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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 1

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 1

– I – Georges Duroy avait retrouvé toutes ses habitudes anciennes.

Installé maintenant dans le petit rez-de-chaussée de la rue de Constantinople, il vivait sagement, en homme qui prépare une existence nouvelle.

Ses relations avec Mme de Marelle avaient même pris une allure conjugale, comme s'il se fût exercé d'avance à l'événement prochain ; et sa maîtresse, s'étonnant souvent de la tranquillité réglée de leur union, répétait en riant : « Tu es encore plus popote que mon mari, ça n'était pas la peine de changer. Mme Forestier n'était pas revenue.

Elle s'attardait à Cannes. Il reçut une lettre d'elle, annonçant son retour seulement pour le milieu d'avril, sans un mot d'allusion à leurs adieux. Il attendit. Il était bien résolu maintenant à prendre tous les moyens pour l'épouser, si elle semblait hésiter. Mais il avait confiance en sa fortune, confiance en cette force de séduction qu'il sentait en lui, force vague et irrésistible que subissaient toutes les femmes. Un court billet le prévint que l'heure décisive allait sonner.

« Je suis à Paris.

Venez me voir. « MADELEINE FORESTIER.

Rien de plus.

Il l'avait reçu par le courrier de neuf heures. Il entrait chez elle à trois heures, le même jour. Elle lui tendit les deux mains, en souriant de son joli sourire aimable ; et ils se regardèrent pendant quelques secondes, au fond des yeux.

Puis elle murmura :

« Comme vous avez été bon de venir là-bas dans ces circonstances terribles.

Il répondit :

« J'aurais fait tout ce que vous m'auriez ordonné.

Et ils s'assirent.

Elle s'informa des nouvelles, des Walter, de tous les confrères et du journal. Elle y pensait souvent, au journal. « Ça me manque beaucoup, disait-elle, mais beaucoup.

J'étais devenue journaliste dans l'âme. Que voulez-vous, j'aime ce métier-là. Puis elle se tut.

Il crut comprendre, il crut trouver dans son sourire, dans le ton de sa voix, dans ses paroles elles-mêmes, une sorte d'invitation ; et bien qu'il se fût promis de ne pas brusquer les choses, il balbutia : « Eh bien… pourquoi… pourquoi ne le reprendriez-vous pas… ce métier… sous… sous le nom de Duroy ?

Elle redevint brusquement sérieuse et, posant la main sur son bras, elle murmura :

« Ne parlons pas encore de ça.

Mais il devina qu'elle acceptait, et tombant à genoux il se mit à lui baiser passionnément les mains en répétant, en bégayant :

« Merci, merci, comme je vous aime !

Elle se leva.

Il fit comme elle et il s'aperçut qu'elle était fort pâle. Alors il comprit qu'il lui avait plu, depuis longtemps peut-être ; et comme ils se trouvaient face à face, il l'étreignit, puis il l'embrassa sur le front, d'un long baiser tendre et sérieux. Quand elle se fut dégagée, en glissant sur sa poitrine, elle reprit d'un ton grave :

« Écoutez, mon ami, je ne suis encore décidée à rien.

Cependant il se pourrait que ce fût oui. Mais vous allez me promettre le secret absolu jusqu'à ce que je vous en délie. Il jura et partit, le cœur débordant de joie.

Il mit désormais beaucoup de discrétion dans les visites qu'il lui fit et il ne sollicita pas de consentement plus précis, car elle avait une manière de parler de l'avenir, de dire « plus tard », de faire des projets où leurs deux existences se trouvaient mêlées, qui répondait sans cesse, mieux et plus délicatement, qu'une formelle acceptation.

Duroy travaillait dur, dépensait peu, tâchait d'économiser quelque argent pour n'être point sans le sou au moment de son mariage, et il devenait aussi avare qu'il avait été prodigue.

L'été se passa, puis l'automne, sans qu'aucun soupçon vînt à personne, car ils se voyaient peu, et le plus naturellement du monde.

Un soir Madeleine lui dit, en le regardant au fond des yeux :

« Vous n'avez pas encore annoncé notre projet à Mme de Marelle ?

– Non, mon amie.

Vous ayant promis le secret je n'en ai ouvert la bouche à âme qui vive. – Eh bien, il serait temps de la prévenir.

Moi, je me charge des Walter. Ce sera fait cette semaine, n'est-ce pas ? Il avait rougi.

« Oui, dès demain.

Elle détourna doucement les yeux, comme pour ne point remarquer son trouble, et reprit :

« Si vous le voulez, nous pourrons nous marier au commencement de mai.

Ce serait très convenable. – J'obéis en tout avec joie.

– Le 10 mai, qui est un samedi, me plairait beaucoup, parce que c'est mon jour de naissance.

– Soit, le 10 mai.

– Vos parents habitent près de Rouen, n'est-ce pas ?

Vous me l'avez dit du moins. – Oui, près de Rouen, à Canteleu.

– Qu'est-ce qu'ils font ?

– Ils sont… ils sont petits rentiers.

– Ah !

J'ai un grand désir de les connaître. Il hésita, fort perplexe :

« Mais… c'est que, ils sont… »

Puis il prit son parti en homme vraiment fort :

« Ma chère amie, ce sont des paysans, des cabaretiers qui se sont saignés aux quatre membres pour me faire faire des études.

Moi, je ne rougis pas d'eux, mais leur… simplicité… leur… rusticité pourrait peut-être vous gêner. Elle souriait délicieusement, le visage illuminé d'une bonté douce.

« Non.

Je les aimerai beaucoup. Nous irons les voir. Je le veux. Je vous reparlerai de ça. Moi aussi je suis fille de petite gens… mais je les ai perdus, moi, mes parents. Je n'ai plus personne au monde… – elle lui tendit la main et ajouta… – que vous. Et il se sentit attendri, remué, conquis comme il ne l'avait pas encore été par aucune femme.

« J'ai pensé à quelque chose, dit-elle, mais c'est assez difficile à expliquer.

Il demanda :

« Quoi donc ?

– Eh bien, voilà, mon cher, je suis comme toutes les femmes, j'ai mes… mes faiblesses, mes petitesses, j'aime ce qui brille, ce qui sonne.

J'aurais adoré porter un nom noble. Est-ce que vous ne pourriez pas, à l'occasion de notre mariage, vous… vous anoblir un peu ? Elle avait rougi, à son tour ; comme si elle lui eût proposé une indélicatesse.

Il répondit simplement :

« J'y ai bien souvent songé, mais cela ne me paraît pas facile.

– Pourquoi donc ?

Il se mit à rire :

« Parce que j'ai peur de me rendre ridicule.

Elle haussa les épaules :

« Mais pas du tout, pas du tout.

Tout le monde le fait et personne n'en rit. Séparez votre nom en deux : « Du Roy. » Ça va très bien. Il répondit aussitôt, en homme qui connaît la question :

« Non, ça ne va pas.

C'est un procédé trop simple, trop commun, trop connu. Moi j'avais pensé à prendre le nom de mon pays, comme pseudonyme littéraire d'abord, puis à l'ajouter peu à peu au mien, puis même, plus tard, à couper en deux mon nom comme vous me le proposiez. Elle demanda :

« Votre pays c'est Canteleu ?

– Oui.

Mais elle hésitait :

« Non.

Je n'en aime pas la terminaison. Voyons, est-ce que nous ne pourrions pas modifier un peu ce mot… Canteleu ? Elle avait pris une plume sur la table et elle griffonnait des noms en étudiant leur physionomie.

Soudain elle s'écria : « Tenez, tenez, voici.

Et elle lui tendit un papier où il lut « Madame Duroy de Cantel.

Il réfléchit quelques secondes, puis il déclara avec gravité :

« Oui, c'est très bon.

Elle était enchantée et répétait :

« Duroy de Cantel, Duroy de Cantel, Madame Duroy de Cantel.

C'est excellent, excellent ! Elle ajouta, d'un air convaincu :

« Et vous verrez comme c'est facile à faire accepter par tout le monde.

Mais il faut saisir l'occasion. Car il serait trop tard ensuite. Vous allez, dès demain, signer vos chroniques D. de Cantel, et vos échos tout simplement Duroy. Ça se fait tous les jours dans la presse et personne ne s'étonnera de vous voir prendre un nom de guerre. Au moment de notre mariage, nous pourrons encore modifier un peu cela en disant aux amis que vous aviez renoncé à votre du par modestie, étant donné votre position, ou même sans rien dire du tout. Quel est le petit nom de votre père ? – Alexandre.

Elle murmura deux ou trois fois de suite : « Alexandre, Alexandre », en écoutant la sonorité des syllabes, puis elle écrivit sur une feuille toute blanche :

« Monsieur et Madame Alexandre du Roy de Cantel ont l'honneur de vous faire part du mariage de Monsieur Georges du Roy de Cantel, leur fils, avec Madame Madeleine Forestier.

Elle regardait son écriture d'un peu loin, ravie de l'effet, et elle déclara :

« Avec un rien de méthode, on arrive à réussir tout ce qu'on veut.

Quand il se retrouva dans la rue, bien déterminé à s'appeler désormais du Roy, et même du Roy de Cantel, il lui sembla qu'il venait de prendre une importance nouvelle.

Il marchait plus crânement, le front plus haut, la moustache plus fière, comme doit marcher un gentilhomme. Il sentait en lui une sorte d'envie joyeuse de raconter aux passants : « Je m'appelle du Roy de Cantel.

Mais à peine rentré chez lui, la pensée de Mme de Marelle l'inquiéta et il lui écrivit aussitôt, afin de lui demander un rendez-vous pour le lendemain.

« Ça sera dur, pensait-il.

Je vais recevoir une bourrasque de premier ordre. Puis il en prit son parti avec l'insouciance naturelle qui lui faisait négliger les choses désagréables de la vie, et il se mit à faire un article fantaisiste sur les impôts nouveaux à établir afin de rassurer l'équilibre du budget.

Il y fit figurer la particule nobiliaire pour cent francs par an, et les titres, depuis baron jusqu'à prince, pour cinq cents jusqu'à mille francs.

Et il signa : D. de Cantel.

Il reçut le lendemain un petit bleu de sa maîtresse annonçant qu'elle arriverait à une heure.

Il l'attendit avec un peu de fièvre, résolu d'ailleurs à brusquer les choses, à tout dire dès le début, puis, après la première émotion, à argumenter avec sagesse pour lui démontrer qu'il ne pouvait pas rester garçon indéfiniment, et que M. de Marelle s'obstinant à vivre, il avait dû songer à une autre qu'elle pour en faire sa compagne légitime.

Il se sentait ému cependant.

Quand il entendit le coup de sonnette, son cœur se mit à battre. Elle se jeta dans ses bras.

» Bonjour, Bel-Ami. Puis, trouvant froide son étreinte, elle le considéra et demanda :

« Qu'est-ce que tu as ?

– Assieds-toi, dit-il.

Nous allons causer sérieusement. Elle s'assit sans ôter son chapeau, relevant seulement sa voilette jusqu'au-dessus du front, et elle attendit.

Il avait baissé les yeux ; il préparait son début.

Il commença d'une voix lente : « Ma chère amie, tu me vois fort troublé, fort triste et fort embarrassé de ce que j'ai à t'avouer.

Je t'aime beaucoup, je t'aime vraiment du fond du cœur, aussi la crainte de te faire de la peine m'afflige-t-elle plus encore que la nouvelle même que je vais t'apprendre. Elle pâlissait, se sentant trembler, et elle balbutia :

« Qu'est-ce qu'il y a ?

Dis vite ! Il prononça d'un ton triste mais résolu, avec cet accablement feint dont on use pour annoncer les malheurs heureux : « Il y a que je me marie.

Elle poussa un soupir de femme qui va perdre connaissance, un soupir douloureux venu du fond de la poitrine, et elle se mit à suffoquer, sans pouvoir parler, tant elle haletait.

Voyant qu'elle ne disait rien, il reprit :

« Tu ne te figures pas combien j'ai souffert avant d'arriver à cette résolution.

Mais je n'ai ni situation ni argent. Je suis seul, perdu dans Paris. Il me fallait auprès de moi quelqu'un qui fût surtout un conseil, une consolation et un soutien. C'est une associée, une alliée que j'ai cherchée et que j'ai trouvée. Il se tut, espérant qu'elle répondrait, s'attendant à une colère furieuse, à des violences, à des injures.

Elle avait appuyé une main sur son cœur comme pour le contenir et elle respirait toujours par secousses pénibles qui lui soulevaient les seins et lui remuaient la tête.

Il prit la main restée sur le bras du fauteuil, mais elle la retira brusquement.

Puis elle murmura comme tombée dans une sorte d'hébétude : « Oh !… mon Dieu… »

Il s'agenouilla devant elle, sans oser la toucher cependant, et il balbutia, plus ému par ce silence qu'il ne l'eût été par des emportements :

« Clo, ma petite Clo, comprends bien ma situation, comprends bien ce que je suis.

Oh !

si j'avais pu t'épouser, toi, quel bonheur ! Mais tu es mariée. Que pouvais-je faire ? Réfléchis, voyons, réfléchis ! Il faut que je me pose dans le monde, et je ne le puis pas faire tant que je n'aurai pas d'intérieur. Si tu savais !… Il y a des jours où j'avais envie de tuer ton mari… » Il parlait de sa voix douce, voilée, séduisante, une voix qui entrait comme une musique dans l'oreille.

Il vit deux larmes grossir lentement dans les yeux fixes de sa maîtresse, puis couler sur ses joues, tandis que deux autres se formaient déjà au bord des paupières. Il murmura :

« Oh !

ne pleure pas, Clo, ne pleure pas, je t'en supplie. Tu me fends le cœur. Alors, elle fit un effort, un grand effort pour être digne et fière ; et elle demanda avec ce ton chevrotant des femmes qui vont sangloter :

« Qui est-ce ?

Il hésita une seconde, puis, comprenant qu'il le fallait :

« Madeleine Forestier.

Mme de Marelle tressaillit de tout son corps, puis elle demeura muette, songeant avec une telle attention qu'elle paraissait avoir oublié qu'il était à ses pieds.

Et deux gouttes transparentes se formaient sans cesse dans ses yeux, tombaient, se reformaient encore.

Elle se leva.

Duroy devina qu'elle allait partir sans lui dire un mot, sans reproches et sans pardon : et il en fut blessé, humilié au fond de l'âme. Voulant la retenir, il saisit à pleins bras sa robe, enlaçant à travers l'étoffe ses jambes rondes qu'il sentit se roidir pour résister. Il suppliait :

« Je t'en conjure, ne t'en va pas comme ça.

» Alors elle le regarda, de haut en bas, elle le regarda avec cet œil mouillé, désespéré, si charmant et si triste qui montre toute la douleur d'un cœur de femme, et elle balbutia : « Je n'ai… je n'ai rien à dire… je n'ai… rien à faire… Tu… tu as raison… tu… tu… as bien choisi ce qu'il te fallait… » Et s'étant dégagée d'un mouvement en arrière, elle s'en alla, sans qu'il tentât de la retenir plus longtemps.

Demeuré seul, il se releva, étourdi comme s'il avait reçu un horion sur la tête ; puis prenant son parti, il murmura : « Ma foi, tant pis ou tant mieux.

Ça y est… sans scène. J'aime autant ça. » Et, soulagé d'un poids énorme, se sentant tout à coup libre, délivré, à l'aise pour sa vie nouvelle, il se mit à boxer contre le mur en lançant de grands coups de poing, dans une sorte d'ivresse de succès et de force, comme s'il se fût battu contre la Destinée. Quand Mme Forestier lui demanda : « Vous avez prévenu Mme de Marelle ?

Il répondit avec tranquillité : « Mais oui… »

Elle le fouillait de son œil clair.

« Et ça ne l'a pas émue ?

– Mais non, pas du tout.

Elle a trouvé ça très bien, au contraire. La nouvelle fut bientôt connue.

Les uns s'étonnèrent, d'autres prétendirent l'avoir prévu, d'autres encore sourirent en laissant entendre que ça ne les surprenait point. Le jeune homme qui signait maintenant D. de Cantel ses chroniques, Duroy ses échos, et du Roy les articles politiques qu'il commençait à donner de temps en temps, passait la moitié des jours chez sa fiancée qui le traitait avec une familiarité fraternelle où entrait cependant une tendresse vraie mais cachée, une sorte de désir dissimulé comme une faiblesse.

Elle avait décidé que le mariage se ferait en grand secret, en présence des seuls témoins, et qu'on partirait le soir même pour Rouen. On irait le lendemain embrasser les vieux parents du journaliste, et on demeurerait quelques jours auprès d'eux. Duroy s'était efforcé de la faire renoncer à ce projet, mais n'ayant pu y parvenir, il s'était soumis, à la fin.

Donc, le 10 mai étant venu, les nouveaux époux, ayant jugé inutiles les cérémonies religieuses, puisqu'ils n'avaient invité personne, rentrèrent pour fermer leurs malles, après un court passage à la mairie, et ils prirent à la gare Saint-Lazare le train de six heures du soir qui les emporta vers la Normandie.

Ils n'avaient guère échangé vingt paroles jusqu'au moment où ils se trouvèrent seuls dans le wagon.

Dès qu'ils se sentirent en route, ils se regardèrent et se mirent à rire, pour cacher une certaine gêne, qu'ils ne voulaient point laisser voir. Le train traversait doucement la longue gare des Batignolles, puis il franchit la plaine galeuse qui va des fortifications à la Seine.

Duroy et sa femme, de temps en temps, prononçaient quelques mots inutiles, puis se tournaient de nouveau vers la portière.

Quand ils passèrent le pont d'Asnières, une gaieté les saisit à la vue de la rivière couverte de bateaux, de pêcheurs et de canotiers.

Le soleil, un puissant soleil de mai, répandait sa lumière oblique sur les embarcations et sur le fleuve calme qui semblait immobile, sans courant et sans remous, figé sous la chaleur et la clarté du jour finissant. Une barque à voile, au milieu de la rivière, ayant tendu sur ses deux bords deux grands triangles de toile blanche pour cueillir les moindres souffles de brise, avait l'air d'un énorme oiseau prêt à s'envoler. Duroy murmura :

« J'adore les environs de Paris, j'ai des souvenirs de fritures qui sont les meilleurs de mon existence.

Elle répondit :

« Et les canots !

Comme c'est gentil de glisser sur l'eau au coucher du soleil. Puis ils se turent comme s'ils n'avaient point osé continuer ces épanchements sur leur vie passée, et ils demeurèrent muets, savourant peut-être déjà la poésie des regrets.

Duroy, assis en face de sa femme, prit sa main et la baisa lentement.

« Quand nous serons revenus, dit-il, nous irons quelquefois dîner à Chatou.

Elle murmura :

« Nous aurons tant de choses à faire !

» sur un ton qui semblait signifier : « Il faudra sacrifier l'agréable à l'utile. Il tenait toujours sa main, se demandant avec inquiétude par quelle transition il arriverait aux caresses.

Il n'eût point été troublé de même devant l'ignorance d'une jeune fille ; mais l'intelligence alerte et rusée qu'il sentait en Madeleine rendait embarrassée son attitude. Il avait peur de lui sembler niais, trop timide ou trop brutal, trop lent ou trop prompt. Il serrait cette main par petites pressions, sans qu'elle répondît à son appel.

Il dit : « Ça me semble très drôle que vous soyez ma femme.

Elle parut surprise :

« Pourquoi ça ?

– Je ne sais pas.

Ça me semble drôle. J'ai envie de vous embrasser, et je m'étonne d'en avoir le droit. Elle lui tendit tranquillement sa joue, qu'il baisa comme il eût baisé celle d'une sœur.

Il reprit :

« La première fois que je vous ai vue (vous savez bien, à ce dîner où m'avait invité Forestier), j'ai pensé : « Sacristi, si je pouvais découvrir une femme comme ça.

» Eh bien, c'est fait. Je l'ai. Elle murmura :

« C'est gentil.

» Et elle le regardait tout droit, finement, de son œil toujours souriant. Il songeait : « Je suis trop froid.

Je suis stupide. Je devrais aller plus vite que ça. » Et il demanda : « Comment aviez-vous donc fait la connaissance de Forestier ?

Elle répondit, avec une malice provocante :

« Est-ce que nous allons à Rouen pour parler de lui ?

Il rougit : « Je suis bête.

Vous m'intimidez beaucoup. Elle fut ravie : « Moi !

Pas possible ? D'où vient ça ? Il s'était assis à côté d'elle, tout près.

Elle cria : « Oh ! un cerf ! Le train traversait la forêt de Saint-Germain ; et elle avait vu un chevreuil effrayé franchir d'un bond une allée.

Duroy s'étant penché pendant qu'elle regardait par la portière ouverte posa un long baiser, un baiser d'amant dans les cheveux de son cou.

Elle demeura quelques moments immobile ; puis, relevant la tête :

« Vous me chatouillez, finissez.

Mais il ne s'en allait point, promenant doucement, en une caresse énervante et prolongée, sa moustache frisée sur la chair blanche.

Elle se secoua :

« Finissez donc.

Il avait saisi la tête de sa main droite glissée derrière elle, et il la tournait vers lui.

Puis il se jeta sur sa bouche comme un épervier sur une proie. Elle se débattait, le repoussait, tâchait de se dégager.

Elle y parvint enfin, et répéta : « Mais finissez donc.

Il ne l'écoutait, plus, l'étreignant, la baisant d'une lèvre avide et frémissante, essayant de la renverser sur les coussins du wagon.

Elle se dégagea d'un grand effort, et, se levant avec vivacité :

« Oh !

voyons, Georges, finissez. Nous ne sommes pourtant plus des enfants, nous pouvons bien attendre Rouen. Il demeurait assis, très rouge, et glacé par ces mots raisonnables ; puis, ayant repris quelque sang-froid :

« Soit, j'attendrai, dit-il avec gaieté, mais je ne suis plus fichu de prononcer vingt paroles jusqu'à l'arrivée.

Et songez que nous traversons Poissy. – C'est moi qui parlerai », dit-elle.

Elle se rassit doucement auprès de lui.

Et elle parla, avec précision, de ce qu'ils feraient à leur retour.

Ils devaient conserver l'appartement qu'elle habitait avec son premier mari, et Duroy héritait aussi des fonctions et du traitement de Forestier à La Vie Française . Avant leur union, du reste, elle avait réglé, avec une sûreté d'homme d'affaires, tous les détails financiers du ménage.

Ils s'étaient associés sous le régime de la séparation de biens, et tous les cas étaient prévus qui pouvaient survenir : mort, divorce, naissance d'un ou de plusieurs enfants.

Le jeune homme apportait quatre mille francs, disait-il, mais, sur cette somme, il en avait emprunté quinze cents. Le reste provenait d'économies faites dans l'année, en prévision de l'événement. La jeune femme apportait quarante mille francs que lui avait laissés Forestier, disait-elle. Elle revint à lui, citant son exemple :

« C'était un garçon très économe, très rangé, très travailleur.

Il aurait fait fortune en peu de temps. Duroy n'écoutait plus, tout occupé d'autres pensées.

Elle s'arrêtait parfois pour suivre une idée intime, puis reprenait :

« D'ici à trois ou quatre ans, vous pouvez fort bien gagner de trente à quarante mille francs par an.

C'est ce qu'aurait eu Charles, s'il avait vécu. Georges, qui commençait à trouver longue la leçon, répondit :

« Il me semblait que nous n'allions pas à Rouen pour parler de lui.

Elle lui donna une petite tape sur la joue :

« C'est vrai, j'ai tort.

Elle riait.

Il affectait de tenir ses mains sur ses genoux, comme les petits garçons bien sages.

« Vous avez l'air niais, comme ça », dit-elle.

Il répliqua :

« C'est mon rôle, auquel vous m'avez d'ailleurs rappelé tout à l'heure, et je n'en sortirai plus.

– Pourquoi ?

– Parce que c'est vous qui prenez la direction de la maison, et même celle de ma personne.

Cela vous regarde, en effet, comme veuve ! Elle fut étonnée :

« Que voulez-vous dire au juste ?

– Que vous avez une expérience qui doit dissiper mon ignorance, et une pratique du mariage qui doit dégourdir mon innocence de célibataire, voilà, na !

Elle s'écria :

« C'est trop fort !

Il répondit :

« C'est comme ça.

Je ne connais pas les femmes, moi, – na, – et vous connaissez les hommes, vous, puisque vous êtes veuve, – na, – c'est vous qui allez faire mon éducation… ce soir, – na, – et vous pouvez même commencer tout de suite, si vous voulez, – na. Elle s'écria, très égayée :

« Oh !

par exemple, si vous comptez sur moi pour ça !… » Il prononça, avec une voix de collégien qui bredouille sa leçon :

« Mais oui, – na, – j'y compte.

Je compte même que vous me donnerez une instruction solide… en vingt leçons… dix pour les éléments… la lecture et la grammaire… dix pour les perfectionnements et la rhétorique… Je ne sais rien, moi – na. Elle s'écria, s'amusant beaucoup :

« T'es bête.

Il reprit :

« Puisque tu commences par me tutoyer, j'imiterai aussitôt cet exemple, et je te dirai, mon amour, que je t'adore de plus en plus, de seconde en seconde, et que je trouve Rouen bien loin !

Il parlait maintenant avec des intonations d'acteur, avec un jeu plaisant de figure qui divertissaient la jeune femme habituée aux manières et aux joyeusetés de la grande bohème des hommes de lettres.

Elle le regardait de côté, le trouvant vraiment charmant, éprouvant l'envie qu'on a de croquer un fruit sur l'arbre, et l'hésitation du raisonnement qui conseille d'attendre le dîner pour le manger à son heure.

Alors elle dit, devenant un peu rouge aux pensées qui l'assaillaient :

« Mon petit élève, croyez mon expérience, ma grande expérience.

Les baisers en wagon ne valent rien. Ils tournent sur l'estomac. Puis elle rougit davantage encore, en murmurant :

« Il ne faut jamais couper son blé en herbe.

Il ricanait, excité par les sous-entendus qu'il sentait glisser dans cette jolie bouche ; et il fit le signe de la croix avec un marmottement des lèvres, comme s'il eût murmuré une prière, puis il déclara :

« Je viens de me mettre sous la protection de saint Antoine, patron des Tentations.

Maintenant, je suis de bronze. La nuit venait doucement, enveloppant d'ombre transparente, comme d'un crêpe léger, la grande campagne qui s'étendait à droite.

Le train longeait la Seine, et les jeunes gens se mirent à regarder dans le fleuve, déroulé comme un large ruban de métal poli à côté de la voie, des reflets rouges, des taches tombées du ciel que le soleil en s'en allant avait frotté de pourpre et de feu. Ces lueurs s'éteignaient peu à peu, devenaient foncées, s'assombrissant tristement. Et la campagne se noyait dans le noir, avec ce frisson sinistre, ce frisson de mort que chaque crépuscule fait passer sur la terre. Cette mélancolie du soir entrant par la portière ouverte pénétrait les âmes, si gaies tout à l'heure, des deux époux devenus silencieux.

Ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre pour regarder cette agonie du jour, de ce beau jour clair de mai.

À Mantes, on avait allumé le petit quinquet à l'huile qui répandait sur le drap gris des capitons sa clarté jaune et tremblotante.

Duroy enlaça la taille de sa femme et la serra contre lui.

Son désir aigu de tout à l'heure devenait de la tendresse, une tendresse alanguie, une envie molle de menues caresses consolantes, de ces caresses dont on berce les enfants. Il murmura, tout bas :

« Je t'aimerai bien, ma petite Made.

La douceur de cette voix émut la jeune femme, lui fit passer sur la chair un frémissement rapide, et elle offrit sa bouche, en se penchant vers lui, car il avait posé sa joue sur le tiède appui des seins.

Ce fut un très long baiser, muet et profond, puis un sursaut, une brusque et folle étreinte, une courte lutte essoufflée, un accouplement violent et maladroit.

Puis ils restèrent aux bras l'un de l'autre, un peu déçus tous deux, las et tendres encore, jusqu'à ce que le sifflet du train annonçât une gare prochaine. Elle déclara, en tapotant du bout des doigts les cheveux ébouriffés de ses tempes :

« C'est très bête.

Nous sommes des gamins. Mais il lui baisait les mains, allant de l'une à l'autre avec une rapidité fiévreuse et il répondit :

« Je t'adore, ma petite Made.

Jusqu'à Rouen ils demeurèrent presque immobiles, la joue contre la joue, les yeux dans la nuit de la portière où l'on voyait passer parfois les lumières des maisons ; et ils rêvassaient, contents de se sentir si proches et dans l'attente grandissante d'une étreinte plus intime et plus libre.

Ils descendirent dans un hôtel dont les fenêtres donnaient sur le quai, et ils se mirent au lit après avoir un peu soupé, très peu.

La femme de chambre les réveilla, le lendemain, lorsque huit heures venaient de sonner. Quand ils eurent bu la tasse de thé posée sur la table de nuit, Duroy regarda sa femme, puis brusquement avec l'élan joyeux d'un homme heureux qui vient de trouver un trésor, il la saisit dans ses bras, en balbutiant :

« Ma petite Made, je sens que je t'aime beaucoup… beaucoup… beaucoup… »

Elle souriait de son sourire confiant et satisfait et elle murmura, en lui rendant ses baisers :

« Et moi aussi… peut-être.

Mais il demeurait inquiet de cette visite à ses parents.

Il avait déjà souvent prévenu sa femme ; il l'avait préparée, sermonnée.

Il crut bon de recommencer. « Tu sais, ce sont des paysans, des paysans de campagne, et non pas d'opéra-comique.

Elle riait :

« Mais je le sais, tu me l'as assez dit.

Voyons, lève-toi et laisse-moi me lever aussi. Il sauta du lit, et mettant ses chaussettes :

« Nous serons très mal à la maison, très mal.

Il n'y a qu'un vieux lit à paillasse dans ma chambre. On ne connaît pas les sommiers, à Canteleu. Elle semblait enchantée :

« Tant mieux.

Ce sera charmant de mal dormir… auprès de… auprès de toi… et d'être réveillée par le chant des coqs. Elle avait passé son peignoir, un grand peignoir de flanelle blanche, que Duroy reconnut aussitôt.

Cette vue lui fut désagréable. Pourquoi ?

Sa femme possédait, il le savait bien, une douzaine entière de ces vêtements de matinée. Elle ne pouvait pourtant point détruire son trousseau pour en acheter un neuf ? N'importe, il eût voulu que son linge de chambre, son linge de nuit, son linge d'amour ne fût plus le même qu'avec l'autre. Il lui semblait que l'étoffe moelleuse et tiède devait avoir gardé quelque chose du contact de Forestier. Et il alla vers la fenêtre en allumant une cigarette.

La vue du port, du large fleuve plein de navires aux mâts légers, de vapeurs trapus, que des machines tournantes vidaient à grand bruit sur les quais, le remua, bien qu'il connût cela depuis longtemps. Et il s'écria : « Bigre, que c'est beau !

Madeleine accourut et posant ses deux mains sur une épaule de son mari, penchée vers lui dans un geste abandonné, elle demeura ravie, émue.

Elle répétait : « Oh !

que c'est joli ! que c'est joli ! Je ne savais pas qu'il y eût tant de bateaux que ça ? Ils partirent une heure plus tard, car ils devaient déjeuner chez les vieux, prévenus depuis quelques jours.

Un fiacre découvert et rouillé les emporta avec un bruit de chaudronnerie secouée. Ils suivirent un long boulevard assez laid, puis traversèrent des prairies où coulait une rivière, puis ils commencèrent à gravir la côte. Madeleine, fatiguée, s'était assoupie sous la caresse pénétrante du soleil qui la chauffait délicieusement au fond de la vieille voiture, comme si elle eût été couchée dans un bain tiède de lumière et d'air champêtre.

Son mari la réveilla.

« Regarde », dit-il.

Ils venaient de s'arrêter aux deux tiers de la montée, à un endroit renommé pour la vue, où l'on conduit tous les voyageurs.

On dominait l'immense vallée, longue et large, que le fleuve clair parcourait d'un bout à l'autre, avec de grandes ondulations.

On le voyait venir de là-bas, taché par des îles nombreuses et décrivant une courbe avant de traverser Rouen. Puis la ville apparaissait sur la rive droite, un peu noyée dans la brume matinale, avec des éclats de soleil sur ses toits, et ses mille clochers légers, pointus ou trapus, frêles et travaillés comme des bijoux géants, ses tours carrées ou rondes coiffées de couronnes héraldiques, ses beffrois, ses clochetons, tout le peuple gothique des sommets d'églises que dominait la flèche aiguë de la cathédrale, surprenante aiguille de bronze, laide, étrange et démesurée, la plus haute qui soit au monde. Mais en face, de l'autre côté du fleuve, s'élevaient, rondes et renflées à leur faîte, les minces cheminées d'usines du vaste faubourg de Saint-Sever.

Plus nombreuses que leurs frères les clochers, elles dressaient jusque dans la campagne lointaine leurs longues colonnes de briques et soufflaient dans le ciel bleu leur haleine noire de charbon.

Et la plus élevée de toutes, aussi haute que la pyramide de Chéops, le second des sommets dus au travail humain, presque l'égale de sa fière commère la flèche de la cathédrale, la grande pompe à feu de la Foudre semblait la reine du peuple travailleur et fumant des usines, comme sa voisine était la reine de la foule pointue des monuments sacrés.

Là-bas, derrière la ville ouvrière, s'étendait une forêt de sapins ; et la Seine, ayant passé entre les deux cités, continuait sa route, longeait une grande côte onduleuse boisée en haut et montrant par place ses os de pierre blanche, puis elle disparaissait à l'horizon après avoir encore décrit une longue courbe arrondie.

On voyait des navires montant et descendant le fleuve, traînés par des barques à vapeur grosses comme des mouches et qui crachaient une fumée épaisse. Des îles, étalées sur l'eau, s'alignaient toujours l'une au bout de l'autre, ou bien laissant entre elles de grands intervalles, comme les grains inégaux d'un chapelet verdoyant. Le cocher du fiacre attendait que les voyageurs eussent fini de s'extasier.

Il connaissait par expérience la durée de l'admiration de toutes les races de promeneurs. Mais quand il se remit en marche, Duroy aperçut soudain, à quelques centaines de mètres, deux vieilles gens qui s'en venaient, et il sauta de la voiture, en criant : « Les voilà.

Je les reconnais. C'étaient deux paysans, l'homme et la femme, qui marchaient d'un pas régulier, en se balançant et se heurtant parfois de l'épaule.

L'homme était petit, trapu, rouge et un peu ventru, vigoureux malgré son âge ; la femme, grande, sèche, voûtée, triste, la vraie femme de peine des champs qui a travaillé dès l'enfance et qui n'a jamais ri, tandis que le mari blaguait en buvant avec les pratiques. Madeleine aussi était descendue de voiture et elle regardait venir ces deux pauvres êtres avec un serrement de cœur, une tristesse qu'elle n'avait point prévue.

Ils ne reconnaissaient point leur fils, ce beau monsieur, et ils n'auraient jamais deviné leur bru dans cette belle dame en robe claire. Ils allaient, sans parler et vite, au-devant de l'enfant attendu, sans regarder ces personnes de la ville que suivait une voiture.

Ils passaient.

Georges, qui riait, cria : « Bonjour, pé Duroy.

Ils s'arrêtèrent net, tous les deux, stupéfaits d'abord, puis abrutis de surprise.

La vieille se remit la première et balbutia, sans faire un pas : « C'est-i té, not' fieu ?

Le jeune homme répondit :

« Mais oui, c'est moi, la mé Duroy !

» et marchant à elle, il l'embrassa sur les deux joues, d'un gros baiser de fils. Puis il frotta ses tempes contre les tempes du père, qui avait ôté sa casquette, une casquette à la mode de Rouen, en soie noire, très haute, pareille à celle des marchands de bœufs. Puis Georges annonça : « Voilà ma femme.

» Et les deux campagnards regardèrent Madeleine. Ils la regardèrent comme on regarde un phénomène, avec une crainte inquiète, jointe à une sorte d'approbation satisfaite chez le père, à une inimitié jalouse chez la mère. L'homme, qui était d'un naturel joyeux, tout imbibé par une gaieté de cidre doux et d'alcool, s'enhardit et demanda, avec une malice au coin de l'œil :

« J'pouvons-ti l'embrasser tout d'même ?

Le fils répondit : « Parbleu.

» Et Madeleine, mal à l'aise, tendit ses deux joues aux bécots sonores du paysan qui s'essuya ensuite les lèvres d'un revers de main. La vieille, à son tour, baisa sa belle-fille avec une réserve hostile.

Non, ce n'était point la bru de ses rêves, la grosse et fraîche fermière, rouge comme une pomme et ronde comme une jument poulinière. Elle avait l'air d'une traînée, cette dame-là, avec ses falbalas et son musc. Car tous les parfums, pour la vieille, étaient du musc. Et on se remit en marche à la suite du fiacre qui portait la malle des nouveaux époux.

Le vieux prit son fils par le bras, et le retenant en arrière, il demanda avec intérêt :

« Eh ben, ça va-t-il, les affaires ?

– Mais oui, très bien.

– Allons suffit, tant mieux !

Dis-mé, ta femme, est-i aisée ? Georges répondit :

« Quarante mille francs.

Le père poussa un léger sifflement d'admiration et ne put que murmurer : « Bougre !

» tant il fut ému par la somme. Puis il ajouta avec une conviction sérieuse : « Nom d'un nom, c'est une belle femme. » Car il la trouvait de son goût, lui. Et il avait passé pour connaisseur, dans le temps. Madeleine et la mère marchaient côte à côte, sans dire un mot.

Les deux hommes les rejoignirent. On arrivait au village, un petit village en bordure sur la route, formé de dix maisons de chaque côté, maisons de bourg et masures de fermes, les unes en briques, les autres en argile, celles-ci coiffées de chaume et celles-là d'ardoise.

La café du père Duroy : « À la belle vue », une bicoque composée d'un rez-de-chaussée et d'un grenier, se trouvait à l'entrée du pays, à gauche. Une branche de pin, accrochée sur la porte, indiquait, à la mode ancienne, que les gens altérés pouvaient entrer. Le couvert était mis dans la salle du cabaret, sur deux tables rapprochées et cachées par deux serviettes.

Une voisine, venue pour aider au service, salua d'une grande révérence en voyant apparaître une aussi belle dame, puis reconnaissant Georges, elle s'écria : « Seigneur Jésus, c'est-i té, petiot ? Il répondit gaiement :

« Oui, c'est moi, la mé Brulin !

Et il l'embrassa aussitôt comme il avait embrassé père et mère.

Puis il se tourna vers sa femme :

« Viens dans notre chambre, dit-il, tu te débarrasseras de ton chapeau.

Il la fit entrer par la porte de droite dans une pièce froide, carrelée, toute blanche, avec ses murs peints à la chaux et son lit aux rideaux de coton.

Un crucifix au-dessus d'un bénitier, et deux images coloriées représentant Paul et Virginie sous un palmier bleu et Napoléon Iersur un cheval jaune, ornaient seuls cet appartement propre et désolant. Dès qu'ils furent seuls, il embrassa Madeleine :

« Bonjour, Made.

Je suis content de revoir les vieux. Quand on est à Paris, on n'y pense pas, et puis quand on se retrouve, ça fait plaisir tout de même. Mais le père criait en tapant du poing la cloison :

« Allons, allons, la soupe est cuite.

Et il fallut se mettre à table.

Ce fut un long déjeuner de paysans avec une suite de plats mal assortis, une andouille après un gigot, une omelette après l'andouille.

Le père Duroy, mis en joie par le cidre et quelques verres de vin, lâchait le robinet de ses plaisanteries de choix, celles qu'il réservait pour les grandes fêtes, histoires grivoises et malpropres arrivées à ses amis, affirmait-il. Georges, qui les connaissait toutes, riait cependant, grisé par l'air natal, ressaisi par l'amour inné du pays, des lieux familiers dans l'enfance, par toutes les sensations, tous les souvenirs retrouvés, toutes les choses d'autrefois revues, des riens, une marque de couteau dans une porte, une chaise boiteuse rappelant un petit fait, des odeurs de sol, le grand souffle de résine et d'arbres venu de la forêt voisine, les senteurs du logis, du ruisseau, du fumier. La mère Duroy ne parlait point, toujours triste et sévère, épiant de l'œil sa bru avec une haine éveillée dans le cœur, une haine de vieille travailleuse, de vieille rustique aux doigts usés, aux membres déformés par les dures besognes, contre cette femme de ville qui lui inspirait une répulsion de maudite, de réprouvée, d'être impur fait pour la fainéantise et le péché.

Elle se levait à tout moment pour aller chercher les plats, pour verser dans les verres la boisson jaune et aigre de la carafe ou le cidre doux mousseux et sucré des bouteilles dont le bouchon sautait comme celui de la limonade gazeuse. Madeleine ne mangeait guère, ne parlait guère, demeurait triste avec son sourire ordinaire figé sur les lèvres, mais un sourire morne, résigné.

Elle était déçue, navrée. Pourquoi ?

Elle avait voulu venir. Elle n'ignorait point qu'elle allait chez des paysans, chez des petits paysans. Comment les avait-elle donc rêvés, elle qui ne rêvait pas d'ordinaire ? Le savait-elle ?

Est-ce que les femmes n'espèrent point toujours autre chose que ce qui est ! Les avait-elle vus de loin plus poétiques ? Non, mais plus littéraires peut-être, plus nobles, plus affectueux, plus décoratifs. Pourtant elle ne les désirait point distingués comme ceux des romans. D'où venait donc qu'ils la choquaient par mille choses menues, invisibles, par mille grossièretés insaisissables, par leur nature même de rustres, par ce qu'ils disaient, par leurs gestes et leur gaieté ? Elle se rappelait sa mère à elle, dont elle ne parlait jamais à personne, une institutrice séduite, élevée à Saint-Denis et morte de misère et de chagrin quand Madeleine avait douze ans.

Un inconnu avait fait élever la petite fille. Son père, sans doute ? Qui était-il ? Elle ne le sut point au juste, bien qu'elle eût de vagues soupçons. Le déjeuner ne finissait pas.

Des consommateurs entraient maintenant, serraient les mains du père Duroy, s'exclamaient en voyant le fils, et, regardant de côté la jeune femme, clignaient de l'œil avec malice ; ce qui signifiait : « Sacré mâtin ! elle n'est pas piquée des vers, l'épouse à Georges Duroy. D'autres, moins intimes, s'asseyaient devant les tables de bois, et criaient : « Un litre !

– Une chope ! Deux fines !

– Un raspail ! » Et ils se mettaient à jouer aux dominos en tapant à grand bruit les petits carrés d'os blancs et noirs. La mère Duroy ne cessait plus d'aller et de venir, servant les pratiques avec son air lamentable, recevant l'argent, essuyant les tables du coin de son tablier bleu.

La fumée des pipes de terre et des cigares d'un sou emplissait la salle.

Madeleine se mit à tousser et demanda : « Si nous sortions ? je n'en puis plus. On n'avait point encore fini.

Le vieux Duroy fut mécontent. Alors elle se leva et alla s'asseoir sur une chaise, devant la porte, sur la route, en attendant que son beau-père et son mari eussent achevé leur café et leurs petits verres. Georges la rejoignit bientôt.

« Veux-tu dégringoler jusqu'à la Seine ?

» dit-il. Elle accepta avec joie :

« Oh !

oui.

Allons. Ils descendirent la montagne, louèrent un bateau à Croisset, et ils passèrent le reste de l'après-midi le long d'une île, sous les saules, somnolents tous deux, dans la chaleur douce du printemps, et bercés par les petites vagues du fleuve.

Puis ils remontèrent à la nuit tombante.

Le repas du soir, à la lueur d'une chandelle, fut plus pénible encore pour Madeleine que celui du matin.

Le père Duroy, qui avait une demi-soûlerie, ne parlait plus. La mère gardait sa mine revêche. La pauvre lumière jetait sur les murs gris les ombres des têtes avec des nez énormes et des gestes démesurés.

On voyait parfois une main géante lever une fourchette pareille à une fourche vers une bouche qui s'ouvrait comme une gueule de monstre, quand quelqu'un, se tournant un peu, présentait son profil à la flamme jaune et tremblotante. Dès que le dîner fut achevé, Madeleine entraîna son mari dehors pour ne point demeurer dans cette salle sombre où flottait toujours une odeur âcre de vieilles pipes et de boissons répandues.

Quand ils furent sortis :

« Tu t'ennuies déjà », dit-il.

Elle voulut protester.

Il l'arrêta : « Non.

Je l'ai bien vu. Si tu le désires, nous partirons demain. Elle murmura :

« Oui.

Je veux bien. Ils allaient devant eux doucement.

C'était une nuit tiède dont l'ombre caressante et profonde semblait pleine de bruits légers, de frôlements, de souffles. Ils étaient entrés dans une allée étroite, sous des arbres très hauts, entre deux taillis d'un noir impénétrable. Elle demanda :

« Où sommes-nous ?

Il répondit :

« Dans la forêt.

– Elle est grande ?

– Très grande, une des plus grandes de la France.

Une senteur de terre, d'arbres, de mousse, ce parfum frais et vieux des bois touffus, fait de la sève des bourgeons et de l'herbe morte et moisie des fourrés, semblait dormir dans cette allée.

En levant la tête, Madeleine apercevait des étoiles entre les sommets des arbres, et bien qu'aucune brise ne remuât les branches, elle sentait autour d'elle la vague palpitation de cet océan de feuilles. Un frisson singulier lui passa dans l'âme et lui courut sur la peau ; une angoisse confuse lui serra le cœur.

Pourquoi ?

Elle ne comprenait pas. Mais il lui semblait qu'elle était perdue, noyée, entourée de périls, abandonnée de tous, seule, seule au monde, sous cette voûte vivante qui frémissait là-haut. Elle murmura :

« J'ai un peu peur.

Je voudrais retourner. – Eh bien, revenons.

– Et… nous repartirons pour Paris demain ?

– Oui, demain..

– Demain matin ?

– Demain matin, si tu veux.

Ils rentrèrent.

Les vieux étaient couchés. Elle dormit mal, réveillée sans cesse par tous les bruits nouveaux pour elle de la campagne, les cris des chouettes, le grognement d'un porc enfermé dans une hutte contre le mur, et le chant d'un coq qui claironna dès minuit. Elle fut levée et prête à partir aux premières lueurs de l'aurore.

Quand Georges annonça aux parents qu'il allait s'en retourner, ils demeurèrent saisis tous deux, puis ils comprirent d'où venait cette volonté.

Le père demanda simplement :

« J ‘te r'verrons-ti bientôt ?

– Mais oui.

Dans le courant de l'été. – Allons, tant mieux.

La vieille grogna :

« J' te souhaite de n' point regretter c'que t'as fait.

Il leur laissa deux cents francs en cadeau, pour calmer leur mécontentement ; et le fiacre, qu'un gamin était allé chercher, ayant paru vers dix heures, les nouveaux époux embrassèrent les vieux paysans et repartirent.

Comme ils descendaient la côte, Duroy se mit à rire :

« Voilà, dit-il, je t'avais prévenue.

Je n'aurais pas dû te faire connaître M. et Mme du Roy de Cantel, père et mère. Elle se mit à rire aussi, et répliqua :

« Je suis enchantée maintenant.

Ce sont de braves gens que je commence à aimer beaucoup. Je leur enverrai des gâteries de Paris. Puis elle murmura :

« Du Roy de Cantel… Tu verras que personne ne s'étonnera de nos lettres de faire-part.

Nous raconterons que nous avons passé huit jours dans la propriété de tes parents. Et, se rapprochant de lui, elle effleura d'un baiser le bout de sa moustache : « Bonjour, Geo !

Il répondit : « Bonjour, Made », en passant une main derrière sa taille.

On apercevait au loin, dans le fond de la vallée, le grand fleuve déroulé comme un ruban d'argent sous le soleil du matin, et toutes les cheminées des usines qui soufflaient dans le ciel leurs nuages de charbon, et tous les clochers pointus dressés sur la vieille cité.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 1 Bel Ami - Part 2 Chapter 1 ベルアミ - パート2 第1章 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 1

– I – Georges Duroy avait retrouvé toutes ses habitudes anciennes. Georges Duroy had found all his old habits.

Installé maintenant dans le petit rez-de-chaussée de la rue de Constantinople, il vivait sagement, en homme qui prépare une existence nouvelle. Installed now in the small ground floor of the street of Constantinople, he lived wisely, as a man who prepares a new existence.

Ses relations avec Mme de Marelle avaient même pris une allure conjugale, comme s’il se fût exercé d’avance à l’événement prochain ; et sa maîtresse, s’étonnant souvent de la tranquillité réglée de leur union, répétait en riant : « Tu es encore plus popote que mon mari, ça n’était pas la peine de changer. Her relations with Madame de Marelle had even taken on a conjugal air, as if she had exercised herself in advance at the next event; and his mistress, often astonished at the calm tranquility of their union, repeated with a laugh, "You are even more foolish than my husband, there was no need to change. Mme Forestier n’était pas revenue.

Elle s’attardait à Cannes. She lingered in Cannes. Il reçut une lettre d’elle, annonçant son retour seulement pour le milieu d’avril, sans un mot d’allusion à leurs adieux. He received a letter from her, announcing his return only for the middle of April, without a word of allusion to their farewells. Il attendit. He waited. Il était bien résolu maintenant à prendre tous les moyens pour l’épouser, si elle semblait hésiter. He was now resolved to take every means to marry her, if she seemed to hesitate. Mais il avait confiance en sa fortune, confiance en cette force de séduction qu’il sentait en lui, force vague et irrésistible que subissaient toutes les femmes. But he had confidence in his fortune, confidence in the strength of seduction that he felt in him, a vague and irresistible force that all women suffered. Un court billet le prévint que l’heure décisive allait sonner. A short note warned him that the decisive hour was coming.

« Je suis à Paris. " I'm in Paris.

Venez me voir. Come see me. « MADELEINE FORESTIER. "FOREST MADELEINE.

Rien de plus. Nothing more.

Il l’avait reçu par le courrier de neuf heures. He had received it by the nine o'clock mail. Il entrait chez elle à trois heures, le même jour. He went home at three o'clock on the same day. Elle lui tendit les deux mains, en souriant de son joli sourire aimable ; et ils se regardèrent pendant quelques secondes, au fond des yeux. She offered him both hands, smiling with her pretty, pleasant smile; and they looked at each other for a few seconds, deep in their eyes.

Puis elle murmura : Then she murmured:

« Comme vous avez été bon de venir là-bas dans ces circonstances terribles. "How good you have been to come in these terrible circumstances.

Il répondit :

« J’aurais fait tout ce que vous m’auriez ordonné. "I would have done everything you ordered.

Et ils s’assirent. And they sat down.

Elle s’informa des nouvelles, des Walter, de tous les confrères et du journal. She inquired about the news, Walter, all the confreres and the newspaper. Elle y pensait souvent, au journal. She often thought about it in the newspaper. « Ça me manque beaucoup, disait-elle, mais beaucoup. "I miss her a lot," she said, "but a lot.

J’étais devenue journaliste dans l’âme. I had become a journalist at heart. Que voulez-vous, j’aime ce métier-là. What do you want, I love this job. Puis elle se tut. Then she was silent.

Il crut comprendre, il crut trouver dans son sourire, dans le ton de sa voix, dans ses paroles elles-mêmes, une sorte d’invitation ; et bien qu’il se fût promis de ne pas brusquer les choses, il balbutia : He thought he understood, he thought he found in his smile, in the tone of his voice, in his words themselves, a kind of invitation; and although he had promised not to rush things, he stammered: « Eh bien… pourquoi… pourquoi ne le reprendriez-vous pas… ce métier… sous… sous le nom de Duroy ? "Well ... why ... why would not you pick it up again ... this job ... under ... under the name of Duroy?

Elle redevint brusquement sérieuse et, posant la main sur son bras, elle murmura : She suddenly became serious again and, putting her hand on her arm, she murmured:

« Ne parlons pas encore de ça. "Do not talk about that yet.

Mais il devina qu’elle acceptait, et tombant à genoux il se mit à lui baiser passionnément les mains en répétant, en bégayant : But he guessed that she accepted, and falling on his knees he began to kiss her hands passionately, repeating, stammering:

« Merci, merci, comme je vous aime ! "Thank you, thank you, how I love you!

Elle se leva. She stood up.

Il fit comme elle et il s’aperçut qu’elle était fort pâle. He did as she did and he realized that she was very pale. Alors il comprit qu’il lui avait plu, depuis longtemps peut-être ; et comme ils se trouvaient face à face, il l’étreignit, puis il l’embrassa sur le front, d’un long baiser tendre et sérieux. Then he realized that he had liked her, for a long time perhaps; and as they were face to face, he embraced her, then kissed her on the forehead with a long, tender and serious kiss. Quand elle se fut dégagée, en glissant sur sa poitrine, elle reprit d’un ton grave : When she had cleared, slipping on her chest, she resumed in a grave tone:

« Écoutez, mon ami, je ne suis encore décidée à rien. "Listen, my friend, I am still decided on nothing.

Cependant il se pourrait que ce fût oui. However it could be that yes. Mais vous allez me promettre le secret absolu jusqu’à ce que je vous en délie. But you will promise me the absolute secret until I release you. Il jura et partit, le cœur débordant de joie. He swore and left, his heart overflowing with joy.

Il mit désormais beaucoup de discrétion dans les visites qu’il lui fit et il ne sollicita pas de consentement plus précis, car elle avait une manière de parler de l’avenir, de dire « plus tard », de faire des projets où leurs deux existences se trouvaient mêlées, qui répondait sans cesse, mieux et plus délicatement, qu’une formelle acceptation. He now put a lot of discretion into the visits he made him and he did not seek more specific consent, because it had a way of talking about the future, to say "later", to make projects where both existences were mingled, which answered ceaselessly, better and more delicately, than a formal acceptance.

Duroy travaillait dur, dépensait peu, tâchait d’économiser quelque argent pour n’être point sans le sou au moment de son mariage, et il devenait aussi avare qu’il avait été prodigue. Duroy worked hard, spent little, tried to save some money so as not to be penniless at the time of his marriage, and he became as stingy as he had been prodigal.

L’été se passa, puis l’automne, sans qu’aucun soupçon vînt à personne, car ils se voyaient peu, et le plus naturellement du monde. Summer passed, then autumn, without any suspicion coming to anyone, for they saw themselves very little, and most naturally in the world.

Un soir Madeleine lui dit, en le regardant au fond des yeux : One evening Madeleine said to him, looking at him in the depths of her eyes:

« Vous n’avez pas encore annoncé notre projet à Mme de Marelle ? "You have not yet announced our project to Madame de Marelle?

– Non, mon amie.

Vous ayant promis le secret je n’en ai ouvert la bouche à âme qui vive. Having promised you the secret, I have not opened my mouth to a living soul. – Eh bien, il serait temps de la prévenir. "Well, it's time to warn her.

Moi, je me charge des Walter. I'm taking care of Walter. Ce sera fait cette semaine, n’est-ce pas ? It will be done this week, will not it? Il avait rougi. He had blushed.

« Oui, dès demain. "Yes, tomorrow.

Elle détourna doucement les yeux, comme pour ne point remarquer son trouble, et reprit : She averted her eyes slowly, as if not to notice her confusion, and continued:

« Si vous le voulez, nous pourrons nous marier au commencement de mai.

Ce serait très convenable. – J’obéis en tout avec joie. - I obey in everything with joy.

– Le 10 mai, qui est un samedi, me plairait beaucoup, parce que c’est mon jour de naissance. - May 10, which is a Saturday, I would like a lot, because it's my birthday.

– Soit, le 10 mai. - May, the 10th of May.

– Vos parents habitent près de Rouen, n’est-ce pas ? "Your parents live near Rouen, do not you?

Vous me l’avez dit du moins. You told me that at least. – Oui, près de Rouen, à Canteleu. "Yes, near Rouen, at Canteleu.

– Qu’est-ce qu’ils font ? - What are they doing ?

– Ils sont… ils sont petits rentiers. - They are ... they are small rentiers.

– Ah ! - Ah!

J’ai un grand désir de les connaître. I have a great desire to know them. Il hésita, fort perplexe : He hesitated, very puzzled:

« Mais… c’est que, ils sont… » "But ... it's that, they are ..."

Puis il prit son parti en homme vraiment fort : Then he made up his mind as a really strong man:

« Ma chère amie, ce sont des paysans, des cabaretiers qui se sont saignés aux quatre membres pour me faire faire des études. "My dear friend, they are peasants, innkeepers who have bled themselves to the four members to make me study.

Moi, je ne rougis pas d’eux, mais leur… simplicité… leur… rusticité pourrait peut-être vous gêner. Me, I do not blush them, but their ... simplicity ... their ... hardiness could perhaps embarrass you. Elle souriait délicieusement, le visage illuminé d’une bonté douce. She smiled deliciously, her face lit up with gentle kindness.

« Non.

Je les aimerai beaucoup. I will love them very much. Nous irons les voir. Je le veux. Je vous reparlerai de ça. I'll talk about that again. Moi aussi je suis fille de petite gens… mais je les ai perdus, moi, mes parents. I too am a girl of little people ... but I lost them, my parents. Je n’ai plus personne au monde… – elle lui tendit la main et ajouta… – que vous. I have no one left in the world ... - she held out her hand and added ... - that you. Et il se sentit attendri, remué, conquis comme il ne l’avait pas encore été par aucune femme. And he felt himself moved, moved, conquered as he had not been by any woman.

« J’ai pensé à quelque chose, dit-elle, mais c’est assez difficile à expliquer. "I thought of something," she says, "but it's pretty hard to explain.

Il demanda :

« Quoi donc ?

– Eh bien, voilà, mon cher, je suis comme toutes les femmes, j’ai mes… mes faiblesses, mes petitesses, j’aime ce qui brille, ce qui sonne. - Well, here, my dear, I am like all women, I have my ... my weaknesses, my pettiness, I like what shines, what sounds.

J’aurais adoré porter un nom noble. I would have loved to wear a noble name. Est-ce que vous ne pourriez pas, à l’occasion de notre mariage, vous… vous anoblir un peu ? Could not you, on the occasion of our marriage, ... ennoble you a little? Elle avait rougi, à son tour ; comme si elle lui eût proposé une indélicatesse. She had blushed, too; as if she had offered him an indelicacy.

Il répondit simplement : He simply replied:

« J’y ai bien souvent songé, mais cela ne me paraît pas facile. "I have often thought about it, but that does not seem easy to me.

– Pourquoi donc ?

Il se mit à rire :

« Parce que j’ai peur de me rendre ridicule. "Because I'm scared of making myself ridiculous.

Elle haussa les épaules :

« Mais pas du tout, pas du tout.

Tout le monde le fait et personne n’en rit. Everyone does it and no one laughs at it. Séparez votre nom en deux : « Du Roy. Separate your name in two: "Du Roy. » Ça va très bien. Il répondit aussitôt, en homme qui connaît la question : He answered immediately, as a man who knows the question:

« Non, ça ne va pas. " Non, it is not OK.

C’est un procédé trop simple, trop commun, trop connu. It is a process that is too simple, too common, too well known. Moi j’avais pensé à prendre le nom de mon pays, comme pseudonyme littéraire d’abord, puis à l’ajouter peu à peu au mien, puis même, plus tard, à couper en deux mon nom comme vous me le proposiez. I had thought of taking the name of my country, as a literary pseudonym at first, then adding it little by little to mine, and even, later, cutting my name in half as you proposed it to me. Elle demanda :

« Votre pays c’est Canteleu ?

– Oui.

Mais elle hésitait :

« Non.

Je n’en aime pas la terminaison. I do not like the ending. Voyons, est-ce que nous ne pourrions pas modifier un peu ce mot… Canteleu ? Come on, can not we change that word a bit ... Canteleu? Elle avait pris une plume sur la table et elle griffonnait des noms en étudiant leur physionomie. She had taken a feather on the table and she scribbled names by studying their physiognomy.

Soudain elle s’écria : Suddenly she exclaimed: « Tenez, tenez, voici. "Here, hold, here.

Et elle lui tendit un papier où il lut « Madame Duroy de Cantel. And she handed him a paper where he read Madame Duroy de Cantel.

Il réfléchit quelques secondes, puis il déclara avec gravité : He thought a few seconds, then said with gravity:

« Oui, c’est très bon. " Yes it's very good.

Elle était enchantée et répétait : She was delighted and repeated:

« Duroy de Cantel, Duroy de Cantel, Madame Duroy de Cantel. "Duroy de Cantel, Duroy de Cantel, Madame Duroy de Cantel.

C’est excellent, excellent ! It's excellent, excellent! Elle ajouta, d’un air convaincu : She added, confidently:

« Et vous verrez comme c’est facile à faire accepter par tout le monde. "And you will see how easy it is for everyone to accept.

Mais il faut saisir l’occasion. But we must seize the opportunity. Car il serait trop tard ensuite. Because it would be too late then. Vous allez, dès demain, signer vos chroniques D. de Cantel, et vos échos tout simplement Duroy. You will, tomorrow, sign your chronicles D. de Cantel, and your echoes simply Duroy. Ça se fait tous les jours dans la presse et personne ne s’étonnera de vous voir prendre un nom de guerre. It's done every day in the press and no one will be surprised to see you take a name of war. Au moment de notre mariage, nous pourrons encore modifier un peu cela en disant aux amis que vous aviez renoncé à votre du par modestie, étant donné votre position, ou même sans rien dire du tout. At the time of our wedding, we will be able to modify a little bit by saying to the friends that you had renounced your modesty, given your position, or even without saying anything at all. Quel est le petit nom de votre père ? What is your father's little name? – Alexandre.

Elle murmura deux ou trois fois de suite : « Alexandre, Alexandre », en écoutant la sonorité des syllabes, puis elle écrivit sur une feuille toute blanche : She murmured two or three times in a row: "Alexander, Alexander," listening to the sonorous syllables, then she wrote on a white sheet:

« Monsieur et Madame Alexandre du Roy de Cantel ont l’honneur de vous faire part du mariage de Monsieur Georges du Roy de Cantel, leur fils, avec Madame Madeleine Forestier. "Monsieur and Madame Alexandre du Roy de Cantel have the honor to inform you of the marriage of Georges du Roy de Cantel, their son, with Madame Madeleine Forestier.

Elle regardait son écriture d’un peu loin, ravie de l’effet, et elle déclara : She was looking at her handwriting a bit far, pleased with the effect, and she said:

« Avec un rien de méthode, on arrive à réussir tout ce qu’on veut. "With a little method, we manage to succeed whatever we want.

Quand il se retrouva dans la rue, bien déterminé à s’appeler désormais du Roy, et même du Roy de Cantel, il lui sembla qu’il venait de prendre une importance nouvelle. When he found himself in the street, determined to call himself the Roy, and even Roy de Cantel, it seemed to him that he had acquired a new importance.

Il marchait plus crânement, le front plus haut, la moustache plus fière, comme doit marcher un gentilhomme. He walked brighter, his forehead higher, his mustache more proud, as a gentleman must walk. Il sentait en lui une sorte d’envie joyeuse de raconter aux passants : He felt in him a kind of joyous desire to tell passersby: « Je m’appelle du Roy de Cantel. "My name is Roy de Cantel.

Mais à peine rentré chez lui, la pensée de Mme de Marelle l’inquiéta et il lui écrivit aussitôt, afin de lui demander un rendez-vous pour le lendemain. But when he had scarcely returned home, Madame de Marelle's thought troubled him, and he wrote to him at once, asking for an appointment for the next day.

« Ça sera dur, pensait-il. "It will be hard, he thought.

Je vais recevoir une bourrasque de premier ordre. I will receive a first-rate squall. Puis il en prit son parti avec l’insouciance naturelle qui lui faisait négliger les choses désagréables de la vie, et il se mit à faire un article fantaisiste sur les impôts nouveaux à établir afin de rassurer l’équilibre du budget. Then he made up his mind with the natural carelessness that made him neglect the unpleasant things of life, and he began to make a whimsical article on the new taxes to be established in order to reassure the balance of the budget.

Il y fit figurer la particule nobiliaire pour cent francs par an, et les titres, depuis baron jusqu’à prince, pour cinq cents jusqu’à mille francs. He included the noble particle for one hundred francs a year, and the titles, from baron to prince, for five hundred to a thousand francs.

Et il signa : D. de Cantel.

Il reçut le lendemain un petit bleu de sa maîtresse annonçant qu’elle arriverait à une heure. He received the next day a little blue from his mistress announcing that she would arrive at one o'clock.

Il l’attendit avec un peu de fièvre, résolu d’ailleurs à brusquer les choses, à tout dire dès le début, puis, après la première émotion, à argumenter avec sagesse pour lui démontrer qu’il ne pouvait pas rester garçon indéfiniment, et que M. de Marelle s’obstinant à vivre, il avait dû songer à une autre qu’elle pour en faire sa compagne légitime. He waited with a little fever, resolved to rush things, to say everything from the beginning, then, after the first emotion, to argue wisely to show him that he could not remain boy indefinitely, and that M. de Marelle persisting in his life, he must have thought of another to make him his legitimate companion.

Il se sentait ému cependant. He felt moved, however.

Quand il entendit le coup de sonnette, son cœur se mit à battre. Elle se jeta dans ses bras.

» Bonjour, Bel-Ami. Puis, trouvant froide son étreinte, elle le considéra et demanda : Then, finding her embrace cold, she looked at him and asked:

« Qu’est-ce que tu as ? " What do you have ?

– Assieds-toi, dit-il. "Sit down," he said.

Nous allons causer sérieusement. We will talk seriously. Elle s’assit sans ôter son chapeau, relevant seulement sa voilette jusqu’au-dessus du front, et elle attendit. She sat down without taking off her hat, raising only her veil to the top of her forehead, and she waited.

Il avait baissé les yeux ; il préparait son début. He had lowered his eyes; he was preparing his beginning.

Il commença d’une voix lente : He began in a slow voice: « Ma chère amie, tu me vois fort troublé, fort triste et fort embarrassé de ce que j’ai à t’avouer. "My dear friend, you see me very troubled, very sad and very embarrassed by what I have to confess.

Je t’aime beaucoup, je t’aime vraiment du fond du cœur, aussi la crainte de te faire de la peine m’afflige-t-elle plus encore que la nouvelle même que je vais t’apprendre. I love you very much, I really love you from the bottom of my heart, so the fear of hurting you grieves me even more than the news that I am going to teach you. Elle pâlissait, se sentant trembler, et elle balbutia : She was growing pale, feeling herself tremble, and she stammered:

« Qu’est-ce qu’il y a ?

Dis vite ! Il prononça d’un ton triste mais résolu, avec cet accablement feint dont on use pour annoncer les malheurs heureux : « Il y a que je me marie. He pronounced in a sad but resolute tone, with that pretended dejection which is used to announce happy misfortunes: "There is that I am getting married.

Elle poussa un soupir de femme qui va perdre connaissance, un soupir douloureux venu du fond de la poitrine, et elle se mit à suffoquer, sans pouvoir parler, tant elle haletait. She gave a sigh of a woman who was going to faint, a sigh of pain from the back of her chest, and she began to suffocate, unable to speak, she was panting.

Voyant qu’elle ne disait rien, il reprit : Seeing that she said nothing, he went on:

« Tu ne te figures pas combien j’ai souffert avant d’arriver à cette résolution. "You do not imagine how much I suffered before arriving at this resolution.

Mais je n’ai ni situation ni argent. But I have neither situation nor money. Je suis seul, perdu dans Paris. I am alone, lost in Paris. Il me fallait auprès de moi quelqu’un qui fût surtout un conseil, une consolation et un soutien. I needed someone who was above all advice, consolation and support. C’est une associée, une alliée que j’ai cherchée et que j’ai trouvée. She's a partner, an ally I've looked for and found. Il se tut, espérant qu’elle répondrait, s’attendant à une colère furieuse, à des violences, à des injures. He was silent, hoping that she would answer, expecting furious anger, violence, insults.

Elle avait appuyé une main sur son cœur comme pour le contenir et elle respirait toujours par secousses pénibles qui lui soulevaient les seins et lui remuaient la tête. She had pressed a hand on her heart as if to contain it, and she was still breathing with painful twitches that lifted her breasts and moved her head.

Il prit la main restée sur le bras du fauteuil, mais elle la retira brusquement. He took his hand on the arm of the armchair, but she pulled it off sharply.

Puis elle murmura comme tombée dans une sorte d’hébétude : Then she murmured as if she had fallen into a kind of daze: « Oh !… mon Dieu… »

Il s’agenouilla devant elle, sans oser la toucher cependant, et il balbutia, plus ému par ce silence qu’il ne l’eût été par des emportements : He knelt before her, without daring to touch her, however, and he stammered, more moved by this silence than he would have been by anger.

« Clo, ma petite Clo, comprends bien ma situation, comprends bien ce que je suis. "Clo, my little Clo, understand my situation well, understand what I am.

Oh !

si j’avais pu t’épouser, toi, quel bonheur ! if I could marry you, what happiness! Mais tu es mariée. But you are married. Que pouvais-je faire ? Réfléchis, voyons, réfléchis ! Think, come on, think! Il faut que je me pose dans le monde, et je ne le puis pas faire tant que je n’aurai pas d’intérieur. I must land in the world, and I can not do it until I have an interior. Si tu savais !… Il y a des jours où j’avais envie de tuer ton mari… » If you knew! ... There are days when I wanted to kill your husband ... " Il parlait de sa voix douce, voilée, séduisante, une voix qui entrait comme une musique dans l’oreille. He spoke in his soft voice, veiled, seductive, a voice that sounded like music in his ear.

Il vit deux larmes grossir lentement dans les yeux fixes de sa maîtresse, puis couler sur ses joues, tandis que deux autres se formaient déjà au bord des paupières. He saw two tears grow slowly in his mistress's fixed eyes, then run down his cheeks, while two others were already forming on the edge of his eyelids. Il murmura :

« Oh !

ne pleure pas, Clo, ne pleure pas, je t’en supplie. Tu me fends le cœur. You're tearing my heart. Alors, elle fit un effort, un grand effort pour être digne et fière ; et elle demanda avec ce ton chevrotant des femmes qui vont sangloter : Then she made an effort, a great effort to be worthy and proud; and she asked women who were going to sob,

« Qui est-ce ?

Il hésita une seconde, puis, comprenant qu’il le fallait : He hesitated a second, then, understanding that he had to:

« Madeleine Forestier.

Mme de Marelle tressaillit de tout son corps, puis elle demeura muette, songeant avec une telle attention qu’elle paraissait avoir oublié qu’il était à ses pieds. Madame de Marelle shuddered with all her body, then she remained silent, thinking with such attention that she seemed to have forgotten that he was at his feet.

Et deux gouttes transparentes se formaient sans cesse dans ses yeux, tombaient, se reformaient encore. And two transparent drops were constantly forming in his eyes, falling, still forming again.

Elle se leva.

Duroy devina qu’elle allait partir sans lui dire un mot, sans reproches et sans pardon : et il en fut blessé, humilié au fond de l’âme. Duroy guessed that she was going to leave without saying a word, without reproaches and without forgiveness: and he was wounded, humiliated in the depths of the soul. Voulant la retenir, il saisit à pleins bras sa robe, enlaçant à travers l’étoffe ses jambes rondes qu’il sentit se roidir pour résister. Wanting to hold her, he grabbed her dress with her arms, wrapping her round legs through the fabric, which he felt stiffen to resist. Il suppliait :

« Je t’en conjure, ne t’en va pas comme ça. "I beg you, do not go away like that.

» Alors elle le regarda, de haut en bas, elle le regarda avec cet œil mouillé, désespéré, si charmant et si triste qui montre toute la douleur d’un cœur de femme, et elle balbutia : « Je n’ai… je n’ai rien à dire… je n’ai… rien à faire… Tu… tu as raison… tu… tu… as bien choisi ce qu’il te fallait… » Then she looked at him from top to bottom, she looked at him with that wet, desperate eye, so charming and so sad that shows all the pain of a woman's heart, and she stammered: "I have ... I do not have nothing to say ... I have ... nothing to do ... you ... you're right ... you ... you ... have chosen what you need ... " Et s’étant dégagée d’un mouvement en arrière, elle s’en alla, sans qu’il tentât de la retenir plus longtemps. And having disengaged herself from a movement behind her, she went away, without attempting to hold her longer.

Demeuré seul, il se releva, étourdi comme s’il avait reçu un horion sur la tête ; puis prenant son parti, il murmura : « Ma foi, tant pis ou tant mieux. Left alone, he got up, stunned as if he had a horion on his head; then, taking his part, he murmured: "My faith, too bad or so much better.

Ça y est… sans scène. That's it ... without a scene. J’aime autant ça. I like that as much. » Et, soulagé d’un poids énorme, se sentant tout à coup libre, délivré, à l’aise pour sa vie nouvelle, il se mit à boxer contre le mur en lançant de grands coups de poing, dans une sorte d’ivresse de succès et de force, comme s’il se fût battu contre la Destinée. And relieved of enormous weight, suddenly feeling free, released, at ease for his new life, he began to box against the wall by throwing great fists in a sort of drunkenness. of success and strength, as if he had fought against Destiny. Quand Mme Forestier lui demanda : « Vous avez prévenu Mme de Marelle ? When Madame Forestier asked her, "You have warned Madame de Marelle?

Il répondit avec tranquillité : « Mais oui… » He replied calmly, "But yes ..."

Elle le fouillait de son œil clair. She searched him with her clear eye.

« Et ça ne l’a pas émue ? "And that did not move her?

– Mais non, pas du tout. - But no not at all.

Elle a trouvé ça très bien, au contraire. She found that very well, on the contrary. La nouvelle fut bientôt connue. The news was soon known.

Les uns s’étonnèrent, d’autres prétendirent l’avoir prévu, d’autres encore sourirent en laissant entendre que ça ne les surprenait point. Some were astonished, others pretended to have planned it, others smiled, hinting that it did not surprise them. Le jeune homme qui signait maintenant D. de Cantel ses chroniques, Duroy ses échos, et du Roy les articles politiques qu’il commençait à donner de temps en temps, passait la moitié des jours chez sa fiancée qui le traitait avec une familiarité fraternelle où entrait cependant une tendresse vraie mais cachée, une sorte de désir dissimulé comme une faiblesse. The young man who now signed D. de Cantel his chronicles, Duroy his echoes, and Roy the political articles he began to give from time to time, spent half of the days at his fiancée who treated him with a fraternal familiarity where there was, however, a true but hidden tenderness, a kind of desire concealed as a weakness.

Elle avait décidé que le mariage se ferait en grand secret, en présence des seuls témoins, et qu’on partirait le soir même pour Rouen. She had decided that the marriage would be done in secret, in the presence of the only witnesses, and that one would leave the same evening for Rouen. On irait le lendemain embrasser les vieux parents du journaliste, et on demeurerait quelques jours auprès d’eux. We would go the next day to kiss the old parents of the journalist, and we would stay a few days with them. Duroy s’était efforcé de la faire renoncer à ce projet, mais n’ayant pu y parvenir, il s’était soumis, à la fin. Duroy had tried to make her give up this project, but having failed to do so, he had submitted at the end.

Donc, le 10 mai étant venu, les nouveaux époux, ayant jugé inutiles les cérémonies religieuses, puisqu’ils n’avaient invité personne, rentrèrent pour fermer leurs malles, après un court passage à la mairie, et ils prirent à la gare Saint-Lazare le train de six heures du soir qui les emporta vers la Normandie. So, on the 10th of May, the new couple, having judged the religious ceremonies useless, since they had not invited anybody, returned to close their trunks, after a short passage at the town hall, and took them to the station. Lazare the six o'clock train that carried them to Normandy.

Ils n’avaient guère échangé vingt paroles jusqu’au moment où ils se trouvèrent seuls dans le wagon. They had barely exchanged twenty words until they were alone in the wagon.

Dès qu’ils se sentirent en route, ils se regardèrent et se mirent à rire, pour cacher une certaine gêne, qu’ils ne voulaient point laisser voir. As soon as they felt themselves on the road, they looked at each other and began to laugh, to hide a certain embarrassment, which they did not want to show. Le train traversait doucement la longue gare des Batignolles, puis il franchit la plaine galeuse qui va des fortifications à la Seine. The train gently crossed the long station of Batignolles, then it crosses the plague plain which goes from the fortifications to the Seine.

Duroy et sa femme, de temps en temps, prononçaient quelques mots inutiles, puis se tournaient de nouveau vers la portière. Duroy and his wife, from time to time, uttered some useless words, then turned back to the door.

Quand ils passèrent le pont d’Asnières, une gaieté les saisit à la vue de la rivière couverte de bateaux, de pêcheurs et de canotiers. When they passed the bridge of Asnieres, a gaiety seizes them at the sight of the river covered with boats, fishermen and boaters.

Le soleil, un puissant soleil de mai, répandait sa lumière oblique sur les embarcations et sur le fleuve calme qui semblait immobile, sans courant et sans remous, figé sous la chaleur et la clarté du jour finissant. The sun, a mighty May sun, shed its oblique light on the boats and on the calm river which seemed motionless, without current and without eddy, frozen in the heat and the clarity of the finishing day. Une barque à voile, au milieu de la rivière, ayant tendu sur ses deux bords deux grands triangles de toile blanche pour cueillir les moindres souffles de brise, avait l’air d’un énorme oiseau prêt à s’envoler. A sailing boat, in the middle of the river, having stretched on its two sides two large triangles of white cloth to gather the slightest breezes, looked like a huge bird ready to fly. Duroy murmura :

« J’adore les environs de Paris, j’ai des souvenirs de fritures qui sont les meilleurs de mon existence. "I love the surroundings of Paris, I have memories of fries that are the best of my life.

Elle répondit :

« Et les canots ! "And the canoes!

Comme c’est gentil de glisser sur l’eau au coucher du soleil. How nice to slide on the water at sunset. Puis ils se turent comme s’ils n’avaient point osé continuer ces épanchements sur leur vie passée, et ils demeurèrent muets, savourant peut-être déjà la poésie des regrets. Then they were silent as if they had not dared to continue these effusions on their past life, and they remained silent, perhaps already savoring the poetry of regret.

Duroy, assis en face de sa femme, prit sa main et la baisa lentement. Duroy, sitting in front of his wife, took her hand and kissed it slowly.

« Quand nous serons revenus, dit-il, nous irons quelquefois dîner à Chatou. "When we are back," said he, "we will sometimes go to dinner at Chatou.

Elle murmura :

« Nous aurons tant de choses à faire ! "We will have so much to do!

» sur un ton qui semblait signifier : « Il faudra sacrifier l’agréable à l’utile. In a tone that seemed to mean: "It will sacrifice the pleasant to the useful. Il tenait toujours sa main, se demandant avec inquiétude par quelle transition il arriverait aux caresses. He was still holding his hand, wondering anxiously by what transition he would reach the caresses.

Il n’eût point été troublé de même devant l’ignorance d’une jeune fille ; mais l’intelligence alerte et rusée qu’il sentait en Madeleine rendait embarrassée son attitude. He would not have been troubled by the ignorance of a young girl; but the intelligent and cunning intelligence he felt in Madeleine made his attitude embarrassed. Il avait peur de lui sembler niais, trop timide ou trop brutal, trop lent ou trop prompt. He was afraid of looking foolish, too shy or too brutal, too slow or too quick. Il serrait cette main par petites pressions, sans qu’elle répondît à son appel. He squeezed this hand in little pressure, without answering his call.

Il dit : « Ça me semble très drôle que vous soyez ma femme. "It seems very funny to me that you are my wife.

Elle parut surprise : She looked surprised:

« Pourquoi ça ?

– Je ne sais pas.

Ça me semble drôle. J’ai envie de vous embrasser, et je m’étonne d’en avoir le droit. I want to kiss you, and I'm surprised to have the right. Elle lui tendit tranquillement sa joue, qu’il baisa comme il eût baisé celle d’une sœur. She gave him his cheek, which he kissed as he kissed a sister's.

Il reprit :

« La première fois que je vous ai vue (vous savez bien, à ce dîner où m’avait invité Forestier), j’ai pensé : « Sacristi, si je pouvais découvrir une femme comme ça.

» Eh bien, c’est fait. Je l’ai. Elle murmura :

« C’est gentil.

» Et elle le regardait tout droit, finement, de son œil toujours souriant. And she was looking at him straight, finely, with her ever smiling eye. Il songeait : « Je suis trop froid. He thought, "I'm too cold.

Je suis stupide. Je devrais aller plus vite que ça. » Et il demanda : « Comment aviez-vous donc fait la connaissance de Forestier ? "How did you meet Forestier?

Elle répondit, avec une malice provocante : She replied, with provocative malice:

« Est-ce que nous allons à Rouen pour parler de lui ? "Are we going to Rouen to talk about him?

Il rougit : « Je suis bête. He blushed, "I'm stupid.

Vous m’intimidez beaucoup. You intimidate me a lot. Elle fut ravie : « Moi ! She was delighted: "Me!

Pas possible ? Not possible ? D’où vient ça ? Where does this come from? Il s’était assis à côté d’elle, tout près. He had sat next to her, close by.

Elle cria : « Oh ! She shouted, "Oh! un cerf ! a deer ! Le train traversait la forêt de Saint-Germain ; et elle avait vu un chevreuil effrayé franchir d’un bond une allée. The train crossed the forest of Saint-Germain; and she had seen a frightened deer leap over an alley.

Duroy s’étant penché pendant qu’elle regardait par la portière ouverte posa un long baiser, un baiser d’amant dans les cheveux de son cou. Duroy leaned over as she stared through the open door and laid a long kiss, a lover's kiss in the hair on her neck.

Elle demeura quelques moments immobile ; puis, relevant la tête : She remained a few moments motionless; then, raising his head:

« Vous me chatouillez, finissez. "You tickle me, finish.

Mais il ne s’en allait point, promenant doucement, en une caresse énervante et prolongée, sa moustache frisée sur la chair blanche. But he was not going away, walking slowly, in an irritating and prolonged caress, his curly mustache on the white flesh.

Elle se secoua : She shook herself:

« Finissez donc. "Finish then.

Il avait saisi la tête de sa main droite glissée derrière elle, et il la tournait vers lui. He had grabbed the head with his right hand slid behind her, and he was turning to him.

Puis il se jeta sur sa bouche comme un épervier sur une proie. Then he threw himself on his mouth like a hawk on a prey. Elle se débattait, le repoussait, tâchait de se dégager. She struggled, pushed him away, tried to free herself.

Elle y parvint enfin, et répéta : She finally succeeded, and repeated: « Mais finissez donc. "But finish, then.

Il ne l’écoutait, plus, l’étreignant, la baisant d’une lèvre avide et frémissante, essayant de la renverser sur les coussins du wagon. He no longer listened to her, hugging her, kissing her with an eager, quivering lip, trying to knock her over on the wagon cushions.

Elle se dégagea d’un grand effort, et, se levant avec vivacité : She disengaged herself from a great effort, and rising briskly:

« Oh ! " Oh !

voyons, Georges, finissez. Nous ne sommes pourtant plus des enfants, nous pouvons bien attendre Rouen. We are no longer children, we can wait for Rouen. Il demeurait assis, très rouge, et glacé par ces mots raisonnables ; puis, ayant repris quelque sang-froid : He remained seated, very red, and chilled by these reasonable words; then, having recovered some coolness:

« Soit, j’attendrai, dit-il avec gaieté, mais je ne suis plus fichu de prononcer vingt paroles jusqu’à l’arrivée. "Well, I'll wait," he said cheerfully, "but I'm no longer able to say twenty words until I get there.

Et songez que nous traversons Poissy. And think we're crossing Poissy. – C’est moi qui parlerai », dit-elle. "I will speak," she said.

Elle se rassit doucement auprès de lui. She sat down slowly beside him.

Et elle parla, avec précision, de ce qu’ils feraient à leur retour. And she spoke with precision of what they would do when they returned.

Ils devaient conserver l’appartement qu’elle habitait avec son premier mari, et Duroy héritait aussi des fonctions et du traitement de Forestier à La Vie Française . They had to keep the apartment she lived with her first husband, and Duroy also inherited the functions and treatment of Forestier at La Vie Francaise. Avant leur union, du reste, elle avait réglé, avec une sûreté d’homme d’affaires, tous les détails financiers du ménage. Before their union, moreover, she had settled, with a safety of businessman, all the financial details of the household.

Ils s’étaient associés sous le régime de la séparation de biens, et tous les cas étaient prévus qui pouvaient survenir : mort, divorce, naissance d’un ou de plusieurs enfants. They had joined under the system of separation of property, and all cases were foreseen that could occur: death, divorce, birth of one or more children.

Le jeune homme apportait quatre mille francs, disait-il, mais, sur cette somme, il en avait emprunté quinze cents. The young man brought four thousand francs, he said, but on that sum he had borrowed fifteen hundred francs. Le reste provenait d’économies faites dans l’année, en prévision de l’événement. The rest came from savings made in the year, in anticipation of the event. La jeune femme apportait quarante mille francs que lui avait laissés Forestier, disait-elle. The young woman brought forty thousand francs which Forestier had left him, she said. Elle revint à lui, citant son exemple : She came back to him, citing his example:

« C’était un garçon très économe, très rangé, très travailleur. "He was a very economical boy, very tidy, very hardworking.

Il aurait fait fortune en peu de temps. He would have made a fortune in a short time. Duroy n’écoutait plus, tout occupé d’autres pensées. Duroy was not listening any more, busy with other thoughts.

Elle s’arrêtait parfois pour suivre une idée intime, puis reprenait : She stopped sometimes to follow an intimate idea, then resumed:

« D’ici à trois ou quatre ans, vous pouvez fort bien gagner de trente à quarante mille francs par an. "In three or four years' time, you can earn between thirty and forty thousand francs a year.

C’est ce qu’aurait eu Charles, s’il avait vécu. That's what Charles would have if he had lived. Georges, qui commençait à trouver longue la leçon, répondit : George, who was beginning to find a long lesson, replied:

« Il me semblait que nous n’allions pas à Rouen pour parler de lui. "It seemed to me that we were not going to Rouen to talk about him.

Elle lui donna une petite tape sur la joue : She gave him a pat on the cheek:

« C’est vrai, j’ai tort.

Elle riait.

Il affectait de tenir ses mains sur ses genoux, comme les petits garçons bien sages. He affected to hold his hands on his knees, like the well-behaved little boys.

« Vous avez l’air niais, comme ça », dit-elle. "You look silly, like that," she said.

Il répliqua :

« C’est mon rôle, auquel vous m’avez d’ailleurs rappelé tout à l’heure, et je n’en sortirai plus. "It's my role, to which you reminded me a moment ago, and I'll never leave it again.

– Pourquoi ?

– Parce que c’est vous qui prenez la direction de la maison, et même celle de ma personne. - Because it's you who take the direction of the house, and even that of my person.

Cela vous regarde, en effet, comme veuve ! It concerns you, indeed, as a widow! Elle fut étonnée : She was astonished:

« Que voulez-vous dire au juste ? "What do you mean exactly?

– Que vous avez une expérience qui doit dissiper mon ignorance, et une pratique du mariage qui doit dégourdir mon innocence de célibataire, voilà, na ! - That you have an experience that must dispel my ignorance, and a practice of marriage that must stretch my innocence as a single person, here, na!

Elle s’écria : She exclaimed:

« C’est trop fort ! " It's too strong !

Il répondit : He answered :

« C’est comme ça. " It's like that.

Je ne connais pas les femmes, moi, – na, – et vous connaissez les hommes, vous, puisque vous êtes veuve, – na, – c’est vous qui allez faire mon éducation… ce soir, – na, – et vous pouvez même commencer tout de suite, si vous voulez, – na. I do not know women, me, - na, - and you know men, you, since you're a widow, - na, - you're going to do my education ... tonight, - na, - and you can even start right away, if you want, - na. Elle s’écria, très égayée : She cried, very cheered:

« Oh !

par exemple, si vous comptez sur moi pour ça !… » for example, if you count on me for that! ... " Il prononça, avec une voix de collégien qui bredouille sa leçon : He pronounced, with a schoolboy voice that muddles his lesson:

« Mais oui, – na, – j’y compte.

Je compte même que vous me donnerez une instruction solide… en vingt leçons… dix pour les éléments… la lecture et la grammaire… dix pour les perfectionnements et la rhétorique… Je ne sais rien, moi – na. I even expect you to give me a solid education ... in twenty lessons ... ten for the elements ... reading and grammar ... ten for perfection and rhetoric ... I do not know anything, me - na. Elle s’écria, s’amusant beaucoup : She cried, enjoying herself a lot:

« T’es bête. " You are stupid.

Il reprit :

« Puisque tu commences par me tutoyer, j’imiterai aussitôt cet exemple, et je te dirai, mon amour, que je t’adore de plus en plus, de seconde en seconde, et que je trouve Rouen bien loin ! "Since you begin to talk to me, I will immediately imitate this example, and I will tell you, my love, that I adore you more and more, from second to second, and that I find Rouen far away!

Il parlait maintenant avec des intonations d’acteur, avec un jeu plaisant de figure qui divertissaient la jeune femme habituée aux manières et aux joyeusetés de la grande bohème des hommes de lettres. He spoke now with the intonations of an actor, with a pleasing play of face, which amused the young woman accustomed to the manners and gimmicks of the great bohemian men of letters.

Elle le regardait de côté, le trouvant vraiment charmant, éprouvant l’envie qu’on a de croquer un fruit sur l’arbre, et l’hésitation du raisonnement qui conseille d’attendre le dîner pour le manger à son heure. She looked at him sideways, finding him really charming, feeling the urge to bite a fruit on the tree, and the hesitation of the reasoning that advises to wait for dinner to eat it in its own time.

Alors elle dit, devenant un peu rouge aux pensées qui l’assaillaient : Then she said, becoming a little red to the thoughts that assailed her:

« Mon petit élève, croyez mon expérience, ma grande expérience. "My little pupil, believe my experience, my great experience.

Les baisers en wagon ne valent rien. Kisses on a wagon are worthless. Ils tournent sur l’estomac. They turn on the stomach. Puis elle rougit davantage encore, en murmurant : Then she blushed even more, murmuring:

« Il ne faut jamais couper son blé en herbe. "You must never cut your wheat grass.

Il ricanait, excité par les sous-entendus qu’il sentait glisser dans cette jolie bouche ; et il fit le signe de la croix avec un marmottement des lèvres, comme s’il eût murmuré une prière, puis il déclara : He sneered, excited by the innuendoes he felt slipping into that pretty mouth; and he made the sign of the cross with a muttering of his lips, as if he had murmured a prayer, and said:

« Je viens de me mettre sous la protection de saint Antoine, patron des Tentations. "I have just put myself under the protection of St. Anthony, patron saint of Temptations.

Maintenant, je suis de bronze. Now I am bronze. La nuit venait doucement, enveloppant d’ombre transparente, comme d’un crêpe léger, la grande campagne qui s’étendait à droite. Night was coming slowly, enveloping in transparent shade, like a light crepe, the great countryside stretching to the right.

Le train longeait la Seine, et les jeunes gens se mirent à regarder dans le fleuve, déroulé comme un large ruban de métal poli à côté de la voie, des reflets rouges, des taches tombées du ciel que le soleil en s’en allant avait frotté de pourpre et de feu. The train ran along the Seine, and the young men began to look in the river, unrolled like a broad ribbon of polished metal beside the way, red glints, stains fallen from the sky that the sun went away had rubbed with purple and fire. Ces lueurs s’éteignaient peu à peu, devenaient foncées, s’assombrissant tristement. These gleams were gradually fading, becoming dark, darkening sadly. Et la campagne se noyait dans le noir, avec ce frisson sinistre, ce frisson de mort que chaque crépuscule fait passer sur la terre. And the countryside was drowning in the darkness, with that ominous shiver, that thrill of death that every twilight sends to the earth. Cette mélancolie du soir entrant par la portière ouverte pénétrait les âmes, si gaies tout à l’heure, des deux époux devenus silencieux. The melancholy of the evening entering through the open door penetrated the souls, so gay now, of the couple who had become silent.

Ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre pour regarder cette agonie du jour, de ce beau jour clair de mai. They had moved closer to each other to watch the agony of the day, of that beautiful, clear day of May.

À Mantes, on avait allumé le petit quinquet à l’huile qui répandait sur le drap gris des capitons sa clarté jaune et tremblotante. At Mantes the little oil quill was lit, and its yellow, flickering light spread on the gray cloth of the dimples.

Duroy enlaça la taille de sa femme et la serra contre lui. Duroy embraced his wife's waist and hugged her.

Son désir aigu de tout à l’heure devenait de la tendresse, une tendresse alanguie, une envie molle de menues caresses consolantes, de ces caresses dont on berce les enfants. His acute desire for a moment ago became tenderness, languid tenderness, a soft desire for small consoling caresses, for those caresses with which children are cradled. Il murmura, tout bas :

« Je t’aimerai bien, ma petite Made. "I will love you, my little Made.

La douceur de cette voix émut la jeune femme, lui fit passer sur la chair un frémissement rapide, et elle offrit sa bouche, en se penchant vers lui, car il avait posé sa joue sur le tiède appui des seins. The sweetness of this voice moved the young woman, made him pass on the flesh a rapid shudder, and she offered his mouth, leaning towards him, because he had put his cheek on the warm support of the breasts.

Ce fut un très long baiser, muet et profond, puis un sursaut, une brusque et folle étreinte, une courte lutte essoufflée, un accouplement violent et maladroit. It was a very long kiss, mute and deep, then a start, a sudden and mad embrace, a short struggle out of breath, a violent and clumsy mating.

Puis ils restèrent aux bras l’un de l’autre, un peu déçus tous deux, las et tendres encore, jusqu’à ce que le sifflet du train annonçât une gare prochaine. Then they remained in each other's arms, a little disappointed both, tired and tender again, until the whistle of the train announced a nearby station. Elle déclara, en tapotant du bout des doigts les cheveux ébouriffés de ses tempes : She said, tapping with her fingertips the tousled hair of her temples:

« C’est très bête. "It's very stupid.

Nous sommes des gamins. We are kids. Mais il lui baisait les mains, allant de l’une à l’autre avec une rapidité fiévreuse et il répondit : But he kissed his hands, going from one to the other with feverish rapidity, and he answered:

« Je t’adore, ma petite Made. "I adore you, my little Made.

Jusqu’à Rouen ils demeurèrent presque immobiles, la joue contre la joue, les yeux dans la nuit de la portière où l’on voyait passer parfois les lumières des maisons ; et ils rêvassaient, contents de se sentir si proches et dans l’attente grandissante d’une étreinte plus intime et plus libre. As far as Rouen they remained almost motionless, cheek to cheek, eyes in the darkness of the door where the lights of the houses were sometimes seen; and they dreamed, happy to feel so close and in the growing expectation of a more intimate and free embrace.

Ils descendirent dans un hôtel dont les fenêtres donnaient sur le quai, et ils se mirent au lit après avoir un peu soupé, très peu. They went down to a hotel whose windows looked out on the platform, and they went to bed after a little supper, very little.

La femme de chambre les réveilla, le lendemain, lorsque huit heures venaient de sonner. The maid woke them the next day when eight o'clock had just struck. Quand ils eurent bu la tasse de thé posée sur la table de nuit, Duroy regarda sa femme, puis brusquement avec l’élan joyeux d’un homme heureux qui vient de trouver un trésor, il la saisit dans ses bras, en balbutiant : When they had drunk the cup of tea on the bedside table, Duroy looked at his wife, then abruptly with the joyous outburst of a happy man who had just found a treasure, he grabbed her in his arms, stammering:

« Ma petite Made, je sens que je t’aime beaucoup… beaucoup… beaucoup… » "My little Made, I feel that I love you a lot ... a lot ... a lot ..."

Elle souriait de son sourire confiant et satisfait et elle murmura, en lui rendant ses baisers : She smiled with her confident and satisfied smile and whispered, kissing her:

« Et moi aussi… peut-être. "And me too ... maybe.

Mais il demeurait inquiet de cette visite à ses parents. But he remained worried about this visit to his parents.

Il avait déjà souvent prévenu sa femme ; il l’avait préparée, sermonnée. He had often warned his wife; he had prepared it, lectured.

Il crut bon de recommencer. He thought it best to start again. « Tu sais, ce sont des paysans, des paysans de campagne, et non pas d’opéra-comique. "You know, they're peasants, country peasants, not comic operas.

Elle riait :

« Mais je le sais, tu me l’as assez dit. "But I know it, you told me enough.

Voyons, lève-toi et laisse-moi me lever aussi. Come on, get up and let me get up too. Il sauta du lit, et mettant ses chaussettes : He jumped out of bed, and putting on his socks:

« Nous serons très mal à la maison, très mal. "We will be very bad at home, very badly.

Il n’y a qu’un vieux lit à paillasse dans ma chambre. There is only one old bench-top bed in my room. On ne connaît pas les sommiers, à Canteleu. We do not know the sommiers, in Canteleu. Elle semblait enchantée : She seemed delighted:

« Tant mieux. "All the better.

Ce sera charmant de mal dormir… auprès de… auprès de toi… et d’être réveillée par le chant des coqs. It will be lovely to sleep badly ... near ... with you ... and be awakened by the roosters' singing. Elle avait passé son peignoir, un grand peignoir de flanelle blanche, que Duroy reconnut aussitôt. She had put on her bathrobe, a big white flannel robe, which Duroy recognized immediately.

Cette vue lui fut désagréable. This view was unpleasant to him. Pourquoi ?

Sa femme possédait, il le savait bien, une douzaine entière de ces vêtements de matinée. His wife possessed, he knew, a dozen of these morning clothes. Elle ne pouvait pourtant point détruire son trousseau pour en acheter un neuf ? She could not, however, destroy her trousseau to buy a new one? N’importe, il eût voulu que son linge de chambre, son linge de nuit, son linge d’amour ne fût plus le même qu’avec l’autre. No matter, he would have liked his linen, his night-clothes, his linen of love, to be no longer the same as with the other. Il lui semblait que l’étoffe moelleuse et tiède devait avoir gardé quelque chose du contact de Forestier. It seemed to him that the soft and warm stuff must have kept something of Forestier's touch. Et il alla vers la fenêtre en allumant une cigarette. And he went to the window, lighting a cigarette.

La vue du port, du large fleuve plein de navires aux mâts légers, de vapeurs trapus, que des machines tournantes vidaient à grand bruit sur les quais, le remua, bien qu’il connût cela depuis longtemps. The sight of the harbor, of the broad river full of ships with light masts, of stocky vapors, which rotating machinery was making great noise on the quays, stirred him up, although he had known that for a long time. Et il s’écria : « Bigre, que c’est beau ! "How beautiful!

Madeleine accourut et posant ses deux mains sur une épaule de son mari, penchée vers lui dans un geste abandonné, elle demeura ravie, émue. Madeleine hastened up and resting her two hands on one of her husband's shoulders, bending towards him in an abandoned gesture, she remained delighted and moved.

Elle répétait : « Oh !

que c’est joli ! que c’est joli ! Je ne savais pas qu’il y eût tant de bateaux que ça ? I did not know there were so many boats? Ils partirent une heure plus tard, car ils devaient déjeuner chez les vieux, prévenus depuis quelques jours. They left an hour later, because they had lunch at the old house, warned for a few days.

Un fiacre découvert et rouillé les emporta avec un bruit de chaudronnerie secouée. An uncovered and rusty cab took them away with a rattling sound. Ils suivirent un long boulevard assez laid, puis traversèrent des prairies où coulait une rivière, puis ils commencèrent à gravir la côte. They followed a long, ugly boulevard, then crossed meadows with a river, then began to climb the coast. Madeleine, fatiguée, s’était assoupie sous la caresse pénétrante du soleil qui la chauffait délicieusement au fond de la vieille voiture, comme si elle eût été couchée dans un bain tiède de lumière et d’air champêtre. Madeleine, tired, had fallen asleep under the penetrating caress of the sun, which warmed her deliciously at the bottom of the old carriage, as if she had been lying in a warm bath of light and country air.

Son mari la réveilla. Her husband woke her up.

« Regarde », dit-il.

Ils venaient de s’arrêter aux deux tiers de la montée, à un endroit renommé pour la vue, où l’on conduit tous les voyageurs. They had just stopped at two-thirds of the climb, at a place renowned for the sight, where all the travelers are driven.

On dominait l’immense vallée, longue et large, que le fleuve clair parcourait d’un bout à l’autre, avec de grandes ondulations. The immense valley, long and broad, was dominated by the clear river running from one end to the other, with great undulations.

On le voyait venir de là-bas, taché par des îles nombreuses et décrivant une courbe avant de traverser Rouen. He was seen coming from there, stained by numerous islands and describing a curve before crossing Rouen. Puis la ville apparaissait sur la rive droite, un peu noyée dans la brume matinale, avec des éclats de soleil sur ses toits, et ses mille clochers légers, pointus ou trapus, frêles et travaillés comme des bijoux géants, ses tours carrées ou rondes coiffées de couronnes héraldiques, ses beffrois, ses clochetons, tout le peuple gothique des sommets d’églises que dominait la flèche aiguë de la cathédrale, surprenante aiguille de bronze, laide, étrange et démesurée, la plus haute qui soit au monde. Then the city appeared on the right bank, a little drowned in the morning mist, with bursts of sunlight on its roofs, and its thousand steeples light, pointed or stocky, frail and worked like giant jewels, its square or round towers capped heraldic crowns, belfries, bell-towers, all the Gothic people from the tops of churches, dominated by the sharp spire of the cathedral, a surprising bronze needle, ugly, strange, and disproportionate, the highest in the world. Mais en face, de l’autre côté du fleuve, s’élevaient, rondes et renflées à leur faîte, les minces cheminées d’usines du vaste faubourg de Saint-Sever. But on the other side, on the other side of the river, rose, round and swollen at their ridge, the slender chimneys of factories of the vast suburb of Saint-Sever.

Plus nombreuses que leurs frères les clochers, elles dressaient jusque dans la campagne lointaine leurs longues colonnes de briques et soufflaient dans le ciel bleu leur haleine noire de charbon. More numerous than their brethren were the steeples, which raised their long columns of bricks into the distant country, and breathed in the blue sky their black breath of coal.

Et la plus élevée de toutes, aussi haute que la pyramide de Chéops, le second des sommets dus au travail humain, presque l’égale de sa fière commère la flèche de la cathédrale, la grande pompe à feu de la Foudre semblait la reine du peuple travailleur et fumant des usines, comme sa voisine était la reine de la foule pointue des monuments sacrés. And the highest of all, as high as the pyramid of Cheops, the second of the summits due to human labor, almost the equal of her proud as the spire of the cathedral, the great fire pump of Lightning seemed the queen of working people and smoking factories, as her neighbor was the queen of the pointed crowd of sacred monuments.

Là-bas, derrière la ville ouvrière, s’étendait une forêt de sapins ; et la Seine, ayant passé entre les deux cités, continuait sa route, longeait une grande côte onduleuse boisée en haut et montrant par place ses os de pierre blanche, puis elle disparaissait à l’horizon après avoir encore décrit une longue courbe arrondie. There, behind the working-class city, lay a forest of fir trees; and the Seine, having passed between the two cities, continued its course, skirted a large undulating coast wooded at the top and showing its bones of white stone, and then disappeared on the horizon after having again described a long rounded curve.

On voyait des navires montant et descendant le fleuve, traînés par des barques à vapeur grosses comme des mouches et qui crachaient une fumée épaisse. Vessels were seen coming up and down the river, dragged by steamer boats as large as flies, and spitting thick smoke. Des îles, étalées sur l’eau, s’alignaient toujours l’une au bout de l’autre, ou bien laissant entre elles de grands intervalles, comme les grains inégaux d’un chapelet verdoyant. Islands, spread out on the water, always lined up one at the end of the other, or left between them great intervals, like the unequal grains of a green chaplet. Le cocher du fiacre attendait que les voyageurs eussent fini de s’extasier. The cabman's coachman waited until the travelers had finished raving.

Il connaissait par expérience la durée de l’admiration de toutes les races de promeneurs. He knew by experience the duration of the admiration of all races of walkers. Mais quand il se remit en marche, Duroy aperçut soudain, à quelques centaines de mètres, deux vieilles gens qui s’en venaient, et il sauta de la voiture, en criant : « Les voilà. But when he stepped back, Duroy suddenly saw, two hundred feet away, two old people coming, and he jumped out of the car, shouting, "Here they are.

Je les reconnais. C’étaient deux paysans, l’homme et la femme, qui marchaient d’un pas régulier, en se balançant et se heurtant parfois de l’épaule. There were two peasants, the man and the woman, walking with a steady pace, swaying and sometimes bumping their shoulders.

L’homme était petit, trapu, rouge et un peu ventru, vigoureux malgré son âge ; la femme, grande, sèche, voûtée, triste, la vraie femme de peine des champs qui a travaillé dès l’enfance et qui n’a jamais ri, tandis que le mari blaguait en buvant avec les pratiques. The man was short, stocky, red, and a little thick, vigorous despite his age; the woman, tall, dry, hunched, sad, the real woman of the field who worked from childhood and never laughed, while the husband joked while drinking with the practices. Madeleine aussi était descendue de voiture et elle regardait venir ces deux pauvres êtres avec un serrement de cœur, une tristesse qu’elle n’avait point prévue. Madeleine had also got out of her carriage, and she was looking at these two poor creatures with a squeeze of heart, a sadness she had not foreseen.

Ils ne reconnaissaient point leur fils, ce beau monsieur, et ils n’auraient jamais deviné leur bru dans cette belle dame en robe claire. They did not recognize their son, this handsome gentleman, and they would never have guessed their daughter-in-law in this beautiful lady in a bright dress. Ils allaient, sans parler et vite, au-devant de l’enfant attendu, sans regarder ces personnes de la ville que suivait une voiture. They went, without speaking and quickly, to meet the awaited child, without looking at those people in the city who were following a car.

Ils passaient.

Georges, qui riait, cria : « Bonjour, pé Duroy.

Ils s’arrêtèrent net, tous les deux, stupéfaits d’abord, puis abrutis de surprise. They both stopped, stupefied at first, then stupefied with surprise.

La vieille se remit la première et balbutia, sans faire un pas : The old woman got back first and stammered, without taking a step: « C’est-i té, not' fieu ? "What is it, our heart?

Le jeune homme répondit : The young man replied:

« Mais oui, c’est moi, la mé Duroy ! "Yes, it's me, the Duroy!

» et marchant à elle, il l’embrassa sur les deux joues, d’un gros baiser de fils. And walking to her, he kissed her on both cheeks, with a big kiss of threads. Puis il frotta ses tempes contre les tempes du père, qui avait ôté sa casquette, une casquette à la mode de Rouen, en soie noire, très haute, pareille à celle des marchands de bœufs. Then he rubbed his temples against the temples of the father, who had taken off his cap, a cap in the Rouen fashion, in black silk, very high, like that of the beef merchants. Puis Georges annonça : « Voilà ma femme. Then George announced, "Here is my wife.

» Et les deux campagnards regardèrent Madeleine. And the two countrymen looked at Madeleine. Ils la regardèrent comme on regarde un phénomène, avec une crainte inquiète, jointe à une sorte d’approbation satisfaite chez le père, à une inimitié jalouse chez la mère. They looked at it as one looks at a phenomenon, with anxious fear, joined to a sort of satisfied approbation from the father, to a jealous enmity with the mother. L’homme, qui était d’un naturel joyeux, tout imbibé par une gaieté de cidre doux et d’alcool, s’enhardit et demanda, avec une malice au coin de l’œil : The man, who was naturally cheerful, soaked in a gaiety of sweet cider and alcohol, bolded himself and asked, with a malice in the corner of his eye:

« J’pouvons-ti l’embrasser tout d’même ? "Can I kiss her anyway?

Le fils répondit : « Parbleu. The son replied: "Parbleu.

» Et Madeleine, mal à l’aise, tendit ses deux joues aux bécots sonores du paysan qui s’essuya ensuite les lèvres d’un revers de main. And Madeleine, uncomfortable, held out both her cheeks to the sound of the peasant, which then wiped her lips with the back of her hand. La vieille, à son tour, baisa sa belle-fille avec une réserve hostile. The old woman, in turn, kissed her daughter-in-law with a hostile reserve.

Non, ce n’était point la bru de ses rêves, la grosse et fraîche fermière, rouge comme une pomme et ronde comme une jument poulinière. No, it was not the daughter-in-law of her dreams, the fat, fresh farmer, as red as an apple and round as a broodmare. Elle avait l’air d’une traînée, cette dame-là, avec ses falbalas et son musc. She looked like a drag, that lady, with her furbelows and her musk. Car tous les parfums, pour la vieille, étaient du musc. Because all the perfumes, for the old woman, were musk. Et on se remit en marche à la suite du fiacre qui portait la malle des nouveaux époux. And we started again after the cab carrying the trunk of the new couple.

Le vieux prit son fils par le bras, et le retenant en arrière, il demanda avec intérêt : The old man took his son by the arm, and holding him back, he asked with interest:

« Eh ben, ça va-t-il, les affaires ? "Well, what's up, business?

– Mais oui, très bien. - Yes, very good.

– Allons suffit, tant mieux ! - Come on, all the better!

Dis-mé, ta femme, est-i aisée ? Tell me, your wife, is it easy? Georges répondit : George replied:

« Quarante mille francs. "Forty thousand francs.

Le père poussa un léger sifflement d’admiration et ne put que murmurer : « Bougre ! The father gave a slight hiss of admiration and could only murmur, "Bum!

» tant il fut ému par la somme. He was so moved by the sum. Puis il ajouta avec une conviction sérieuse : « Nom d’un nom, c’est une belle femme. Then he added with serious conviction: "Name of a name, it is a beautiful woman. » Car il la trouvait de son goût, lui. For he found it to his liking. Et il avait passé pour connaisseur, dans le temps. And he had passed for connoisseur, in time. Madeleine et la mère marchaient côte à côte, sans dire un mot. Madeleine and the mother walked side by side, without saying a word.

Les deux hommes les rejoignirent. The two men joined them. On arrivait au village, un petit village en bordure sur la route, formé de dix maisons de chaque côté, maisons de bourg et masures de fermes, les unes en briques, les autres en argile, celles-ci coiffées de chaume et celles-là d’ardoise. We arrived at the village, a small village bordering the road, consisting of ten houses on each side, town houses and farmhouses, some in bricks, the others in clay, the latter thatched and those slate.

La café du père Duroy : « À la belle vue », une bicoque composée d’un rez-de-chaussée et d’un grenier, se trouvait à l’entrée du pays, à gauche. Father Duroy's café: "At the beautiful view", a shack composed of a ground floor and an attic, was at the entrance of the country, on the left. Une branche de pin, accrochée sur la porte, indiquait, à la mode ancienne, que les gens altérés pouvaient entrer. A pine branch, hung on the door, indicated, in the old fashion, that weathered people could enter. Le couvert était mis dans la salle du cabaret, sur deux tables rapprochées et cachées par deux serviettes. The cutlery was put in the cabaret room, on two tables close together and hidden by two napkins.

Une voisine, venue pour aider au service, salua d’une grande révérence en voyant apparaître une aussi belle dame, puis reconnaissant Georges, elle s’écria : « Seigneur Jésus, c’est-i té, petiot ? A neighbor, who had come to help in the service, bowed with a great bow when she saw such a beautiful lady appear, and then recognizing Georges, exclaimed: "Lord Jesus, is that you, little one? Il répondit gaiement :

« Oui, c’est moi, la mé Brulin !

Et il l’embrassa aussitôt comme il avait embrassé père et mère.

Puis il se tourna vers sa femme :

« Viens dans notre chambre, dit-il, tu te débarrasseras de ton chapeau. "Come to our room," he said, "you'll get rid of your hat.

Il la fit entrer par la porte de droite dans une pièce froide, carrelée, toute blanche, avec ses murs peints à la chaux et son lit aux rideaux de coton. He led her through the door on the right into a cold, tiled, white room with its whitewashed walls and cotton-curtained bed.

Un crucifix au-dessus d’un bénitier, et deux images coloriées représentant Paul et Virginie sous un palmier bleu et Napoléon Iersur un cheval jaune, ornaient seuls cet appartement propre et désolant. A crucifix above a holy water font, and two colored images of Paul and Virginia under a blue palm tree and Napoleon I on a yellow horse, adorned this clean and desolate apartment alone. Dès qu’ils furent seuls, il embrassa Madeleine : As soon as they were alone, he kissed Madeleine:

« Bonjour, Made. "Hello, Made.

Je suis content de revoir les vieux. I'm happy to see the old people again. Quand on est à Paris, on n’y pense pas, et puis quand on se retrouve, ça fait plaisir tout de même. When we are in Paris, we do not think about it, and then when we meet, it's nice all the same. Mais le père criait en tapant du poing la cloison : But the father shouted, punching the partition:

« Allons, allons, la soupe est cuite. "Come, come, the soup is cooked.

Et il fallut se mettre à table. And we had to sit down to table.

Ce fut un long déjeuner de paysans avec une suite de plats mal assortis, une andouille après un gigot, une omelette après l’andouille. It was a long lunch of peasants with a series of mis-matched dishes, an andouille after a leg of lamb, an omelette after the andouille.

Le père Duroy, mis en joie par le cidre et quelques verres de vin, lâchait le robinet de ses plaisanteries de choix, celles qu’il réservait pour les grandes fêtes, histoires grivoises et malpropres arrivées à ses amis, affirmait-il. Father Duroy, delighted by the cider and a few glasses of wine, let go of the taps of his favorite jokes, those which he reserved for the great feasts, dirty and unclean stories that had arrived to his friends, he asserted. Georges, qui les connaissait toutes, riait cependant, grisé par l’air natal, ressaisi par l’amour inné du pays, des lieux familiers dans l’enfance, par toutes les sensations, tous les souvenirs retrouvés, toutes les choses d’autrefois revues, des riens, une marque de couteau dans une porte, une chaise boiteuse rappelant un petit fait, des odeurs de sol, le grand souffle de résine et d’arbres venu de la forêt voisine, les senteurs du logis, du ruisseau, du fumier. Georges, who knew them all, laughed, however, intoxicated by the natal air, re-captured by the innate love of the country, familiar places in childhood, by all the sensations, all the memories found, all the things of former times. magazines, nothings, a mark of a knife in a door, a lame chair reminiscent of a little fact, smells of soil, the great breath of resin and trees from the nearby forest, the scents of the home, the stream, the manure. La mère Duroy ne parlait point, toujours triste et sévère, épiant de l’œil sa bru avec une haine éveillée dans le cœur, une haine de vieille travailleuse, de vieille rustique aux doigts usés, aux membres déformés par les dures besognes, contre cette femme de ville qui lui inspirait une répulsion de maudite, de réprouvée, d’être impur fait pour la fainéantise et le péché. Duroy's mother did not speak, always sad and severe, spying on her daughter-in-law with a hatred awakened in her heart, a hatred of an old woman, an old rustic with worn fingers, limbs deformed by the hard work, against this a city woman who inspired her with a repulsion from the accursed, the reprobate, the impure made for laziness and sin.

Elle se levait à tout moment pour aller chercher les plats, pour verser dans les verres la boisson jaune et aigre de la carafe ou le cidre doux mousseux et sucré des bouteilles dont le bouchon sautait comme celui de la limonade gazeuse. She would get up at any moment to fetch the dishes, to pour into the glasses the yellow and sour drink of the carafe or the sweet and sparkling sweet cider of the bottles whose corks leaped like that of the gaseous lemonade. Madeleine ne mangeait guère, ne parlait guère, demeurait triste avec son sourire ordinaire figé sur les lèvres, mais un sourire morne, résigné. Madeleine did not eat much, did not speak much, remained sad with her ordinary smile fixed on her lips, but a sad, resigned smile.

Elle était déçue, navrée. She was disappointed, sorry. Pourquoi ? Why ?

Elle avait voulu venir. She had wanted to come. Elle n’ignorait point qu’elle allait chez des paysans, chez des petits paysans. She was not unaware that she went to the peasants, to the peasants. Comment les avait-elle donc rêvés, elle qui ne rêvait pas d’ordinaire ? How had she dreamed them, she who did not dream of ordinary? Le savait-elle ? Did she know?

Est-ce que les femmes n’espèrent point toujours autre chose que ce qui est ! Do not women always hope for anything other than what is! Les avait-elle vus de loin plus poétiques ? Had she seen them far more poetic? Non, mais plus littéraires peut-être, plus nobles, plus affectueux, plus décoratifs. No, but more literary perhaps, more noble, more affectionate, more decorative. Pourtant elle ne les désirait point distingués comme ceux des romans. Yet she did not desire them distinguished like those of novels. D’où venait donc qu’ils la choquaient par mille choses menues, invisibles, par mille grossièretés insaisissables, par leur nature même de rustres, par ce qu’ils disaient, par leurs gestes et leur gaieté ? Whence, then, did they come to shock her by a thousand small things, invisible, by a thousand indesishable grosseries, by their very nature of boors, by what they said, by their gestures, and by their gaiety? Elle se rappelait sa mère à elle, dont elle ne parlait jamais à personne, une institutrice séduite, élevée à Saint-Denis et morte de misère et de chagrin quand Madeleine avait douze ans. She remembered her mother, whom she never spoke to anyone, a seduced teacher, brought up at Saint-Denis, and died of misery and sorrow when Madeleine was twelve years old.

Un inconnu avait fait élever la petite fille. A stranger had had the little girl raised. Son père, sans doute ? His father, no doubt? Qui était-il ? Who was he ? Elle ne le sut point au juste, bien qu’elle eût de vagues soupçons. She did not know him exactly, although she had vague suspicions. Le déjeuner ne finissait pas. Lunch was not over.

Des consommateurs entraient maintenant, serraient les mains du père Duroy, s’exclamaient en voyant le fils, et, regardant de côté la jeune femme, clignaient de l’œil avec malice ; ce qui signifiait : « Sacré mâtin ! Consumers were now coming in, clasping Father Duroy's hands, exclaiming at the sight of the son, and looking sideways at the young woman, winked mischievously; which meant: "Holy mastiff! elle n’est pas piquée des vers, l’épouse à Georges Duroy. she is not stung by worms, she marries Georges Duroy. D’autres, moins intimes, s’asseyaient devant les tables de bois, et criaient : « Un litre ! Others, less intimate, sat down in front of the wooden tables, and shouted: "One liter!

– Une chope ! - A mug! Deux fines ! Two fine!

– Un raspail ! - A raspail! » Et ils se mettaient à jouer aux dominos en tapant à grand bruit les petits carrés d’os blancs et noirs. And they began to play dominoes by clapping the little squares of white and black bones. La mère Duroy ne cessait plus d’aller et de venir, servant les pratiques avec son air lamentable, recevant l’argent, essuyant les tables du coin de son tablier bleu. Duroy's mother never stopped coming and going, serving the practices with her dismal air, receiving the money, wiping the tables from the corner of her blue apron.

La fumée des pipes de terre et des cigares d’un sou emplissait la salle. The smoke from the earthen pipes and cigars of a penny filled the room.

Madeleine se mit à tousser et demanda : « Si nous sortions ? Madeleine began to cough and asked, "If we went out? je n’en puis plus. I can not take it anymore. On n’avait point encore fini. We had not finished yet.

Le vieux Duroy fut mécontent. Old Duroy was displeased. Alors elle se leva et alla s’asseoir sur une chaise, devant la porte, sur la route, en attendant que son beau-père et son mari eussent achevé leur café et leurs petits verres. Then she got up and went to sit on a chair, in front of the door, on the road, waiting for her father-in-law and her husband to have finished their coffee and their little glasses. Georges la rejoignit bientôt.

« Veux-tu dégringoler jusqu’à la Seine ? "Do you want to tumble down to the Seine?

» dit-il. Elle accepta avec joie :

« Oh !

oui.

Allons. Ils descendirent la montagne, louèrent un bateau à Croisset, et ils passèrent le reste de l’après-midi le long d’une île, sous les saules, somnolents tous deux, dans la chaleur douce du printemps, et bercés par les petites vagues du fleuve. They went down the mountain, rented a boat in Croisset, and spent the rest of the afternoon along an island, under the willows, both dozing in the mild spring heat and lulled by the river's small waves.

Puis ils remontèrent à la nuit tombante.

Le repas du soir, à la lueur d’une chandelle, fut plus pénible encore pour Madeleine que celui du matin.

Le père Duroy, qui avait une demi-soûlerie, ne parlait plus. Father Duroy, who had a half-drunkard, no longer spoke. La mère gardait sa mine revêche. The mother kept her grumpy face. La pauvre lumière jetait sur les murs gris les ombres des têtes avec des nez énormes et des gestes démesurés. The poor light cast on the gray walls the shadows of the heads with enormous noses and excessive gestures.

On voyait parfois une main géante lever une fourchette pareille à une fourche vers une bouche qui s’ouvrait comme une gueule de monstre, quand quelqu’un, se tournant un peu, présentait son profil à la flamme jaune et tremblotante. Sometimes you could see a giant hand lift a fork like a fork towards a mouth that opened like a monster mouth, when someone, turning a little, presented his profile in the yellow flickering flame. Dès que le dîner fut achevé, Madeleine entraîna son mari dehors pour ne point demeurer dans cette salle sombre où flottait toujours une odeur âcre de vieilles pipes et de boissons répandues. As soon as the dinner was over, Madeleine dragged her husband out so as not to remain in that dark room, where a pungent smell of old pipes and drunk drinks still floated.

Quand ils furent sortis : When they were out

« Tu t’ennuies déjà », dit-il. "You're bored already," he says.

Elle voulut protester. She wanted to protest.

Il l’arrêta : He stopped her: « Non.

Je l’ai bien vu. I saw it well. Si tu le désires, nous partirons demain. If you wish, we will leave tomorrow. Elle murmura :

« Oui.

Je veux bien. Ils allaient devant eux doucement. They went before them slowly.

C’était une nuit tiède dont l’ombre caressante et profonde semblait pleine de bruits légers, de frôlements, de souffles. It was a warm night, whose deep, caressing shadow seemed full of light noises, rustling, and breathing. Ils étaient entrés dans une allée étroite, sous des arbres très hauts, entre deux taillis d’un noir impénétrable. They had entered a narrow alley, under tall trees, between two copses of impenetrable black. Elle demanda :

« Où sommes-nous ?

Il répondit :

« Dans la forêt.

– Elle est grande ?

– Très grande, une des plus grandes de la France.

Une senteur de terre, d’arbres, de mousse, ce parfum frais et vieux des bois touffus, fait de la sève des bourgeons et de l’herbe morte et moisie des fourrés, semblait dormir dans cette allée. A scent of earth, of trees, of moss, that fresh, old scent of bushy woods, made of bud sap, and dead, moldy grass of the thickets, seemed to sleep in that alley.

En levant la tête, Madeleine apercevait des étoiles entre les sommets des arbres, et bien qu’aucune brise ne remuât les branches, elle sentait autour d’elle la vague palpitation de cet océan de feuilles. Looking up, Madeleine saw stars between the tops of the trees, and although no breeze stirred the branches, she felt around her the vague palpitation of this ocean of leaves. Un frisson singulier lui passa dans l’âme et lui courut sur la peau ; une angoisse confuse lui serra le cœur. A singular thrill passed through his soul and ran over his skin; a confused anguish squeezed his heart.

Pourquoi ?

Elle ne comprenait pas. Mais il lui semblait qu’elle était perdue, noyée, entourée de périls, abandonnée de tous, seule, seule au monde, sous cette voûte vivante qui frémissait là-haut. But it seemed to her that she was lost, drowned, surrounded by perils, abandoned by all, alone, alone in the world, under that living vault that quivered up there. Elle murmura :

« J’ai un peu peur.

Je voudrais retourner. – Eh bien, revenons.

– Et… nous repartirons pour Paris demain ?

– Oui, demain..

– Demain matin ?

– Demain matin, si tu veux.

Ils rentrèrent.

Les vieux étaient couchés. Elle dormit mal, réveillée sans cesse par tous les bruits nouveaux pour elle de la campagne, les cris des chouettes, le grognement d’un porc enfermé dans une hutte contre le mur, et le chant d’un coq qui claironna dès minuit. She slept badly, awakened incessantly by all the noises new to her in the country, the cries of the owls, the growl of a pig locked in a hut against the wall, and the song of a rooster that clarified at midnight. Elle fut levée et prête à partir aux premières lueurs de l’aurore. She was up and ready to leave at the first light of dawn.

Quand Georges annonça aux parents qu’il allait s’en retourner, ils demeurèrent saisis tous deux, puis ils comprirent d’où venait cette volonté. When George announced to the parents that he was going to return, they both remained seized, then they understood where the will came from.

Le père demanda simplement : The father simply asked:

« J ‘te r’verrons-ti bientôt ? "Will I see you soon?

– Mais oui.

Dans le courant de l’été. In the course of the summer. – Allons, tant mieux. - Come on, all the better.

La vieille grogna : The old woman growled:

« J' te souhaite de n' point regretter c’que t’as fait. "I wish you not to regret what you did.

Il leur laissa deux cents francs en cadeau, pour calmer leur mécontentement ; et le fiacre, qu’un gamin était allé chercher, ayant paru vers dix heures, les nouveaux époux embrassèrent les vieux paysans et repartirent. He left them two hundred francs as a present, to calm their discontent; and the cab, which a boy had gone to fetch, having appeared about ten o'clock, the newly married couple embraced the old peasants, and set out again.

Comme ils descendaient la côte, Duroy se mit à rire : As they descended the coast, Duroy laughed:

« Voilà, dit-il, je t’avais prévenue. "Here," he said, "I warned you.

Je n’aurais pas dû te faire connaître M. et Mme du Roy de Cantel, père et mère. I should not have made you known to Mr. and Mrs. du Roy de Cantel, father and mother. Elle se mit à rire aussi, et répliqua : She laughed too, and replied:

« Je suis enchantée maintenant. "I'm thrilled now.

Ce sont de braves gens que je commence à aimer beaucoup. These are good people that I start to like a lot. Je leur enverrai des gâteries de Paris. I will send them treats of Paris. Puis elle murmura : Then she murmured:

« Du Roy de Cantel… Tu verras que personne ne s’étonnera de nos lettres de faire-part. "From Roy de Cantel ... You will see that no one will be surprised by our letters of invitation.

Nous raconterons que nous avons passé huit jours dans la propriété de tes parents. We will tell you that we spent eight days on your parents' property. Et, se rapprochant de lui, elle effleura d’un baiser le bout de sa moustache : « Bonjour, Geo ! And, getting closer to him, she kissed the tip of her mustache with a kiss: "Hello, Geo!

Il répondit : « Bonjour, Made », en passant une main derrière sa taille. He replied, "Hello, Made," passing a hand behind his waist.

On apercevait au loin, dans le fond de la vallée, le grand fleuve déroulé comme un ruban d’argent sous le soleil du matin, et toutes les cheminées des usines qui soufflaient dans le ciel leurs nuages de charbon, et tous les clochers pointus dressés sur la vieille cité. In the distance, at the bottom of the valley, could be seen the great river unrolled like a ribbon of silver under the morning sun, and all the chimneys of the factories which blew their clouds of coal in the sky, and all the pointed steeples erected. on the old city.