×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 3

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 3

– III –

En entrant au journal, le lendemain, Du Roy alla trouver Boisrenard.

« Mon cher ami, dit-il, j'ai un service à te demander. On trouve drôle depuis quelque temps de m'appeler Forestier. Moi, je commence à trouver ça bête. Veux-tu avoir la complaisance de prévenir doucement les camarades que je giflerai le premier qui se permettra de nouveau cette plaisanterie.

« Ce sera à eux de réfléchir si cette blague-là vaut un coup d'épée. Je m'adresse à toi parce que tu es un homme calme qui peut empêcher des extrémités fâcheuses, et aussi parce que tu m'as servi de témoin dans notre affaire. Boisrenard se chargea de la commission.

Du Roy sortit pour faire des courses, puis revint une heure plus tard. Personne ne l'appela Forestier. Comme il rentrait chez lui, il entendit des voix de femmes dans le salon. Il demanda : « Qui est là ? Le domestique répondit : « Mme Walter et Mme de Marelle. Un petit battement lui secoua le cœur, puis il se dit :

« Tiens, voyons », et il ouvrit la porte.

Clotilde était au coin de la cheminée, dans un rayon de jour venu de la fenêtre. Il sembla à Georges qu'elle pâlissait un peu en l'apercevant. Ayant d'abord salué Mme Walter et ses deux filles assises, comme deux sentinelles aux côtés de leur mère, il se tourna vers son ancienne maîtresse. Elle lui tendait la main ; il la prit et la serra avec intention comme pour dire : « Je vous aime toujours. » Elle répondit à cette pression.

Il demanda :

« Vous vous êtes bien portée pendant le siècle écoulé depuis notre dernière rencontre ? Elle répondit avec aisance :

« Mais, oui, et vous, Bel-Ami ? Puis, se tournant vers Madeleine, elle ajouta :

« Tu permets que je l'appelle toujours Bel-Ami ? – Certainement, ma chère, je permets tout ce que tu voudras. Une nuance d'ironie semblait cachée dans cette parole. Mme Walter parlait d'une fête qu'allait donner Jacques Rival dans son logis de garçon, un grand assaut d'armes où assisteraient des femmes du monde ; elle disait : « Ce sera très intéressant. Mais je suis désolée, nous n'avons personne pour nous y conduire, mon mari devant s'absenter à ce moment-là. Du Roy s'offrit aussitôt. Elle accepta. » Nous vous en serons très reconnaissantes, mes filles et moi. Il regardait la plus jeune des demoiselles Walter, et pensait : « Elle n'est pas mal du tout, cette petite Suzanne, mais pas du tout. » Elle avait l'air d'une frêle poupée blonde, trop petite, mais fine, avec la taille mince, des hanches et de la poitrine, une figure de miniature, des yeux d'émail d'un bleu gris dessinés au pinceau, qui semblaient nuancés par un peintre minutieux et fantaisiste, de la chair trop blanche, trop lisse, polie, unie, sans grain, sans teinte, et des cheveux ébouriffés, frisés, une broussaille savante, légère, un nuage charmant, tout pareil en effet à la chevelure des jolies poupées de luxe qu'on voit passer dans les bras de gamines beaucoup moins hautes que leur joujou. La sœur aînée, Rose, était laide, plate, insignifiante, une de ces filles qu'on ne voit pas, à qui on ne parle pas et dont on ne dit rien. La mère se leva, et se tournant vers Georges :

« Ainsi je compte sur vous jeudi prochain, à deux heures. Il répondit :

« Comptez sur moi, madame. Dès qu'elle fut partie, Mme de Marelle se leva à son tour. « Au revoir, Bel-Ami. Ce fut elle alors qui lui serra la main très fort, très longtemps ; et il se sentit remué par cet aveu silencieux, repris d'un brusque béguin pour cette petite bourgeoise bohème et bon enfant, qui l'aimait vraiment, peut-être. « J'irai la voir demain », pensa-t-il. Dès qu'il fut seul en face de sa femme, Madeleine se mit à rire, d'un rire franc et gai, et le regardant bien en face : « Tu sais que tu as inspiré une passion à Mme Walter ? Il répondit incrédule :

« Allons donc !

– Mais oui, je te l'affirme, elle m'a parlé de toi avec un enthousiasme fou. C'est si singulier de sa part ! Elle voudrait trouver deux maris comme toi pour ses filles !… Heureusement qu'avec elle ces choses-là sont sans importance. Il ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire : « Comment, sans importance ? Elle répondit, avec une conviction de femme sûre de son jugement :

« Oh ! Mme Walter est une de celles dont on n'a jamais rien murmuré, mais tu sais, là, jamais, jamais. Elle est inattaquable sous tous les rapports. Son mari, tu le connais comme moi. Mais elle, c'est autre chose. Elle a d'ailleurs assez souffert d'avoir épousé un juif, mais elle lui est restée fidèle. C'est une honnête femme. Du Roy fut surpris :

« Je la croyais juive aussi.

– Elle ? pas du tout. Elle est dame patronnesse de toutes les bonnes œuvres de la Madeleine. Elle est même mariée religieusement. Je ne sais plus s'il y a eu un simulacre de baptême du patron, ou bien si l'Église a fermé les yeux. Georges murmura :

Ah !… alors… elle… me gobe ?

– Positivement, et complètement. Si tu n'étais pas engagé, je te conseillerais de demander la main de… de Suzanne, n'est-ce pas, plutôt que celle de Rose ? Il répondit, en frisant sa moustache :

« Eh ! la mère n'est pas encore piquée des vers. Mais Madeleine s'impatienta : « Tu sais, mon petit, la mère, je te la souhaite. Mais je n'ai pas peur. Ce n'est point à son âge qu'on commet sa première faute. Il faut s'y prendre plus tôt. Georges songeait : « Si c'était vrai, pourtant, que j'eusse pu épouser Suzanne ?…. Puis il haussa les épaules : « Bah !… c'est fou !… Est-ce que le père m'aurait jamais accepté ? Il se promit toutefois d'observer désormais avec plus de soin les manières de Mme Walter à son égard, sans se demander d'ailleurs s'il en pourrait jamais tirer quelque avantage. Tout le soir, il fut hanté par des souvenirs de son amour avec Clotilde, des souvenirs tendres et sensuels en même temps. Il se rappelait ses drôleries, ses gentillesses, leurs escapades. Il se répétait à lui-même : « Elle est vraiment bien gentille. Oui, j'irai la voir demain. Dès qu'il eut déjeuné, le lendemain, il se rendit en effet rue de Verneuil. La même bonne lui ouvrit la porte, et, familièrement à la façon des domestiques de petits bourgeois, elle demanda :

« Ça va bien, monsieur ? Il répondit :

« Mais oui, mon enfant. Et il entra dans le salon, où une main maladroite faisait des gammes sur le piano. C'était Laurine. Il crut qu'elle allait lui sauter au cou. Elle se leva gravement, salua avec cérémonie, ainsi qu'aurait fait une grande personne, et se retira d'une façon digne. Elle avait une telle allure de femme outragée, qu'il demeura surpris. Sa mère entra. Il lui prit et lui baisa les mains.

« Combien j'ai pensé à vous, dit-il. – Et moi », dit-elle.

Ils s'assirent. Ils se souriaient, les yeux dans les yeux avec une envie de s'embrasser sur les lèvres. « Ma chère petite Clo, je vous aime.

– Et moi aussi.

– Alors… alors… tu ne m'en as pas trop voulu ? – Oui et non… Ça m'a fait de la peine, et puis j'ai compris ta raison, et je me suis dit : « Bah ! il me reviendra un jour ou l'autre. – Je n'osais pas revenir ; je me demandais comment je serais reçu. Je n'osais pas, mais j'en avais rudement envie. À propos, dis-moi donc ce qu'a Laurine. Elle m'a à peine dit bonjour et elle est partie d'un air furieux. – Je ne sais pas. Mais on ne peut plus lui parler de toi depuis ton mariage. Je crois vraiment qu'elle est jalouse. – Allons donc !

– Mais oui, mon cher. Elle ne t'appelle plus Bel-Ami, elle te nomme M. Forestier. Du Roy rougit, puis, s'approchant de la jeune femme : « Donne ta bouche. Elle la donna.

« Où pourrons-nous nous revoir ? dit-il.

– Mais… rue de Constantinople.

– Ah !… L'appartement n'est donc pas loué ? – Non, je l'ai gardé ! – Tu l'as gardé ? – Oui, j'ai pensé que tu y reviendrais. Une bouffée de joie orgueilleuse lui gonfla la poitrine. Elle l'aimait donc, celle-là, d'un amour vrai, constant, profond. Il murmura : « Je t'adore. » Puis il demanda : « Ton mari va bien ?

– Oui, très bien. Il vient de passer un mois ici ; il est parti d'avant-hier. Du Roy ne put s'empêcher de rire : « Comme ça tombe ! Elle répondit naïvement :

« Oh ! oui, ça tombe bien. « Mais il n'est pas gênant quand il est ici, tout de même. Tu le sais !

– Ça c'est vrai. C'est d'ailleurs un charmant homme. – Et toi, dit-elle, comment prends-tu ta nouvelle vie ?

– Ni bien ni mal. Ma femme est une camarade, une associée.

– Rien de plus ?

– Rien de plus… Quant au cœur…

– Je comprends bien. Elle est gentille, pourtant.

– Oui, mais elle ne me trouble pas. Il se rapprocha de Clotilde, et murmura :

« Quand nous reverrons-nous ?

– Mais… demain… si tu veux ?

– Oui. Demain, deux heures ?

– Deux heures. Il se leva pour partir, puis il balbutia, un peu gêné :

« Tu sais, j'entends reprendre, seul, l'appartement de la rue de Constantinople. Je le veux. Il ne manquerait plus qu'il fût payé par toi. Ce fut elle qui baisa ses mains avec un mouvement d'adoration, en murmurant : « Tu feras comme tu voudras. Il me suffit de l'avoir gardé pour nous y revoir. Et Du Roy s'en alla, l'âme pleine de satisfaction. Comme il passait devant la vitrine d'un photographe, le portrait d'une grande femme aux larges yeux lui rappela Mme Walter : « C'est égal, se dit-il, elle ne doit pas être mal encore. Comment se fait-il que je ne l'aie jamais remarquée. J'ai envie de voir quelle tête elle me fera jeudi. Il se frottait les mains, tout en marchant avec une joie intime, la joie du succès sous toutes ses formes, la joie égoïste de l'homme adroit qui réussit, la joie subtile, faite de vanité flattée et de sensualité contente, que donne la tendresse des femmes. Le jeudi venu, il dit à Madeleine :

Tu ne viens pas à cet assaut chez Rival ?

– Oh ! non. Cela ne m'amuse guère, moi ; j'irai à la Chambre des députés. Et il alla chercher Mme Walter, en landau découvert, car il faisait un admirable temps.

Il eut une surprise en la voyant, tant il la trouva belle et jeune.

Elle était en toilette claire dont le corsage un peu fendu laissait deviner, sous une dentelle blonde, le soulèvement gras des seins. Jamais elle ne lui avait paru si fraîche. Il la jugea vraiment désirable. Elle avait son air calme et comme il faut, une certaine allure de maman tranquille qui la faisait passer presque inaperçue aux yeux galants des hommes. Elle ne parlait guère d'ailleurs que pour dire des choses connues, convenues et modérées, ses idées étant sages, méthodiques, bien ordonnées, à l'abri de tous les excès. Sa fille Suzanne, tout en rose, semblait un Watteau frais verni ; et sa sœur aînée paraissait être l'institutrice chargée de tenir compagnie à ce joli bibelot de fillette. Devant la porte de Rival, une file de voitures était rangée. Du Roy offrit son bras à Mme Walter, et ils entrèrent.

L'assaut était donné au profit des orphelins du sixième arrondissement de Paris, sous le patronage de toutes les femmes des sénateurs et députés qui avaient des relations avec La Vie Française . Mme Walter avait promis de venir avec ses filles, en refusant le titre de dame patronnesse, parce qu'elle n'aidait de son nom que les œuvres entreprises par le clergé, non pas qu'elle fût très dévote, mais son mariage avec un Israélite la forçait, croyait-elle, à une certaine tenue religieuse ; et la fête organisée par le journaliste prenait une sorte de signification républicaine qui pouvait sembler anticléricale. On avait lu dans les journaux de toutes les nuances, depuis trois semaines :

« Notre éminent confrère Jacques Rival vient d'avoir l'idée aussi ingénieuse que généreuse d'organiser, au profit des orphelins du sixième arrondissement de Paris, un grand assaut dans sa jolie salle d'armes attenant à son appartement de garçon. « Les invitations sont faites par Mmes Laloigne, Remontel, Rissolin, femmes des sénateurs de ce nom, et par Mmes Laroche-Mathieu, Percerol, Firmin, femmes des députés bien connus. Une simple quête aura lieu pendant l'entracte de l'assaut, et le montant sera versé immédiatement entre les mains du maire du sixième arrondissement ou de son représentant. C'était une réclame monstre que le journaliste adroit avait imaginé à son profit. Jacques Rival recevait les arrivants à l'entrée de son logis où un buffet avait été installé, les frais devant être prélevés sur la recette. Puis il indiquait, d'un geste aimable, le petit escalier par où on descendait dans la cave, où il avait installé la salle d'armes et le tir ; et il disait : « Au-dessous, mesdames, au-dessous. L'assaut a lieu en des appartements souterrains. Il se précipita au-devant de la femme de son directeur ; puis, serrant la main de Du Roy :

« Bonjour, Bel-Ami. L'autre fut surpris : « Qui vous a dit que… »

Rival lui coupa la parole :

« Mme Walter, ici présente, qui trouve ce surnom très gentil. Mme Walter rougit :

« Oui, j'avoue que, si je vous connaissais davantage, je ferais comme la petite Laurine, je vous appellerais aussi Bel-Ami. Ça vous va très bien. Du Roy riait :

« Mais, je vous en prie, madame, faites-le. Elle avait baissé les yeux :

« Non. Nous ne sommes pas assez liés. Il murmura :

« Voulez-vous me laisser espérer que nous le deviendrons davantage ?

– Eh bien, nous verrons, alors », dit-elle.

Il s'effaça à l'entrée de la descente étroite qu'éclairait un bec de gaz ; et la brusque transition de la lumière du jour à cette clarté jaune avait quelque chose de lugubre. Une odeur de souterrain montait par cette échelle tournante, une senteur d'humidité chauffée, de murs moisis essuyés pour la circonstance, et aussi des souffles de benjoin qui rappelaient les offices sacrés, et des émanations féminines de Lubin, de verveine, d'iris, de violette. On entendait dans ce trou un grand bruit de voix, un frémissement de foule agitée.

Toute la cave était illuminée avec des guirlandes de gaz et des lanternes vénitiennes cachées en des feuillages qui voilaient les murs de pierre salpêtrés. On ne voyait rien que des branchages. Le plafond était garni de fougères, le sol couvert de feuilles et de fleurs.

On trouvait cela charmant, d'une imagination délicieuse. Dans le petit caveau du fond s'élevait une estrade pour les tireurs, entre deux rangs de chaises pour les juges. Et dans toute la cave, les banquettes, alignées par dix, autant à droite qu'à gauche, pouvaient porter près de deux cents personnes. On en avait invité quatre cents.

Devant l'estrade, des jeunes gens en costumes d'assaut, minces, avec des membres longs, la taille cambrée, la moustache en croc, posaient déjà devant les spectateurs. On se les nommait, on désignait les maîtres et les amateurs, toutes les notabilités de l'escrime. Autour d'eux causaient des messieurs en redingote, jeunes et vieux, qui avaient un air de famille avec les tireurs en tenue de combat. Ils cherchaient aussi à être vus, reconnus et nommés, c'étaient des princes de l'épée en civil, les experts en coups de bouton. Presque toutes les banquettes étaient couvertes de femmes, qui faisaient un grand froissement d'étoffes remuées et un grand murmure de voix. Elles s'éventaient comme au théâtre, car il faisait déjà une chaleur d'étuve dans cette grotte feuillue. Un farceur criait de temps en temps : « Orgeat ! limonade ! bière ! Mme Walter et ses filles gagnèrent leurs places réservées au premier rang. Du Roy les ayant installées allait partir, il murmura :

« Je suis obligé de vous quitter, les hommes ne peuvent accaparer les banquettes. Mais Mme Walter répondit en hésitant :

« J'ai bien envie de vous garder tout de même. Vous me nommerez les tireurs. Tenez, si vous restiez debout au coin de ce banc, vous ne gêneriez personne. Elle le regardait de ses grands yeux doux. Elle insista : « Voyons, restez avec nous… monsieur… monsieur Bel-Ami. Nous avons besoin de vous.

Il répondit :

« J'obéirai… avec plaisir, madame. On entendait répéter de tous les côtés : « C'est très drôle, cette cave, c'est très gentil. Georges la connaissait bien. cette salle voûtée ! Il se rappelait le matin qu'il y avait passé, la veille de son duel, tout seul, en face d'un petit carton blanc qui le regardait du fond du second caveau comme un œil énorme et redoutable. La voix de Jacques Rival résonna, venue de l'escalier : « On va commencer, mesdames. Et six messieurs, très serrés en leurs vêtements pour faire saillir davantage le thorax, montèrent sur l'estrade et s'assirent sur les chaises destinées au jury. Leurs noms coururent : Le général de Raynaldi, président, un petit homme à grandes moustaches ; le peintre Joséphin Rouget, un grand homme chauve à longue barbe ; Matthéo de Ujar, Simon Ramoncel, Pierre de Carvin, trois jeunes hommes élégants, et Gaspard Merleron, un maître.

Deux pancartes furent accrochées aux deux côtés du caveau. Celle de droite portait : M. Crèvecœur, et celle de gauche : M. Plumeau.

C'étaient deux maîtres, deux bons maîtres de second ordre. Ils apparurent, secs tous deux, avec un air militaire. des gestes un peu raides. Ayant fait le salut d'armes avec des mouvements d'automates, ils commencèrent à s'attaquer, pareils, dans leur costume de toile et de peau blanche, à deux pierrots-soldats qui se seraient battus pour rire. De temps en temps, on entendait ce mot : « Touché ! » Et les six messieurs du jury inclinaient la tête en avant d'un air connaisseur. Le public ne voyait rien que deux marionnettes vivantes qui s'agitaient en tendant le bras ; il ne comprenait rien, mais il était content. Ces deux bonshommes lui semblaient cependant peu gracieux et vaguement ridicules. On songeait aux lutteurs de bois qu'on vend, au jour de l'an, sur les boulevards. Les deux premiers tireurs furent remplacés par MM. Planton et Carapin, un maître civil et un maître militaire. M. Planton était tout petit et M. Carapin très gros. On eût dit que le premier coup de fleuret dégonflerait ce ballon comme un éléphant de baudruche. On riait. M. Planton sautait comme un singe. M. Carapin ne remuait que son bras, le reste de son corps se trouvant immobilisé par l'embonpoint, et il se fendait toutes les cinq minutes avec une telle pesanteur et un tel effort en avant qu'il semblait prendre la résolution la plus énergique de sa vie. Il avait ensuite beaucoup de mal à se relever.

Les connaisseurs déclarèrent son jeu très ferme et très serré. Et le public, confiant, l'apprécia. Puis vinrent MM. Porion et Lapalme, un maître et un amateur qui se livrèrent à une gymnastique effrénée, courant l'un sur l'autre avec furie, forçant les juges à fuir en emportant leurs chaises, traversant et retraversant l'estrade d'un bout à l'autre, l'un avançant et l'autre reculant par bonds vigoureux et comiques. Ils avaient de petits sauts en arrière qui faisaient rire les dames, et de grands élans en avant qui émotionnaient un peu cependant. Cet assaut au pas gymnastique fut caractérisé par un titi inconnu qui cria : « Vous éreintez pas, c'est à l'heure ! » L'assistance, froissée par ce manque de goût, fit : « Chut ! » Le jugement des experts circula. Les tireurs avaient montré beaucoup de vigueur et manqué parfois d'à-propos. La première partie fut clôturée par une fort belle passe d'armes entre Jacques Rival et le fameux professeur belge Lebègue. Rival fut fort goûté des femmes. Il était vraiment beau garçon, bien fait, souple, agile, et plus gracieux que tous ceux qui l'avaient précédé. Il apportait dans sa façon de se tenir en garde et de se fendre une certaine élégance mondaine qui plaisait et faisait contraste avec la manière énergique, mais commune de son adversaire. « On sent l'homme bien élevé », disait-on. Il eut la belle. On l'applaudit. Mais depuis quelques minutes, un bruit singulier, à l'étage au-dessus, inquiétait les spectateurs. C'était un grand piétinement accompagné de rires bruyants. Les deux cents invités qui n'avaient pu descendre dans la cave s'amusaient sans doute, à leur façon. Dans le petit escalier tournant une cinquantaine d'hommes étaient tassés. La chaleur devenait terrible en bas. On criait : « De l'air ! » « À boire ! » Le même farceur glapissait sur un ton aigu qui dominait le murmure des conversations :

« Orgeat ! limonade ! bière ! Rival apparut très rouge, ayant gardé son costume d'assaut. « Je vais faire apporter des rafraîchissements », dit-il – et il courut dans l'escalier. Mais toute communication était coupée avec le rez-de-chaussée. Il eût été aussi facile de percer le plafond que de traverser la muraille humaine entassée sur les marches.

Rival criait : « Faites passer des glaces pour les dames ! Cinquante voix répétaient : « Des glaces ! » Un plateau apparut enfin. Mais il ne portait que des verres vides, les rafraîchissements ayant été cueillis en route.

Une forte voix hurla :

« On étouffe là-dedans, finissons vite et allons-nous-en. Une autre voix lança : « La quête ! » Et tout le public, haletant, mais gai tout de même, répéta : « La quête… la quête… »

Alors six dames se mirent à circuler entre les banquettes et on entendit un petit bruit d'argent tombant dans les bourses. Du Roy nommait les hommes célèbres à Mme Walter. C'étaient des mondains, des journalistes, ceux des grands journaux, des vieux journaux, qui regardaient de haut La Vie Française , avec une certaine réserve née de leur expérience. Ils en avaient tant vu mourir de ces feuilles politico-financières, filles d'une combinaison louche, et écrasées par la chute d'un ministère. On apercevait aussi là des peintres et des sculpteurs, qui sont, en général, hommes de sport, un poète académicien qu'on montrait, deux musiciens et beaucoup de nobles étrangers dont Du Roy faisait suivre le nom de la syllabe Rast (ce qui signifiait Rastaquouère), pour imiter, disait-il, les Anglais qui mettent Esq. sur leurs cartes.

Quelqu'un lui cria : « Bonjour, cher ami. » C'était le comte de Vaudrec. S'étant excusé auprès des dames, Du Roy alla lui serrer la main. Il déclara, en revenant : « Il est charmant, Vaudrec. Comme on sent la race, chez lui. Mme Walter ne répondit rien. Elle était un peu fatiguée et sa poitrine se soulevait avec effort à chaque souffle de ses poumons, ce qui attirait l'œil de Du Roy. Et de temps en temps, il rencontrait le regard de « la Patronne » – un regard trouble, hésitant, qui se posait sur lui et fuyait tout de suite. Et il se disait : « Tiens… tiens… tiens… Est-ce que je l'aurais levée aussi, celle-là ? Les quêteuses passèrent. Leurs bourses étaient pleines d'argent et d'or. Et une nouvelle pancarte fut accrochée sur l'estrade annonçant : « Grrrrande surprise. » Les membres du jury remontèrent à leurs places. On attendit.

Deux femmes parurent, un fleuret à la main, en costume de salle, vêtues d'un maillot sombre, d'un très court jupon tombant à la moitié des cuisses, et d'un plastron si gonflé sur la poitrine qu'il les forçait à porter haut la tête. Elles étaient jolies et jeunes. Elles souriaient en saluant l'assistance. On les acclama longtemps.

Et elles se mirent en garde au milieu d'une rumeur galante et de plaisanteries chuchotées. Un sourire aimable s'était fixé sur les lèvres des juges, qui approuvaient les coups par un petit bravo. Le public appréciait beaucoup cet assaut et le témoignait aux deux combattantes qui allumaient des désirs chez les hommes et réveillaient chez les femmes le goût naturel du public parisien pour les gentillesses un peu polissonnes, pour les élégances du genre canaille, pour le faux-joli et le faux-gracieux, les chanteuses de café-concert et les couplets d'opérette. Chaque fois qu'une des tireuses se fendait, un frisson de joie courait dans le public. Celle qui tournait le dos à la salle, un dos bien replet, faisait s'ouvrir les bouches et s'arrondir les yeux ; et ce n'était pas le jeu de son poignet qu'on regardait le plus. On les applaudit avec frénésie.

Un assaut de sabre suivit, mais personne ne le regarda, car toute l'attention fut captivée par ce qui se passait au-dessus. Pendant quelques minutes on avait écouté un grand bruit de meubles remués, traînés sur le parquet comme si on déménageait l'appartement. Puis tout à coup, le son du piano traversa le plafond ; et on entendit distinctement un bruit rythmé de pieds sautant en cadence. Les gens d'en haut s'offraient un bal, pour se dédommager de ne rien voir. Un grand rire s'éleva d'abord dans le public de la salle d'armes, puis le désir de danser s'éveillant chez les femmes, elles cessèrent de s'occuper de ce qui se passait sur l'estrade et se mirent à parler tout haut. On trouvait drôle cette idée de bal organisé par les retardataires. Ils ne devaient pas s'embêter ceux-là. On aurait bien voulu être au-dessus.

Mais deux nouveaux combattants s'étaient salués ; et ils tombèrent en garde avec tant d'autorité que tous les regards suivaient leurs mouvements. Ils se fendaient et se relevaient avec une grâce élastique, avec une vigueur mesurée, avec une telle sûreté de force, une telle sobriété de gestes, une telle correction d'allure, une telle mesure dans le jeu que la foule ignorante fut surprise et charmée. Leur promptitude calme, leur sage souplesse, leurs mouvements rapides, si calculés qu'ils semblaient lents, attiraient et captivaient l'œil par la seule puissance de la perfection. Le public sentit qu'il voyait là une chose belle et rare, que deux grands artistes dans leur métier lui montraient ce qu'on pouvait voir de mieux, tout ce qu'il était possible à deux maîtres de déployer d'habileté, de ruse, de science raisonnée et d'adresse physique. Personne ne parlait plus, tant on les regardait. Puis, quand ils se furent serrés la main, après le dernier coup de bouton, des cris éclatèrent, des hourras. On trépignait, on hurlait. Tout le monde connaissait leurs noms : c'étaient Sergent et Ravignac. Les esprits exaltés devenaient querelleurs. Les hommes regardaient leurs voisins avec des envies de dispute. On se serait provoqué pour un sourire. Ceux qui n'avaient jamais tenu un fleuret en leur main esquissaient avec leur canne des attaques et des parades. Mais peu à peu la foule remontait par le petit escalier. On allait boire, enfin. Ce fut une indignation quand on constata que les gens du bal avaient dévalisé le buffet, puis s'en étaient allés en déclarant qu'il était malhonnête de déranger deux cents personnes pour ne leur rien montrer. Il ne restait pas un gâteau, pas une goutte de champagne, de sirop ou de bière, pas un bonbon, pas un fruit, rien, rien de rien. Ils avaient saccagé, ravagé, nettoyé tout.

On se faisait raconter les détails par les servants qui prenaient des visages tristes en cachant leur envie de rire. « Les dames étaient plus enragées que les hommes, affirmaient-ils, et avaient mangé et bu à s'en rendre malades. » On aurait cru entendre le récit des survivants après le pillage et le sac d'une ville pendant l'invasion. Il fallut donc s'en aller. Des messieurs regrettaient les vingt francs donnés à la quête ; ils s'indignaient que ceux d'en haut eussent ripaillé sans rien payer. Les dames patronnesses avaient recueilli plus de trois mille francs. Il resta, tous frais payés, deux cent vingt francs pour les orphelins du sixième arrondissement.

Du Roy, escortant la famille Walter, attendait son landau. En reconduisant la Patronne, comme il se trouvait assis en face d'elle, il rencontra encore une fois son œil caressant et fuyant, qui semblait troublé. Il pensait : « Bigre, je crois qu'elle mord », et il souriait en reconnaissant qu'il avait vraiment de la chance auprès des femmes, car Mme de Marelle, depuis le recommencement de leur tendresse, paraissait l'aimer avec frénésie. Il rentra chez lui d'un pied joyeux. Madeleine l'attendait dans le salon. « J'ai des nouvelles, dit-elle. L'affaire du Maroc se complique. La France pourrait bien y envoyer une expédition d'ici quelques mois. Dans tous les cas on va se servir de ça pour renverser le ministère, et Laroche profitera de l'occasion pour attraper les Affaires étrangères. Du Roy, pour taquiner sa femme, feignit de n'en rien croire. On ne serait pas assez fou pour recommencer la bêtise de Tunis.

Mais elle haussait les épaules avec impatience. « Je te dis que si ! Je te dis que si ! Tu ne comprends donc pas que c'est une grosse question d'argent pour eux. Aujourd'hui, mon cher, dans les combinaisons politiques, il ne faut pas dire : « Cherchez la femme », mais : « Cherchez l'affaire. Il murmura : « Bah ! » avec un air de mépris, pour l'exciter. Elle s'irritait : « Tiens, tu es aussi naïf que Forestier. Elle voulait le blesser et s'attendait à une colère. Mais il sourit et répondit :

« Que ce cocu de Forestier ? Elle demeura saisie, et murmura :

« Oh ! Georges ! Il avait l'air insolent et railleur, et il reprit : « Eh bien, quoi ? Me l'as-tu pas avoué, l'autre soir, que Forestier était cocu ? Et il ajouta : « Pauvre diable ! » sur un ton de pitié profonde.

Madeleine lui tourna le dos, dédaignant de répondre ; puis après une minute de silence, elle reprit :

« Nous aurons du monde mardi : Mme Laroche-Mathieu viendra dîner avec la comtesse de Percemur. Veux-tu inviter Rival et Norbert de Varenne ? J'irai demain chez Mmes Walter et de Marelle. Peut-être aussi aurons-nous Mme Rissolin. Depuis quelque temps, elle se faisait des relations, usant de l'influence politique de son mari, pour attirer chez elle, de gré ou de force, les femmes des sénateurs et des députés qui avaient besoin de l'appui de La Vie Française . Du Roy répondit :

« Très bien. Je me charge de Rival et de Norbert. Il était content et il se frottait les mains, car il avait trouvé une bonne scie pour embêter sa femme et satisfaire l'obscure rancune, la confuse et mordante jalousie née en lui depuis leur promenade au Bois. Il ne parlerait plus de Forestier sans le qualifier de cocu. Il sentait bien que cela finirait par rendre Madeleine enragée. Et dix fois pendant la soirée il trouva moyen de prononcer avec une bonhomie ironique le nom de ce « cocu de Forestier ».

Il n'en voulait plus au mort ; il le vengeait. Sa femme feignait de ne pas entendre et demeurait, en face de lui, souriante et indifférente.

Le lendemain, comme elle devait aller adresser son invitation à Mme Walter, il voulut la devancer, pour trouver seule la Patronne et voir si vraiment elle en tenait pour lui. Cela l'amusait et le flattait. Et puis… pourquoi pas… si c'était possible. Il se présenta boulevard Malesherbes dès deux heures. On le fit entrer dans le salon. Il attendit.

Mme Walter parut, la main tendue avec un empressement heureux.

« Quel bon vent vous amène ?

– Aucun bon vent, mais un désir de vous voir. Une force m'a poussé chez vous, je ne sais pourquoi, je n'ai rien à vous dire. Je suis venu, me voilà ! me pardonnez-vous cette visite matinale et la franchise de l'explication ? Il disait cela d'un ton galant et badin, avec un sourire sur les lèvres et un accent sérieux dans la voix. Elle restait étonnée, un peu rouge, balbutiant :

« Mais… vraiment… je ne comprends pas… vous me surprenez… »

Il ajouta :

« C'est une déclaration sur un air gai, pour ne pas vous effrayer. Ils s'étaient assis l'un près de l'autre. Elle prit la chose de façon plaisante.

« Alors, c'est une déclaration… sérieuse ? – Mais oui ! Voici longtemps que je voulais vous la faire, très longtemps même. Et puis, je n'osais pas. On vous dit si sévère, si rigide… »

Elle avait retrouvé son assurance. Elle répondit :

« Pourquoi avez-vous choisi aujourd'hui ? – Je ne sais pas. » Puis il baissa la voix : « Ou plutôt, c'est parce que je ne pense qu'à vous, depuis hier. Elle balbutia, pâlie tout à coup :

« Voyons, assez d'enfantillages, et parlons d'autre chose. Mais il était tombé à ses genoux si brusquement qu'elle eut peur. Elle voulut se lever ; il la tenait assise de force et ses deux bras enlacés à la taille et il répétait d'une voix passionnée : « Oui, c'est vrai que je vous aime, follement, depuis longtemps. Ne me répondez pas. Que voulez-vous. je suis fou ! Je vous aime… Oh ! si vous saviez, comme je vous aime ! Elle suffoquait, haletait, essayait de parler et ne pouvait prononcer un mot. Elle le repoussait de ses deux mains, l'ayant saisi aux cheveux pour empêcher l'approche de cette bouche qu'elle sentait venir vers la sienne. Et elle tournait la tête de droite à gauche et de gauche à droite, d'un mouvement rapide, en fermant les yeux pour ne plus le voir. Il la touchait à travers sa robe, la maniait, la palpait ; et elle défaillait sous cette caresse brutale et forte. Il se releva brusquement et voulut l'étreindre, mais, libre une seconde, elle s'était échappée en se rejetant en arrière, et elle fuyait maintenant de fauteuil en fauteuil. Il jugea ridicule cette poursuite, et il se laissa tomber sur une chaise, la figure dans ses mains, en feignant des sanglots convulsifs.

Puis il se redressa, cria : « Adieu ! adieu ! » et il s'enfuit. Il reprit tranquillement sa canne dans le vestibule et gagna la rue en se disant : « Cristi, je crois que ça y est. » Et il passa au télégraphe pour envoyer un petit bleu à Clotilde, lui donnant rendez-vous le lendemain.

En rentrant chez lui, à l'heure ordinaire, il dit à sa femme : « Eh bien, as-tu tout ton monde pour ton dîner ? Elle répondit :

« Oui ; il n'y a que Mme Walter qui n'est pas sûre d'être libre. Elle hésite ; elle m'a parlé de je ne sais quoi, d'engagement, de conscience. Enfin elle m'a eu l'air très drôle. N'importe, j'espère qu'elle viendra tout de même. Il haussa les épaules :

« Eh, parbleu oui, elle viendra. Il n'en était pas certain, cependant, et il demeura inquiet jusqu'au jour du dîner. Le matin même, Madeleine reçut un petit mot de la Patronne : « Je me suis rendue libre à grand-peine et je serai des vôtres. Mais mon mari ne pourra pas m'accompagner. Du Roy pensa : « J'ai rudement bien fait de n'y pas retourner. La voilà calmée. Attention. Il attendit cependant son entrée avec un peu d'inquiétude. Elle parut, très calme, un peu froide, un peu hautaine. Il se fit très humble, très discret et soumis.

Mmes Laroche-Mathieu et Rissolin accompagnaient leurs maris. La vicomtesse de Percemur parla du grand monde. Mme de Marelle était ravissante dans une toilette d'une fantaisie singulière, jaune et noire, un costume espagnol qui moulait bien sa jolie taille, sa poitrine et ses bras potelés, et rendait énergique sa petite tête d'oiseau. Du Roy avait pris à sa droite Mme Walter, et il ne lui parla, durant le dîner, que de choses sérieuses, avec un respect exagéré. De temps en temps il regardait Clotilde. « Elle est vraiment plus jolie et plus fraîche », pensait-il. Puis ses yeux revenaient vers sa femme qu'il ne trouvait pas mal non plus, bien qu'il eût gardé contre elle une colère rentrée, tenace et méchante. Mais la Patronne l'excitait par la difficulté de la conquête, et par cette nouveauté toujours désirée des hommes. Elle voulut rentrer de bonne heure.

« Je vous accompagnerai », dit-il.

Elle refusa. Il insistait :

« Pourquoi ne voulez-vous pas ? Vous allez me blesser vivement. Ne me laissez pas croire que vous ne m'avez point pardonné. Vous voyez comme je suis calme. Elle répondit :

« Vous ne pouvez pas abandonner ainsi vos invités. Il sourit :

« Bah ! je serai vingt minutes absent. On ne s'en apercevra même pas. Si vous me refusez, vous me froisserez jusqu'au cœur. Elle murmura :

« Eh bien, j'accepte. Mais dès qu'ils furent dans la voiture, il lui saisit la main, et la baisant avec passion : « Je vous aime, je vous aime. Laissez-moi vous le dire. Je ne vous toucherai pas. Je veux seulement vous répéter que je vous aime. Elle balbutiait :

« Oh !... après ce que vous m'avez promis… C'est mal… c'est mal… » Il parut faire un grand effort, puis il reprit, d'une voix contenue : « Tenez, vous voyez comme je me maîtrise. Et pourtant… Mais laissez-moi vous dire seulement ceci. Je vous aime… et vous le répéter tous les jours… oui, laissez-moi aller chez vous m'agenouiller cinq minutes à vos pieds pour prononcer ces trois mots, en regardant votre visage adoré. Elle lui avait abandonné sa main, et elle répondit en haletant :

« Non, je ne peux pas, je ne veux pas. Songez à ce qu'on dirait, à mes domestiques, à mes filles. Non, non, c'est impossible… » Il reprit :

« Je ne peux plus vivre sans vous voir. Que ce soit chez vous ou ailleurs, il faut que je vous voie, ne fût-ce qu'une minute tous les jours, que je touche votre main, que je respire l'air soulevé par votre robe, que je contemple la ligne de votre corps, et vos beaux grands yeux qui m'affolent. Elle écoutait, frémissante, cette banale musique d'amour et elle bégayait : « Non… non… c'est impossible. Taisez-vous ! Il lui parlait tout bas, dans l'oreille, comprenant qu'il fallait la prendre peu à peu, celle-là, cette femme simple, qu'il fallait la décider à lui donner des rendez-vous, où elle voudrait d'abord, où il voudrait ensuite : « Écoutez… Il le faut… je vous verrai… je vous attendrai devant votre porte… comme un pauvre… Si vous ne descendez pas, je monterai chez vous… mais je vous verrai… je vous verrai… demain. Elle répétait : « Non, non, ne venez pas. Je ne vous recevrai point. Songez à mes filles.

– Alors dites-moi où je vous rencontrerai… dans la rue… n'importe où… à l'heure que vous voudrez… pourvu que je vous voie… Je vous saluerai… Je vous dirai : « Je vous aime », et je m'en irai. Elle hésitait, éperdue. Et comme le coupé passait la porte de son hôtel, elle murmura très vite :

« Eh bien, j'entrerai à la Trinité, demain, à trois heures et demie. Puis, étant descendue, elle cria à son cocher :

« Reconduisez M. Du Roy chez lui. Comme il rentrait, sa femme lui demanda :

« Où étais-tu donc passé ? Il répondit, à voix basse :

« J'ai été jusqu'au télégraphe pour une dépêche pressée. Mme de Marelle s'approchait : « Vous me reconduisez, Bel-Ami, vous savez que je ne viens dîner si loin qu'à cette condition ? Puis se tournant vers Madeleine :

« Tu n'es pas jalouse ? Mme Du Roy répondit lentement :

« Non, pas trop. Les convives s'en allaient. Mme Laroche Mathieu avait l'air d'une petite bonne de province. C'était la fille d'un notaire, épousée par Laroche qui n'était alors que médiocre avocat. Mme Rissolin, vieille et prétentieuse, donnait l'idée d'une ancienne sage-femme dont l'éducation se serait faite dans les cabinets de lecture. La vicomtesse de Percemur les regardait du haut. Sa « patte blanche » touchait avec répugnance ces mains communes.

Clotilde, enveloppée de dentelles, dit à Madeleine en franchissant la porte de l'escalier : « C'était parfait, ton dîner. Tu auras dans quelque temps le premier salon politique de Paris. Dès qu'elle fut seule avec Georges, elle le serra dans ses bras : « Oh ! mon chéri Bel-Ami, je t'aime tous les jours davantage. Le fiacre qui les portait roulait comme un navire.

« Ça ne vaut point notre chambre », dit-elle.

Il répondit : « Oh ! non. » Mais il pensait à Mme Walter.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 3 Bel Ami - Part 2 Chapter 3 ベルアミ - パート2 第3章 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 3

– III –

En entrant au journal, le lendemain, Du Roy alla trouver Boisrenard. On entering the newspaper the next day, Du Roy went to find Boisrenard.

« Mon cher ami, dit-il, j'ai un service à te demander. On trouve drôle depuis quelque temps de m'appeler Forestier. For some time now it has been funny to call me Forestier. Moi, je commence à trouver ça bête. Veux-tu avoir la complaisance de prévenir doucement les camarades que je giflerai le premier qui se permettra de nouveau cette plaisanterie. Will you have the complaisance to gently warn the comrades that I will slap the first one who will allow this joke again?

« Ce sera à eux de réfléchir si cette blague-là vaut un coup d'épée. "It will be up to them to think if this joke is worth a sword stroke. Je m'adresse à toi parce que tu es un homme calme qui peut empêcher des extrémités fâcheuses, et aussi parce que tu m'as servi de témoin dans notre affaire. I speak to you because you are a calm man who can prevent unwelcome ends, and also because you have served me as a witness in our business. Boisrenard se chargea de la commission. Boisrenard took charge of the commission.

Du Roy sortit pour faire des courses, puis revint une heure plus tard. Du Roy went out for shopping, then came back an hour later. Personne ne l'appela Forestier. Comme il rentrait chez lui, il entendit des voix de femmes dans le salon. Il demanda : « Qui est là ? Le domestique répondit : « Mme Walter et Mme de Marelle. Un petit battement lui secoua le cœur, puis il se dit :

« Tiens, voyons », et il ouvrit la porte. "Here, let's see," and he opened the door.

Clotilde était au coin de la cheminée, dans un rayon de jour venu de la fenêtre. Clotilde was at the corner of the fireplace, in a daylight coming from the window. Il sembla à Georges qu'elle pâlissait un peu en l'apercevant. Ayant d'abord salué Mme Walter et ses deux filles assises, comme deux sentinelles aux côtés de leur mère, il se tourna vers son ancienne maîtresse. Having first greeted Mrs. Walter and her two daughters, like two sentinels beside their mother, he turned to his former mistress. Elle lui tendait la main ; il la prit et la serra avec intention comme pour dire : « Je vous aime toujours. She held out her hand; he took it and squeezed it intentionally as if to say, "I still love you. » Elle répondit à cette pression.

Il demanda :

« Vous vous êtes bien portée pendant le siècle écoulé depuis notre dernière rencontre ? "Have you done well in the last century since our last meeting? Elle répondit avec aisance : She replied with ease:

« Mais, oui, et vous, Bel-Ami ? "But, yes, and you, Bel-Ami? Puis, se tournant vers Madeleine, elle ajouta : Then, turning to Madeleine, she added:

« Tu permets que je l'appelle toujours Bel-Ami ? "Do you allow me to always call him Bel-Ami? – Certainement, ma chère, je permets tout ce que tu voudras. "Certainly, my dear, I will allow anything you wish. Une nuance d'ironie semblait cachée dans cette parole. A shade of irony seemed hidden in this word. Mme Walter parlait d'une fête qu'allait donner Jacques Rival dans son logis de garçon, un grand assaut d'armes où assisteraient des femmes du monde ; elle disait : Madame Walter was talking about a party that Jacques Rival was going to give in her boy's house, a great assault of arms where women of the world would be present; she said : « Ce sera très intéressant. Mais je suis désolée, nous n'avons personne pour nous y conduire, mon mari devant s'absenter à ce moment-là. Du Roy s'offrit aussitôt. Elle accepta. » Nous vous en serons très reconnaissantes, mes filles et moi. We will be very grateful to you, my daughters and me. Il regardait la plus jeune des demoiselles Walter, et pensait : « Elle n'est pas mal du tout, cette petite Suzanne, mais pas du tout. » Elle avait l'air d'une frêle poupée blonde, trop petite, mais fine, avec la taille mince, des hanches et de la poitrine, une figure de miniature, des yeux d'émail d'un bleu gris dessinés au pinceau, qui semblaient nuancés par un peintre minutieux et fantaisiste, de la chair trop blanche, trop lisse, polie, unie, sans grain, sans teinte, et des cheveux ébouriffés, frisés, une broussaille savante, légère, un nuage charmant, tout pareil en effet à la chevelure des jolies poupées de luxe qu'on voit passer dans les bras de gamines beaucoup moins hautes que leur joujou. She looked like a frail blonde doll, too small, but thin, with slim waist, hips and chest, a miniature figure, blue-gray enamel eyes drawn with a brush, which seemed to be nuanced by a meticulous and whimsical painter, with flesh too white, too smooth, polished, plain, without grain, without hue, and hair tousled, curly, a scruffy brush, light, a charming cloud, all the same indeed to the hair of the pretty dolls of luxury seen in the arms of little girls much lower than their toy. La sœur aînée, Rose, était laide, plate, insignifiante, une de ces filles qu'on ne voit pas, à qui on ne parle pas et dont on ne dit rien. The older sister, Rose, was ugly, flat, insignificant, one of those girls you do not see, who you do not talk about and do not talk about. La mère se leva, et se tournant vers Georges :

« Ainsi je compte sur vous jeudi prochain, à deux heures. Il répondit :

« Comptez sur moi, madame. Dès qu'elle fut partie, Mme de Marelle se leva à son tour. « Au revoir, Bel-Ami. Ce fut elle alors qui lui serra la main très fort, très longtemps ; et il se sentit remué par cet aveu silencieux, repris d'un brusque béguin pour cette petite bourgeoise bohème et bon enfant, qui l'aimait vraiment, peut-être. It was she then who shook his hand very hard, for a very long time; and he felt moved by this silent admission, taken over by a sudden infatuation for this bohemian and good-natured little bourgeoise, who perhaps really loved him. « J'irai la voir demain », pensa-t-il. "I'll go see her tomorrow," he thought. Dès qu'il fut seul en face de sa femme, Madeleine se mit à rire, d'un rire franc et gai, et le regardant bien en face : As soon as he was alone in front of his wife, Madeleine laughed with a frank and cheerful laugh, and looking him straight in the face: « Tu sais que tu as inspiré une passion à Mme Walter ? "You know you inspired a passion for Mrs. Walter? Il répondit incrédule : He answered incredulously:

« Allons donc ! "Come on!

– Mais oui, je te l'affirme, elle m'a parlé de toi avec un enthousiasme fou. - Yes, I tell you, she told me about you with crazy enthusiasm. C'est si singulier de sa part ! It's so singular on his part! Elle voudrait trouver deux maris comme toi pour ses filles !… Heureusement qu'avec elle ces choses-là sont sans importance. She would like to find two husbands like you for her daughters! ... Fortunately, with her, these things are irrelevant. Il ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire : He did not understand what she meant: « Comment, sans importance ? Elle répondit, avec une conviction de femme sûre de son jugement :

« Oh ! Mme Walter est une de celles dont on n'a jamais rien murmuré, mais tu sais, là, jamais, jamais. Mrs. Walter is one of those we have never whispered about, but you know, there, never, never. Elle est inattaquable sous tous les rapports. She is unassailable in every respect. Son mari, tu le connais comme moi. Her husband, you know him as me. Mais elle, c'est autre chose. But she is something else. Elle a d'ailleurs assez souffert d'avoir épousé un juif, mais elle lui est restée fidèle. She suffered enough to have married a Jew, but she remained faithful to him. C'est une honnête femme. She is an honest woman. Du Roy fut surpris :

« Je la croyais juive aussi. "I thought she was Jewish too.

– Elle ? - She ? pas du tout. not at all. Elle est dame patronnesse de toutes les bonnes œuvres de la Madeleine. She is lady patroness of all the good works of the Madeleine. Elle est même mariée religieusement. She is even married religiously. Je ne sais plus s'il y a eu un simulacre de baptême du patron, ou bien si l'Église a fermé les yeux. I do not know if there was a mock baptism of the boss, or if the church turned a blind eye. Georges murmura :

Ah !… alors… elle… me gobe ? Ah! ... so ... she ... gobbles me?

– Positivement, et complètement. - Positively, and completely. Si tu n'étais pas engagé, je te conseillerais de demander la main de… de Suzanne, n'est-ce pas, plutôt que celle de Rose ? If you were not engaged, I would advise you to ask Suzanne's hand, would not it, rather than Rose's? Il répondit, en frisant sa moustache : He replied, curling his mustache:

« Eh ! la mère n'est pas encore piquée des vers. the mother is not yet bitten with worms. Mais Madeleine s'impatienta : « Tu sais, mon petit, la mère, je te la souhaite. "You know, my dear, mother, I wish you. Mais je n'ai pas peur. But I'm not afraid. Ce n'est point à son âge qu'on commet sa première faute. It is not at his age that one commits one's first fault. Il faut s'y prendre plus tôt. It must be done sooner. Georges songeait : « Si c'était vrai, pourtant, que j'eusse pu épouser Suzanne ?…. Georges thought, "If it were true, though, that I could have married Suzanne? Puis il haussa les épaules : « Bah !… c'est fou !… Est-ce que le père m'aurait jamais accepté ? Then he shrugged his shoulders: "Bah! ... it's crazy! ... Would the father have ever accepted me? Il se promit toutefois d'observer désormais avec plus de soin les manières de Mme Walter à son égard, sans se demander d'ailleurs s'il en pourrait jamais tirer quelque avantage. He promised himself, however, to observe Mme. Walter's manners with greater care, without, for that matter, asking himself whether he could ever derive any advantage from it. Tout le soir, il fut hanté par des souvenirs de son amour avec Clotilde, des souvenirs tendres et sensuels en même temps. All night he was haunted by memories of his love with Clotilde, tender and sensual memories at the same time. Il se rappelait ses drôleries, ses gentillesses, leurs escapades. He remembered his jokes, his kindnesses, their escapades. Il se répétait à lui-même : « Elle est vraiment bien gentille. He repeated to himself: "She is really nice. Oui, j'irai la voir demain. Yes, I'll go see her tomorrow. Dès qu'il eut déjeuné, le lendemain, il se rendit en effet rue de Verneuil. As soon as he had lunch, the next day he went to Rue de Verneuil. La même bonne lui ouvrit la porte, et, familièrement à la façon des domestiques de petits bourgeois, elle demanda : The same maid opened the door for her, and familiarly in the manner of the petty-bourgeois servants, she asked:

« Ça va bien, monsieur ? "How are you, sir? Il répondit : He answered :

« Mais oui, mon enfant. Et il entra dans le salon, où une main maladroite faisait des gammes sur le piano. And he entered the drawing-room, where an awkward hand made scales on the piano. C'était Laurine. Il crut qu'elle allait lui sauter au cou. He thought she was going to jump on his neck. Elle se leva gravement, salua avec cérémonie, ainsi qu'aurait fait une grande personne, et se retira d'une façon digne. She got up gravely, saluted with ceremony, as a great person would have done, and retired in a dignified manner. Elle avait une telle allure de femme outragée, qu'il demeura surpris. She looked so outraged, that he was surprised. Sa mère entra. His mother entered. Il lui prit et lui baisa les mains. He took it and kissed his hands.

« Combien j'ai pensé à vous, dit-il. "How much I thought of you," he said. – Et moi », dit-elle. "And me," she said.

Ils s'assirent. They sat down. Ils se souriaient, les yeux dans les yeux avec une envie de s'embrasser sur les lèvres. They smiled at each other, eyes in their eyes with a desire to kiss each other on the lips. « Ma chère petite Clo, je vous aime. "My dear little Clo, I love you.

– Et moi aussi. - And me too.

– Alors… alors… tu ne m'en as pas trop voulu ? - So ... so ... you did not want me too much? – Oui et non… Ça m'a fait de la peine, et puis j'ai compris ta raison, et je me suis dit : « Bah ! - Yes and no ... It made me feel pain, and then I understood your reason, and I said to myself: "Bah! il me reviendra un jour ou l'autre. he will come back to me one day or the other. – Je n'osais pas revenir ; je me demandais comment je serais reçu. - I dared not come back; I wondered how I would be received. Je n'osais pas, mais j'en avais rudement envie. I did not dare, but I really wanted to. À propos, dis-moi donc ce qu'a Laurine. By the way, tell me what Laurine has. Elle m'a à peine dit bonjour et elle est partie d'un air furieux. She barely said hello and she left furiously. – Je ne sais pas. - I do not know. Mais on ne peut plus lui parler de toi depuis ton mariage. But we can not talk to him about you since your marriage. Je crois vraiment qu'elle est jalouse. I really think she's jealous. – Allons donc ! - Come on!

– Mais oui, mon cher. Elle ne t'appelle plus Bel-Ami, elle te nomme M. Forestier. Du Roy rougit, puis, s'approchant de la jeune femme : Du Roy blushed, then, approaching the young woman: « Donne ta bouche. "Give your mouth. Elle la donna. She gave it.

« Où pourrons-nous nous revoir ? "Where can we meet again? dit-il. he said.

– Mais… rue de Constantinople.

– Ah !… L'appartement n'est donc pas loué ? – Non, je l'ai gardé ! – Tu l'as gardé ? – Oui, j'ai pensé que tu y reviendrais. Une bouffée de joie orgueilleuse lui gonfla la poitrine. A puff of proud joy swelled his chest. Elle l'aimait donc, celle-là, d'un amour vrai, constant, profond. She loved him, that one, with a true, constant, deep love. Il murmura : « Je t'adore. He whispered, "I adore you. » Puis il demanda : « Ton mari va bien ? Then he asked, "Is your husband doing well?

– Oui, très bien. - Yes, very good. Il vient de passer un mois ici ; il est parti d'avant-hier. He just spent a month here; he left the day before yesterday. Du Roy ne put s'empêcher de rire : Du Roy could not help laughing: « Comme ça tombe ! "How it falls! Elle répondit naïvement : She replied naively:

« Oh ! oui, ça tombe bien. « Mais il n'est pas gênant quand il est ici, tout de même. "But he's not embarrassing when he's here, all the same. Tu le sais ! You know !

– Ça c'est vrai. - That is true. C'est d'ailleurs un charmant homme. It is also a charming man. – Et toi, dit-elle, comment prends-tu ta nouvelle vie ?

– Ni bien ni mal. Ma femme est une camarade, une associée.

– Rien de plus ?

– Rien de plus… Quant au cœur… - Nothing more ... As for the heart ...

– Je comprends bien. - I understand well. Elle est gentille, pourtant. She is nice, though.

– Oui, mais elle ne me trouble pas. - Yes, but she does not trouble me. Il se rapprocha de Clotilde, et murmura : He approached Clotilde, and murmured:

« Quand nous reverrons-nous ? "When will we meet again?

– Mais… demain… si tu veux ? - But ... tomorrow ... if you want?

– Oui. - Yes. Demain, deux heures ? Tomorrow, two o'clock?

– Deux heures. Il se leva pour partir, puis il balbutia, un peu gêné : He got up to leave, then he stammered, a little embarrassed:

« Tu sais, j'entends reprendre, seul, l'appartement de la rue de Constantinople. "You know, I intend to take back, alone, the apartment in the Rue de Constantinople. Je le veux. I want it. Il ne manquerait plus qu'il fût payé par toi. He would be sure that he was paid by you. Ce fut elle qui baisa ses mains avec un mouvement d'adoration, en murmurant : It was she who kissed her hands with a movement of adoration, murmuring: « Tu feras comme tu voudras. "You will do as you wish. Il me suffit de l'avoir gardé pour nous y revoir. I just have to keep it to see us again. Et Du Roy s'en alla, l'âme pleine de satisfaction. And Du Roy went away, his soul full of satisfaction. Comme il passait devant la vitrine d'un photographe, le portrait d'une grande femme aux larges yeux lui rappela Mme Walter : « C'est égal, se dit-il, elle ne doit pas être mal encore. As he passed the window of a photographer, the portrait of a large woman with wide eyes reminded Mrs. Walter: "It's equal, he said, it must not be wrong again. Comment se fait-il que je ne l'aie jamais remarquée. How is it that I have never noticed it? J'ai envie de voir quelle tête elle me fera jeudi. I want to see what a head she will make me Thursday. Il se frottait les mains, tout en marchant avec une joie intime, la joie du succès sous toutes ses formes, la joie égoïste de l'homme adroit qui réussit, la joie subtile, faite de vanité flattée et de sensualité contente, que donne la tendresse des femmes. He rubbed his hands, while walking with intimate joy, the joy of success in all its forms, the selfish joy of the clever man who succeeds, the subtle joy, made of flattered vanity and happy sensuality, that gives the tenderness of women. Le jeudi venu, il dit à Madeleine : On Thursday, he said to Madeleine:

Tu ne viens pas à cet assaut chez Rival ? You do not come to this assault at Rival?

– Oh ! non. Cela ne m'amuse guère, moi ; j'irai à la Chambre des députés. That amuses me little; I will go to the Chamber of Deputies. Et il alla chercher Mme Walter, en landau découvert, car il faisait un admirable temps. And he went to get Madame Walter, in an open landau, for it was a wonderful time.

Il eut une surprise en la voyant, tant il la trouva belle et jeune. He was surprised to see her, so he found her beautiful and young.

Elle était en toilette claire dont le corsage un peu fendu laissait deviner, sous une dentelle blonde, le soulèvement gras des seins. She was in a clear dress, her slightly split bodice revealing, under a blond lace, the bold rising of her breasts. Jamais elle ne lui avait paru si fraîche. She had never seemed so fresh. Il la jugea vraiment désirable. He found it really desirable. Elle avait son air calme et comme il faut, une certaine allure de maman tranquille qui la faisait passer presque inaperçue aux yeux galants des hommes. She had a calm, well-behaved look, a certain air of a quiet mother who made her go almost unnoticed by the gallant eyes of men. Elle ne parlait guère d'ailleurs que pour dire des choses connues, convenues et modérées, ses idées étant sages, méthodiques, bien ordonnées, à l'abri de tous les excès. She scarcely spoke more than to say things known, agreed, and moderate, her ideas being wise, methodical, well ordered, safe from all excesses. Sa fille Suzanne, tout en rose, semblait un Watteau frais verni ; et sa sœur aînée paraissait être l'institutrice chargée de tenir compagnie à ce joli bibelot de fillette. His daughter Suzanne, all in pink, seemed a fresh Watteau varnished; and her elder sister seemed to be the teacher in charge of keeping company with this pretty little girl's trinket. Devant la porte de Rival, une file de voitures était rangée. In front of Rival's door, a line of cars was parked. Du Roy offrit son bras à Mme Walter, et ils entrèrent.

L'assaut était donné au profit des orphelins du sixième arrondissement de Paris, sous le patronage de toutes les femmes des sénateurs et députés qui avaient des relations avec La Vie Française . The assault was given to the benefit of the orphans of the sixth arrondissement of Paris, under the patronage of all the women senators and deputies who had relations with La Vie Francaise. Mme Walter avait promis de venir avec ses filles, en refusant le titre de dame patronnesse, parce qu'elle n'aidait de son nom que les œuvres entreprises par le clergé, non pas qu'elle fût très dévote, mais son mariage avec un Israélite la forçait, croyait-elle, à une certaine tenue religieuse ; et la fête organisée par le journaliste prenait une sorte de signification républicaine qui pouvait sembler anticléricale. Madame Walter had promised to come with her daughters, by refusing the title of lady patroness, because she only helped her name with the works undertaken by the clergy, not that she was very devout, but her marriage to a woman. Israelite forced her, she thought, to a certain religious dress; and the party organized by the journalist took on a sort of republican meaning which might seem anticlerical. On avait lu dans les journaux de toutes les nuances, depuis trois semaines : We had read in the newspapers all the nuances, for three weeks:

« Notre éminent confrère Jacques Rival vient d'avoir l'idée aussi ingénieuse que généreuse d'organiser, au profit des orphelins du sixième arrondissement de Paris, un grand assaut dans sa jolie salle d'armes attenant à son appartement de garçon. "Our eminent colleague Jacques Rival has just had the ingenious and generous idea of organizing, for the benefit of the orphans of the sixth arrondissement of Paris, a great assault in his pretty room adjoining his boy's apartment. « Les invitations sont faites par Mmes Laloigne, Remontel, Rissolin, femmes des sénateurs de ce nom, et par Mmes Laroche-Mathieu, Percerol, Firmin, femmes des députés bien connus. "The invitations are made by Madame Laloigne, Remontel, Rissolin, the wives of the Senators of that name, and by Laroche-Mathieu, Percerol, Firmin, women of well-known deputies. Une simple quête aura lieu pendant l'entracte de l'assaut, et le montant sera versé immédiatement entre les mains du maire du sixième arrondissement ou de son représentant. A simple quest will take place during the intermission of the assault, and the amount will be paid immediately to the mayor of the sixth district or his representative. C'était une réclame monstre que le journaliste adroit avait imaginé à son profit. It was a monster advertisement that the clever journalist had imagined for his benefit. Jacques Rival recevait les arrivants à l'entrée de son logis où un buffet avait été installé, les frais devant être prélevés sur la recette. Jacques Rival received the arrivals at the entrance of his house where a buffet had been installed, the charges to be taken from the recipe. Puis il indiquait, d'un geste aimable, le petit escalier par où on descendait dans la cave, où il avait installé la salle d'armes et le tir ; et il disait : « Au-dessous, mesdames, au-dessous. Then he indicated, with a kind gesture, the little staircase by which one descended into the cellar, where he had installed the room of arms and fire; and he said, "Below, ladies, below. L'assaut a lieu en des appartements souterrains. The assault takes place in underground apartments. Il se précipita au-devant de la femme de son directeur ; puis, serrant la main de Du Roy : He rushed to meet his director's wife; then, shaking hands with Du Roy:

« Bonjour, Bel-Ami. "Hello, Bel-Ami. L'autre fut surpris : The other was surprised: « Qui vous a dit que… » "Who told you that ..."

Rival lui coupa la parole : Rival interrupted him:

« Mme Walter, ici présente, qui trouve ce surnom très gentil. "Mrs. Walter, here present, who finds this nickname very nice. Mme Walter rougit : Mrs. Walter blushed:

« Oui, j'avoue que, si je vous connaissais davantage, je ferais comme la petite Laurine, je vous appellerais aussi Bel-Ami. "Yes, I confess that, if I knew you better, I would do like little Laurine, I would also call you Bel-Ami. Ça vous va très bien. It suits you very well. Du Roy riait :

« Mais, je vous en prie, madame, faites-le. “But please, madam, do it. Elle avait baissé les yeux : She had lowered her eyes:

« Non. " No. Nous ne sommes pas assez liés. We are not connected enough. Il murmura : He murmured:

« Voulez-vous me laisser espérer que nous le deviendrons davantage ? "Would you let me hope that we will become more so?

– Eh bien, nous verrons, alors », dit-elle. "Well, we'll see, then," she said.

Il s'effaça à l'entrée de la descente étroite qu'éclairait un bec de gaz ; et la brusque transition de la lumière du jour à cette clarté jaune avait quelque chose de lugubre. He faded at the entrance to the narrow descent lit by a gas beak; and the sudden transition from daylight to that yellow light was somewhat lugubrious. Une odeur de souterrain montait par cette échelle tournante, une senteur d'humidité chauffée, de murs moisis essuyés pour la circonstance, et aussi des souffles de benjoin qui rappelaient les offices sacrés, et des émanations féminines de Lubin, de verveine, d'iris, de violette. The smell of a subterranean rose on this rotating ladder, a scent of heated humidity, moldy walls wiped for the occasion, and also breaths of benzoin which recalled the sacred offices, and feminine emanations of Lubin, verbena, iris. , violet. On entendait dans ce trou un grand bruit de voix, un frémissement de foule agitée. There was a loud sound in the hole, a shuddering crowd.

Toute la cave était illuminée avec des guirlandes de gaz et des lanternes vénitiennes cachées en des feuillages qui voilaient les murs de pierre salpêtrés. The whole cellar was illuminated with garlands of gas and Venetian lanterns hidden in foliage that veiled the salt-stone walls. On ne voyait rien que des branchages. We could see nothing but branches. Le plafond était garni de fougères, le sol couvert de feuilles et de fleurs. The ceiling was covered with ferns, the ground covered with leaves and flowers.

On trouvait cela charmant, d'une imagination délicieuse. It was charming, with a delicious imagination. Dans le petit caveau du fond s'élevait une estrade pour les tireurs, entre deux rangs de chaises pour les juges. In the little vault of the bottom rose a platform for the shooters, between two rows of chairs for the judges. Et dans toute la cave, les banquettes, alignées par dix, autant à droite qu'à gauche, pouvaient porter près de deux cents personnes. And in the whole cellar, the benches, lined up by ten, on the right and on the left, could carry nearly two hundred people. On en avait invité quatre cents. Four hundred had been invited.

Devant l'estrade, des jeunes gens en costumes d'assaut, minces, avec des membres longs, la taille cambrée, la moustache en croc, posaient déjà devant les spectateurs. In front of the stage, young men in assault suits, thin, with long limbs, arched waist, mustache hook, already posed in front of the spectators. On se les nommait, on désignait les maîtres et les amateurs, toutes les notabilités de l'escrime. They called each other, they designated masters and amateurs, all the notabilities of fencing. Autour d'eux causaient des messieurs en redingote, jeunes et vieux, qui avaient un air de famille avec les tireurs en tenue de combat. Around them were gentlemen in frock-coats, young and old, who had a family resemblance to the shooters in battle dress. Ils cherchaient aussi à être vus, reconnus et nommés, c'étaient des princes de l'épée en civil, les experts en coups de bouton. They also sought to be seen, recognized and appointed, they were princes of the sword in civilian clothes, the experts in blows of button. Presque toutes les banquettes étaient couvertes de femmes, qui faisaient un grand froissement d'étoffes remuées et un grand murmure de voix. Almost all the benches were covered with women, who were wrinkled with swirling stuffs and a great murmur of voices. Elles s'éventaient comme au théâtre, car il faisait déjà une chaleur d'étuve dans cette grotte feuillue. They fanned themselves as in the theater, for it was already a hot oven in this leafy grotto. Un farceur criait de temps en temps : « Orgeat ! A joker shouted from time to time: "Orgeat! limonade ! lemonade! bière ! Mme Walter et ses filles gagnèrent leurs places réservées au premier rang. Mrs. Walter and her daughters gained their reserved places in the first row. Du Roy les ayant installées allait partir, il murmura : Du Roy having installed them was going to leave, he murmured:

« Je suis obligé de vous quitter, les hommes ne peuvent accaparer les banquettes. "I have to leave you, men can not grab the seats. Mais Mme Walter répondit en hésitant : But Mrs. Walter answered hesitantly:

« J'ai bien envie de vous garder tout de même. Vous me nommerez les tireurs. You will name me the shooters. Tenez, si vous restiez debout au coin de ce banc, vous ne gêneriez personne. Elle le regardait de ses grands yeux doux. She was looking at him with her big soft eyes. Elle insista : « Voyons, restez avec nous… monsieur… monsieur Bel-Ami. Nous avons besoin de vous.

Il répondit : He answered :

« J'obéirai… avec plaisir, madame. "I will obey ... with pleasure, madam. On entendait répéter de tous les côtés : « C'est très drôle, cette cave, c'est très gentil. Georges la connaissait bien. George knew her well. cette salle voûtée ! this vaulted room! Il se rappelait le matin qu'il y avait passé, la veille de son duel, tout seul, en face d'un petit carton blanc qui le regardait du fond du second caveau comme un œil énorme et redoutable. He remembered in the morning that he had passed there, the day before his duel, all alone, in front of a small white card which looked at him from the bottom of the second vault like a huge and formidable eye. La voix de Jacques Rival résonna, venue de l'escalier : « On va commencer, mesdames. Jacques Rival's voice rang out from the staircase: "We'll start, ladies. Et six messieurs, très serrés en leurs vêtements pour faire saillir davantage le thorax, montèrent sur l'estrade et s'assirent sur les chaises destinées au jury. And six gentlemen, very tight in their clothes to make the thorax protrude further, mounted on the platform and sat on the chairs for the jury. Leurs noms coururent : Le général de Raynaldi, président, un petit homme à grandes moustaches ; le peintre Joséphin Rouget, un grand homme chauve à longue barbe ; Matthéo de Ujar, Simon Ramoncel, Pierre de Carvin, trois jeunes hommes élégants, et Gaspard Merleron, un maître. Their names ran: General de Raynaldi, president, a little man with big mustaches; the painter Joséphin Rouget, a tall bald man with a long beard; Matthéo de Ujar, Simon Ramoncel, Pierre de Carvin, three elegant young men, and Gaspard Merleron, a master.

Deux pancartes furent accrochées aux deux côtés du caveau. Two signs were hung on both sides of the vault. Celle de droite portait : M. Crèvecœur, et celle de gauche : M. Plumeau.

C'étaient deux maîtres, deux bons maîtres de second ordre. They were two masters, two good second-rate teachers. Ils apparurent, secs tous deux, avec un air militaire. They appeared, both dry, with a military air. des gestes un peu raides. gestures a little stiff. Ayant fait le salut d'armes avec des mouvements d'automates, ils commencèrent à s'attaquer, pareils, dans leur costume de toile et de peau blanche, à deux pierrots-soldats qui se seraient battus pour rire. Having saluted weapons with movements of automatons, they began to attack, in their canvas and white skin suits, two pierrots-soldiers who would have fought to laugh. De temps en temps, on entendait ce mot : « Touché ! From time to time, we heard the word: "Touché! » Et les six messieurs du jury inclinaient la tête en avant d'un air connaisseur. Le public ne voyait rien que deux marionnettes vivantes qui s'agitaient en tendant le bras ; il ne comprenait rien, mais il était content. The public saw nothing but two living puppets waving their arms; he did not understand anything, but he was happy. Ces deux bonshommes lui semblaient cependant peu gracieux et vaguement ridicules. These two fellows, however, seemed to him rather gracious and vaguely ridiculous. On songeait aux lutteurs de bois qu'on vend, au jour de l'an, sur les boulevards. We were thinking of the wooden wrestlers that are sold on New Year's Day on the boulevards. Les deux premiers tireurs furent remplacés par MM. The first two shooters were replaced by MM. Planton et Carapin, un maître civil et un maître militaire. Planton and Carapin, a civilian master and a military master. M. Planton était tout petit et M. Carapin très gros. M. Planton was very small and M. Carapin very big. On eût dit que le premier coup de fleuret dégonflerait ce ballon comme un éléphant de baudruche. It seemed as though the first shot of the foil would deflate the balloon like an elephant of balloon. On riait. M. Planton sautait comme un singe. M. Planton jumped like a monkey. M. Carapin ne remuait que son bras, le reste de son corps se trouvant immobilisé par l'embonpoint, et il se fendait toutes les cinq minutes avec une telle pesanteur et un tel effort en avant qu'il semblait prendre la résolution la plus énergique de sa vie. Mr. Carapin was only moving his arm, the rest of his body being immobilized by fatness, and he was cracking every five minutes with such gravity and such an effort before he seemed to take the most energetic resolution of his life. Il avait ensuite beaucoup de mal à se relever. He then had a hard time getting up.

Les connaisseurs déclarèrent son jeu très ferme et très serré. The connoisseurs declared his game very firm and very close. Et le public, confiant, l'apprécia. And the public, confident, appreciated it. Puis vinrent MM. Then came MM. Porion et Lapalme, un maître et un amateur qui se livrèrent à une gymnastique effrénée, courant l'un sur l'autre avec furie, forçant les juges à fuir en emportant leurs chaises, traversant et retraversant l'estrade d'un bout à l'autre, l'un avançant et l'autre reculant par bonds vigoureux et comiques. Porion and Lapalme, a master and an amateur who engaged in unbridled gymnastics, furiously running over each other, forcing the judges to flee by carrying their chairs, crossing and crossing the platform from one end to the other. another, one advancing and the other retreating in vigorous and comical leaps. Ils avaient de petits sauts en arrière qui faisaient rire les dames, et de grands élans en avant qui émotionnaient un peu cependant. They had small jumps backwards which made the ladies laugh, and great impulses in front which moved a little, however. Cet assaut au pas gymnastique fut caractérisé par un titi inconnu qui cria : « Vous éreintez pas, c'est à l'heure ! This assault on the gymnastic step was characterized by an unknown titi who shouted: "You are not dying, it's on time! » L'assistance, froissée par ce manque de goût, fit : « Chut ! The audience, ruffled by this lack of taste, said: "Hush! » Le jugement des experts circula. The judgment of the experts circulated. Les tireurs avaient montré beaucoup de vigueur et manqué parfois d'à-propos. The shooters had shown a lot of vigor and sometimes missed. La première partie fut clôturée par une fort belle passe d'armes entre Jacques Rival et le fameux professeur belge Lebègue. The first part was closed by a very beautiful pass of arms between Jacques Rival and the famous Belgian professor Lebègue. Rival fut fort goûté des femmes. Rival was very popular with women. Il était vraiment beau garçon, bien fait, souple, agile, et plus gracieux que tous ceux qui l'avaient précédé. He was really handsome, well done, supple, agile, and more graceful than anyone else who had preceded him. Il apportait dans sa façon de se tenir en garde et de se fendre une certaine élégance mondaine qui plaisait et faisait contraste avec la manière énergique, mais commune de son adversaire. In his way of keeping on guard he was bringing with him a certain worldly elegance which pleased and contrasted with the energetic but common manner of his adversary. « On sent l'homme bien élevé », disait-on. "One feels the well-bred man," it was said. Il eut la belle. He had the beautiful. On l'applaudit. He is applauded. Mais depuis quelques minutes, un bruit singulier, à l'étage au-dessus, inquiétait les spectateurs. But for a few minutes, a singular noise, on the floor above, worried the spectators. C'était un grand piétinement accompagné de rires bruyants. It was a great trampling accompanied by loud laughter. Les deux cents invités qui n'avaient pu descendre dans la cave s'amusaient sans doute, à leur façon. The two hundred guests who had not been able to go down into the cellar probably amused themselves, in their own way. Dans le petit escalier tournant une cinquantaine d'hommes étaient tassés. In the little winding staircase about fifty men were packed. La chaleur devenait terrible en bas. The heat became terrible down below. On criait : « De l'air ! They shouted, "Air! » « À boire ! » Le même farceur glapissait sur un ton aigu qui dominait le murmure des conversations : The same joker yelped in a shrill tone that dominated the murmur of conversations:

« Orgeat ! "Orgeat! limonade ! bière ! Rival apparut très rouge, ayant gardé son costume d'assaut. Rival appeared very red, having kept his assault suit. « Je vais faire apporter des rafraîchissements », dit-il – et il courut dans l'escalier. "I'll bring refreshments," he said - and he ran down the stairs. Mais toute communication était coupée avec le rez-de-chaussée. But all communication was cut off with the ground floor. Il eût été aussi facile de percer le plafond que de traverser la muraille humaine entassée sur les marches. It would have been as easy to pierce the ceiling as to cross the human wall piled on the steps.

Rival criait : « Faites passer des glaces pour les dames ! Cinquante voix répétaient : « Des glaces ! » Un plateau apparut enfin. A plateau finally appeared. Mais il ne portait que des verres vides, les rafraîchissements ayant été cueillis en route. But he only wore empty glasses, the refreshments having been picked up en route.

Une forte voix hurla : A loud voice screamed:

« On étouffe là-dedans, finissons vite et allons-nous-en. "We're choking in there, let's finish quickly and let's go. Une autre voix lança : « La quête ! Another voice said, "The quest! » Et tout le public, haletant, mais gai tout de même, répéta : « La quête… la quête… » And all the audience, panting, but gay all the same, repeated, "The quest ... the quest ..."

Alors six dames se mirent à circuler entre les banquettes et on entendit un petit bruit d'argent tombant dans les bourses. Then six ladies began to move between the benches and there was a small sound of money falling on the purses. Du Roy nommait les hommes célèbres à Mme Walter. Du Roy named the famous men to Madame Walter. C'étaient des mondains, des journalistes, ceux des grands journaux, des vieux journaux, qui regardaient de haut La Vie Française , avec une certaine réserve née de leur expérience. They were socialites, journalists, those of the big newspapers, old newspapers, who looked down on La Vie Francaise, with a certain reserve born of their experience. Ils en avaient tant vu mourir de ces feuilles politico-financières, filles d'une combinaison louche, et écrasées par la chute d'un ministère. They had seen so many die of these politico-financial sheets, daughters of a shady combination, and crushed by the fall of a ministry. On apercevait aussi là des peintres et des sculpteurs, qui sont, en général, hommes de sport, un poète académicien qu'on montrait, deux musiciens et beaucoup de nobles étrangers dont Du Roy faisait suivre le nom de la syllabe Rast (ce qui signifiait Rastaquouère), pour imiter, disait-il, les Anglais qui mettent Esq. There were also painters and sculptors, who are generally men of sport, an academic poet who was shown, two musicians and many foreign nobles Du Roy followed by the name of the syllable Rast (which meant Rastaquouère), to imitate, he said, the English who put Esq. sur leurs cartes. on their cards.

Quelqu'un lui cria : « Bonjour, cher ami. Someone shouted, "Hello, dear friend. » C'était le comte de Vaudrec. It was the Count de Vaudrec. S'étant excusé auprès des dames, Du Roy alla lui serrer la main. Having apologized to the ladies, Du Roy went to shake his hand. Il déclara, en revenant : « Il est charmant, Vaudrec. He returned, saying, "He is charming, Vaudrec. Comme on sent la race, chez lui. As one feels the race, at home. Mme Walter ne répondit rien. Mrs. Walter did not answer. Elle était un peu fatiguée et sa poitrine se soulevait avec effort à chaque souffle de ses poumons, ce qui attirait l'œil de Du Roy. She was a little tired and her chest was lifting effortfully with each breath of her lungs, which attracted the eye of Du Roy. Et de temps en temps, il rencontrait le regard de « la Patronne » – un regard trouble, hésitant, qui se posait sur lui et fuyait tout de suite. And from time to time, he met the look of "the Patroness" - a troubled, hesitant look, which landed on him and fled immediately. Et il se disait : « Tiens… tiens… tiens… Est-ce que je l'aurais levée aussi, celle-là ? And he said to himself, "Well ... well ... well ... would I have raised it too, that one? Les quêteuses passèrent. The beggars passed. Leurs bourses étaient pleines d'argent et d'or. Their purses were full of money and gold. Et une nouvelle pancarte fut accrochée sur l'estrade annonçant : « Grrrrande surprise. And a new sign was hung on the platform announcing: "Grrrrande surprise. » Les membres du jury remontèrent à leurs places. The members of the jury returned to their places. On attendit.

Deux femmes parurent, un fleuret à la main, en costume de salle, vêtues d'un maillot sombre, d'un très court jupon tombant à la moitié des cuisses, et d'un plastron si gonflé sur la poitrine qu'il les forçait à porter haut la tête. Two women appeared, with a foil in their hands, in a room suit, dressed in a dark shirt, a very short petticoat falling at half their thighs, and a plastron so swollen on their breasts that he forced them to wear high head. Elles étaient jolies et jeunes. Elles souriaient en saluant l'assistance. They smiled as they saluted the audience. On les acclama longtemps. They cheered for a long time.

Et elles se mirent en garde au milieu d'une rumeur galante et de plaisanteries chuchotées. And they warned themselves in the midst of a gallant rumor and whispered jokes. Un sourire aimable s'était fixé sur les lèvres des juges, qui approuvaient les coups par un petit bravo. An amiable smile was fixed on the lips of the judges, who approved the blows by a little bravo. Le public appréciait beaucoup cet assaut et le témoignait aux deux combattantes qui allumaient des désirs chez les hommes et réveillaient chez les femmes le goût naturel du public parisien pour les gentillesses un peu polissonnes, pour les élégances du genre canaille, pour le faux-joli et le faux-gracieux, les chanteuses de café-concert et les couplets d'opérette. The public greatly appreciated this assault and testified to the two fighters who ignited desires among men and awoke in women the natural taste of the Parisian public for the kindnesses a bit naughty, for the elegance of the genre rogue, for the fake and pretty forgery, coffee-concert singers and operetta verses. Chaque fois qu'une des tireuses se fendait, un frisson de joie courait dans le public. Whenever one of the shooters split, a thrill of joy ran through the audience. Celle qui tournait le dos à la salle, un dos bien replet, faisait s'ouvrir les bouches et s'arrondir les yeux ; et ce n'était pas le jeu de son poignet qu'on regardait le plus. She who turned her back on the room, her back quite full, opened her mouth and rounded her eyes; and it was not the game of his wrist that we looked at the most. On les applaudit avec frénésie. They are applauded with frenzy.

Un assaut de sabre suivit, mais personne ne le regarda, car toute l'attention fut captivée par ce qui se passait au-dessus. A saber attack followed, but nobody looked at him, for all the attention was captivated by what was happening above. Pendant quelques minutes on avait écouté un grand bruit de meubles remués, traînés sur le parquet comme si on déménageait l'appartement. For a few minutes we had listened to a loud sound of moving furniture, dragged on the floor as if we were moving the apartment. Puis tout à coup, le son du piano traversa le plafond ; et on entendit distinctement un bruit rythmé de pieds sautant en cadence. Then suddenly, the sound of the piano crossed the ceiling; and there was distinctly a rhythmic sound of feet jumping in rhythm. Les gens d'en haut s'offraient un bal, pour se dédommager de ne rien voir. People from above offered themselves a ball, to compensate themselves for not seeing anything. Un grand rire s'éleva d'abord dans le public de la salle d'armes, puis le désir de danser s'éveillant chez les femmes, elles cessèrent de s'occuper de ce qui se passait sur l'estrade et se mirent à parler tout haut. A great laugh rose at first in the audience of the room of arms, then the desire to dance waking at the women, they ceased to take care of what was happening on the podium and began to speak aloud. On trouvait drôle cette idée de bal organisé par les retardataires. This idea of a ball organized by latecomers was funny. Ils ne devaient pas s'embêter ceux-là. They should not bother those. On aurait bien voulu être au-dessus. We would have liked to be above.

Mais deux nouveaux combattants s'étaient salués ; et ils tombèrent en garde avec tant d'autorité que tous les regards suivaient leurs mouvements. But two new fighters had saluted each other; and they fell on guard with so much authority that all eyes followed their movements. Ils se fendaient et se relevaient avec une grâce élastique, avec une vigueur mesurée, avec une telle sûreté de force, une telle sobriété de gestes, une telle correction d'allure, une telle mesure dans le jeu que la foule ignorante fut surprise et charmée. They split and rose with elastic grace, with measured vigor, with such certainty of strength, such sobriety of gestures, such a correction of pace, such a measure in the game that the ignorant crowd was surprised and charmed . Leur promptitude calme, leur sage souplesse, leurs mouvements rapides, si calculés qu'ils semblaient lents, attiraient et captivaient l'œil par la seule puissance de la perfection. Their calm readiness, their wise suppleness, their rapid movements, so calculated that they seemed slow, attracted and captivated the eye by the power of perfection alone. Le public sentit qu'il voyait là une chose belle et rare, que deux grands artistes dans leur métier lui montraient ce qu'on pouvait voir de mieux, tout ce qu'il était possible à deux maîtres de déployer d'habileté, de ruse, de science raisonnée et d'adresse physique. The public felt that he saw in it a beautiful and rare thing, that two great artists in their profession showed him what could be best seen, all that it was possible for two masters to display skill and cunning. , reasoned science and physical address. Personne ne parlait plus, tant on les regardait. Nobody spoke anymore, so much did we look at them. Puis, quand ils se furent serrés la main, après le dernier coup de bouton, des cris éclatèrent, des hourras. Then, when they shook hands, after the last button, shouts burst, cheers. On trépignait, on hurlait. We were stamping, we were screaming. Tout le monde connaissait leurs noms : c'étaient Sergent et Ravignac. Everyone knew their names: they were Sergeant and Ravignac. Les esprits exaltés devenaient querelleurs. The exalted spirits became quarrelsome. Les hommes regardaient leurs voisins avec des envies de dispute. The men looked at their neighbors with desires for argument. On se serait provoqué pour un sourire. We would have provoked for a smile. Ceux qui n'avaient jamais tenu un fleuret en leur main esquissaient avec leur canne des attaques et des parades. Those who had never held a foil in their hands were sketching with their cane attacks and parries. Mais peu à peu la foule remontait par le petit escalier. But little by little the crowd was coming up the little staircase. On allait boire, enfin. We were going to drink, finally. Ce fut une indignation quand on constata que les gens du bal avaient dévalisé le buffet, puis s'en étaient allés en déclarant qu'il était malhonnête de déranger deux cents personnes pour ne leur rien montrer. It was an indignation when it was found that the people of the ball had robbed the buffet, and then went away stating that it was dishonest to disturb two hundred people to show them nothing. Il ne restait pas un gâteau, pas une goutte de champagne, de sirop ou de bière, pas un bonbon, pas un fruit, rien, rien de rien. There was not a cake, not a drop of champagne, syrup or beer, not a candy, not a fruit, nothing, nothing. Ils avaient saccagé, ravagé, nettoyé tout. They had ransacked, ravaged, cleaned up everything.

On se faisait raconter les détails par les servants qui prenaient des visages tristes en cachant leur envie de rire. The details were told by the servants who took sad faces and concealed their desire to laugh. « Les dames étaient plus enragées que les hommes, affirmaient-ils, et avaient mangé et bu à s'en rendre malades. "The ladies were more enraged than men," they said, "and have eaten and drank sick. » On aurait cru entendre le récit des survivants après le pillage et le sac d'une ville pendant l'invasion. One would have thought to hear the story of the survivors after the looting and sacking of a city during the invasion. Il fallut donc s'en aller. So we had to leave. Des messieurs regrettaient les vingt francs donnés à la quête ; ils s'indignaient que ceux d'en haut eussent ripaillé sans rien payer. Some gentlemen regretted the twenty francs given to the quest; they were indignant that those above would have feasted without paying anything. Les dames patronnesses avaient recueilli plus de trois mille francs. The patronesses had collected more than three thousand francs. Il resta, tous frais payés, deux cent vingt francs pour les orphelins du sixième arrondissement. He remained, all expenses paid, two hundred and twenty francs for the orphans of the sixth arrondissement.

Du Roy, escortant la famille Walter, attendait son landau. En reconduisant la Patronne, comme il se trouvait assis en face d'elle, il rencontra encore une fois son œil caressant et fuyant, qui semblait troublé. While driving back the Patronne, as he was sitting in front of her, he once again met his caressing and fleeing eye, which seemed troubled. Il pensait : « Bigre, je crois qu'elle mord », et il souriait en reconnaissant qu'il avait vraiment de la chance auprès des femmes, car Mme de Marelle, depuis le recommencement de leur tendresse, paraissait l'aimer avec frénésie. He thought: "Bigre, I think she's biting," and he smiled, recognizing that he was really lucky with the women, for Madame de Marelle, since the resumption of their tenderness, seemed to love him frantically. Il rentra chez lui d'un pied joyeux. He went home with a happy foot. Madeleine l'attendait dans le salon. Madeleine was waiting for her in the living room. « J'ai des nouvelles, dit-elle. "I have news," she said. L'affaire du Maroc se complique. The case of Morocco is complicated. La France pourrait bien y envoyer une expédition d'ici quelques mois. France could send an expedition within a few months. Dans tous les cas on va se servir de ça pour renverser le ministère, et Laroche profitera de l'occasion pour attraper les Affaires étrangères. In any case we will use that to overthrow the department, and Laroche will take the opportunity to catch Foreign Affairs. Du Roy, pour taquiner sa femme, feignit de n'en rien croire. Du Roy, to tease his wife, feigned to believe nothing of it. On ne serait pas assez fou pour recommencer la bêtise de Tunis. We would not be crazy enough to repeat the stupidity of Tunis.

Mais elle haussait les épaules avec impatience. But she shrugged impatiently. « Je te dis que si ! "I tell you, yes! Je te dis que si ! I tell you that if! Tu ne comprends donc pas que c'est une grosse question d'argent pour eux. So you do not understand that it's a big money issue for them. Aujourd'hui, mon cher, dans les combinaisons politiques, il ne faut pas dire : « Cherchez la femme », mais : « Cherchez l'affaire. Today, my dear fellow, in political combinations, we must not say: "Seek the woman," but: "Look for the affair. Il murmura : « Bah ! He murmured, "Bah! » avec un air de mépris, pour l'exciter. With an air of contempt, to excite him. Elle s'irritait : She was irritated: « Tiens, tu es aussi naïf que Forestier. "Here, you are as naive as Forestier. Elle voulait le blesser et s'attendait à une colère. She wanted to hurt him and expected anger. Mais il sourit et répondit : But he smiled and replied:

« Que ce cocu de Forestier ? "What this cuckold of Forestier? Elle demeura saisie, et murmura : She remained seized, and murmured:

« Oh ! " Oh ! Georges ! Il avait l'air insolent et railleur, et il reprit : He looked insolent and mocking, and he went on: « Eh bien, quoi ? "Well, what? Me l'as-tu pas avoué, l'autre soir, que Forestier était cocu ? Did not you tell me the other night that Forestier was a cuckold? Et il ajouta : « Pauvre diable ! And he added: "Poor devil! » sur un ton de pitié profonde. In a tone of deep pity.

Madeleine lui tourna le dos, dédaignant de répondre ; puis après une minute de silence, elle reprit : Madeleine turned her back to him, disdaining to answer; then, after a minute's silence, she went on:

« Nous aurons du monde mardi : Mme Laroche-Mathieu viendra dîner avec la comtesse de Percemur. "We will have people on Tuesday: Mrs. Laroche-Mathieu will come to dine with the Countess of Percemur. Veux-tu inviter Rival et Norbert de Varenne ? Do you want to invite Rival and Norbert de Varenne? J'irai demain chez Mmes Walter et de Marelle. I will go to see Walter and de Marelle tomorrow. Peut-être aussi aurons-nous Mme Rissolin. Perhaps we will also have Mrs. Rissolin. Depuis quelque temps, elle se faisait des relations, usant de l'influence politique de son mari, pour attirer chez elle, de gré ou de force, les femmes des sénateurs et des députés qui avaient besoin de l'appui de La Vie Française . For some time she had been making connections, using the political influence of her husband, to attract the women of Senators and Deputies who wanted the support of La Vie Francaise, willingly or by force. Du Roy répondit :

« Très bien. Je me charge de Rival et de Norbert. I take care of Rival and Norbert. Il était content et il se frottait les mains, car il avait trouvé une bonne scie pour embêter sa femme et satisfaire l'obscure rancune, la confuse et mordante jalousie née en lui depuis leur promenade au Bois. He was happy and rubbed his hands, for he had found a good saw to annoy his wife and satisfy the obscure bitterness, the confused and biting jealousy born in him since their walk in the Bois. Il ne parlerait plus de Forestier sans le qualifier de cocu. He would no longer speak of Forestier without calling him a cuckold. Il sentait bien que cela finirait par rendre Madeleine enragée. He felt that it would end up making Madeleine mad. Et dix fois pendant la soirée il trouva moyen de prononcer avec une bonhomie ironique le nom de ce « cocu de Forestier ». And ten times during the evening he found means of pronouncing with an ironic bonhomie the name of this "cuckold of Forestier".

Il n'en voulait plus au mort ; il le vengeait. He no longer wanted the dead; he avenged him. Sa femme feignait de ne pas entendre et demeurait, en face de lui, souriante et indifférente. His wife pretended not to hear and remained in front of him, smiling and indifferent.

Le lendemain, comme elle devait aller adresser son invitation à Mme Walter, il voulut la devancer, pour trouver seule la Patronne et voir si vraiment elle en tenait pour lui. The next day, as she was about to extend her invitation to Madame Walter, he wanted to get ahead of her, to find the Patronne alone and see if she really cared for him. Cela l'amusait et le flattait. It amused and flattered him. Et puis… pourquoi pas… si c'était possible. And then ... why not ... if it was possible. Il se présenta boulevard Malesherbes dès deux heures. He presented himself at Malesherbes Boulevard at two o'clock. On le fit entrer dans le salon. He was brought into the living room. Il attendit.

Mme Walter parut, la main tendue avec un empressement heureux. Madame Walter appeared, her hand outstretched with a happy eagerness.

« Quel bon vent vous amène ? "What good wind brings you?

– Aucun bon vent, mais un désir de vous voir. - No good wind, but a desire to see you. Une force m'a poussé chez vous, je ne sais pourquoi, je n'ai rien à vous dire. A force pushed me home, I do not know why, I have nothing to say to you. Je suis venu, me voilà ! I came, here I am! me pardonnez-vous cette visite matinale et la franchise de l'explication ? Do you forgive me this morning visit and the frankness of the explanation? Il disait cela d'un ton galant et badin, avec un sourire sur les lèvres et un accent sérieux dans la voix. He said it in a gallant and playful manner, with a smile on his lips and a serious accent in his voice. Elle restait étonnée, un peu rouge, balbutiant : She remained astonished, a little red, stammering:

« Mais… vraiment… je ne comprends pas… vous me surprenez… » "But ... really ... I do not understand ... you surprise me ..."

Il ajouta : He added :

« C'est une déclaration sur un air gai, pour ne pas vous effrayer. "It's a statement on a cheerful look, not to scare you. Ils s'étaient assis l'un près de l'autre. They had sat close to each other. Elle prit la chose de façon plaisante. She took it pleasantly.

« Alors, c'est une déclaration… sérieuse ? "So, this is a statement ... serious? – Mais oui ! - But yes ! Voici longtemps que je voulais vous la faire, très longtemps même. It's been a long time since I wanted to do it for you, very long. Et puis, je n'osais pas. And then, I did not dare. On vous dit si sévère, si rigide… » You are told so severe, so rigid ... "

Elle avait retrouvé son assurance. She had regained her confidence. Elle répondit : She replied:

« Pourquoi avez-vous choisi aujourd'hui ? "Why did you choose today? – Je ne sais pas. - I do not know. » Puis il baissa la voix : « Ou plutôt, c'est parce que je ne pense qu'à vous, depuis hier. Then he lowered his voice: "Or rather, it is because I think only of you since yesterday. Elle balbutia, pâlie tout à coup : She stammered, pale suddenly:

« Voyons, assez d'enfantillages, et parlons d'autre chose. "Come on, enough childishness, and let's talk about something else. Mais il était tombé à ses genoux si brusquement qu'elle eut peur. But he had fallen to his knees so suddenly that she was afraid. Elle voulut se lever ; il la tenait assise de force et ses deux bras enlacés à la taille et il répétait d'une voix passionnée : She wanted to get up; he was holding her by force and his arms tied at his waist and he repeated in a passionate voice: « Oui, c'est vrai que je vous aime, follement, depuis longtemps. "Yes, it's true that I love you, madly, for a long time. Ne me répondez pas. Do not answer me. Que voulez-vous. What do you want. je suis fou ! I'm crazy ! Je vous aime… Oh ! I love you ... Oh! si vous saviez, comme je vous aime ! if you knew, how I love you! Elle suffoquait, haletait, essayait de parler et ne pouvait prononcer un mot. She was suffocating, panting, trying to speak and could not say a word. Elle le repoussait de ses deux mains, l'ayant saisi aux cheveux pour empêcher l'approche de cette bouche qu'elle sentait venir vers la sienne. She pushed him with both hands, grabbing her hair to prevent the approach of that mouth she felt coming to his. Et elle tournait la tête de droite à gauche et de gauche à droite, d'un mouvement rapide, en fermant les yeux pour ne plus le voir. And she turned her head from right to left and from left to right, with a quick movement, closing her eyes so as not to see him. Il la touchait à travers sa robe, la maniait, la palpait ; et elle défaillait sous cette caresse brutale et forte. He touched her through her dress, handled it, felt it; and she fainted under this brutal and strong caress. Il se releva brusquement et voulut l'étreindre, mais, libre une seconde, elle s'était échappée en se rejetant en arrière, et elle fuyait maintenant de fauteuil en fauteuil. He got up abruptly and tried to embrace her, but, free for a second, she had escaped by throwing herself back, and now she fled from armchair to chair. Il jugea ridicule cette poursuite, et il se laissa tomber sur une chaise, la figure dans ses mains, en feignant des sanglots convulsifs. He judged this pursuit ridiculous, and he sank down on a chair, his face in his hands, feigning convulsive sobs.

Puis il se redressa, cria : « Adieu ! Then he straightened up and shouted, "Farewell! adieu ! » et il s'enfuit. Il reprit tranquillement sa canne dans le vestibule et gagna la rue en se disant : « Cristi, je crois que ça y est. He quietly picked up his cane from the hallway and walked to the street, saying, "Cristi, I think that's it. » Et il passa au télégraphe pour envoyer un petit bleu à Clotilde, lui donnant rendez-vous le lendemain. And he went to the telegraph to send a little blue to Clotilde, giving him an appointment the next day.

En rentrant chez lui, à l'heure ordinaire, il dit à sa femme : On his way home, at the usual hour, he said to his wife: « Eh bien, as-tu tout ton monde pour ton dîner ? "Well, do you have all your people for your dinner? Elle répondit : She replied:

« Oui ; il n'y a que Mme Walter qui n'est pas sûre d'être libre. " Yes ; it is only Mrs. Walter who is not sure of being free. Elle hésite ; elle m'a parlé de je ne sais quoi, d'engagement, de conscience. She is hesitating ; she told me something, commitment, conscience. Enfin elle m'a eu l'air très drôle. Finally she looked very funny. N'importe, j'espère qu'elle viendra tout de même. No matter, I hope it will come anyway. Il haussa les épaules : He shrugged.

« Eh, parbleu oui, elle viendra. "Eh, yes, she will come. Il n'en était pas certain, cependant, et il demeura inquiet jusqu'au jour du dîner. He was not sure, however, and he remained worried until dinner. Le matin même, Madeleine reçut un petit mot de la Patronne : « Je me suis rendue libre à grand-peine et je serai des vôtres. That very morning Madeleine received a note from the Patroness: "I have made myself free with great difficulty, and I will be yours. Mais mon mari ne pourra pas m'accompagner. But my husband will not be able to accompany me. Du Roy pensa : « J'ai rudement bien fait de n'y pas retourner. Du Roy thought, "I have done a good job of not going back. La voilà calmée. Here she is calmed. Attention. Warning. Il attendit cependant son entrée avec un peu d'inquiétude. He waited, however, for his entrance with a little anxiety. Elle parut, très calme, un peu froide, un peu hautaine. She appeared very calm, a little cold, a little haughty. Il se fit très humble, très discret et soumis. He became very humble, very discreet and submissive.

Mmes Laroche-Mathieu et Rissolin accompagnaient leurs maris. Laroche-Mathieu and Rissolin accompanied their husbands. La vicomtesse de Percemur parla du grand monde. The viscountess of Percemur spoke of the great world. Mme de Marelle était ravissante dans une toilette d'une fantaisie singulière, jaune et noire, un costume espagnol qui moulait bien sa jolie taille, sa poitrine et ses bras potelés, et rendait énergique sa petite tête d'oiseau. Madame de Marelle was delightful in a dress of singular fantasy, yellow and black, a Spanish costume which well molded her pretty waist, chest and chubby arms, and made her little bird's head energetic. Du Roy avait pris à sa droite Mme Walter, et il ne lui parla, durant le dîner, que de choses sérieuses, avec un respect exagéré. Du Roy had taken Madame Walter on his right, and during dinner he spoke to him only of serious matters, with an exaggerated respect. De temps en temps il regardait Clotilde. From time to time he looked at Clotilde. « Elle est vraiment plus jolie et plus fraîche », pensait-il. "She's really prettier and cooler," he thought. Puis ses yeux revenaient vers sa femme qu'il ne trouvait pas mal non plus, bien qu'il eût gardé contre elle une colère rentrée, tenace et méchante. Then his eyes returned to his wife, whom he did not find wrong either, although he had kept an angry, tenacious and nasty anger against her. Mais la Patronne l'excitait par la difficulté de la conquête, et par cette nouveauté toujours désirée des hommes. But the Patroness excited her by the difficulty of conquest, and by this ever-desired novelty of men. Elle voulut rentrer de bonne heure. She wanted to return early.

« Je vous accompagnerai », dit-il. "I will accompany you," he said.

Elle refusa. She refused. Il insistait : He insisted:

« Pourquoi ne voulez-vous pas ? "Why do not you want? Vous allez me blesser vivement. You will hurt me deeply. Ne me laissez pas croire que vous ne m'avez point pardonné. Do not let me believe you did not forgive me. Vous voyez comme je suis calme. You see how calm I am. Elle répondit : She replied:

« Vous ne pouvez pas abandonner ainsi vos invités. "You can not leave your guests like that. Il sourit : He smiles :

« Bah ! je serai vingt minutes absent. On ne s'en apercevra même pas. Si vous me refusez, vous me froisserez jusqu'au cœur. If you refuse me, you will crush me to the heart. Elle murmura :

« Eh bien, j'accepte. Mais dès qu'ils furent dans la voiture, il lui saisit la main, et la baisant avec passion : But as soon as they were in the car, he seized her hand, and kissing her passionately: « Je vous aime, je vous aime. "I love you, I love you. Laissez-moi vous le dire. Let me tell you. Je ne vous toucherai pas. I will not touch you. Je veux seulement vous répéter que je vous aime. I only want to repeat that I love you. Elle balbutiait : She stammered:

« Oh !... " Oh !... après ce que vous m'avez promis… C'est mal… c'est mal… » Il parut faire un grand effort, puis il reprit, d'une voix contenue : He seemed to make a great effort, then resumed, in a restrained voice: « Tenez, vous voyez comme je me maîtrise. "Look, you see how I am mastering myself. Et pourtant… Mais laissez-moi vous dire seulement ceci. And yet ... But let me just tell you this. Je vous aime… et vous le répéter tous les jours… oui, laissez-moi aller chez vous m'agenouiller cinq minutes à vos pieds pour prononcer ces trois mots, en regardant votre visage adoré. I love you ... and you repeat it every day ... yes, let me go home kneel for five minutes at your feet to pronounce these three words, looking at your adored face. Elle lui avait abandonné sa main, et elle répondit en haletant : She had left her hand, and she said panting:

« Non, je ne peux pas, je ne veux pas. "No, I can not, I do not want to. Songez à ce qu'on dirait, à mes domestiques, à mes filles. Think of what they would say, my servants, my daughters. Non, non, c'est impossible… » Il reprit : He said :

« Je ne peux plus vivre sans vous voir. "I can not live without you. Que ce soit chez vous ou ailleurs, il faut que je vous voie, ne fût-ce qu'une minute tous les jours, que je touche votre main, que je respire l'air soulevé par votre robe, que je contemple la ligne de votre corps, et vos beaux grands yeux qui m'affolent. Whether at home or elsewhere, I must see you, even for a minute every day, that I touch your hand, that I breathe the air raised by your dress, that I contemplate the line of your body, and your beautiful big eyes that make me mad. Elle écoutait, frémissante, cette banale musique d'amour et elle bégayait : She listened, quivering, that banal love music and she stammered: « Non… non… c'est impossible. Taisez-vous ! Il lui parlait tout bas, dans l'oreille, comprenant qu'il fallait la prendre peu à peu, celle-là, cette femme simple, qu'il fallait la décider à lui donner des rendez-vous, où elle voudrait d'abord, où il voudrait ensuite : He spoke to her in a whisper, understanding that he had to be taken little by little, that one, this simple woman, that she had to decide to give her appointments, where she would first of all , where he would then like: « Écoutez… Il le faut… je vous verrai… je vous attendrai devant votre porte… comme un pauvre… Si vous ne descendez pas, je monterai chez vous… mais je vous verrai… je vous verrai… demain. "Listen ... You must ... I'll see you ... I'll wait for you in front of your door ... like a poor man ... If you do not go down, I'll go to your house ... but I'll see you ... I'll see you ... tomorrow. Elle répétait : « Non, non, ne venez pas. She repeated, "No, no, do not come. Je ne vous recevrai point. I will not receive you. Songez à mes filles. Think of my daughters.

– Alors dites-moi où je vous rencontrerai… dans la rue… n'importe où… à l'heure que vous voudrez… pourvu que je vous voie… Je vous saluerai… Je vous dirai : « Je vous aime », et je m'en irai. - Then tell me where I will meet you ... in the street ... anywhere ... at the time you want ... as long as I see you ... I will greet you ... I will say, "I love you", and I am I will go. Elle hésitait, éperdue. She hesitated, distraught. Et comme le coupé passait la porte de son hôtel, elle murmura très vite : And as the coupe passed the door of her hotel, she murmured very quickly:

« Eh bien, j'entrerai à la Trinité, demain, à trois heures et demie. "Well, I'll go to Trinidad tomorrow at half-past three. Puis, étant descendue, elle cria à son cocher : Then, having come down, she cried to her coachman:

« Reconduisez M. Du Roy chez lui. "Take Monsieur Du Roy home. Comme il rentrait, sa femme lui demanda : As he was coming home, his wife asked him:

« Où étais-tu donc passé ? Il répondit, à voix basse :

« J'ai été jusqu'au télégraphe pour une dépêche pressée. "I was up to the telegraph for a hurried dispatch. Mme de Marelle s'approchait : « Vous me reconduisez, Bel-Ami, vous savez que je ne viens dîner si loin qu'à cette condition ? "You are driving me back, Bel-Ami, you know that I come to dine so far only on this condition? Puis se tournant vers Madeleine :

« Tu n'es pas jalouse ? "Are not you jealous? Mme Du Roy répondit lentement : Madame Du Roy answered slowly:

« Non, pas trop. " No not too much. Les convives s'en allaient. The guests were leaving. Mme Laroche Mathieu avait l'air d'une petite bonne de province. Madame Laroche Mathieu looked like a little provincial maid. C'était la fille d'un notaire, épousée par Laroche qui n'était alors que médiocre avocat. It was the daughter of a notary, married by Laroche who was then mediocre lawyer. Mme Rissolin, vieille et prétentieuse, donnait l'idée d'une ancienne sage-femme dont l'éducation se serait faite dans les cabinets de lecture. Mrs. Rissolin, old and pretentious, gave the idea of a former midwife whose education would have been done in reading rooms. La vicomtesse de Percemur les regardait du haut. The Vicomtesse de Percemur looked down on them. Sa « patte blanche » touchait avec répugnance ces mains communes. His "white paw" touched with reluctance these common hands.

Clotilde, enveloppée de dentelles, dit à Madeleine en franchissant la porte de l'escalier : Clotilde, wrapped in lace, said to Madeleine, crossing the door of the staircase: « C'était parfait, ton dîner. "It was perfect, your dinner. Tu auras dans quelque temps le premier salon politique de Paris. You will have in some time the first political salon of Paris. Dès qu'elle fut seule avec Georges, elle le serra dans ses bras : As soon as she was alone with Georges, she hugged him: « Oh ! mon chéri Bel-Ami, je t'aime tous les jours davantage. my darling Bel-Ami, I love you every day more. Le fiacre qui les portait roulait comme un navire.

« Ça ne vaut point notre chambre », dit-elle. "It's not worth our room," she said.

Il répondit : « Oh ! non. » Mais il pensait à Mme Walter. But he was thinking of Mrs. Walter.