved:

« Il est souffrant, il m’a écrit qu’il gardait même le lit avec une attaque de goutte. "He is ill, he wrote to me that he even kept the bed with a gout attack. Tu devrais passer prendre de ses nouvelles. You should go get some news. Tu sais qu’il t’aime beaucoup, et cela lui ferait plaisir. You know he loves you a lot, and that would make him happy. Georges répondit : George replied:

« Oui, certainement, j’irai tantôt. "Yes, certainly, I'll go now. Il avait achevé sa toilette, et, son chapeau sur la tête, il cherchait s’il n’avait rien négligé. He had finished his toilet, and, with his hat on his head, he was looking for nothing neglected. N’ayant rien trouvé, il s’approcha du lit, embrassa sa femme sur le front : Finding nothing, he approached the bed, kissed his wife on the forehead:

« À tantôt, ma chérie, je ne serai pas rentré avant sept heures au plus tôt. "Now, my darling, I will not be home until seven o'clock at the earliest. Et il sortit. M. Laroche-Mathieu l’attendait, car il déjeunait à dix heures ce jour-là, le conseil devant se réunir à midi, avant la réouverture du Parlement. M. Laroche-Mathieu was waiting for him, for he was having lunch at ten o'clock that day, the council having to meet at noon, before the reopening of Parliament.

Dès qu’ils furent à table, seuls avec le secrétaire particulier du ministre, Mme Laroche-Mathieu n’ayant pas voulu changer l’heure de son repas, Du Roy parla de son article, il en indiqua la ligne, consultant ses notes griffonnées sur des cartes de visite ; puis quand il eut fini : As soon as they were at the table, only with the private secretary of the minister, Mrs. Laroche-Mathieu did not want to change the time of his meal, Du Roy spoke of his article, he indicated the line, consulting his scribbled notes on business cards; then when he had finished:

« Voyez-vous quelque chose à modifier, mon cher ministre ? "Do you see anything to change, my dear minister?

– Fort peu, mon cher ami. "Very little, my dear friend. Vous êtes peut-être un peu trop affirmatif dans l’affaire du Maroc. You are perhaps a little too affirmative in the case of Morocco. Parlez de l’expédition comme si elle devait avoir lieu, mais en laissant bien entendre qu’elle n’aura pas lieu et que vous n’y croyez pas le moins du monde. Talk about the expedition as if it were to take place, but let it be understood that it will not take place and that you do not believe it in the least. Faites que le public lise bien entre les lignes que nous n’irons pas nous fourrer dans cette aventure. Make the audience read well between the lines that we will not go into this adventure.

– Parfaitement. - Perfectly. J’ai compris, et je me ferai bien comprendre. I understand, and I will understand myself. Ma femme m’a chargé de vous demander à ce sujet si le général Belloncle serait envoyé à Oran. My wife asked me to ask you if General Belloncle would be sent to Oran. Après ce que vous venez de dire, je conclus que non. After what you just said, I conclude that no. L’homme d’État répondit : The statesman replied:

« Non. Puis on causa de la session qui s’ouvrait. Then we talked about the session that was opening. Laroche-Mathieu se mit à pérorer, préparant l’effet des phrases qu’il allait répandre sur ses collègues quelques heures plus tard. Laroche-Mathieu began to perure, preparing the effect of the sentences he was going to spread about his colleagues a few hours later. Il agitait sa main droite, levant en l’air tantôt sa fourchette, tantôt son couteau, tantôt une bouchée de pain, et sans regarder personne, s’adressant à l’Assemblée invisible, il expectorait son éloquence liquoreuse de beau garçon bien coiffé. He waved his right hand, raising sometimes his fork, sometimes his knife, sometimes a mouthful of bread, and without looking at anyone, addressing the Invisible Assembly, he expectorated his eloquent syrup of handsome, well-coiffed boy. Une très petite moustache roulée redressait sur sa lèvre deux pointes pareilles à des queues de scorpion, et ses cheveux huilés de brillantine, séparés au milieu du front, arrondissaient sur ses tempes deux bandeaux de bellâtre provincial. A very small rolled mustache straightened on his lip two tips like scorpion tails, and his oiled hair of brilliantine, separated in the middle of the forehead, rounded on his temples two bands of provincial fop. Il était un peu trop gras, un peu bouffi, bien que jeune ; le ventre tendait son gilet. He was a little too fat, a little puffy, although young; the belly stretched his waistcoat. Le secrétaire particulier mangeait et buvait tranquillement, accoutumé sans doute à ses douches de faconde ; mais Du Roy, que la jalousie du succès obtenu mordait au cœur, songeait : « Va donc, ganache ! The private secretary ate and drank quietly, no doubt accustomed to his showers of color; but Du Roy, whom the jealousy of the success obtained bit into his heart, thought: "Go, ganache! Quels crétins que ces hommes politiques ! Et, comparant sa valeur à lui, à l’importance bavarde de ce ministre, il se disait : « Cristi, si j’avais seulement cent mille francs nets pour me présenter à la députation dans mon beau pays de Rouen, pour rouler dans la pâte de leur grosse malice mes braves Normands finauds et lourdauds, quel homme d’État je ferais, à côté de ces polissons imprévoyants. And, comparing his valor with him, with the talkative importance of this minister, he said to himself: "Cristi, if I had only a hundred thousand francs net to present myself to the deputation in my beautiful country of Rouen, to roll in the dough of their great malice my brave Norman and cunning gentlemen, what a statesman I would do, beside these improvident pranks. Jusqu’au café, M. Laroche-Mathieu parla, puis, ayant vu qu’il était tard, il sonna pour qu’on fit avancer son coupé, et, tendant la main au journaliste : As far as the cafe, Mr. Laroche-Mathieu spoke, then, seeing that it was late, he rang the bell, and, extending his hand to the journalist,

« C’est bien compris, mon cher ami ? "Is that understood, my dear friend?

– Parfaitement, mon cher ministre, comptez sur moi. Et Du Roy s’en alla tout doucement vers le journal, pour commencer son article, car il n’avait rien à faire jusqu’à quatre heures. And Du Roy went slowly to the paper, to begin his article, because he had nothing to do until four o'clock. À quatre heures, il devait retrouver, rue de Constantinople, Mme de Marelle qu’il y voyait toujours régulièrement deux fois par semaine, le lundi et le vendredi.

Mais en rentrant de la rédaction, on lui remit une dépêche fermée ; elle était de Mme Walter, et disait : But on returning from the editorial office, he was handed a closed dispatch; she was from Mrs. Walter, and said:

« Il faut absolument que je te parle aujourd’hui. "I have to talk to you today. C’est très grave, très grave. It's very serious, very serious. Attends-moi à deux heures, rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service. I can do you a great service.

« Ton amie jusqu’à la mort, "Your friend until death,

« VIRGINIE. "VIRGINIA. Il jura : « Nom de Dieu ! He swore, "Name of God! quel crampon. what a crampon. » Et, saisi par un excès de mauvaise humeur, il ressortit aussitôt, trop irrité pour travailler.

Depuis six semaines il essayait de rompre avec elle sans parvenir à lasser son attachement acharné. For six weeks he had been trying to break with her without managing to tire his bitter attachment.

Elle avait eu, après sa chute, un accès de remords épouvantable, et, dans trois rendez-vous successifs, avait accablé son amant de reproches et de malédictions. She had, after her fall, a terrible fit of remorse, and, in three successive meetings, had overwhelmed her lover with reproaches and curses. Ennuyé de ces scènes, et déjà rassasié de cette femme mûre et dramatique, il s’était simplement éloigné, espérant que l’aventure serait finie de cette façon. Annoyed by these scenes, and already full of this mature and dramatic woman, he had simply moved away, hoping that the adventure would be over in this way. Mais alors elle s’était accrochée à lui éperdument, se jetant dans cet amour comme on se jette dans une rivière avec une pierre au cou. But then she clung to him madly, throwing herself into that love as one throws herself into a river with a stone around her neck. Il s’était laissé reprendre, par faiblesse, par complaisance, par égards ; et elle l’avait emprisonné dans une passion effrénée et fatigante, elle l’avait persécuté de sa tendresse. He had let himself resume, out of weakness, by complacency, by respect; and she had imprisoned him in a passionate and exhausting passion; she had persecuted him with his tenderness.

Elle voulait le voir tous les jours, l’appelait à tout moment par des télégrammes, pour des rencontres rapides au coin des rues, dans un magasin, dans un jardin public. She wanted to see him every day, calling him at any moment by telegram, for quick meetings on street corners, in a store, in a public garden.

Elle lui répétait alors, en quelques phrases, toujours les mêmes, qu’elle l’adorait et l’idolâtrait, puis elle le quittait en lui jurant « qu’elle était bien heureuse de l’avoir vu ». She repeated to him, in a few sentences, always the same, that she adored and idolized her, then she left him by swearing "that she was very happy to have seen him".

Elle se montrait tout autre qu’il ne l’avait rêvée, essayant de le séduire avec des grâces puériles, des enfantillages d’amour ridicules à son âge. She showed herself quite different than he had dreamed of, trying to seduce him with childish graces, ridiculous childishness of love at her age. Étant demeurée jusque-là strictement honnête, vierge de cœur, fermée à tout sentiment, ignorante de toute sensualité, ça avait été tout d’un coup chez cette femme sage dont la quarantaine tranquille semblait un automne pâle après un été froid, ça avait été une sorte de printemps fané, plein de petites fleurs mal sorties et de bourgeons avortés, une étrange éclosion d’amour de fillette, d’amour tardif ardent et naïf, fait d’élans imprévus, de petits cris de seize ans, de cajoleries embarrassantes, de grâces vieillies sans avoir été jeunes. Having remained until then strictly honest, virgin of heart, closed to all feeling, ignorant of all sensuality, it had been suddenly at this wise woman whose quiet quarantine seemed a pale autumn after a cold summer, it had been a kind of faded spring, full of little bad flowers and aborted buds, a strange outburst of love for a little girl, of ardent and naive late love, made of unforeseen impulses, little cries of sixteen, embarrassing cajoleries , graces aged without having been young. Elle lui écrivait dix lettres en un jour, des lettres niaisement folles, d’un style bizarre, poétique et risible, orné comme celui des Indiens, plein de noms de bêtes et d’oiseaux. She wrote to him ten letters in one day, foolishly idiotic letters, of a bizarre, poetic and laughable style, adorned like that of the Indians, full of names of beasts and birds.

Dès qu’ils étaient seuls, elle l’embrassait avec des gentillesses lourdes de grosse gamine, des moues de lèvres un peu grotesques, des sauteries qui secouaient sa poitrine trop pesante sous l’étoffe du corsage. As soon as they were alone, she kissed him with kindness heavy with fat girl, lips of a little grotesque lips, jumps that shook her chest too heavy under the fabric of the bodice. Il était surtout écœuré de l’entendre dire « Mon rat », « Mon chien », « Mon chat », « Mon bijou », « Mon oiseau bleu », « Mon trésor », et de la voir s’offrir à lui chaque fois avec une petite comédie de pudeur enfantine, de petits mouvements de crainte qu’elle jugeait gentils, et de petits jeux de pensionnaire dépravée. He was especially sick of hearing him say "My rat," "My dog," "My cat," "My jewel," "My blue bird," "My treasure," and to see her offer herself to him every once with a little comedy of childlike modesty, little movements of fear that she thought were kind, and little games of depraved boarder.

Elle demandait : « À qui cette bouche-là ? She asked, "Who's that mouth? » Et quand il ne répondait pas tout de suite : « C’est à moi », – elle insistait jusqu’à le faire pâlir d’énervement. And when he did not answer right away, "It's mine," she insisted on making him turn pale.

Elle aurait dû sentir, lui semblait-il, qu’il faut, en amour, un tact, une adresse, une prudence et une justesse extrêmes, que s’étant donnée à lui, elle mûre, mère de famille, femme du monde, elle devait se livrer gravement, avec une sorte d’emportement contenu, sévère, avec des larmes peut-être, mais avec les larmes de Didon, non plus avec celles de Juliette. She should have felt, it seemed to her, that in love there must be extreme tact, skill, prudence and accuracy, which, having given to her, she matures, mother of a family, woman of the world, she had to give herself up gravely, with a sort of sedate content, severe, perhaps with tears, but with the tears of Dido, no longer with those of Juliette.

Elle lui répétait sans cesse :

« Comme je t’aime, mon petit ! M’aimes-tu autant, dis, mon bébé ? Do you love me so much, say, my baby? Il ne pouvait plus l’entendre prononcer « mon petit « ni « mon bébé « sans avoir envie de l’appeler « ma vieille ». He could no longer hear him say "my little one" or "my baby" without wanting to call him "my old".

Elle lui disait :

« Quelle folie j’ai faite de te céder. "What madness did I give you. Mais je ne le regrette pas. C’est si bon d’aimer. It's so good to love. Tout cela semblait à Georges irritant dans cette bouche. All this seemed to George irritating in this mouth. Elle murmurait : « C’est si bon d’aimer « comme l’aurait fait une ingénue, au théâtre. She murmured, "It's so good to love," as an ingenue would have done at the theater.

Et puis elle l’exaspérait par la maladresse de sa caresse. And then she exasperated him with the clumsiness of her caress. Devenue soudain sensuelle sous le baiser de ce beau garçon qui avait si fort allumé son sang, elle apportait dans son étreinte une ardeur inhabile et une application sérieuse qui donnaient à rire à Du Roy et le faisaient songer aux vieillards qui essaient d’apprendre à lire. Suddenly sensual under the kiss of this handsome boy who had so much lighted his blood, she brought into his embrace an incompetent ardor and a serious application that made Du Roy laugh and made him think of the old men who try to learn to read. .

Et quand elle aurait dû le meurtrir dans ses bras, en le regardant ardemment de cet œil profond et terrible qu’ont certaines femmes défraîchies, superbes en leur dernier amour, quand elle aurait dû le mordre de sa bouche muette et frissonnante en l’écrasant sous sa chair épaisse et chaude, fatiguée mais insatiable, elle se trémoussait comme une gamine et zézayait pour être gracieuse : And when she should have bruised him in his arms, looking at him ardently for that deep and terrible eye that some tired women have, superb in their last love, when she should have bit him with her mute and shivering mouth, crushing her under her thick and warm flesh, tired but insatiable, she wiggled like a child and zezayait to be graceful:

T’aime tant, mon petit. Love you so much, my dear. T’aime tant. Love you so much. Fais un beau m’amour à ta petite femme ! Make a beautiful love to your little wife! Il avait alors une envie folle de jurer, de prendre son chapeau et de partir en tapant la porte. He had a mad desire to swear, take his hat, and leave by tapping the door.

Ils s’étaient vus souvent, dans les premiers temps, rue de Constantinople, mais Du Roy, qui redoutait une rencontre avec Mme de Marelle, trouvait mille prétextes maintenant pour se refuser à ces rendez-vous. They had often seen each other in the early days of the Rue de Constantinople, but Du Roy, who feared an encounter with Mme. De Marelle, found a thousand excuses now for refusing these rendezvous.

Il avait dû alors venir presque tous les jours chez elle, tantôt déjeuner, tantôt dîner. He must have come to her house almost every day, sometimes for lunch, sometimes for dinner. Elle lui serrait la main sous la table, lui tendait sa bouche derrière les portes. She shook his hand under the table, held out her mouth behind the doors. Mais lui s’amusait surtout à jouer avec Suzanne qui l’égayait par ses drôleries. But he was especially amused to play with Suzanne, who amused him with his jokes. Dans son corps de poupée s’agitait un esprit agile et malin, imprévu et sournois, qui faisait toujours la parade comme une marionnette de foire. In her doll's body was an agile and cunning spirit, unforeseen and devious, who always made the parade like a fair puppet. Elle se moquait de tout et de tout le monde, avec un à-propos mordant. She made fun of everything and everyone, with a biting sense of purpose. Georges excitait sa verve, la poussait à l’ironie, et ils s’entendaient à merveille. George excited her wit, drove her to irony, and they got along very well.

Elle l’appelait à tout instant : She called him at all times:

« Écoutez, Bel-Ami. "Listen, Bel-Ami. Venez ici, Bel-Ami. Come here, Bel-Ami. Il quittait aussitôt la maman pour courir à la fillette qui lui murmurait quelque méchanceté dans l’oreille, et ils riaient de tout leur cœur. He left the mother at once to run to the girl who murmured some wickedness in her ear, and they laughed with all their heart.

Cependant, dégoûté de l’amour de la mère, il en arrivait à une insurmontable répugnance ; il ne pouvait plus la voir, ni l’entendre, ni penser à elle sans colère. Il cessa donc d’aller chez elle, de répondre à ses lettres, et de céder à ses appels. So he stopped going to her house, answering her letters, and giving in to her calls.

Elle comprit enfin qu’il ne l’aimait plus, et souffrit horriblement. Mais elle s’acharna, elle l’épia, le suivit, l’attendit dans un fiacre aux stores baissés, à la porte du journal, à la porte de sa maison, dans les rues où elle espérait qu’il passerait. But she struggled, she spied on him, followed him, waited in a cab with lowered blinds, at the door of the newspaper, at the door of his house, in the streets where she hoped he would pass.

Il avait envie de la maltraiter, de l’injurier, de la frapper, de lui dire nettement : « Zut, j’en ai assez, vous m’embêtez. He wanted to mistreat her, to insult her, to beat her, to tell him plainly: "Damn, I'm tired, you're bothering me. » Mais il gardait toujours quelques ménagements, à cause de La Vie Française  ; et il tâchait, à force de froideur, de duretés enveloppées d’égards et même de paroles rudes par moments, de lui faire comprendre qu’il fallait bien que cela finît. But he always kept some care, because of La Vie Francaise; and he tried, by dint of coldness, hardness, wrapped in respect, and even harsh words at times, to make him understand that it must have ended.

Elle s’entêtait surtout à chercher des ruses pour l’attirer rue de Constantinople, et il tremblait sans cesse que les deux femmes ne se trouvassent, un jour, nez à nez, à la porte. Above all, she persisted in seeking tricks to attract him to the Rue de Constantinople, and he trembled incessantly that the two women would find themselves, one day, face to face, at the door.

Son affection pour Mme de Marelle, au contraire, avait grandi pendant l’été. His affection for Madame de Marelle, on the contrary, had grown during the summer. Il l’appelait son « gamin », et décidément elle lui plaisait. He called her his "kid", and he definitely liked it. Leurs deux natures avaient des crochets pareils ; ils étaient bien, l’un et l’autre, de la race aventureuse des vagabonds de la vie, de ces vagabonds mondains qui ressemblent fort, sans s’en douter, aux bohèmes des grandes routes. Their two natures had similar hooks; they were both of the adventurous race of the vagabonds of life, of those worldly vagabonds who, without suspecting, resemble the bohemians of the highways.

Ils avaient eu un été d’amour charmant, un été d’étudiants qui font la noce, s’échappant pour aller déjeuner ou dîner à Argenteuil, à Bougival, à Maisons, à Poissy, passant des heures dans un bateau à cueillir des fleurs le long des berges. They had had a charming summer of love, a summer of students who are making the wedding, escaping to lunch or dinner at Argenteuil, Bougival, Maisons, Poissy, spending hours in a boat picking flowers along the banks. Elle adorait les fritures de Seine, les gibelottes et les matelotes, les tonnelles des cabarets et les cris des canotiers. She loved the fries of the Seine, the gibelottes and the matelotes, the arbours of the cabarets and the cries of the boaters. Il aimait partir avec elle, par un jour clair, sur l’impériale d’un train de banlieue et traverser, en disant des bêtises gaies, la vilaine campagne de Paris où bourgeonnent d’affreux chalets bourgeois. He liked to go with her, on a clear day, on the imperial train of a suburb, and to cross, by saying gay nonsense, the ugly Parisian countryside where ugly burgher bourgeois cottages sprout.

Et quand il lui fallait rentrer pour dîner chez Mme Walter, il haïssait la vieille maîtresse acharnée, en souvenir de la jeune qu’il venait de quitter, et qui avait défloré ses désirs et moissonné son ardeur dans les herbes du bord de l’eau. And when he had to go back to dine with Madame Walter, he hated the relentless old mistress, in memory of the young girl he had just left, who had deflowered her desires and reaped her ardor in the grass of the water's edge. .

Il se croyait enfin à peu près délivré de la Patronne, à qui il avait exprimé d’une façon claire, presque brutale, sa résolution de rompre, quand il reçut au journal le télégramme l’appelant, à deux heures, rue de Constantinople. At last he thought himself almost delivered from the Patroness, to whom he had expressed in a clear, almost brutal manner, his resolution to break off, when he received the telegram calling him at two o'clock in the Rue de Constantinople.

Il le relisait en marchant : « Il faut absolument que je te parle aujourd’hui. He read it again as he walked: "I must speak to you today. C’est très grave, très grave. It's very serious, very serious. Attends-moi à deux heures rue de Constantinople. Wait for me at two o'clock rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service. I can do you a great service.

Ton amie jusqu’à la mort. Your friend until death. – VIRGINIE. Il pensait : « Qu’est-ce qu’elle me veut encore, cette vieille chouette ? He thought, "What's she still wanting me, this old owl? Je parie qu’elle n’a rien à me dire. I bet she has nothing to say to me. Elle va me répéter qu’elle m’adore. Pourtant il faut voir. Yet we must see. Elle parle d’une chose très grave et d’un grand service, c’est peut-être vrai. She's talking about a very serious thing and a great service, maybe it's true. Et Clotilde qui vient à quatre heures. And Clotilde comes at four o'clock. Il faut que j’expédie la première à trois heures au plus tard. I have to send the first one at three o'clock at the latest. Sacristi ! pourvu qu’elles ne se rencontrent pas. provided they do not meet. Quelles rosses de femmes ! What women's sluts! Et il songea qu’en effet la sienne était la seule qui ne le tourmentait jamais. And he thought that his was the only one that never tormented him. Elle vivait de son côté, et elle avait l’air de l’aimer beaucoup, aux heures destinées à l’amour, car elle n’admettait pas qu’on dérangeât l’ordre immuable des occupations ordinaires de la vie. She lived on her side, and she seemed to love him very much, at the hours destined for love, for she did not admit that one disturbed the immutable order of the ordinary occupations of life.

Il allait, à pas lents, vers son logis de rendez-vous, s’excitant mentalement contre la Patronne : He was walking slowly to his rendezvous house, mentally exciting himself against the Patroness:

« Ah ! je vais la recevoir d’une jolie façon si elle n’a rien à me dire. I will receive it in a pretty way if she has nothing to say to me. Le français de Cambronne sera académique auprès du mien. French Cambronne will be academic with mine. Je lui déclare que je ne fiche plus les pieds chez elle, d’abord. I tell him that I do not leave the feet at home, first. Et il entra pour entendre Mme Walter. And he entered to hear Mrs. Walter.

Elle arriva presque aussitôt, et dès qu’elle l’eut aperçu : She arrived almost immediately, and as soon as she saw him:

« Ah ! tu as reçu ma dépêche ! you have received my despatch! Quelle chance ! Il avait pris un visage méchant : He had taken on a mean face:

« Parbleu, je l’ai trouvée au journal, au moment où je partais pour la Chambre. "By the way, I found it in the paper as I was leaving for the House. Qu’est-ce que tu me veux encore ? What do you want me again? Elle avait relevé sa voilette pour l’embrasser, et elle s’approchait avec un air craintif et soumis de chienne souvent battue. She had raised her veil to kiss her, and she approached with a look of fearful and submissive dog often beaten.

« Comme tu es cruel pour moi… Comme tu me parles durement… Qu’est-ce que je t’ai fait ? "How cruel you are to me ... How hard you talk to me ... What did I do to you? Tu ne te figures pas comme je souffre par toi ! You can't imagine how much I suffer because of you! Il grogna :

« Tu ne vas pas recommencer ? "You will not do it again? Elle était debout tout près de lui, attendant un sourire, un geste pour se jeter dans ses bras. She was standing close to him, waiting for a smile, a gesture to throw herself into his arms.

Elle murmura :

« Il ne fallait pas me prendre pour me traiter ainsi, il fallait me laisser sage et heureuse, comme j’étais. "You should not take me to treat me like that, you had to leave me as good and happy as I was. Te rappelles-tu ce que tu me disais dans l’église, et comme tu m’as fait entrer de force dans cette maison ? Do you remember what you said to me in the church, and how you forced me into this house? Et voilà maintenant comment tu me parles ! And now, how are you talking to me? comment tu me reçois ! how do you receive me Mon Dieu ! Mon Dieu ! que tu me fais mal ! Il frappa du pied, et, violemment : He stamped his foot, and, violently:

« Ah ! mais, zut ! but, damn! En voilà assez. That's enough. Je ne peux pas te voir une minute sans entendre cette chanson-là. I can not see you for a minute without hearing that song. On dirait vraiment que je t’ai prise à douze ans et que tu étais ignorante comme un ange. It really looks like I took you at twelve and you were ignorant like an angel. Non, ma chère, rétablissons les faits, il n’y a pas eu détournement de mineure. No, my dear, let's get back to the facts, there was no misappropriation of minor. Tu t’es donnée à moi, en plein âge de raison. You gave yourself to me, in full age of reason. Je t’en remercie, je t’en suis absolument reconnaissant, mais je ne suis pas tenu d’être attaché à ta jupe jusqu’à la mort. I thank you for it, I am absolutely grateful, but I do not have to be attached to your skirt until you die. Tu as un mari et j’ai une femme. Nous ne sommes libres ni l’un ni l’autre. We are free neither. Nous nous sommes offert un caprice, ni vu ni connu, c’est fini. We offered ourselves a whim, neither seen nor known, it's over. Elle dit :

« Oh ! que tu es brutal ! that you are brutal! que tu es grossier, que tu es infâme ! that you are rude, that you are infamous! Non ! No ! je n’étais plus une jeune fille, mais je n’avais jamais aimé, jamais failli… » I was no longer a girl, but I had never loved, never failed ... "

Il lui coupa la parole : He cut him off:

« Tu me l’as déjà répété vingt fois, je le sais. Mais tu avais eu deux enfants… je ne t’ai donc pas déflorée… » But you had two children ... so I did not deflower you ... "

Elle recula :

« Oh ! Georges, c’est indigne !… »

Et portant ses deux mains à sa poitrine, elle commença à suffoquer, avec des sanglots qui lui montaient à la gorge. And carrying both her hands to her breast, she began to suffocate, with sobs rising to her throat.

Quand il vit les larmes arriver, il prit son chapeau sur le coin de la cheminée : When he saw the tears come, he took his hat on the corner of the fireplace:

« Ah ! tu vas pleurer ! you'll cry ! Alors, bonsoir. So, good evening. C’est pour cette représentation-là que tu m’avais fait venir ? It was for this performance that you had made me come? Elle fit un pas afin de lui barrer la route et, tirant vivement un mouchoir de sa poche, s’essuya les yeux d’un geste brusque. She took a step to block his way and, hastily pulling a handkerchief out of her pocket, wiped her eyes abruptly. Sa voix s’affermit sous l’effort de sa volonté et elle dit interrompue par un chevrotement de douleur : Her voice is strengthened by the effort of her will and she says interrupted by a rush of pain:

« Non… je suis venue pour… pour te donner une nouvelle… une nouvelle politique… pour te donner le moyen de gagner cinquante mille francs… ou même plus… si tu veux. "No ... I came for ... to give you a new ... a new policy ... to give you the means to earn fifty thousand francs ... or even more ... if you want. Il demanda, adouci tout à coup : He asked, suddenly softened:

Comment ça ! Qu’est-ce que tu veux dire ? What do you mean ?

– J’ai surpris par hasard, hier soir, quelques mots de mon mari et de Laroche. - Last night I surprised by chance a few words from my husband and Laroche. Ils ne se cachaient pas beaucoup devant moi, d’ailleurs. They did not hide much in front of me, by the way. Mais Walter recommandait au ministre de ne pas te mettre dans le secret parce que tu dévoilerais tout. But Walter recommended the minister not to put you in the secret because you would disclose everything. Du Roy avait reposé son chapeau sur une chaise. Du Roy had put his hat on a chair. Il attendait, très attentif. He waited, very attentive.

« Alors, qu’est-ce qu’il y a ? "So what is it?

– Ils vont s’emparer du Maroc ! - They will seize Morocco!

– Allons donc. - Come on then. J’ai déjeuné avec Laroche qui m’a presque dicté les intentions du cabinet. I had lunch with Laroche who almost dictated the intentions of the firm.

Non, mon chéri, ils t’ont joué parce qu’ils ont peur qu’on connaisse leur combinaison. No, darling, they played you because they're afraid we'll know their wetsuit.

– Assieds-toi », dit Georges. - Sit down, "said Georges.

Et il s’assit lui-même sur un fauteuil. And he sat himself down on an armchair. Alors elle attira par terre un petit tabouret, et s’accroupit dessus, entre les jambes du jeune homme. Then she pulled down a small stool and crouched on it, between the young man's legs. Elle reprit, d’une voix câline : She resumed, in a coy voice:

« Comme je pense toujours à toi, je fais attention maintenant à tout ce qu’on chuchote autour de moi. "As I always think of you, I'm paying attention now to everything that's whispering around me. Et elle se mit, doucement, à lui expliquer comment elle avait deviné depuis quelque temps qu’on préparait quelque chose à son insu, qu’on se servait de lui en redoutant son concours. And she began, gently, to explain to her how she had guessed for some time that something was being prepared without his knowledge, that he was being used with fear of his help.

Elle disait :

« Tu sais, quand on aime, on devient rusée. "You know, when we love, we become cunning. Enfin, la veille, elle avait compris. Finally, the day before, she understood. C’était une grosse affaire, une très grosse affaire préparée dans l’ombre. It was a big deal, a very big deal prepared in the shadows. Elle souriait maintenant, heureuse de son adresse ; elle s’exaltait, parlant en femme de financier, habituée à voir machiner les coups de bourse, les évolutions des valeurs, les accès de hausse et de baisse ruinant en deux heures de spéculation des milliers de petits bourgeois, de petits rentiers, qui ont placé leurs économies sur des fonds garantis par des noms d’hommes honorés, respectés, hommes politiques ou hommes de banque. She was now smiling, happy with her address; she was exalted, speaking as a financier's wife, accustomed to seeing the stock market, the evolutions of values, the rising and falling accesses ruining in two hours of speculation the thousands of petty bourgeois, small rentiers, who placed their savings on funds secured by names of honored, respected men, politicians or bank men.

Elle répétait : She repeated:

« Oh ! c’est très fort ce qu’ils ont fait. it's very strong what they did. Très fort. C’est Walter qui a tout mené d’ailleurs, et il s’y entend. It was Walter who led everything, and he got along. Vraiment, c’est de premier ordre. Really, it's first rate. Il s’impatientait de ces préparations. He grew impatient with these preparations.

« Voyons, dis vite. "Come on, say quickly.

– Eh bien, voilà. L’expédition de Tanger était décidée entre eux dès le jour où Laroche a pris les Affaires étrangères ; et, peu à peu, ils ont racheté tout l’emprunt du Maroc qui était tombé à soixante-quatre ou cinq francs. The expedition of Tangiers was decided between them from the day Laroche took Foreign Affairs; and, little by little, they redeemed all the loan from Morocco, which had fallen to sixty-four or five francs. Ils l’ont racheté très habilement, par le moyen d’agents suspects, véreux, qui n’éveillaient aucune méfiance. They bought it very skilfully, by means of suspicious agents, suspicious, who aroused no suspicion. Ils ont roulé même les Rothschild, qui s’étonnaient de voir toujours demander du marocain. They even drove the Rothschilds, who were surprised to see the Moroccan always asking for it. On leur a répondu en nommant les intermédiaires, tous tarés, tous à la côte. They were answered by naming the middlemen, all crazy, all at the coast. Ça a tranquillisé la grande banque. It reassured the big bank. Et puis maintenant on va faire l’expédition, et dès que nous serons là-bas, l’État français garantira la dette. And now we will do the expedition, and as soon as we are there, the French State will guarantee the debt. Nos amis auront gagné cinquante ou soixante millions. Our friends will have won fifty or sixty millions. Tu comprends l’affaire ? Do you understand the case? Tu comprends aussi comme on a peur de tout le monde, peur de la moindre indiscrétion. You also understand how we are afraid of everyone, afraid of the slightest indiscretion. Elle avait appuyé sa tête sur le gilet du jeune homme, et les bras posés sur ses jambes, elle se serrait, se collait contre lui, sentant bien qu’elle l’intéressait à présent, prête à tout faire, à tout commettre, pour une caresse, pour un sourire. She had leaned her head on the young man's waistcoat, and with her arms resting on her legs, she was squeezing herself, clinging to him, feeling that she was interested in him now, ready to do anything, to commit everything, to a caress, for a smile.

Il demanda :

« Tu es bien sûre ? Elle répondit avec confiance : She answered with confidence:

« Oh ! je crois bien ! Il déclara :

« C’est très fort, en effet. "It's very strong, indeed. Quant à ce salop de Laroche, en voilà un que je repincerai. As for that bastard Laroche, here is one that I will repel. Oh ! le gredin ! The Rogue ! qu’il prenne garde à lui !… qu’il prenne garde à lui… Sa carcasse de ministre me restera entre les doigts ! let him take care of him! ... let him take care of him ... His ministerial carcass will remain in my hands! Puis il se mit à réfléchir, et il murmura : Then he began to think, and he murmured:

« Il faudrait pourtant profiter de ça. "But we should take advantage of that.

– Tu peux encore acheter de l’emprunt, dit-elle. "You can still buy the loan," she said. Il n’est qu’à soixante-douze francs. He is only seventy-two francs. Il reprit : He said :

« Oui, mais je n’ai pas d’argent disponible. "Yes, but I have no money available. Elle leva les yeux vers lui, des yeux pleins de supplication. She looked up at him, her eyes full of supplication.

« J’y ai pensé, mon chat, et si tu étais bien gentil, bien gentil, si tu m’aimais un peu, tu me laisserais t’en prêter. "I thought about it, my cat, and if you were very nice, very nice, if you loved me a little, you would let me lend you. Il répondit brusquement, presque durement : He answered abruptly, almost harshly:

« Quant à ça, non, par exemple. "As for that, no, for example. Elle murmura, d’une voix implorante : She murmured, imploringly:

« Écoute, il y a une chose que tu peux faire sans emprunter de l’argent. "Listen, there's one thing you can do without borrowing money. Je voulais en acheter pour dix mille francs de cet emprunt, moi, pour me créer une petite cassette. I wanted to buy ten thousand francs from it, to create a little cassette. Eh bien, j’en prendrai pour vingt mille ! Well, I'll take twenty thousand! Tu te mets de moitié. You put yourself in half. Tu comprends bien que je ne vais pas rembourser ça à Walter. You understand that I'm not going to pay that back to Walter. Il n’y a donc rien à payer pour le moment. So there is nothing to pay for the moment. Si ça réussit, tu gagnes soixante-dix mille francs. If it succeeds, you win seventy thousand francs. Si ça ne réussit pas, tu me devras dix mille francs que tu me paieras à ton gré. If that does not succeed, you will owe me ten thousand francs that you will pay me at your pleasure. Il dit encore : He says again:

« Non, je n’aime guère ces combinaisons-là. "No, I do not like those combinations. Alors, elle raisonna pour le décider, elle lui prouva qu’il engageait en réalité dix mille francs sur parole, qu’il courait des risques, par conséquent, qu’elle ne lui avançait rien puisque les déboursés étaient faits par la Banque Walter. Then she reasoned to decide it, she proved to him that he was actually pledging ten thousand francs on his word, that he ran risks, therefore, that she did not advance him anything since the disbursements were made by the Walter Bank.

Elle lui démontra en outre que c’était lui qui avait mené, dans La Vie Française , toute la campagne politique qui rendait possible cette affaire, qu’il serait bien naïf en n’en profitant pas. She also showed him that it was he who had led, in La Vie Francaise, all the political campaign that made this affair possible, that he would be very naive in not taking advantage of it.

Il hésitait encore. Elle ajouta :

« Mais songe donc qu’en vérité c’est Walter qui te les avance, ces dix mille francs, et que tu lui as rendu des services qui valent plus que ça. "But think that, in truth, it is Walter who is giving you these ten thousand francs, and that you have rendered him services worth more than that.

– Eh bien, soit, dit-il. "Well, either," he said. Je me mets de moitié avec toi. I'm half with you. Si nous perdons, je te rembourserai dix mille francs. If we lose, I'll pay you back ten thousand francs. Elle fut si contente qu’elle se releva, saisit à deux mains sa tête et se mit à l’embrasser avidement. She was so happy that she got up, grasped her head with both hands and began to kiss her eagerly.

Il ne se défendit point d’abord, puis comme elle s’enhardissait, l’étreignant et le dévorant de caresses, il songea que l’autre allait venir tout à l’heure et que s’il faiblissait il perdrait du temps, et laisserait aux bras de la vieille une ardeur qu’il valait mieux garder pour la jeune. He did not defend himself at first, but as she grew bolder, hugging and devouring her with caresses, he thought that the other was about to come, and that if he weakened he would lose time, and would leave to the arms of the old an ardor that it was better to keep for the young.

Alors il la repoussa doucement. Then he pushed her gently away.

« Voyons, sois sage », dit-il. "Come, be wise," he said.

Elle le regarda avec des yeux désolés : She looked at him with desolate eyes:

« Oh ! " Oh ! Georges, je ne peux même plus t’embrasser. George, I can not even kiss you anymore. Il répondit :

« Non, pas aujourd’hui. J’ai un peu de migraine et cela me fait mal. Alors elle se rassit, docile, entre ses jambes. So she sat down, docile, between her legs. Elle demanda :

« Veux-tu venir dîner demain à la maison ? "Do you want to come to dinner tomorrow at home? Quel plaisir tu me ferais ! What a pleasure you would do me! Il hésita, puis n’osa point refuser. He hesitated, then dared not refuse.

« Mais oui, certainement. " But yes certainly.

– Merci, mon chéri. - Thank you honey. Elle frottait lentement sa joue sur la poitrine du jeune homme, d’un mouvement câlin et régulier, et un de ses longs cheveux noirs se prit dans le gilet. She slowly rubbed her cheek on the young man's chest, with a cuddly, steady movement, and one of her long black hair caught in the waistcoat.

Elle s’en aperçut, et une idée folle lui traversa l’esprit, une de ces idées superstitieuses qui sont souvent toute la raison des femmes. She noticed it, and a crazy idea crossed her mind, one of those superstitious ideas that are often the whole reason of women. Elle se mit à enrouler tout doucement ce cheveu autour d’un bouton. She began to gently wrap this hair around a button. Puis elle en attacha un autre au bouton suivant, un autre encore à celui du dessus. Then she attached another one to the next button, another one to the one above. À chaque bouton elle en nouait un. At each button she knotted one.

Il allait les arracher tout à l’heure, en se levant. He was going to tear them away just now, getting up. Il lui ferait mal, quel bonheur ! It would hurt him, what happiness! Et il emporterait quelque chose d’elle, sans le savoir, il emporterait une petite mèche de sa chevelure, dont il n’avait jamais demandé. And he would take something away from her, without knowing it, he would take a small lock of his hair, which he had never asked for. C’était un lien par lequel elle l’attachait, un lien secret, invisible ! It was a link by which she tied him, a secret, invisible link! un talisman qu’elle laissait sur lui. a talisman she left on him. Sans le vouloir, il penserait à elle, il rêverait d’elle, il l’aimerait un peu plus le lendemain. Without wanting to, he would think of her, he would dream of her, he would love her a little more the next day.

Il dit tout à coup : He suddenly said:

« Il va falloir que je te quitte parce qu’on m’attend à la Chambre pour la fin de la séance. "I'll have to leave you because I'm waiting in the House for the end of the meeting. Je ne puis manquer aujourd’hui. I can not miss today. Elle soupira :

« Oh ! déjà. » Puis, résignée :

« Va, mon chéri, mais tu viendras dîner demain. Et, brusquement, elle s’écarta. And, abruptly, she moved away. Ce fut sur sa tête une douleur courte et vive comme si on lui eût piqué la peau avec des aiguilles. It was a short, sharp pain on his head, as if he had been stung with needles. Son cœur battait ; elle était contente d’avoir souffert un peu par lui. His heart was beating; she was happy to have suffered a little by him.

« Adieu ! " Farewell ! » dit-elle.

Il la prit dans ses bras avec un sourire compatissant et lui baisa les yeux froidement. He took her in his arms with a compassionate smile and kissed his eyes coldly.

Mais elle, affolée par ce contact, murmura encore une fois : « Déjà ! But she, distraught by this contact, murmured once more: "Already! » Et son regard suppliant montrait la chambre dont la porte était ouverte. And his beseeching eyes showed the room whose door was open.

Il l’éloigna de lui, et d’un ton pressé : He pushed him away from him, and in a hurry:

« Il faut que je me sauve, je vais arriver en retard. "I have to run away, I'll be late. Alors elle lui tendit ses lèvres qu’il effleura à peine, et lui ayant donné son ombrelle qu’elle oubliait, il reprit : Then she gave him her lips, which he scarcely touched, and having given him his parasol, which she forgot, he went on:

« Allons, allons, dépêchons-nous, il est plus de trois heures. "Come, come, let's hurry up, it's past three o'clock. Elle sortit devant lui ; elle répétait :

« Demain, sept heures. Il répondit :

« Demain, sept heures. Ils se séparèrent. Elle tourna à droite, et lui à gauche.

Du Roy remonta jusqu’au boulevard extérieur. Puis, il redescendit le boulevard Malesherbes, qu’il se mit à suivre, à pas lents. En passant devant un pâtissier, il aperçut des marrons glacés dans une coupe de cristal, et il pensa : « Je vais en rapporter une livre pour Clotilde. Passing past a confectioner, he saw some marrons glacés in a crystal cup, and he thought: "I am going to bring back a pound for Clotilde. » Il acheta un sac de ces fruits sucrés qu’elle aimait à la folie. À quatre heures, il était rentré pour attendre sa jeune maîtresse.

Elle vint un peu en retard parce que son mari était arrivé pour huit jours. Elle demanda :

« Peux-tu venir dîner demain ? Il serait enchanté de te voir.

– Non, je dîne chez le Patron. Nous avons un tas de combinaisons politiques et financières qui nous occupent. Elle avait enlevé son chapeau. Elle ôtait maintenant son corsage qui la serrait trop. She was now taking off her bodice that was squeezing her too much.

Il lui montra le sac sur la cheminée : He showed her the bag on the mantel:

« Je t’ai apporté des marrons glacés. "I brought you some marrons glacés. Elle battit des mains : She clapped her hands:

« Quelle chance ! comme tu es mignon. Elle les prit, en goûta un, et déclara : She took them, tasted one, and declared:

« Ils sont délicieux. " They are delicious. Je sens que je n’en laisserai pas un seul. I feel that I will not leave a single one. Puis elle ajouta en regardant Georges avec une gaieté sensuelle : Then she added, looking at Georges with a sensual gaiety:

« Tu caresses donc tous mes vices ? "So you caress all my vices? Elle mangeait lentement les marrons et jetait sans cesse un coup d’œil au fond du sac pour voir s’il en restait toujours. She slowly ate the chestnuts and kept looking at the bottom of the bag to see if there was any left.

Elle dit :

« Tiens, assieds-toi dans le fauteuil, je vais m’accroupir entre tes jambes pour grignoter mes bonbons. "Here, sit in the chair, I'll crouch between your legs to nibble my candies.

Je serai très bien. I will be fine. Il sourit, s’assit, et la prit entre ses cuisses ouvertes comme il tenait tout à l’heure Mme Walter. He smiled, sat down, and took it between his open thighs just as he was now holding Mrs. Walter.

Elle levait la tête vers lui pour lui parler, et disait, la bouche pleine : She raised her head to him to speak to him, and said, mouth full:

« Tu ne sais pas, mon chéri, j’ai rêvé de toi, j’ai rêvé que nous faisions un grand voyage, tous les deux, sur un chameau. "You do not know, my darling, I dreamed of you, I dreamed that we were making a great trip, both, on a camel. Il avait deux bosses, nous étions à cheval chacun sur une bosse, et nous traversions le désert. He had two humps, we were riding each on a hump, and we were crossing the desert. Nous avions emporté des sandwiches dans un papier et du vin dans une bouteille et nous faisions la dînette sur nos bosses. We took sandwiches in a paper and wine in a bottle and we had dinner on our bumps. Mais ça m’ennuyait parce que nous ne pouvions pas faire autre chose, nous étions trop loin l’un de l’autre, et moi je voulais descendre. But it bothered me because we could not do anything else, we were too far from each other, and I wanted to go down. Il répondit :

« Moi aussi je veux descendre. "I want to go down too. Il riait, s’amusant de l’histoire, il la poussait à dire des bêtises, à bavarder, à raconter tous ces enfantillages, toutes ces niaiseries tendres que débitent les amoureux. He laughed, amused by the story, he pushed her to say nonsense, to chat, to tell all these childishness, all those nonsense sweetness that the lovers love. Ces gamineries, qu’il trouvait gentilles dans la bouche de Mme de Marelle, l’auraient exaspéré dans celle de Mme Walter. These children, whom he found kind in the mouth of Madame de Marelle, would have exasperated her in that of Mrs. Walter.

Clotilde l’appelait aussi : « Mon chéri, mon petit, mon chat. » Ces mots lui semblaient doux et caressants. Dits par l’autre tout à l’heure, ils l’irritaient et l’écœuraient. When told by the other just now, they irritated and sickened him. Car les paroles d’amour, qui sont toujours les mêmes, prennent le goût des lèvres dont elles sortent. For the words of love, which are always the same, take the taste of the lips from which they come.

Mais il pensait, tout en s’égayant de ces folies, aux soixante-dix mille francs qu’il allait gagner, et, brusquement, il arrêta, avec deux petits coups de doigt sur la tête, le verbiage de son amie : But he thought, though he was laughing at these folly, at the seventy thousand francs he was going to earn, and suddenly he stopped, with two small taps on his head, the verbiage of his friend:

« Écoute, ma chatte. Je vais te charger d’une commission pour ton mari. I'll charge you a commission for your husband. Dis-lui de ma part d’acheter, demain, pour dix mille francs d’emprunt du Maroc qui est à soixante-douze ; et je lui promets qu’il aura gagné de soixante à quatre-vingt mille francs avant trois mois. Tell him on my part to buy, tomorrow, for ten thousand francs loan from Morocco which is seventy-two; and I promise him that he will have gained from sixty to eighty thousand francs before three months. Recommande-lui le silence absolu. Recommend him absolute silence. Dis-lui, de ma part, que l’expédition de Tanger est décidée et que l’État Français va garantir la dette marocaine. Tell him, from me, that the Tangier expedition is decided and that the French State will guarantee the Moroccan debt. Mais ne te coupe pas avec d’autres. But do not cut yourself with others. C’est un secret d’État que je confie là. Elle l’écoutait, sérieuse. She listened to him, serious. Elle murmura :

« Je te remercie. Je préviendrai mon mari dès ce soir. I'll let my husband know tonight. Tu peux compter sur lui ; il ne parlera pas. You can count on him; he will not speak. C’est un homme très sûr. Il n’y a aucun danger. Mais elle avait mangé tous les marrons. But she had eaten all the chestnuts. Elle écrasa le sac entre ses mains et le jeta dans la cheminée. She crushed the bag in her hands and threw it into the fireplace. Puis elle dit : « Allons nous coucher. Then she said, "Let's go to bed. » Et sans se lever elle commença à déboutonner le gilet de Georges. And without getting up she began to unbutton George's waistcoat.

Tout à coup elle s’arrêta, et tirant entre deux doigts un long cheveu pris dans une boutonnière, elle se mit à rire : Suddenly she stopped, and pulling between two fingers a long hair caught in a buttonhole, she began to laugh:

« Tiens. "Here. Tu as emporté un cheveu de Madeleine. You took a hair from Madeleine. En voilà un mari fidèle ! Here is a faithful husband! Puis, redevenue sérieuse, elle examina longuement sur sa main l’imperceptible fil qu’elle avait trouvé et elle murmura : Then, again serious, she examined at length on her hand the imperceptible thread she had found and she murmured:

« Ce n’est pas de Madeleine, il est brun. Il sourit :

« Il vient probablement de la femme de chambre. Mais elle inspectait le gilet avec une attention de policier, et elle cueillit un second cheveu enroulé autour d’un bouton ; puis elle en aperçut un troisième ; et, pâlie, tremblante un peu, elle s’écria :

« Oh ! tu as couché avec une femme qui t’a mis des cheveux à tous tes boutons. Il s’étonnait, il balbutiait :

« Mais non. Tu es folle… »

Soudain il se rappela, comprit, se troubla d’abord, puis nia en ricanant, pas fâché au fond qu’elle le soupçonnât d’avoir des bonnes fortunes. Suddenly he remembered, understood, was troubled at first, then denied with a sneer, not angry at the bottom that she suspected him of having good fortunes.

Elle cherchait toujours et toujours trouvait des cheveux qu’elle déroulait d’un mouvement rapide et jetait ensuite sur le tapis. She always sought and always found hair that she unrolled quickly and then threw on the carpet.

Elle avait deviné, avec son instinct rusé de femme, et elle balbutiait, furieuse, rageant et prête à pleurer : She had guessed, with her wily instinct as a woman, and she stammered, furious, angry and ready to cry:

« Elle t’aime, celle-là… et elle a voulu te faire emporter quelque chose d’elle… Oh ! "She loves you, that one ... and she wanted you to take something away from her ... Oh! que tu es traître… »

Mais elle poussa un cri, un cri strident de joie nerveuse : « Oh !… oh !… c’est une vieille… voilà un cheveu blanc… Ah ! But she uttered a cry, a strident cry of nervous joy: "Oh! ... oh! ... she is an old woman ... here is a white hair ... Ah! tu prends des vieilles femmes maintenant… Est-ce qu’elles te paient… dis… est-ce qu’elles te paient ?… Ah ! you take old women now ... Do they pay you ... say ... do they pay you? ... Ah! tu en es aux vieilles femmes… Alors tu n’as plus besoin de moi… garde l’autre… » you're old women ... So you do not need me anymore ... keep the other ... "

Elle se leva, courut à son corsage jeté sur une chaise et elle le remit rapidement. She got up, ran to her bodice thrown on a chair and she put it back quickly.

Il voulait la retenir, honteux et balbutiant :

« Mais non… Clo… tu es stupide… je ne sais pas ce que c’est… écoute… reste… voyons… reste… »

Elle répétait :

« Garde ta vieille femme… garde-la… fais-toi faire une bague avec ses cheveux… avec ses cheveux blancs… Tu en as assez pour ça… » "Keep your old woman ... keep her ... make a ring with her hair ... with her white hair ... you've had enough for that ..."

Avec des gestes brusques et prompts elle s’était habillée, recoiffée et voilée ; et comme il voulait la saisir, elle lui lança, à toute volée, un soufflet par la figure. With sudden and quick gestures she had dressed, stitched up and veiled; and as he wanted to seize it, she shot him a blow through the face. Pendant qu’il demeurait étourdi, elle ouvrit la porte et s’enfuit. While he was stunned, she opened the door and fled.

Dès qu’il fut seul, une rage furieuse le saisit contre cette vieille rosse de mère Walter. As soon as he was alone, furious rage seized him against that old brat of mother Walter. Ah ! il allait l’envoyer coucher, celle-là, et durement. he was going to send her to sleep, that one, and harshly.

Il bassina avec de l’eau sa joue rouge. He watered his red cheek with water. Puis il sortit à son tour, en méditant sa vengeance. Then he went out, meditating his vengeance. Cette fois il ne pardonnerait point. This time he would not forgive. Ah ! mais non !

Il descendit jusqu’au boulevard, et, flânant, s’arrêta devant la boutique d’un bijoutier pour regarder un chronomètre dont il avait envie depuis longtemps, et qui valait dix-huit cents francs. He went down to the boulevard, and, strolling, stopped in front of a jeweler's shop to look at a chronometer he had longed for, worth eighteen hundred francs.

Il pensa, tout à coup, avec une secousse de joie au cœur : « Si je gagne mes soixante-dix mille francs, je pourrai me le payer. » Et il se mit à rêver à toutes les choses qu’il ferait avec ces soixante-dix mille francs.

D’abord il serait nommé député. First he would be appointed deputy. Et puis il achèterait son chronomètre, et puis il jouerait à la Bourse, et puis encore… et puis encore… And then he would buy his stopwatch, and then he would play the Stock Exchange, and then again ... and then again ...

Il ne voulait pas entrer au journal, préférant causer avec Madeleine avant de revoir Walter et d’écrire son article ; et il se mit en route pour revenir chez lui. He did not want to enter the newspaper, preferring to talk with Madeleine before seeing Walter again and writing his article; and he set off to return home.

Il atteignait la rue Drouot quand il s’arrêta net ; il avait oublié de prendre des nouvelles du comte de Vaudrec, qui demeurait Chaussée-d’Antin. He reached the rue Drouot when he stopped short; he had forgotten to take news of the Count de Vaudrec, who lived at Chaussee d'Antin. Il revint donc, flânant toujours, pensant à mille choses, dans une songerie heureuse, à des choses douces, à des choses bonnes, à la fortune prochaine et aussi à cette crapule de Laroche et à cette vieille teigne de Patronne. He came back, still wandering, thinking of a thousand things, in a happy dream, in sweet things, in good things, in the next fortune, and also in that scoundrel of Laroche and that old moth of Patroness. Il ne s’inquiétait point, d’ailleurs, de la colère de Clotilde, sachant bien qu’elle pardonnait vite. He did not care, moreover, about Clotilde's anger, knowing full well that she was quick to forgive.

Quand il demanda au concierge de la maison où demeurait le comte de Vaudrec : When he asked the concierge of the house where the Count de Vaudrec lived:

« Comment va M. de Vaudrec ? "How is M. de Vaudrec? On m’a appris qu’il était souffrant, ces jours derniers. I was told he was ill these past few days. L’homme répondit :

« M. le comte est très mal, monsieur. On croit qu’il ne passera pas la nuit, la goutte est remontée au cœur. Du Roy demeura tellement effaré qu’il ne savait plus ce qu’il devait faire ! Du Roy was so frightened that he did not know what to do! Vaudrec mourant ! Des idées confuses passaient en lui, nombreuses, troublantes, qu’il n’osait point s’avouer à lui-même. Confused ideas passed through him, numerous and disturbing, which he dared not confess to himself.

Il balbutia : « Merci… je reviendrai… », sans comprendre ce qu’il disait. He stammered: "Thank you ... I'll come back ...", without understanding what he was saying.

Puis il sauta dans un fiacre et se fit conduire chez lui. Then he jumped into a cab and was driven home.

Sa femme était rentrée. Il pénétra dans sa chambre essoufflé et lui annonça tout de suite :

« Tu ne sais pas ? Vaudrec est mourant ! Elle était assise et lisait une lettre. Elle leva les yeux et trois fois de suite répéta :

« Hein ? Tu dis ?… tu dis ?… tu dis ?…

– Je te dis que Vaudrec est mourant d’une attaque de goutte remontée au cœur. "I tell you that Vaudrec is dying of an attack of gout, which has risen to the heart. » Puis il ajouta :

« Qu’est-ce que tu comptes faire ? " What are you going to do ? Elle s’était dressée, livide, les joues secouées d’un tremblement nerveux, puis elle se mit à pleurer affreusement, en cachant sa figure dans ses mains. She had stood up, livid, her cheeks shaking with nervous trembling, then she began to cry terribly, hiding her face in her hands. Elle demeurait debout, secouée par des sanglots, déchirée par le chagrin. She remained standing, shaken by sobs, torn by sorrow.

Mais soudain elle dompta sa douleur, et, s’essuyant les yeux : But suddenly she tamed her pain, and, wiping her eyes:

« J’y… j’y vais… ne t’occupe pas de moi… je ne sais pas à quelle heure je reviendrai… ne m’attends point… » "I ... I go ... do not worry about me ... I do not know what time I'll come back ... do not wait for me ..."

Il répondit :

« Très bien. Va. Ils se serrèrent la main, et elle partit si vite qu’elle oublia de prendre ses gants. They shook hands, and she left so quickly that she forgot to take her gloves.

Georges, ayant dîné seul, se mit à écrire son article. Georges, having dined alone, began to write his article. Il le fit exactement selon les intentions du ministre, laissant entendre aux lecteurs que l’expédition du Maroc n’aurait pas lieu. He did it exactly according to the minister's intentions, suggesting to readers that the Moroccan expedition would not take place. Puis il le porta au journal, causa quelques instants avec le Patron et repartit en fumant, le cœur léger sans qu’il comprît pourquoi. Then he took it to the paper, chatted for a few moments with the Boss, and went off smoking, his heart light, without his understanding why.

Sa femme n’était pas rentrée. Il se coucha et s’endormit.

Madeleine revint vers minuit. Georges, réveillé brusquement, s’était assis dans son lit.

Il demanda :

« Eh bien ? Il ne l’avait jamais vue si pâle et si émue. Elle murmura :

« II est mort.

– Ah ! Et… il ne t’a rien dit ?

– Rien. Il avait perdu connaissance quand je suis arrivée. Georges songeait. Des questions lui venaient aux lèvres qu’il n’osait point faire. Questions came to his lips that he dared not do.

« Couche-toi », dit-il. "Lie down," he says.

Elle se déshabilla rapidement, puis se glissa auprès de lui. She undressed quickly, then slipped close to him.

Il reprit :

« Avait-il des parents à son lit de mort ?

– Rien qu’un neveu.

– Ah ! Le voyait-il souvent, ce neveu ? Did he see him often, this nephew?

– Jamais. Ils ne s’étaient point rencontrés depuis dix ans. They had not met for ten years.

– Avait-il d’autres parents ? - Did he have other parents?

– Non… Je ne crois pas.

– Alors… c’est ce neveu qui doit hériter ?

– Je ne sais pas.

– II était très riche, Vaudrec ?

– Oui, très riche.

– Sais-tu ce qu’il avait à peu près ? - Do you know what he had?

– Non, pas au juste. Un ou deux millions, peut-être ? Il ne dit plus rien. Elle souffla la bougie. Et ils demeurèrent étendus côte à côte dans la nuit, silencieux, éveillés et songeant. And they lay side by side in the night, silent, awake, and dreaming.

Il n’avait plus envie de dormir. He did not want to sleep anymore. Il trouvait maigres maintenant les soixante-dix mille francs promis par Mme Walter. He found now meager the seventy thousand francs promised by Madame Walter. Soudain il crut que Madeleine pleurait. Suddenly he thought that Madeleine was crying. Il demanda pour s’en assurer : He asked to make sure:

« Dors-tu ?

– Non. Elle avait la voix mouillée et tremblante. Il reprit :

« J’ai oublié de te dire tantôt que ton ministre nous a fichus dedans. "I forgot to tell you earlier that your minister has kicked us in.

– Comment ça ? - What do you mean ? Et il lui conta, tout au long, avec tous les détails, la combinaison préparée entre Laroche et Walter. And he told him, all the way through, with all the details, the combination prepared between Laroche and Walter.

Quand il eut fini, elle demanda : When he had finished, she asked:

« Comment sais-tu ça ? "How do you know that? Il répondit : He answered :

« Tu me permettras de ne point te le dire. Tu as tes procédés d’information que je ne pénètre point. You have your information processes that I do not enter. J’ai les miens que je désire garder. I have mine that I want to keep. Je réponds en tout cas de l’exactitude de mes renseignements. In any case, I answer for the accuracy of my information. Alors elle murmura :

« Oui, c’est possible… Je me doutais qu’ils faisaient quelque chose sans nous. "Yes, it's possible ... I suspected they were doing something without us. Mais Georges que le sommeil ne gagnait pas, s’était rapproché de sa femme, et, doucement, il lui baisa l’oreille. But George, who was not getting any sleep, got closer to his wife, and, softly, kissed his ear. Elle le repoussa avec vivacité : She repulsed him with vivacity:

« Je t’en prie, laisse-moi tranquille, n’est-ce pas ? "Please, leave me alone, do not you? Je ne suis point d’humeur à batifoler. I'm not in the mood to frolic. Il se retourna, résigné, vers le mur, et, ayant fermé les yeux, il finit par s’endormir. He turned, resigned, towards the wall, and having closed his eyes, he finally fell asleep.