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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 2

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 2

– II –

Les Du Roy étaient rentrés à Paris depuis deux jours et le journaliste avait repris son ancienne besogne en attendant qu'il quittât le service des échos pour s'emparer définitivement des fonctions de Forestier et se consacrer tout à fait à la politique.

Il remontait chez lui, ce soir-là, au logis de son prédécesseur, le cœur joyeux, pour dîner, avec le désir éveillé d'embrasser tout à l'heure sa femme dont il subissait vivement le charme physique et l'insensible domination. En passant devant un fleuriste, au bas de la rue Notre-Dame-de-Lorette, il eut l'idée d'acheter un bouquet pour Madeleine et il prit une grosse botte de roses à peine ouvertes, un paquet de boutons parfumés.

À chaque étage de son nouvel escalier il se regardait complaisamment dans cette glace dont la vue lui rappelait sans cesse sa première entrée dans la maison.

Il sonna, ayant oublié sa clef, et le même domestique, qu'il avait gardé aussi sur le conseil de sa femme, vint ouvrir.

Georges demanda :

« Madame est rentrée ?

– Oui, monsieur. Mais en traversant la salle à manger il demeura fort surpris d'apercevoir trois couverts ; et, la portière du salon étant soulevée, il vit Madeleine qui disposait dans un vase de la cheminée une botte de roses toute pareille à la sienne. Il fut contrarié, mécontent, comme si on lui eût volé son idée, son attention et tout le plaisir qu'il en attendait.

Il demanda en entrant :

« Tu as donc invité quelqu'un ? Elle répondit sans se retourner, en continuant à arranger ses fleurs : « Oui et non. C'est mon vieil ami le comte de Vaudrec qui a l'habitude de dîner ici tous les lundis, et qui vient comme autrefois. Georges murmura :

« Ah ! très bien. Il restait debout derrière elle, son bouquet à la main, avec une envie de le cacher, de le jeter. Il dit cependant :

« Tiens, je t'ai apporté des roses ! Elle se retourna brusquement, toute souriante, criant :

« Ah ! que tu es gentil d'avoir pensé à ça. Et elle lui tendit ses bras et ses lèvres avec un élan de plaisir si vrai qu'il se sentit consolé.

Elle prit les fleurs, les respira, et, avec une vivacité d'enfant ravie, les plaça dans le vase resté vide en face du premier. Puis elle murmura en regardant l'effet :

« Que je suis contente ! Voilà ma cheminée garnie maintenant. Elle ajouta, presque aussitôt, d'un air convaincu :

« Tu sais, il est charmant, Vaudrec, tu seras tout de suite intime avec lui. Un coup de timbre annonça le comte. Il entra, tranquille, très à l'aise, comme chez lui. Après avoir baisé galamment les doigts de la jeune femme il se tourna vers le mari et lui tendit la main avec cordialité en demandant :

« Ça va bien, mon cher Du Roy ? Il n'avait plus son air roide, son air gourmé de jadis, mais un air affable, révélant bien que la situation n'était plus la même. Le journaliste, surpris, tâcha de se montrer gentil pour répondre à ces avances. On eût cru, après cinq minutes, qu'ils se connaissaient et s'adoraient depuis dix ans.

Alors Madeleine, dont le visage était radieux, leur dit :

« Je vous laisse ensemble. J'ai besoin de jeter un coup d'œil à ma cuisine. » Et elle se sauva, suivie par le regard des deux hommes.

Quand elle revint, elle les trouva causant théâtre, à propos d'une pièce nouvelle, et si complètement du même avis qu'une sorte d'amitié rapide s'éveillait dans leurs yeux à la découverte de cette absolue parité d'idées.

Le dîner fut charmant, tout intime et cordial ; et le comte demeura fort tard dans la soirée, tant il se sentait bien dans cette maison, dans ce joli nouveau ménage.

Dès qu'il fut parti, Madeleine dit à son mari :

« N'est-ce pas qu'il est parfait ? Il gagne du tout au tout à être connu. En voilà un bon ami, sûr, dévoué, fidèle. Ah ! sans lui… »

Elle n'acheva point sa pensée, et Georges répondit :

« Oui, je le trouve fort agréable. Je crois que nous nous entendrons très bien. Mais elle reprit aussitôt :

« Tu ne sais pas, nous avons à travailler, ce soir, avant de nous coucher. Je n'ai pas eu le temps de te parler de ça avant le dîner, parce que Vaudrec est arrivé tout de suite. On m'a apporté des nouvelles graves, tantôt, des nouvelles du Maroc. C'est Laroche-Mathieu le député, le futur ministre, qui me les a données. Il faut que nous fassions un grand article, un article à sensation. J'ai des faits et des chiffres. Nous allons nous mettre à la besogne immédiatement. Tiens, prends la lampe. Il la prit et ils passèrent dans le cabinet de travail.

Les mêmes livres s'alignaient dans la bibliothèque qui portait maintenant sur son faîte les trois vases achetés au golfe Juan par Forestier, la veille de son dernier jour. Sous la table, la chancelière du mort attendait les pieds de Du Roy, qui s'empara, après s'être assis, du porte-plume d'ivoire, un peu mâché au bout par la dent de l'autre.

Madeleine s'appuya à la cheminée, et ayant allumé une cigarette, elle raconta ses nouvelles, puis exposa ses idées, et le plan de l'article qu'elle rêvait.

Il l'écoutait avec attention, tout en griffonnant des notes, et quand il eut fini il souleva des objections, reprit la question, l'agrandit, développa à son tour non plus un plan d'article, mais un plan de campagne contre le ministère actuel. Cette attaque serait le début. Sa femme avait cessé de fumer, tant son intérêt s'éveillait, tant elle voyait large et loin en suivant la pensée de Georges.

Elle murmurait de temps en temps :

« Oui… oui… C'est très bon… C'est excellent… C'est très fort… »

Et quand il eut achevé, à son tour, de parler :

« Maintenant écrivons », dit-elle.

Mais il avait toujours le début difficile et il cherchait ses mots avec peine. Alors elle vint doucement se pencher sur son épaule et elle se mit à lui souffler ses phrases tout bas, dans l'oreille.

De temps en temps elle hésitait et demandait :

« Est-ce bien ça que tu veux dire ? Il répondait :

« Oui, parfaitement. Elle avait des traits piquants, des traits venimeux de femme pour blesser le chef du Conseil, et elle mêlait des railleries sur son visage à celles sur sa politique, d'une façon drôle qui faisait rire et saisissait en même temps par la justesse de l'observation.

Du Roy, parfois, ajoutait quelques lignes qui rendaient plus profonde et plus puissante la portée d'une attaque. Il savait, en outre, l'art des sous-entendus perfides, qu'il avait appris en aiguisant des échos, et quand un fait donné pour certain par Madeleine lui paraissait douteux ou compromettant, il excellait à le faire deviner et à l'imposer à l'esprit avec plus de force que s'il l'eût affirmé.

Quand leur article fut terminé, Georges le relut tout haut, en le déclamant. Ils le jugèrent admirable d'un commun accord et ils se souriaient, enchantés et surpris, comme s'ils venaient de se révéler l'un à l'autre. Ils se regardaient au fond des yeux, émus d'admiration et d'attendrissement, et ils s'embrassèrent avec élan, avec une ardeur d'amour communiquée de leurs esprits à leurs corps.

Du Roy reprit la lampe : « Et maintenant, dodo », dit-il avec un regard allumé.

Elle répondit :

« Passez, mon maître, puisque vous éclairez la route. Il passa, et elle le suivit dans leur chambre en lui chatouillant le cou du bout du doigt, entre le col et les cheveux pour le faire aller plus vite, car il redoutait cette caresse.

L'article parut sous la signature de Georges Du Roy de Cantel, et fit grand bruit. On s'en émut à la Chambre. Le père Walter en félicita l'auteur et le chargea de la rédaction politique de La Vie Française . Les échos revinrent à Boisrenard.

Alors commença, dans le journal, une campagne habile et violente contre le ministère qui dirigeait les affaires. L'attaque, toujours adroite et nourrie de faits, tantôt ironique, tantôt sérieuse, parfois plaisante, parfois virulente, frappait avec une sûreté et une continuité dont tout le monde s'étonnait. Les autres feuilles citaient sans cesse La Vie Française , y coupaient des passages entiers, et les hommes du pouvoir s'informèrent si on ne pouvait pas bâillonner avec une préfecture cet ennemi inconnu et acharné.

Du Roy devenait célèbre dans les groupes politiques. Il sentait grandir son influence à la pression des poignées de main et à l'allure des coups de chapeau. Sa femme, d'ailleurs, l'emplissait de stupeur et d'admiration par l'ingéniosité de son esprit, l'habileté de ses informations et le nombre de ses connaissances.

À tout moment, il trouvait dans son salon, en rentrant chez lui, un sénateur, un député, un magistrat, un général, qui traitaient Madeleine en vieille amie, avec une familiarité sérieuse. Où avait-elle connu tous ces gens ? Dans le monde, disait-elle. Mais comment avait-elle su capter leur confiance et leur affection ? Il ne le comprenait pas.

« Ça ferait une rude diplomate », pensait-il.

Elle rentrait souvent en retard aux heures des repas, essoufflée, rouge frémissante, et, avant même d'avoir ôté son voile, elle disait :

« J'en ai du nanan, aujourd'hui. Figure-toi que le ministre de la Justice vient de nommer deux magistrats qui ont fait partie des commissions mixtes. Nous allons lui flanquer un abattage dont il se souviendra. Et on flanquait un abattage au ministre, et on lui en reflanquait un autre le lendemain et un troisième le jour suivant. Le député Laroche-Mathieu qui dînait rue Fontaine tous les mardis, après le comte de Vaudrec qui commençait la semaine, serrait vigoureusement les mains de la femme et du mari avec des démonstrations de joie excessives. Il ne cessait de répéter : « Cristi, quelle campagne. Si nous ne réussissons pas après ça ? Il espérait bien réussir en effet à décrocher le portefeuille des Affaires étrangères qu'il visait depuis longtemps.

C'était un de ces hommes politiques à plusieurs faces, sans conviction, sans grands moyens, sans audace et sans connaissances sérieuses, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un équilibre de finaud entre tous les partis extrêmes, sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel.

Son machiavélisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collègues, parmi tous les déclassés et les avortés dont on fait des députés. Il était assez soigné, assez correct, assez familier, assez aimable pour réussir. Il avait des succès dans le monde, dans la société mêlée, trouble et peu fine des hauts fonctionnaires du moment.

On disait partout de lui : « Laroche sera ministre », et il pensait aussi plus fermement que tous les autres que Laroche serait ministre.

Il était un des principaux actionnaires du journal du père Walter, son collègue et son associé en beaucoup d'affaires de finances.

Du Roy le soutenait avec confiance et avec des espérances confuses pour plus tard. Il ne faisait que continuer d'ailleurs l'œuvre commencée par Forestier, à qui Laroche-Mathieu avait promis la croix, quand serait venu le jour du triomphe. La décoration irait sur la poitrine du nouveau mari de Madeleine ; voilà tout. Rien n'était changé, en somme.

On sentait si bien que rien n'était changé, que les confrères de Du Roy lui montaient une scie dont il commençait à se fâcher.

On ne l'appelait plus que Forestier.

Aussitôt qu'il arrivait au journal, quelqu'un criait : « Dis donc, Forestier. Il feignait de ne pas entendre et cherchait les lettres dans son casier. La voix reprenait, avec plus de force : « Hé ! Forestier.

» Quelques rires étouffés couraient.

Comme Du Roy gagnait le bureau du directeur, celui qui l'avait appelé l'arrêtait :

« Oh ! pardon ; c'est à toi que je veux parler. C'est stupide, je te confonds toujours avec ce pauvre Charles. Cela tient à ce que tes articles ressemblent bigrement aux siens. Tout le monde s'y trompe. Du Roy ne répondait rien, mais il rageait ; et une colère sourde naissait en lui contre le mort.

Le père Walter lui-même avait déclaré, alors qu'on s'étonnait de similitudes flagrantes de tournures et d'inspiration entre les chroniques du nouveau rédacteur politique et celles de l'ancien : « Oui, c'est du Forestier, mais du Forestier plus nourri, plus nerveux, plus viril. Une autre fois, Du Roy en ouvrant par hasard l'armoire aux bilboquets avait trouvé ceux de son prédécesseur avec un crêpe autour du manche, et le sien, celui dont il se servait quand il s'exerçait sous la direction de Saint-Potin, était orné d'une faveur rose. Tous avaient été rangés sur la même planche, par rang de taille ; et une pancarte, pareille à celle des musées, portait écrit : « Ancienne collection Forestier et Cie, Forestier-Du Roy, successeur, breveté S.G.D.G. Articles inusables pouvant servir en toutes circonstances, même en voyage. Il referma l'armoire avec calme, en prononçant assez haut pour être entendu :

« Il y a des imbéciles et des envieux partout. Mais il était blessé dans son orgueil, blessé dans sa vanité, cette vanité et cet orgueil ombrageux d'écrivain, qui produisent cette susceptibilité nerveuse toujours en éveil, égale chez le reporter et chez le poète génial.

Ce mot : « Forestier » déchirait son oreille ; il avait peur de l'entendre, et se sentait rougir en l'entendant.

Il était pour lui, ce nom, une raillerie mordante, plus qu'une raillerie, presque une insulte. Il lui criait : « C'est ta femme qui fait ta besogne comme elle faisait celle de l'autre. Tu ne serais rien sans elle. Il admettait parfaitement que Forestier n'eût rien été sans Madeleine ; mais quant à lui, allons donc !

Puis, rentré chez lui, l'obsession continuait. C'était la maison tout entière maintenant qui lui rappelait le mort, tout le mobilier, tous les bibelots, tout ce qu'il touchait. Il ne pensait guère à cela dans les premiers temps ; mais la scie montée par ses confrères avait fait en son esprit une sorte de plaie qu'un tas de riens inaperçus jusqu'ici envenimaient à présent.

Il ne pouvait plus prendre un objet sans qu'il crût voir aussitôt la main de Charles posée dessus. Il ne regardait et ne maniait que des choses lui ayant servi autrefois, des choses qu'il avait achetées, aimées et possédées. Et Georges commençait à s'irriter même à la pensée des relations anciennes de son ami et de sa femme.

Il s'étonnait parfois de cette révolte de son cœur, qu'il ne comprenait point, et se demandait : « Comment diable cela se fait-il ? Je ne suis pas jaloux des amis de Madeleine. Je ne m'inquiète jamais de ce qu'elle fait. Elle rentre et sort à son gré, et le souvenir de cette brute de Charles me met en rage ! Il ajoutait, mentalement : « Au fond, ce n'était qu'un crétin ; c'est sans doute ça qui me blesse. Je me fâche que Madeleine ait pu épouser un pareil sot. Et sans cesse il se répétait : « Comment se fait-il que cette femme-là ait gobé un seul instant un semblable animal ? Et sa rancune s'augmentait chaque jour par mille détails insignifiants qui le piquaient comme des coups d'aiguille, par le rappel incessant de l'autre, venu d'un mot de Madeleine, d'un mot du domestique ou d'un mot de la femme de chambre.

Un soir, Du Roy qui aimait les plats sucrés demanda :

« Pourquoi n'avons-nous pas d'entremets ? Tu n'en fais jamais servir. La jeune femme répondit gaiement :

« C'est vrai, je n'y pense pas. Cela tient à ce que Charles les avait en horreur… »

Il lui coupa la parole dans un mouvement d'impatience dont il ne fut pas maître.

« Ah ! tu sais, Charles commence à m'embêter. C'est toujours Charles par-ci, Charles par-là. Charles aimait ci, Charles aimait ça. Puisque Charles est crevé, qu'on le laisse tranquille. Madeleine regardait son mari avec stupeur, sans rien comprendre à cette colère subite. Puis, comme elle était fine, elle devina un peu ce qui se passait en lui, ce travail lent de jalousie posthume grandissant à chaque seconde par tout ce qui rappelait l'autre.

Elle jugea cela puéril, peut-être, mais elle fut flattée et ne répondit rien.

Il s'en voulut, lui, de cette irritation, qu'il n'avait pu cacher. Or, comme ils faisaient, ce soir-là, après dîner, un article pour le lendemain, il s'embarrassa dans la chancelière. Ne parvenant point à la retourner, il la rejeta d'un coup de pied, et demanda en riant :

« Charles avait donc toujours froid aux pattes ? Elle répondit, riant aussi :

« Oh ! il vivait dans la terreur des rhumes ; il n'avait pas la poitrine solide. Du Roy reprit avec férocité : « Il l'a bien prouvé, d'ailleurs. » Puis il ajouta avec galanterie : « Heureusement pour moi. » Et il baisa la main de sa femme.

Mais en se couchant, toujours hanté par la même pensée, il demanda encore :

« Est-ce que Charles portait des bonnets de coton pour éviter les courants d'air dans les oreilles ? Elle se prêta à la plaisanterie et répondit :

« Non, un madras noué sur le front. Georges haussa les épaules et prononça avec un mépris supérieur :

« Quel serin ! Dès lors, Charles devint pour lui un sujet d'entretien continuel. Il parlait de lui à tout propos, ne l'appelant plus que : « ce pauvre Charles », d'un air de pitié infinie.

Et quand il revenait du journal, où il s'était entendu deux ou trois fois interpeller sous le nom de Forestier, il se vengeait en poursuivant le mort de railleries haineuses au fond de son tombeau. Il rappelait ses défauts, ses ridicules, ses petitesses, les énumérait avec complaisance, les développant et les grossissant comme s'il eût voulu combattre, dans le cœur de sa femme, l'influence d'un rival redouté.

Il répétait :

« Dis donc, Made, te rappelles-tu le jour où ce cornichon de Forestier a prétendu nous prouver que les gros hommes étaient plus vigoureux que les maigres ? Puis il voulut savoir sur le défunt un tas de détails intimes et secrets que la jeune femme, mal à l'aise, refusait de dire. Mais il insistait, s'obstinait.

« Allons, voyons, raconte-moi ça. Il devait être bien drôle dans ce moment-là ? Elle murmurait du bout des lèvres :

« Voyons, laisse-le tranquille, à la fin. Il reprenait :

« Non, dis-moi ! c'est vrai qu'il devait être godiche au lit, cet animal ! Et il finissait toujours par conclure :

« Quelle brute c'était ! Un soir, vers la fin de juin, comme il fumait une cigarette à sa fenêtre, la grande chaleur de la soirée lui donna l'envie de faire une promenade.

Il demanda :

Ma petite Made, veux-tu venir jusqu'au Bois ?

– Mais oui, certainement. Ils prirent un fiacre découvert, gagnèrent les Champs-Élysées, puis l'avenue du Bois-de-Boulogne. C'était une nuit sans vent, une de ces nuits d'étuve où l'air de Paris surchauffé entre dans la poitrine comme une vapeur de four. Une armée de fiacres menait sous les arbres tout un peuple d'amoureux. Ils allaient, ces fiacres, l'un derrière l'autre, sans cesse.

Georges et Madeleine s'amusaient à regarder tous ces couples enlacés, passant dans ces voitures, la femme en robe claire et l'homme sombre. C'était un immense fleuve d'amants qui coulait vers le Bois sous le ciel étoilé et brûlant. On n'entendait aucun bruit que le sourd roulement des roues sur la terre. Ils passaient, passaient, les deux êtres de chaque fiacre, allongés sur les coussins, muets, serrés l'un contre l'autre, perdus dans d'hallucination du désir, frémissant dans l'attente de l'étreinte prochaine. L'ombre chaude semblait pleine de baisers. Une sensation de tendresse flottante, d'amour bestial épandu alourdissait l'air, le rendait plus étouffant. Tous ces gens accouplés, grisés de la même pensée, de la même ardeur, faisaient courir une fièvre autour d'eux. Toutes ces voitures chargées d'amour, sur qui semblaient voltiger des caresses, jetaient sur leur passage une sorte de souffle sensuel, subtil et troublant.

Georges et Madeleine se sentirent eux-mêmes gagnés par la contagion de la tendresse. Ils se prirent doucement la main, sans dire un mot, un peu oppressés par la pesanteur de l'atmosphère et par l'émotion qui les envahissait.

Comme ils arrivaient au tournant qui suit les fortifications, ils s'embrassèrent, et elle balbutia un peu confuse :

« Nous sommes aussi gamins qu'en allant à Rouen. Le grand courant des voitures s'était séparé à l'entrée des taillis. Dans le chemin des Lacs que suivaient les jeunes gens, les fiacres s'espaçaient un peu, mais la nuit épaisse des arbres, l'air vivifié par les feuilles et par l'humidité des ruisselets qu'on entendait couler sous les branches, une sorte de fraîcheur du large espace nocturne tout paré d'astres, donnaient aux baisers des couples roulants un charme plus pénétrant et une ombre plus mystérieuse.

Georges murmura : « Oh ! ma petite Made », en la serrant contre lui.

Elle lui dit :

« Te rappelles-tu la forêt de chez toi, comme c'était sinistre. Il me semblait qu'elle était pleine de bêtes affreuses et qu'elle n'avait pas de bout. Tandis qu'ici, c'est charmant. On sent des caresses dans le vent, et je sais bien que Sèvres est de l'autre côté du Bois. Il répondit :

« Oh ! dans la forêt de chez moi, il n'y avait pas autre chose que des cerfs, des renards, des chevreuils et des sangliers, et, par-ci, par-là, une maison de forestier. Ce mot, ce nom du mort sorti de sa bouche, le surprit comme si quelqu'un le lui eût crié du fond d'un fourré, et il se tut brusquement, ressaisi par ce malaise étrange et persistant, par cette irritation jalouse, rongeuse, invincible qui lui gâtait la vie depuis quelque temps.

Au bout d'une minute, il demanda :

« Es-tu venue quelquefois ici comme ça, le soir, avec Charles ? Elle répondit :

« Mais oui, souvent. Et, tout à coup, il eut envie de retourner chez eux, une envie nerveuse qui lui serrait le cœur. Mais l'image de Forestier était rentrée en son esprit, le possédait, l'étreignait. Il ne pouvait plus penser qu'à lui, parler que de lui.

Il demanda avec un accent méchant :

« Dis donc, Made ?

– Quoi, mon ami ?

– L'as-tu fait cocu, ce pauvre Charles' ? Elle murmura, dédaigneuse :

« Que tu deviens bête avec ta rengaine. Mais il ne lâchait pas son idée.

« Voyons, ma petite Made, sois bien franche, avoue-le ? Tu l'as fait cocu, dis ? Avoue que tu l'as fait cocu ? Elle se taisait, choquée comme toutes les femmes le sont par ce mot.

Il reprit, obstiné :

« Sacristi, si quelqu'un en avait la tête, c'est bien lui, par exemple. Oh ! oui, oh ! oui. C'est ça qui m'amuserait de savoir si Forestier était cocu. Hein ! quelle bonne binette de jobard ? Il sentit qu'elle souriait à quelque souvenir peut-être, et il insista :

« Voyons, dis-le. Qu'est-ce que ça fait ? Ce serait bien drôle, au contraire, de m'avouer que tu l'as trompé, de m'avouer ça, à moi. Il frémissait, en effet, de l'espoir et de l'envie que Charles, l'odieux Charles, le mort détesté, le mort exécré, eût porté ce ridicule honteux. Et pourtant… pourtant une autre émotion, plus confuse, aiguillonnait son désir de savoir.

Il répétait :

« Made, ma petite Made, je t'en prie, dis-le. En voilà un qui ne l'aurait pas volé. Tu aurais eu joliment tort de ne pas lui faire porter ça. Voyons, Made, avoue. Elle trouvait plaisante, maintenant, sans doute, cette insistance, car elle riait, par petits rires brefs, saccadés.

Il avait mis ses lèvres tout près de l'oreille de sa femme :

« Voyons… voyons… avoue-le. Elle s'éloigna d'un mouvement sec et déclara brusquement :

« Mais tu es stupide. Est-ce qu'on répond à des questions pareilles ? Elle avait dit cela d'un ton si singulier qu'un frisson de froid courut dans les veines de son mari et il demeura interdit, effaré, un peu essoufflé, comme s'il avait reçu une commotion morale.

Le fiacre maintenant longeait le lac, où le ciel semblait avoir égrené ses étoiles. Deux cygnes vagues nageaient très lentement, à peine visibles dans l'ombre.

Georges cria au cocher :

« Retournons, « Et la voiture s'en revint, croisant les autres, qui allaient au pas, et dont les grosses lanternes brillaient comme des yeux dans la nuit du Bois.

Comme elle avait dit cela d'une étrange façon ! Du Roy se demandait : « Est-ce un aveu ? » Et cette presque certitude qu'elle avait trompé son premier mari l'affolait de colère à présent. Il avait envie de la battre, de l'étrangler, de lui arracher les cheveux !

Oh ! si elle lui eût répondu : « Mais, mon chéri, si j'avais dû le tromper, c'est avec toi que je l'aurais fait. » Comme il l'aurait embrassée, étreinte, adorée !

Il demeurait immobile, les bras croisés, les yeux au ciel, l'esprit trop agité pour réfléchir encore. Il sentait seulement en lui fermenter cette rancune et grossir cette colère qui couvent au cœur de tous les mâles devant les caprices du désir féminin. Il sentait pour la première fois cette angoisse confuse de l'époux qui soupçonne ! Il était jaloux enfin, jaloux pour le mort, jaloux pour le compte de Forestier ! jaloux d'une étrange et poignante façon, où entrait subitement de la haine contre Madeleine. Puisqu'elle avait trompé l'autre, comment pourrait-il avoir confiance en elle, lui !

Puis, peu à peu, une espèce de calme se fit en son esprit, et se roidissant contre sa souffrance, il pensa : « Toutes les femmes sont des filles, il faut s'en servir et ne rien leur donner de soi. L'amertume de son cœur lui montait aux lèvres en paroles de mépris et de dégoût. Il ne les laissa point s'épandre cependant. Il se répétait : « Le monde est aux forts. Il faut être fort. Il faut être au-dessus de tout. La voiture allait plus vite. Elle repassa les fortifications. Du Roy regardait devant lui une clarté rougeâtre dans le ciel, pareille à une lueur de forge démesurée ; et il entendait une rumeur confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents, une rumeur sourde, proche, lointaine, une vague et énorme palpitation de vie, le souffle de Paris respirant, dans cette nuit d'été, comme un colosse épuisé de fatigue.

Georges songeait : « Je serais bien bête de me faire de la bile. Chacun pour soi. La victoire est aux audacieux. Tout n'est que de l'égoïsme. L'égoïsme pour l'ambition et la fortune vaut mieux que l'égoïsme pour la femme et pour l'amour. L'arc de triomphe de l'Étoile apparaissait debout à l'entrée de la ville sur ses deux jambes monstrueuses, sorte de géant informe qui semblait prêt à se mettre en marche pour descendre la large avenue ouverte devant lui.

Georges et Madeleine se retrouvaient là dans le défilé des voitures ramenant au logis, au lit désiré, l'éternel couple, silencieux et enlacé. Il semblait que l'humanité tout entière glissait à côté d'eux, grise de joie, de plaisir, de bonheur.

La jeune femme, qui avait bien pressenti quelque chose de ce qui se passait en son mari, demanda de sa voix douce :

« À quoi songes-tu, mon ami ? Depuis une demi-heure tu n'as point prononcé une parole. Il répondit en ricanant :

« Je songe à tous ces imbéciles qui s'embrassent, et je me dis que, vraiment, on a autre chose à faire dans l'existence. Elle murmura :

« Oui… mais c'est bon quelquefois.

– C'est bon… c'est bon… quand on n'a rien de mieux ! La pensée de Georges allait toujours, dévêtant la vie de sa robe de poésie, dans une sorte de rage méchante : « Je serais bien bête de me gêner, de me priver de quoi que ce soit, de me troubler, de me tracasser, de me ronger l'âme comme je le fais depuis quelque temps. » L'image de Forestier lui traversa l'esprit sans y faire naître aucune irritation. Il lui sembla qu'ils venaient de se réconcilier, qu'ils redevenaient amis. Il avait envie de lui crier : « Bonsoir, vieux. Madeleine, que ce silence gênait, demanda :

« Si nous allions prendre une glace chez Tortoni, avant de rentrer. Il la regarda de coin. Son fin profil blond lui apparut sous l'éclat vif d'une guirlande de gaz qui annonçait un café-chantant.

Il pensa : « Elle est jolie ! Eh ! tant mieux. À bon chat bon rat, ma camarade. Mais si on me reprend à me tourmenter pour toi, il fera chaud au pôle Nord. » Puis il répondit : « Mais certainement, ma chérie. » Et, pour qu'elle ne devinât rien, il l'embrassa.

Il sembla à la jeune femme que les lèvres de son mari étaient glacées.

Il souriait cependant de son sourire ordinaire en lui donnant la main pour descendre devant les marches du café.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 2 Bel Ami - Part 2 Chapter 2 ベルアミ - パート2 第2章 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 2

– II –

Les Du Roy étaient rentrés à Paris depuis deux jours et le journaliste avait repris son ancienne besogne en attendant qu’il quittât le service des échos pour s’emparer définitivement des fonctions de Forestier et se consacrer tout à fait à la politique. The Du Roy had returned to Paris for two days and the journalist had resumed his old job until he left the service of echoes to seize permanently the duties of Forestier and devote himself completely to politics.

Il remontait chez lui, ce soir-là, au logis de son prédécesseur, le cœur joyeux, pour dîner, avec le désir éveillé d’embrasser tout à l’heure sa femme dont il subissait vivement le charme physique et l’insensible domination. He was going home that evening, to the house of his predecessor, with a happy heart, to dine, with the eager desire to kiss his wife just now, whose physical charm and insensible domination he was greatly undergoing. En passant devant un fleuriste, au bas de la rue Notre-Dame-de-Lorette, il eut l’idée d’acheter un bouquet pour Madeleine et il prit une grosse botte de roses à peine ouvertes, un paquet de boutons parfumés. Passing a florist at the bottom of Notre-Dame-de-Lorette Street, he had the idea of buying a bouquet for Madeleine and he took a big bunch of roses just open, a packet of scented buttons.

À chaque étage de son nouvel escalier il se regardait complaisamment dans cette glace dont la vue lui rappelait sans cesse sa première entrée dans la maison. On each floor of his new staircase he looked at himself complacently in the mirror whose sight constantly reminded him of his first entry into the house.

Il sonna, ayant oublié sa clef, et le même domestique, qu’il avait gardé aussi sur le conseil de sa femme, vint ouvrir. He rang, having forgotten his key, and the same servant, whom he had also kept on the advice of his wife, came to open.

Georges demanda :

« Madame est rentrée ? "Madame has returned?

– Oui, monsieur. Mais en traversant la salle à manger il demeura fort surpris d’apercevoir trois couverts ; et, la portière du salon étant soulevée, il vit Madeleine qui disposait dans un vase de la cheminée une botte de roses toute pareille à la sienne. But when he crossed the dining-room he was very surprised to see three places; and when the door of the drawing-room was raised, he saw Madeleine laying out in a chimney-vase a bundle of roses exactly like hers. Il fut contrarié, mécontent, comme si on lui eût volé son idée, son attention et tout le plaisir qu’il en attendait. He was annoyed, dissatisfied, as if his idea, his attention, and all the pleasure he had expected of him had been stolen.

Il demanda en entrant :

« Tu as donc invité quelqu’un ? Elle répondit sans se retourner, en continuant à arranger ses fleurs : « Oui et non. C’est mon vieil ami le comte de Vaudrec qui a l’habitude de dîner ici tous les lundis, et qui vient comme autrefois. It is my old friend Count de Vaudrec who is accustomed to dine here every Monday, and who comes as formerly. Georges murmura :

« Ah ! très bien. Il restait debout derrière elle, son bouquet à la main, avec une envie de le cacher, de le jeter. He was standing behind her, his bouquet in his hand, with a desire to hide it, to throw it away. Il dit cependant :

« Tiens, je t’ai apporté des roses ! Elle se retourna brusquement, toute souriante, criant :

« Ah ! que tu es gentil d’avoir pensé à ça. Et elle lui tendit ses bras et ses lèvres avec un élan de plaisir si vrai qu’il se sentit consolé. And she held out her arms and lips to him with a surge of pleasure so true that he felt consoled.

Elle prit les fleurs, les respira, et, avec une vivacité d’enfant ravie, les plaça dans le vase resté vide en face du premier. Puis elle murmura en regardant l’effet :

« Que je suis contente ! Voilà ma cheminée garnie maintenant. Elle ajouta, presque aussitôt, d’un air convaincu : She added, almost immediately, with a convinced air:

« Tu sais, il est charmant, Vaudrec, tu seras tout de suite intime avec lui. "You know, he's charming, Vaudrec, you'll be immediately intimate with him. Un coup de timbre annonça le comte. Il entra, tranquille, très à l’aise, comme chez lui. He entered, tranquil, very comfortable, as at home. Après avoir baisé galamment les doigts de la jeune femme il se tourna vers le mari et lui tendit la main avec cordialité en demandant :

« Ça va bien, mon cher Du Roy ? Il n’avait plus son air roide, son air gourmé de jadis, mais un air affable, révélant bien que la situation n’était plus la même. He no longer looked stiff, his old-fashioned air, but an affable air, revealing that the situation was no longer the same. Le journaliste, surpris, tâcha de se montrer gentil pour répondre à ces avances. The journalist, surprised, tried to be nice to respond to these advances. On eût cru, après cinq minutes, qu’ils se connaissaient et s’adoraient depuis dix ans. One would have thought, after five minutes, that they had known and adored each other for ten years.

Alors Madeleine, dont le visage était radieux, leur dit :

« Je vous laisse ensemble. J’ai besoin de jeter un coup d’œil à ma cuisine. » Et elle se sauva, suivie par le regard des deux hommes. And she escaped, followed by the gaze of the two men.

Quand elle revint, elle les trouva causant théâtre, à propos d’une pièce nouvelle, et si complètement du même avis qu’une sorte d’amitié rapide s’éveillait dans leurs yeux à la découverte de cette absolue parité d’idées. When she returned, she found them talking about a new play, and so completely of the same opinion, that a kind of rapid friendship awakened in their eyes at the discovery of this absolute parity of ideas.

Le dîner fut charmant, tout intime et cordial ; et le comte demeura fort tard dans la soirée, tant il se sentait bien dans cette maison, dans ce joli nouveau ménage. The dinner was charming, intimate and cordial; and the count remained very late in the evening, so well did he feel in this house, in this pretty new house.

Dès qu’il fut parti, Madeleine dit à son mari :

« N’est-ce pas qu’il est parfait ? "Is not he perfect? Il gagne du tout au tout à être connu. He definitely wins to be known. En voilà un bon ami, sûr, dévoué, fidèle. Here is a good friend, sure, devoted, faithful. Ah ! Ah! sans lui… » without him ... "

Elle n’acheva point sa pensée, et Georges répondit : She did not finish her thought, and George replied:

« Oui, je le trouve fort agréable. "Yes, I find it very pleasant. Je crois que nous nous entendrons très bien. I think we will get along very well. Mais elle reprit aussitôt : But she immediately resumed:

« Tu ne sais pas, nous avons à travailler, ce soir, avant de nous coucher. "You do not know, we have to work tonight before going to bed. Je n’ai pas eu le temps de te parler de ça avant le dîner, parce que Vaudrec est arrivé tout de suite. I did not have time to talk to you about it before dinner, because Vaudrec arrived right away. On m’a apporté des nouvelles graves, tantôt, des nouvelles du Maroc. They brought me some serious news, sometimes news from Morocco. C’est Laroche-Mathieu le député, le futur ministre, qui me les a données. It was Laroche-Mathieu the MP, the future minister, who gave it to me. Il faut que nous fassions un grand article, un article à sensation. J’ai des faits et des chiffres. Nous allons nous mettre à la besogne immédiatement. We will get to work immediately. Tiens, prends la lampe. Il la prit et ils passèrent dans le cabinet de travail. He took it and they went into the study.

Les mêmes livres s’alignaient dans la bibliothèque qui portait maintenant sur son faîte les trois vases achetés au golfe Juan par Forestier, la veille de son dernier jour. The same books were lined up in the library, which now bore on its ridge the three vases bought at Forestier's Gulf, on the eve of his last day. Sous la table, la chancelière du mort attendait les pieds de Du Roy, qui s’empara, après s’être assis, du porte-plume d’ivoire, un peu mâché au bout par la dent de l’autre. Under the table, the chancellor of the dead man waited for Du Roy's feet, who seized the ivory pen, after being seated, a little chewed at the end by the tooth of the other.

Madeleine s’appuya à la cheminée, et ayant allumé une cigarette, elle raconta ses nouvelles, puis exposa ses idées, et le plan de l’article qu’elle rêvait. Madeleine leaned against the fireplace, and having lit a cigarette, she told her news, then explained her ideas, and the plan of the article she dreamed of.

Il l’écoutait avec attention, tout en griffonnant des notes, et quand il eut fini il souleva des objections, reprit la question, l’agrandit, développa à son tour non plus un plan d’article, mais un plan de campagne contre le ministère actuel. He listened attentively, while scribbling notes, and when he had finished he raised objections, took the question, enlarged it, developed in turn no longer a plan of article, but a plan of campaign against the current ministry. Cette attaque serait le début. This attack would be the beginning. Sa femme avait cessé de fumer, tant son intérêt s’éveillait, tant elle voyait large et loin en suivant la pensée de Georges. His wife had ceased to smoke, so much was his interest awakened, so wide and far was he in following George's thought.

Elle murmurait de temps en temps :

« Oui… oui… C’est très bon… C’est excellent… C’est très fort… »

Et quand il eut achevé, à son tour, de parler : And when he had finished, in turn, to speak:

« Maintenant écrivons », dit-elle. "Now let's write," she says.

Mais il avait toujours le début difficile et il cherchait ses mots avec peine. But he always had a difficult start and he was searching for his words with difficulty. Alors elle vint doucement se pencher sur son épaule et elle se mit à lui souffler ses phrases tout bas, dans l’oreille. Then she came gently to lean over his shoulder and she began to whisper his words in his ear.

De temps en temps elle hésitait et demandait : From time to time she hesitated and asked:

« Est-ce bien ça que tu veux dire ? "Is that what you mean? Il répondait :

« Oui, parfaitement. Elle avait des traits piquants, des traits venimeux de femme pour blesser le chef du Conseil, et elle mêlait des railleries sur son visage à celles sur sa politique, d’une façon drôle qui faisait rire et saisissait en même temps par la justesse de l’observation. She had pungent features, poisonous features of a woman to hurt the head of the Council, and she mingled with her politics about her face, in a funny way that made her laugh and at the same time seized the rightness of her. 'observation.

Du Roy, parfois, ajoutait quelques lignes qui rendaient plus profonde et plus puissante la portée d’une attaque. Du Roy sometimes added a few lines that made the scope of an attack deeper and more powerful. Il savait, en outre, l’art des sous-entendus perfides, qu’il avait appris en aiguisant des échos, et quand un fait donné pour certain par Madeleine lui paraissait douteux ou compromettant, il excellait à le faire deviner et à l’imposer à l’esprit avec plus de force que s’il l’eût affirmé. He knew, moreover, the art of perfidious innuendo, which he had learned by sharpening echoes, and when a fact given for certain by Madeleine seemed to him doubtful or compromising, he excelled in making him guess and to impose on the mind with more force than if he had affirmed it.

Quand leur article fut terminé, Georges le relut tout haut, en le déclamant. When their article was finished, Georges read it aloud, declaiming it. Ils le jugèrent admirable d’un commun accord et ils se souriaient, enchantés et surpris, comme s’ils venaient de se révéler l’un à l’autre. They judged him admirable by mutual agreement and they smiled at each other, delighted and surprised, as if they had just revealed themselves to each other. Ils se regardaient au fond des yeux, émus d’admiration et d’attendrissement, et ils s’embrassèrent avec élan, avec une ardeur d’amour communiquée de leurs esprits à leurs corps. They gazed at each other in the depths of their eyes, moved with admiration and tenderness, and embraced each other with enthusiasm, with ardor of love communicated from their minds to their bodies.

Du Roy reprit la lampe : « Et maintenant, dodo », dit-il avec un regard allumé. Du Roy took up the lamp again: "And now, sleep," he said with a light on.

Elle répondit :

« Passez, mon maître, puisque vous éclairez la route. "Pass, my master, since you light the road. Il passa, et elle le suivit dans leur chambre en lui chatouillant le cou du bout du doigt, entre le col et les cheveux pour le faire aller plus vite, car il redoutait cette caresse. He passed, and she followed him to their room, tickling his neck with his fingertip, between the collar and the hair to make him go faster, because he dreaded this caress.

L’article parut sous la signature de Georges Du Roy de Cantel, et fit grand bruit. The article appeared under the signature of Georges Du Roy de Cantel, and made a great noise. On s’en émut à la Chambre. We were moved in the House. Le père Walter en félicita l’auteur et le chargea de la rédaction politique de La Vie Française . Father Walter congratulated the author and charged him with the political writing of La Vie Francaise. Les échos revinrent à Boisrenard. The echoes returned to Boisrenard.

Alors commença, dans le journal, une campagne habile et violente contre le ministère qui dirigeait les affaires. Then began, in the newspaper, a skilful and violent campaign against the ministry which directed the affairs. L’attaque, toujours adroite et nourrie de faits, tantôt ironique, tantôt sérieuse, parfois plaisante, parfois virulente, frappait avec une sûreté et une continuité dont tout le monde s’étonnait. The attack, always dexterous and nourished by facts, sometimes ironic, sometimes serious, sometimes pleasant, sometimes virulent, struck with a certainty and a continuity of which everyone was astonished. Les autres feuilles citaient sans cesse La Vie Française , y coupaient des passages entiers, et les hommes du pouvoir s’informèrent si on ne pouvait pas bâillonner avec une préfecture cet ennemi inconnu et acharné. The other sheets constantly quoted La Vie Francaise, cut entire passages there, and the men of power inquired whether it was impossible to gag with a prefecture this unknown and fierce enemy.

Du Roy devenait célèbre dans les groupes politiques. Il sentait grandir son influence à la pression des poignées de main et à l’allure des coups de chapeau. He felt his influence grow with the pressure of handshakes and the look of hat-strokes. Sa femme, d’ailleurs, l’emplissait de stupeur et d’admiration par l’ingéniosité de son esprit, l’habileté de ses informations et le nombre de ses connaissances. His wife, moreover, filled him with stupor and admiration by the ingenuity of his mind, the skill of his information, and the number of his acquaintances.

À tout moment, il trouvait dans son salon, en rentrant chez lui, un sénateur, un député, un magistrat, un général, qui traitaient Madeleine en vieille amie, avec une familiarité sérieuse. At every moment he found in his drawing-room, on his way home, a senator, a deputy, a magistrate, a general, who treated Madeleine as an old friend, with serious familiarity. Où avait-elle connu tous ces gens ? Dans le monde, disait-elle. In the world, she said. Mais comment avait-elle su capter leur confiance et leur affection ? But how had she managed to capture their confidence and affection? Il ne le comprenait pas. He did not understand it.

« Ça ferait une rude diplomate », pensait-il. "It would be a tough diplomat," he thought.

Elle rentrait souvent en retard aux heures des repas, essoufflée, rouge frémissante, et, avant même d’avoir ôté son voile, elle disait : She often came home late at mealtimes, out of breath, trembling red, and before she had taken off her veil she said:

« J’en ai du nanan, aujourd’hui. "I have nanan today. Figure-toi que le ministre de la Justice vient de nommer deux magistrats qui ont fait partie des commissions mixtes. Imagine that the Minister of Justice has just appointed two magistrates who were part of the mixed commissions. Nous allons lui flanquer un abattage dont il se souviendra. We are going to flank him a slaughter which he will remember. Et on flanquait un abattage au ministre, et on lui en reflanquait un autre le lendemain et un troisième le jour suivant. And the minister was slaughtered, and the next morning he was considered another day and a third the next day. Le député Laroche-Mathieu qui dînait rue Fontaine tous les mardis, après le comte de Vaudrec qui commençait la semaine, serrait vigoureusement les mains de la femme et du mari avec des démonstrations de joie excessives. The deputy Laroche-Mathieu, who dined on the Rue Fontaine every Tuesday, after the Comte de Vaudrec, who was beginning the week, vigorously pressed the hands of the woman and the husband with excessive demonstrations of joy. Il ne cessait de répéter : « Cristi, quelle campagne. Si nous ne réussissons pas après ça ? If we do not succeed after that? Il espérait bien réussir en effet à décrocher le portefeuille des Affaires étrangères qu’il visait depuis longtemps. He hoped to succeed in landing the foreign affairs portfolio he had been aiming for for a long time.

C’était un de ces hommes politiques à plusieurs faces, sans conviction, sans grands moyens, sans audace et sans connaissances sérieuses, avocat de province, joli homme de chef-lieu, gardant un équilibre de finaud entre tous les partis extrêmes, sorte de jésuite républicain et de champignon libéral de nature douteuse, comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel. He was one of those politicians with many faces, without conviction, without great means, without audacity and without serious knowledge, provincial advocate, pretty man of chief town, keeping a balance of finaud between all the extreme parties, kind of Republican Jesuit and liberal mushroom of dubious nature, as he pushes hundreds of them on the popular dung of universal suffrage.

Son machiavélisme de village le faisait passer pour fort parmi ses collègues, parmi tous les déclassés et les avortés dont on fait des députés. His village Machiavellianism made him look like one of his colleagues, among all the declassed and aborted deputies who are made deputies. Il était assez soigné, assez correct, assez familier, assez aimable pour réussir. He was pretty neat, quite decent, familiar enough, kind enough to succeed. Il avait des succès dans le monde, dans la société mêlée, trouble et peu fine des hauts fonctionnaires du moment. He had successes in the world, in the mixed society, disorder and little fine of the high officials of the moment.

On disait partout de lui : « Laroche sera ministre », et il pensait aussi plus fermement que tous les autres que Laroche serait ministre. It was said everywhere of him: "Laroche will be minister", and he also thought more firmly than all the others that Laroche would be minister.

Il était un des principaux actionnaires du journal du père Walter, son collègue et son associé en beaucoup d’affaires de finances. He was a major shareholder of Father Walter's newspaper, his colleague and his partner in many finance affairs.

Du Roy le soutenait avec confiance et avec des espérances confuses pour plus tard. Du Roy supported him with confidence and with confused hopes for later. Il ne faisait que continuer d’ailleurs l’œuvre commencée par Forestier, à qui Laroche-Mathieu avait promis la croix, quand serait venu le jour du triomphe. All he did was continue the work begun by Forestier, to whom Laroche-Mathieu had promised the cross, when the day of triumph would have come. La décoration irait sur la poitrine du nouveau mari de Madeleine ; voilà tout. The decoration would go to the breast of Madeleine's new husband; that is all. Rien n’était changé, en somme. Nothing was changed, in short.

On sentait si bien que rien n’était changé, que les confrères de Du Roy lui montaient une scie dont il commençait à se fâcher. We felt so well that nothing was changed, that Du Roy's colleagues were mounting a saw which he was beginning to get angry at.

On ne l’appelait plus que Forestier. It was only called Forestier.

Aussitôt qu’il arrivait au journal, quelqu’un criait : « Dis donc, Forestier. As soon as he arrived at the newspaper, someone shouted, "Say, Forestier. Il feignait de ne pas entendre et cherchait les lettres dans son casier. He pretended not to hear and looked for the letters in his locker. La voix reprenait, avec plus de force : « Hé ! The voice resumed, with more force: "Hey! Forestier.

» Quelques rires étouffés couraient. A few muffled laughs ran.

Comme Du Roy gagnait le bureau du directeur, celui qui l’avait appelé l’arrêtait : As Du Roy reached the director's office, the man who called him stopped him:

« Oh ! pardon ; c’est à toi que je veux parler. sorry ; I want to talk to you. C’est stupide, je te confonds toujours avec ce pauvre Charles. It's stupid, I always confuse you with poor Charles. Cela tient à ce que tes articles ressemblent bigrement aux siens. This is because your articles are very similar to his. Tout le monde s’y trompe. Everyone is mistaken. Du Roy ne répondait rien, mais il rageait ; et une colère sourde naissait en lui contre le mort. Du Roy answered nothing, but he was angry; and a dull anger was born in him against the dead.

Le père Walter lui-même avait déclaré, alors qu’on s’étonnait de similitudes flagrantes de tournures et d’inspiration entre les chroniques du nouveau rédacteur politique et celles de l’ancien : « Oui, c’est du Forestier, mais du Forestier plus nourri, plus nerveux, plus viril. Father Walter himself had stated, while people were astonished by the obvious similarities of turnings and inspiration between the chronicles of the new political editor and those of the old: "Yes, it is the Forestier, but the Forestier more fed, more nervous, more virile. Une autre fois, Du Roy en ouvrant par hasard l’armoire aux bilboquets avait trouvé ceux de son prédécesseur avec un crêpe autour du manche, et le sien, celui dont il se servait quand il s’exerçait sous la direction de Saint-Potin, était orné d’une faveur rose. Another time, Du Roy, by accidentally opening the cupboard with the bilboquets, had found those of his predecessor with a crepe around the neck, and his own, the one he used when he was exercising under the direction of Saint-Potin, was adorned with a pink favor. Tous avaient été rangés sur la même planche, par rang de taille ; et une pancarte, pareille à celle des musées, portait écrit : « Ancienne collection Forestier et Cie, Forestier-Du Roy, successeur, breveté S.G.D.G. All had been arranged on the same board, by size rank; and a sign, similar to that of the museums, wore written: "Former Forestier and Co. collection, Forestier-Du Roy, successor, patented SGDG Articles inusables pouvant servir en toutes circonstances, même en voyage. Durable items that can be used in all circumstances, even when traveling. Il referma l’armoire avec calme, en prononçant assez haut pour être entendu : He closed the closet calmly, pronouncing loud enough to be heard:

« Il y a des imbéciles et des envieux partout. "There are idiots and envious people everywhere. Mais il était blessé dans son orgueil, blessé dans sa vanité, cette vanité et cet orgueil ombrageux d’écrivain, qui produisent cette susceptibilité nerveuse toujours en éveil, égale chez le reporter et chez le poète génial. But he was wounded in his pride, wounded in his vanity, this vanity and this ominous pride of a writer, which produce this nervous susceptibility always on the alert, equal in the reporter and the brilliant poet.

Ce mot : « Forestier » déchirait son oreille ; il avait peur de l’entendre, et se sentait rougir en l’entendant. This word: "Forestier" tore his ear; he was afraid to hear it, and felt himself blush when he heard it.

Il était pour lui, ce nom, une raillerie mordante, plus qu’une raillerie, presque une insulte. It was for him, this name, a biting mockery, more than a taunt, almost an insult. Il lui criait : « C’est ta femme qui fait ta besogne comme elle faisait celle de l’autre. He shouted to her: "It is your wife who is doing your job as she did the job of the other. Tu ne serais rien sans elle. You would not be anything without her. Il admettait parfaitement que Forestier n’eût rien été sans Madeleine ; mais quant à lui, allons donc !

Puis, rentré chez lui, l’obsession continuait. Then, back home, the obsession continued. C’était la maison tout entière maintenant qui lui rappelait le mort, tout le mobilier, tous les bibelots, tout ce qu’il touchait. It was the whole house now that reminded him of the dead man, all the furniture, all the knick-knacks, everything he touched. Il ne pensait guère à cela dans les premiers temps ; mais la scie montée par ses confrères avait fait en son esprit une sorte de plaie qu’un tas de riens inaperçus jusqu’ici envenimaient à présent. He did not think much of it in the early days; but the saw mounted by his colleagues had made in his mind a sort of wound that a heap of unseen things hitherto poisoned now.

Il ne pouvait plus prendre un objet sans qu’il crût voir aussitôt la main de Charles posée dessus. Il ne regardait et ne maniait que des choses lui ayant servi autrefois, des choses qu’il avait achetées, aimées et possédées. He only looked and handled things that had once served him, things he had bought, loved, and possessed. Et Georges commençait à s’irriter même à la pensée des relations anciennes de son ami et de sa femme. And George began to get angry even at the thought of the old relations of his friend and his wife.

Il s’étonnait parfois de cette révolte de son cœur, qu’il ne comprenait point, et se demandait : « Comment diable cela se fait-il ? He was sometimes astonished at this revolt of his heart, which he did not understand, and asked himself: "How on earth is that? Je ne suis pas jaloux des amis de Madeleine. I'm not jealous of Madeleine's friends. Je ne m’inquiète jamais de ce qu’elle fait. I never worry about what she does. Elle rentre et sort à son gré, et le souvenir de cette brute de Charles me met en rage ! She comes in and out at will, and the memory of this brute of Charles makes me angry! Il ajoutait, mentalement : « Au fond, ce n’était qu’un crétin ; c’est sans doute ça qui me blesse. He added, mentally: "Basically, he was just a moron; that's probably what hurts me. Je me fâche que Madeleine ait pu épouser un pareil sot. I am angry that Madeleine was able to marry such a fool. Et sans cesse il se répétait : « Comment se fait-il que cette femme-là ait gobé un seul instant un semblable animal ? And he ceaselessly repeated to himself: "How is it that this woman has swallowed a similar animal for a moment? Et sa rancune s’augmentait chaque jour par mille détails insignifiants qui le piquaient comme des coups d’aiguille, par le rappel incessant de l’autre, venu d’un mot de Madeleine, d’un mot du domestique ou d’un mot de la femme de chambre. And his rancor increased every day by a thousand insignificant details which stung him like needle-throws, by the incessant reminder of the other, coming from a word of Madeleine, a word from the servant or a word of the maid.

Un soir, Du Roy qui aimait les plats sucrés demanda :

« Pourquoi n’avons-nous pas d’entremets ? "Why do not we have puddings? Tu n’en fais jamais servir. You never use it. La jeune femme répondit gaiement : The young woman replied cheerfully:

« C’est vrai, je n’y pense pas. "It's true, I do not think about it. Cela tient à ce que Charles les avait en horreur… » It's because Charles hated them ... "

Il lui coupa la parole dans un mouvement d’impatience dont il ne fut pas maître. He interrupted him in a movement of impatience of which he was not master.

« Ah ! tu sais, Charles commence à m’embêter. you know, Charles starts to bother me. C’est toujours Charles par-ci, Charles par-là. It's always Charles here, Charles there. Charles aimait ci, Charles aimait ça. Puisque Charles est crevé, qu’on le laisse tranquille. Since Charles is dead, leave him alone. Madeleine regardait son mari avec stupeur, sans rien comprendre à cette colère subite. Madeleine looked at her husband with astonishment, without understanding anything about this sudden anger. Puis, comme elle était fine, elle devina un peu ce qui se passait en lui, ce travail lent de jalousie posthume grandissant à chaque seconde par tout ce qui rappelait l’autre. Then, as she was fine, she guessed a little what was happening in him, this slow work of posthumous jealousy growing every second with everything that reminded the other.

Elle jugea cela puéril, peut-être, mais elle fut flattée et ne répondit rien. She thought it was childish, perhaps, but she was flattered and did not answer.

Il s’en voulut, lui, de cette irritation, qu’il n’avait pu cacher. He was angry at this irritation, which he could not hide. Or, comme ils faisaient, ce soir-là, après dîner, un article pour le lendemain, il s’embarrassa dans la chancelière. Now, as they were doing an article for dinner that evening after dinner, he got into the Chancellor. Ne parvenant point à la retourner, il la rejeta d’un coup de pied, et demanda en riant : Not being able to turn her around, he kicked her away and asked, laughing:

« Charles avait donc toujours froid aux pattes ? "Charles was always cold on his feet? Elle répondit, riant aussi : She answered, laughing too:

« Oh ! il vivait dans la terreur des rhumes ; il n’avait pas la poitrine solide. he lived in the terror of colds; he did not have a strong chest. Du Roy reprit avec férocité : « Il l’a bien prouvé, d’ailleurs. Du Roy went on ferociously: "He has proved it, moreover. » Puis il ajouta avec galanterie : « Heureusement pour moi. Then he gallantly added: "Fortunately for me. » Et il baisa la main de sa femme.

Mais en se couchant, toujours hanté par la même pensée, il demanda encore :

« Est-ce que Charles portait des bonnets de coton pour éviter les courants d’air dans les oreilles ? "Did Charles wear cotton caps to prevent drafts in the ears? Elle se prêta à la plaisanterie et répondit : She made a joke and replied:

« Non, un madras noué sur le front. "No, a madras knotted on the forehead. Georges haussa les épaules et prononça avec un mépris supérieur : George shrugged his shoulders and said with superior scorn:

« Quel serin ! "What a cannon! Dès lors, Charles devint pour lui un sujet d’entretien continuel. From that moment Charles became for him a subject of continual conversation. Il parlait de lui à tout propos, ne l’appelant plus que : « ce pauvre Charles », d’un air de pitié infinie. He spoke of him at all times, calling him only "poor Charles," with an air of infinite pity.

Et quand il revenait du journal, où il s’était entendu deux ou trois fois interpeller sous le nom de Forestier, il se vengeait en poursuivant le mort de railleries haineuses au fond de son tombeau. And when he came back from the paper, where he had called two or three times under the name of Forestier, he avenged himself by pursuing the death of hateful railleries in the depths of his tomb. Il rappelait ses défauts, ses ridicules, ses petitesses, les énumérait avec complaisance, les développant et les grossissant comme s’il eût voulu combattre, dans le cœur de sa femme, l’influence d’un rival redouté. He recalled his faults, his absurdities, his pettiness, enumerated them with complacency, developing and enlarging them as if he wished to fight in the heart of his wife the influence of a dreaded rival.

Il répétait :

« Dis donc, Made, te rappelles-tu le jour où ce cornichon de Forestier a prétendu nous prouver que les gros hommes étaient plus vigoureux que les maigres ? "Tell me, Made, do you remember the day that Forestier's gherkin pretended to prove to us that fat men were more vigorous than skinny men? Puis il voulut savoir sur le défunt un tas de détails intimes et secrets que la jeune femme, mal à l’aise, refusait de dire. Then he wanted to know about the deceased a lot of intimate and secret details that the young woman, uncomfortable, refused to say. Mais il insistait, s’obstinait.

« Allons, voyons, raconte-moi ça. "Come, come, tell me that. Il devait être bien drôle dans ce moment-là ? He must have been very funny at the time? Elle murmurait du bout des lèvres : She murmured with her lips:

« Voyons, laisse-le tranquille, à la fin. "Come on, leave him alone at the end. Il reprenait : He continued:

« Non, dis-moi ! " No tell me ! c’est vrai qu’il devait être godiche au lit, cet animal ! it is true that he must be a godiche in bed, this animal! Et il finissait toujours par conclure :

« Quelle brute c’était ! Un soir, vers la fin de juin, comme il fumait une cigarette à sa fenêtre, la grande chaleur de la soirée lui donna l’envie de faire une promenade. One evening towards the end of June, as he was smoking a cigarette at his window, the warmth of the evening made him want to take a walk.

Il demanda :

Ma petite Made, veux-tu venir jusqu’au Bois ?

– Mais oui, certainement. Ils prirent un fiacre découvert, gagnèrent les Champs-Élysées, puis l’avenue du Bois-de-Boulogne. C’était une nuit sans vent, une de ces nuits d’étuve où l’air de Paris surchauffé entre dans la poitrine comme une vapeur de four. It was a windless night, one of those nights in the oven where the air of Paris overheated enters the chest like a steam oven. Une armée de fiacres menait sous les arbres tout un peuple d’amoureux. Ils allaient, ces fiacres, l’un derrière l’autre, sans cesse. They went, these cabs, one behind the other, constantly.

Georges et Madeleine s’amusaient à regarder tous ces couples enlacés, passant dans ces voitures, la femme en robe claire et l’homme sombre. Georges and Madeleine enjoyed watching all those couples in their embrace, passing by in those cars, the woman in the light dress and the dark man. C’était un immense fleuve d’amants qui coulait vers le Bois sous le ciel étoilé et brûlant. On n’entendait aucun bruit que le sourd roulement des roues sur la terre. There was no sound except the muffled rolling of the wheels on the ground. Ils passaient, passaient, les deux êtres de chaque fiacre, allongés sur les coussins, muets, serrés l’un contre l’autre, perdus dans d’hallucination du désir, frémissant dans l’attente de l’étreinte prochaine. They passed, passed, the two beings of each cab, lying on the cushions, mute, pressed against each other, lost in hallucination of desire, quivering in anticipation of the next embrace. L’ombre chaude semblait pleine de baisers. The warm shadow seemed full of kisses. Une sensation de tendresse flottante, d’amour bestial épandu alourdissait l’air, le rendait plus étouffant. A sensation of floating tenderness, of bestial love spread over the air, made the air more suffocating. Tous ces gens accouplés, grisés de la même pensée, de la même ardeur, faisaient courir une fièvre autour d’eux. All these mated people, intoxicated with the same thought, the same ardor, made a fever run about them. Toutes ces voitures chargées d’amour, sur qui semblaient voltiger des caresses, jetaient sur leur passage une sorte de souffle sensuel, subtil et troublant. All these cars loaded with love, on which seemed to hover caresses, threw in their way a kind of sensual, subtle and disturbing breath.

Georges et Madeleine se sentirent eux-mêmes gagnés par la contagion de la tendresse. Georges and Madeleine felt themselves won over by the contagion of tenderness. Ils se prirent doucement la main, sans dire un mot, un peu oppressés par la pesanteur de l’atmosphère et par l’émotion qui les envahissait. They took each other's hands gently, without saying a word, a little oppressed by the gravity of the atmosphere and the emotion which invaded them.

Comme ils arrivaient au tournant qui suit les fortifications, ils s’embrassèrent, et elle balbutia un peu confuse : As they arrived at the turn that follows the fortifications, they kissed, and she stammered a little confused:

« Nous sommes aussi gamins qu’en allant à Rouen. "We are as kids as when we go to Rouen. Le grand courant des voitures s’était séparé à l’entrée des taillis. The great current of cars had separated at the entrance of the thickets. Dans le chemin des Lacs que suivaient les jeunes gens, les fiacres s’espaçaient un peu, mais la nuit épaisse des arbres, l’air vivifié par les feuilles et par l’humidité des ruisselets qu’on entendait couler sous les branches, une sorte de fraîcheur du large espace nocturne tout paré d’astres, donnaient aux baisers des couples roulants un charme plus pénétrant et une ombre plus mystérieuse. In the Lakes' path, which the young men followed, the cabs were spaced a little apart, but the thick night of the trees, the air vivified by the leaves, and the dampness of the rivulets which were heard running under the branches, a kind of freshness of the wide nocturnal space all adorned with stars, gave the kisses of the couples a more penetrating charm and a more mysterious shadow.

Georges murmura : « Oh ! ma petite Made », en la serrant contre lui. my little Made, "pressing her against him.

Elle lui dit :

« Te rappelles-tu la forêt de chez toi, comme c’était sinistre. "Do you remember the forest of your home, how sinister it was? Il me semblait qu’elle était pleine de bêtes affreuses et qu’elle n’avait pas de bout. It seemed to me that she was full of dreadful beasts and that she had no end. Tandis qu’ici, c’est charmant. While here, it's charming. On sent des caresses dans le vent, et je sais bien que Sèvres est de l’autre côté du Bois. We feel caresses in the wind, and I know that Sevres is on the other side of the Wood. Il répondit :

« Oh ! dans la forêt de chez moi, il n’y avait pas autre chose que des cerfs, des renards, des chevreuils et des sangliers, et, par-ci, par-là, une maison de forestier. in the forest of my home there was nothing but deer, foxes, deer, and boars, and here and there a forest house. Ce mot, ce nom du mort sorti de sa bouche, le surprit comme si quelqu’un le lui eût crié du fond d’un fourré, et il se tut brusquement, ressaisi par ce malaise étrange et persistant, par cette irritation jalouse, rongeuse, invincible qui lui gâtait la vie depuis quelque temps. This word, the name of the dead man coming out of his mouth, surprised him as if someone had shouted at him from the bottom of a thicket, and he was suddenly silent, reappeared by this strange and persistent malaise, by this jealous, raging irritation invincible that had spoiled his life for some time.

Au bout d’une minute, il demanda :

« Es-tu venue quelquefois ici comme ça, le soir, avec Charles ? Elle répondit :

« Mais oui, souvent. Et, tout à coup, il eut envie de retourner chez eux, une envie nerveuse qui lui serrait le cœur. Mais l’image de Forestier était rentrée en son esprit, le possédait, l’étreignait. But Forestier's image had returned to his mind, possessed it, embraced it. Il ne pouvait plus penser qu’à lui, parler que de lui. He could think only of himself, speak only of himself.

Il demanda avec un accent méchant : He asked with a nasty accent:

« Dis donc, Made ? "Say so, Made?

– Quoi, mon ami ?

– L’as-tu fait cocu, ce pauvre Charles' ? "Did you make him cuckold, poor Charles?" Elle murmura, dédaigneuse : She murmured, disdainful:

« Que tu deviens bête avec ta rengaine. "That you become stupid with your tune. Mais il ne lâchait pas son idée. But he did not let go of his idea.

« Voyons, ma petite Made, sois bien franche, avoue-le ? "Come, my little Made, be very frank, admit it? Tu l’as fait cocu, dis ? You did it cuckold, say? Avoue que tu l’as fait cocu ? Admit that you did it cuckold? Elle se taisait, choquée comme toutes les femmes le sont par ce mot. She was silent, shocked as all women are by this word.

Il reprit, obstiné : He resumed, obstinate:

« Sacristi, si quelqu’un en avait la tête, c’est bien lui, par exemple. "Sacristi, if someone had their minds, it's him, for example. Oh ! oui, oh ! oui. C’est ça qui m’amuserait de savoir si Forestier était cocu. That's what I'd like to know if Forestier was a cuckold. Hein ! quelle bonne binette de jobard ? what a good hoe jobard? Il sentit qu’elle souriait à quelque souvenir peut-être, et il insista : He felt that she was smiling at some memory perhaps, and he insisted:

« Voyons, dis-le. Qu’est-ce que ça fait ? What does it do ? Ce serait bien drôle, au contraire, de m’avouer que tu l’as trompé, de m’avouer ça, à moi. It would be very funny, on the contrary, to admit to me that you have deceived him, to confess that to me. Il frémissait, en effet, de l’espoir et de l’envie que Charles, l’odieux Charles, le mort détesté, le mort exécré, eût porté ce ridicule honteux. He shuddered, in fact, with the hope and envy that Charles, the odious Charles, the hated man, the execrated death, would have borne this ridiculous shame. Et pourtant… pourtant une autre émotion, plus confuse, aiguillonnait son désir de savoir. And yet ... yet another emotion, more confused, spurred his desire to know.

Il répétait :

« Made, ma petite Made, je t’en prie, dis-le. En voilà un qui ne l’aurait pas volé. Here is one who would not have stolen it. Tu aurais eu joliment tort de ne pas lui faire porter ça. You would have been nicely wrong not to make him wear that. Voyons, Made, avoue. Let's see, Made, confess. Elle trouvait plaisante, maintenant, sans doute, cette insistance, car elle riait, par petits rires brefs, saccadés. She thought it was pleasant, now, no doubt, this insistence, for she laughed, in short, jerky, jerky laughter.

Il avait mis ses lèvres tout près de l’oreille de sa femme : He put his lips close to his wife's ear:

« Voyons… voyons… avoue-le. "Come on ... let's see ... admit it. Elle s’éloigna d’un mouvement sec et déclara brusquement : She moved away with a dry movement and declared abruptly:

« Mais tu es stupide. "But you are stupid. Est-ce qu’on répond à des questions pareilles ? Are we answering such questions? Elle avait dit cela d’un ton si singulier qu’un frisson de froid courut dans les veines de son mari et il demeura interdit, effaré, un peu essoufflé, comme s’il avait reçu une commotion morale. She had said that in such a singular tone that a shiver of cold ran through her husband's veins, and he remained forbidden, frightened, a little out of breath, as if he had received a moral shock.

Le fiacre maintenant longeait le lac, où le ciel semblait avoir égrené ses étoiles. The cab now skirted the lake, where the sky seemed to have gnashed its stars. Deux cygnes vagues nageaient très lentement, à peine visibles dans l’ombre.

Georges cria au cocher : George shouted to the coachman:

« Retournons, « Et la voiture s’en revint, croisant les autres, qui allaient au pas, et dont les grosses lanternes brillaient comme des yeux dans la nuit du Bois. "Let's go back," and the car came back, crossing the others, who were going at a walk, and whose big lanterns shone like eyes in the night of the Wood.

Comme elle avait dit cela d’une étrange façon ! How she said that in a strange way! Du Roy se demandait : « Est-ce un aveu ? Du Roy wondered: "Is this an admission? » Et cette presque certitude qu’elle avait trompé son premier mari l’affolait de colère à présent. And this almost certainty that she had cheated on her first husband was now frightening her with anger. Il avait envie de la battre, de l’étrangler, de lui arracher les cheveux ! He wanted to beat her, to strangle her, to tear her hair!

Oh ! si elle lui eût répondu : « Mais, mon chéri, si j’avais dû le tromper, c’est avec toi que je l’aurais fait. if she had answered him: "But, my darling, if I had had to deceive him, it is with you that I would have done it. » Comme il l’aurait embrassée, étreinte, adorée ! As he would have kissed her, hug, adored!

Il demeurait immobile, les bras croisés, les yeux au ciel, l’esprit trop agité pour réfléchir encore. He remained motionless, his arms crossed, his eyes to heaven, his mind too agitated to think again. Il sentait seulement en lui fermenter cette rancune et grossir cette colère qui couvent au cœur de tous les mâles devant les caprices du désir féminin. He felt only by fermenting this rancor to him and swelling that anger which broods in the heart of all males in the face of the caprices of feminine desire. Il sentait pour la première fois cette angoisse confuse de l’époux qui soupçonne ! He felt for the first time that confused anguish of the husband who suspects! Il était jaloux enfin, jaloux pour le mort, jaloux pour le compte de Forestier ! He was jealous at last, jealous for the dead, jealous on behalf of Forestier! jaloux d’une étrange et poignante façon, où entrait subitement de la haine contre Madeleine. jealous of a strange and poignant manner, where hatred suddenly entered against Madeleine. Puisqu’elle avait trompé l’autre, comment pourrait-il avoir confiance en elle, lui ! Since she had deceived the other, how could he trust her?

Puis, peu à peu, une espèce de calme se fit en son esprit, et se roidissant contre sa souffrance, il pensa : « Toutes les femmes sont des filles, il faut s’en servir et ne rien leur donner de soi. Then, little by little, a kind of calm became in his mind, and stiffening against his suffering, he thought: "All women are girls, we must use them and give them nothing of their own. L’amertume de son cœur lui montait aux lèvres en paroles de mépris et de dégoût. The bitterness of his heart rose to his lips in words of scorn and disgust. Il ne les laissa point s’épandre cependant. He did not allow them to spread, however. Il se répétait : « Le monde est aux forts. He repeated to himself: "The world is strong. Il faut être fort. You have to be strong. Il faut être au-dessus de tout. You have to be above everything. La voiture allait plus vite. The car was going faster. Elle repassa les fortifications. She repassed the fortifications. Du Roy regardait devant lui une clarté rougeâtre dans le ciel, pareille à une lueur de forge démesurée ; et il entendait une rumeur confuse, immense, continue, faite de bruits innombrables et différents, une rumeur sourde, proche, lointaine, une vague et énorme palpitation de vie, le souffle de Paris respirant, dans cette nuit d’été, comme un colosse épuisé de fatigue. Du Roy stared before him with a reddish light in the sky, like a gleam of excessive forge; and he heard a confused noise, immense, continuous, made of innumerable and different noises, a muffled rumor, near, distant, a vague and enormous palpitation of life, the breath of Paris breathing, in this summer night, like a colossus exhausted from fatigue.

Georges songeait : « Je serais bien bête de me faire de la bile. Georges was thinking: "I would be very stupid to make myself bile. Chacun pour soi. Each for himself. La victoire est aux audacieux. Victory is for the daring. Tout n’est que de l’égoïsme. All is only egoism. L’égoïsme pour l’ambition et la fortune vaut mieux que l’égoïsme pour la femme et pour l’amour. Selfishness for ambition and fortune is better than selfishness for woman and for love. L’arc de triomphe de l’Étoile apparaissait debout à l’entrée de la ville sur ses deux jambes monstrueuses, sorte de géant informe qui semblait prêt à se mettre en marche pour descendre la large avenue ouverte devant lui. The Arc de Triomphe of the Star appeared standing at the entrance of the city on its two monstrous legs, a kind of shapeless giant who seemed ready to march down the wide open avenue in front of him.

Georges et Madeleine se retrouvaient là dans le défilé des voitures ramenant au logis, au lit désiré, l’éternel couple, silencieux et enlacé. George and Madeleine were there in the parade of cars bringing home, to the desired bed, the eternal couple, silent and entwined. Il semblait que l’humanité tout entière glissait à côté d’eux, grise de joie, de plaisir, de bonheur. It seemed that the whole of humanity was sliding beside them, gray with joy, pleasure, happiness.

La jeune femme, qui avait bien pressenti quelque chose de ce qui se passait en son mari, demanda de sa voix douce : The young woman, who had sensed something of what was going on in her husband, asked in her soft voice:

« À quoi songes-tu, mon ami ? "What are you thinking about, my friend? Depuis une demi-heure tu n’as point prononcé une parole. For half an hour you have not spoken a word. Il répondit en ricanant : He replied with a sneer:

« Je songe à tous ces imbéciles qui s’embrassent, et je me dis que, vraiment, on a autre chose à faire dans l’existence. "I think of all these idiots who kiss each other, and I tell myself that, really, we have something else to do in life. Elle murmura :

« Oui… mais c’est bon quelquefois. "Yes ... but it's good sometimes.

– C’est bon… c’est bon… quand on n’a rien de mieux ! - It's good ... it's good ... when we have nothing better! La pensée de Georges allait toujours, dévêtant la vie de sa robe de poésie, dans une sorte de rage méchante : « Je serais bien bête de me gêner, de me priver de quoi que ce soit, de me troubler, de me tracasser, de me ronger l’âme comme je le fais depuis quelque temps. The thought of Georges was still going on, unraveling the life of his poetry dress, in a kind of malicious rage: "I would be very stupid to embarrass myself, to deprive myself of anything, to trouble myself, to worry me, to to gnaw at my soul as I have been doing for some time. » L’image de Forestier lui traversa l’esprit sans y faire naître aucune irritation. Forestier's image crossed his mind without causing any irritation. Il lui sembla qu’ils venaient de se réconcilier, qu’ils redevenaient amis. It seemed to him that they had just been reconciled, that they were becoming friends again. Il avait envie de lui crier : « Bonsoir, vieux. He wanted to shout, "Good evening, old man. Madeleine, que ce silence gênait, demanda : Madeleine, who was embarrassed by this silence, asked:

« Si nous allions prendre une glace chez Tortoni, avant de rentrer. "If we went to get an ice cream at Tortoni, before going home. Il la regarda de coin. He looked at her from the corner. Son fin profil blond lui apparut sous l’éclat vif d’une guirlande de gaz qui annonçait un café-chantant. His thin blond profile appeared to him in the bright glow of a garland of gas that announced a coffee-singing.

Il pensa : « Elle est jolie ! He thought, "She is pretty! Eh ! Hey! tant mieux. all the better. À bon chat bon rat, ma camarade. Good cat, my friend. Mais si on me reprend à me tourmenter pour toi, il fera chaud au pôle Nord. But if you take me back to torment me for you, it will be hot at the North Pole. » Puis il répondit : « Mais certainement, ma chérie. Then he replied, "But certainly, my darling. » Et, pour qu’elle ne devinât rien, il l’embrassa. And so that she could guess nothing, he kissed her.

Il sembla à la jeune femme que les lèvres de son mari étaient glacées. It seemed to the young woman that her husband's lips were icy.

Il souriait cependant de son sourire ordinaire en lui donnant la main pour descendre devant les marches du café. He smiled, however, with his usual smile, giving him his hand to go down to the steps of the cafe.