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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 1 Chapitre 6.2

Bel Ami - Partie 1 Chapitre 6.2

6.2

On attendait encore quelqu'un, et on demeurait silencieux, dans cette sorte de gêne qui précède les dîners entre gens qui ne se trouvent pas dans la même atmosphère d'esprit, après les occupations différentes de leur journée. Duroy ayant levé par désœuvrement les yeux vers le mur, M. Walter lui dit, de loin, avec un désir visible de faire valoir son bien : « Vous regardez mes tableaux ? – Le mes sonna. – « Je vais vous les montrer. » Et il prit une lampe pour qu'on pût distinguer tous les détails.

« Ici les paysages », dit-il.

Au centre du panneau on voyait une grande toile de Guillemet, une plage de Normandie sous un ciel d'orage. Au-dessous, un bois de Harpignies, puis une plaine d'Algérie, par Guillaumet, avec un chameau à l'horizon, un grand chameau sur ses hautes jambes, pareil à un étrange monument.

M. Walter passa au mur voisin et annonça, avec un ton sérieux, comme un maître de cérémonies : « La grande peinture. » C'étaient quatre toiles : « Une Visite d'hôpital », par Gervex ; « une Moissonneuse », par Bastien-Lepage ; « une Veuve », par Bouguereau, et « une Exécution », par Jean-Paul Laurens. Cette dernière œuvre représentait un prêtre vendéen fusillé contre le mur de son église par un détachement de Bleus.

Un sourire passa sur la figure grave du patron en indiquant le panneau suivant : « Ici les fantaisistes. » On apercevait d'abord une petite toile de Jean Béraud, intitulée : « Le Haut et le Bas. » C'était une jolie Parisienne montant l'escalier d'un tramway en marche. Sa tête apparaissait au niveau de l'impériale, et les messieurs assis sur les bancs découvraient, avec une satisfaction avide, le jeune visage qui venait vers eux, tandis que les hommes debout sur la plate-forme du bas considéraient les jambes de la jeune femme avec une expression différente de dépit et de convoitise.

M. Walter tenait la lampe à bout de bras, et répétait en riant d'un rire polisson : « Hein ? Est-ce drôle ? est-ce drôle ? Puis il éclaira : « Un sauvetage », par Lambert.

Au milieu d'une table desservie, un jeune chat, assis sur son derrière, examinait avec étonnement et perplexité une mouche se noyant dans un verre d'eau. Il avait une patte levée, prêt à cueillir l'insecte d'un coup rapide. Mais il n'était point décidé. Il hésitait. Que ferait-il ?

Puis le patron montra un Detaille : « La Leçon », qui représentait un soldat dans une caserne, apprenant à un caniche à jouer du tambour, et il déclara : « En voilà de l'esprit ! Duroy riait d'un rire approbateur et s'extasiait : « Comme c'est charmant, comme c'est charmant, char… »

Il s'arrêta net, en entendant derrière lui la voix de Mme de Marelle qui venait d'entrer.

Le patron continuait à éclairer les toiles, en les expliquant.

Il montrait maintenant une aquarelle de Maurice Leloir : « L'Obstacle. » C'était une chaise à porteurs arrêtée, la rue se trouvant barrée par une bataille entre deux hommes du peuple, deux gaillards luttant comme des hercules. Et on voyait sortir par la fenêtre de la chaise un ravissant visage de femme qui regardait… qui regardait… sans impatience, sans peur, et avec une certaine admiration le combat de ces deux brutes.

M. Walter disait toujours : « J'en ai d'autres dans les pièces suivantes, mais ils sont de gens moins connus, moins classés. Ici c'est mon Salon carré. J'achète des jeunes en ce moment, des tout jeunes, et je les mets en réserve dans les appartements intimes, en attendant le moment où les auteurs seront célèbres. » Puis il prononça tout bas : « C'est l'instant d'acheter des tableaux. Les peintres crèvent de faim. Ils n'ont pas le sou, pas le sou… »

Mais Duroy ne voyait rien, entendait sans comprendre. Mme de Marelle était là, derrière lui. Que devait-il faire ? S'il la saluait, n'allait-elle point lui tourner le dos ou lui jeter quelque insolence ? S'il ne s'approchait pas d'elle, que penserait-on ?

Il se dit : « Je vais toujours gagner du temps. » Il était tellement ému qu'il eut l'idée un moment de simuler une indisposition subite qui lui permettrait de s'en aller.

La visite des murs était finie. Le patron alla reposer sa lampe et saluer la dernière venue, tandis que Duroy recommençait tout seul l'examen des toiles comme s'il ne se fût pas lassé de les admirer.

Il avait l'esprit bouleversé. Que devait-il faire ? Il entendait les voix, il distinguait la conversation. Mme Forestier l'appela : « Dites donc, monsieur Duroy. » Il courut vers elle. C'était pour lui recommander une amie qui donnait une fête et qui aurait bien voulu une citation dans les Échos de La Vie Française .

Il balbutiait : « Mais certainement, madame, certainement… »

Mme de Marelle se trouvait maintenant tout près de lui. Il n'osait point se retourner pour s'en aller. Tout à coup, il se crut devenu fou ; elle avait dit, à haute voix :

« Bonjour, Bel-Ami. Vous ne me reconnaissez donc plus ? Il pivota sur ses talons avec rapidité. Elle se tenait debout devant lui, souriante, l'œil plein de gaieté et d'affection. Et elle lui tendit la main.

Il la prit en tremblant, craignant encore quelque ruse et quelque perfidie. Elle ajouta avec sérénité :

« Que devenez-vous ? On ne vous voit plus. Il bégayait, sans parvenir à reprendre son sang-froid :

« Mais j'ai eu beaucoup à faire, madame, beaucoup à faire. M. Walter m'a confié un nouveau service qui me donne énormément d'occupation. Elle répondit, en le regardant toujours en face, sans qu'il pût découvrir dans son œil autre chose que de la bienveillance : « Je le sais. Mais ce n'est pas une raison pour oublier vos amis. Ils furent séparés par une grosse dame qui entrait, une grosse dame décolletée, aux bras rouges, aux joues rouges, vêtue et coiffée avec prétention, et marchant si lourdement qu'on sentait, à la voir aller, le poids et l'épaisseur de ses cuisses.

Comme on paraissait la traiter avec beaucoup d'égards, Duroy demanda à Mme Forestier :

« Quelle est cette personne ?

– La vicomtesse de Percemur, celle qui signe : « Patte blanche ».

Il fut stupéfait et saisi par une envie de rire :

« Patte blanche ! Patte blanche ! Moi qui voyais, en pensée, une jeune femme comme vous ! C'est ça, Patte blanche ? Ah ! elle est bien bonne ! bien bonne ! Un domestique apparut dans la porte et annonça :

« Madame est servie. Le dîner fut banal et gai, un de ces dîners où l'on parle de tout sans rien dire. Duroy se trouvait entre la fille aînée du patron, la laide, Mlle Rose, et Mme de Marelle. Ce dernier voisinage le gênait un peu, bien qu'elle eût l'air fort à l'aise et causât avec son esprit ordinaire. Il se trouva d'abord contraint, hésitant, comme un musicien qui a perdu le ton. Peu à peu, cependant, l'assurance lui revenait, et leurs yeux, se rencontrant sans cesse, s'interrogeaient, mêlaient leurs regards d'une façon intime, presque sensuelle, comme autrefois.

Tout à coup, il crut sentir, sous la table, quelque chose effleurer son pied. Il avança doucement la jambe et rencontra celle de sa voisine qui ne recula point à ce contact. Ils ne parlaient pas, en ce moment, tournés tous deux vers leurs autres voisins.

Duroy, le cœur battant, poussa un peu plus son genou. Une pression légère lui répondit. Alors il comprit que leurs amours recommençaient.

Que dirent-ils ensuite ? Pas grand-chose ; mais leurs lèvres frémissaient chaque fois qu'ils se regardaient.

Le jeune homme, cependant, voulant être aimable pour la fille de son patron, lui adressait une phrase de temps en temps. Elle y répondait, comme l'aurait fait sa mère, n'hésitant jamais sur ce qu'elle devait dire.

À la droite de M. Walter, la vicomtesse de Percemur prenait des allures de princesse ; et Duroy, s'égayant à la regarder, demanda tout bas à Mme de Marelle :

« Est-ce que vous connaissez l'autre, celle qui signe : « Domino rose » ?

– Oui, parfaitement ; la baronne de Livar !

– Est-elle du même cru ?

– Non.

Mais aussi drôle. Une grande sèche, soixante ans, frisons faux, dents à l'anglaise, esprit de la Restauration, toilettes même époque.

– Où ont-ils déniché ces phénomènes de lettres ?

– Les épaves de la noblesse sont toujours recueillies par les bourgeois parvenus.

– Pas d'autre raison ?

– Aucune autre. Puis une discussion politique commença entre le patron, les deux députés, Norbert de Varenne et Jacques Rival ; et elle dura jusqu'au dessert.

Quand on fut retourné dans le salon, Duroy s'approcha de nouveau de Mme de Marelle, et, la regardant au fond des yeux : « Voulez-vous que je vous reconduise, ce soir ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que M. Laroche-Mathieu, qui est mon voisin, me laisse à ma porte chaque fois que je dîne ici.

– Quand vous verrai-je ?

– Venez déjeuner avec moi, demain. Et ils se séparèrent sans rien dire de plus.

Duroy ne resta pas tard, trouvant monotone la soirée. Comme il descendait l'escalier, il rattrapa Norbert de Varenne qui venait aussi de partir. Le vieux poète lui prit le bras. N'ayant plus de rivalité à redouter dans le journal, leur collaboration étant essentiellement différente, il témoignait maintenant au jeune homme une bienveillance d'aïeul.

« Eh bien, vous allez me reconduire un bout de chemin ? » dit-il.

Duroy répondit : « Avec joie, cher maître. Et ils se mirent en route, en descendant le boulevard Malesherbes, à petits pas.

Paris était presque désert cette nuit-là, une nuit froide, une de ces nuits qu'on dirait plus vastes que les autres, où les étoiles sont plus hautes, où l'air semble apporter dans ses souffles glacés quelque chose venu de plus loin que les astres.

Les deux hommes ne parlèrent point dans les premiers moments. Puis Duroy, pour dire quelque chose, prononça :

« Ce M. Laroche-Mathieu a l'air fort intelligent et fort instruit. Le vieux poète murmura : « Vous trouvez ? Le jeune homme, surpris, hésitait ; « Mais oui ; il passe d'ailleurs pour un des hommes les plus capables de la Chambre.

– C'est possible. Dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. Tous ces gens-là, voyez-vous, sont des médiocres, parce qu'ils ont l'esprit entre deux murs, – l'argent et la politique. – Ce sont des cuistres, mon cher, avec qui il est impossible de parler de rien, de rien de ce que nous aimons. Leur intelligence est à fond de vase, ou plutôt à fond de dépotoir, comme la Seine à Asnières.

« Ah ! c'est qu'il est difficile de trouver un homme qui ait de l'espace dans la pensée, qui vous donne la sensation de ces grandes haleines du large qu'on respire sur les côtes de la mer. J'en ai connu quelques-uns, ils sont morts. Norbert de Varenne parlait d'une voix claire, mais retenue, qui aurait sonné dans le silence de la nuit s'il l'avait laissée s'échapper. Il semblait surexcité et triste, d'une de ces tristesses qui tombent parfois sur les âmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelée.

Il reprit :

« Qu'importe, d'ailleurs, un peu plus ou un peu moins de génie, puisque tout doit finir ! Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cœur gai, ce soir-là, dit, en souriant :

« Vous avez du noir, aujourd'hui, cher maître. Le poète répondit.

« J'en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques années. La vie est une côte. Tant qu'on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu'on arrive en haut, on aperçoit tout d'un coup la descente, et la fin qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre âge, on est joyeux. On espère tant de choses, qui n'arrivent jamais d'ailleurs. Au mien, on n'attend plus rien… que la mort. Duroy se mit à rire :

« Bigre, vous me donnez froid dans le dos. Norbert de Varenne reprit :

« Non, vous ne me comprenez pas aujourd'hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. « Il arrive un jour, voyez-vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où c'est fini de rire, comme on dit, parce que derrière tout ce qu'on regarde, c'est la mort qu'on aperçoit. « Oh ! vous ne comprenez même pas ce mot-là, vous, la mort. À votre âge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. « Oui, on le comprend tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi ni à propos de quoi, et alors tout change d'aspect, dans la vie. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bête rongeuse. Je l'ai sentie peu à peu, mois par mois, heure par heure, me dégrader ainsi qu'une maison qui s'écroule. Elle m'a défiguré si complètement que je ne me reconnais pas. Je n'ai plus rien de moi, de moi l'homme radieux, frais et fort que j'étais à trente ans. Je l'ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et méchante ! Elle m'a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu'une âme désespérée qu'elle enlèvera bientôt aussi. « Oui, elle m'a émietté, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m'approche d'elle, chaque mouvement, chaque souffle hâte son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c'est mourir. Vivre enfin, c'est mourir ! « Oh ! vous saurez cela ! Si vous réfléchissiez seulement un quart d'heure, vous la verriez. « Qu'attendez-vous ? De l'amour ? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant. « Et puis, après ? De l'argent ? Pour quoi faire ? Pour payer des femmes ? Joli bonheur ? Pour manger beaucoup, devenir obèse et crier des nuits entières sous les morsures de la goutte ? « Et puis encore ? De la gloire ? À quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d'amour ? « Et puis, après ? Toujours la mort pour finir. Moi, maintenant, je la vois de si près que j'ai souvent envie d'étendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l'espace. Je la découvre partout. Les petites bêtes écrasées sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc aperçu dans la barbe d'un ami me ravagent le cœur et me crient : « La voilà ! « Elle me gâte tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j'aime, les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivières, et l'air des soirs d'été, si doux à respirer ! Il allait doucement, un peu essoufflé, rêvant tout haut, oubliant presque qu'on l'écoutait.

Il reprit : « Et jamais un être ne revient, jamais… On garde les moules des statues, les empreintes qui refont toujours des objets pareils ; mais mon corps, mon visage, mes pensées, mes désirs ne reparaîtront jamais. Et pourtant il naîtra des millions, des milliards d'êtres qui auront dans quelques centimètres carrés un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une âme comme moi, sans que jamais je revienne, moi, sans que jamais même quelque chose de moi reconnaissable reparaisse dans ces créatures innombrables et différentes, indéfiniment différentes bien que pareilles à peu près. « À quoi se rattacher ? Vers qui jeter des cris de détresse ? À quoi pouvons-nous croire ? « Toutes les religions sont stupides, avec leur morale puérile et leurs promesses égoïstes, monstrueusement bêtes. « La mort seule est certaine. Il s'arrêta, prit Duroy par les deux extrémités du col de son pardessus, et, d'une voix lente :

« Pensez à tout cela, jeune homme, pensez-y pendant des jours, des mois et des années, et vous verrez l'existence d'une autre façon. Essayez donc de vous dégager de tout ce qui vous enferme, faites cet effort surhumain de sortir vivant de votre corps, de vos intérêts, de vos pensées et de l'humanité tout entière, pour regarder ailleurs, et vous comprendrez combien ont peu d'importance les querelles des romantiques et des naturalistes, et la discussion du budget. Il se remit à marcher d'un pas rapide.

« Mais aussi vous sentirez l'effroyable détresse des désespérés. Vous vous débattrez, éperdu, noyé, dans les incertitudes. Vous crierez « À l'aide » de tous les côtés, et personne ne vous répondra. Vous tendrez les bras, vous appellerez pour être secouru, aimé, consolé, sauvé ; et personne ne viendra. « Pourquoi souffrons-nous ainsi ? C'est que nous étions nés sans doute pour vivre davantage selon la matière et moins selon l'esprit ; mais, à force de penser, une disproportion s'est faite entre l'état de notre intelligence agrandie et les conditions immuables de notre vie. « Regardez les gens médiocres : à moins de grands désastres tombant sur eux ils se trouvent satisfaits, sans souffrir du malheur commun. Les bêtes non plus ne le sentent pas. Il s'arrêta encore, réfléchit quelques secondes, puis d'un air las et résigné :

« Moi, je suis un être perdu. Je n'ai ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni femme, ni enfants, ni Dieu. Il ajouta, après un silence : « Je n'ai que la rime. Puis, levant la tête vers le firmament, où luisait la face pâle de la pleine lune, il déclama :

Et je cherche le mot de cet obscur problème

Dans le ciel noir et vide où flotte un astre blême.

Ils arrivaient au pont de la Concorde, ils le traversèrent en silence, puis ils longèrent le Palais-Bourbon. Norbert de Varenne se remit à parler :

« Mariez-vous, mon ami, vous ne savez pas ce que c'est que de vivre seul, à mon âge. La solitude, aujourd'hui, m'emplit d'une angoisse horrible ; la solitude dans le logis, auprès du feu, le soir. Il me semble alors que je suis seul sur la terre, affreusement seul, mais entouré de dangers vagues, de choses inconnues et terribles ; et la cloison, qui me sépare de mon voisin que je ne connais pas, m'éloigne de lui autant que des étoiles aperçues par ma fenêtre. Une sorte de fièvre m'envahit, une fièvre de douleur et de crainte, et le silence des murs m'épouvante. Il est si profond et si triste, le silence de la chambre où l'on vit seul. Ce n'est pas seulement un silence autour du corps, mais un silence autour de l'âme, et, quand un meuble craque, on tressaille jusqu'au cœur, car aucun bruit n'est attendu dans ce morne logis. Il se tut encore une fois, puis ajouta :

« Quand on est vieux, ce serait bon, tout de même, des enfants ! Ils étaient arrivés vers le milieu de la rue de Bourgogne. Le poète s'arrêta devant une haute maison, sonna, serra la main de Duroy, et lui dit :

« Oubliez tout ce rabâchage de vieux, jeune homme, et vivez selon votre âge ; adieu ! Et il disparut dans le corridor noir.

Duroy se remit en route, le cœur serré. Il lui semblait qu'on venait de lui montrer quelque trou plein d'ossements, un trou inévitable où il lui faudrait tomber un jour. Il murmura : « Bigre, ça ne doit pas être gai, chez lui. Je ne voudrais pas un fauteuil de balcon pour assister au défilé de ses idées, nom d'un chien ! Mais, s'étant arrêté pour laisser passer une femme parfumée qui descendait de voiture et rentrait chez elle, il aspira d'un grand souffle avide la senteur de verveine et d'iris envolée dans l'air. Ses poumons et son cœur palpitèrent brusquement d'espérance et de joie ; et le souvenir de Mme de Marelle qu'il reverrait le lendemain l'envahit des pieds à la tête.

Tout lui souriait, la vie l'accueillait avec tendresse. Comme c'était bon, la réalisation des espérances.

Il s'endormit dans l'ivresse et se leva de bonne heure pour faire un tour à pied, dans l'avenue du Bois-de-Boulogne, avant d'aller à son rendez-vous.

Le vent ayant changé, le temps s'était adouci pendant la nuit, et il faisait une tiédeur et un soleil d'avril. Tous les habitués du Bois étaient sortis ce matin-là, cédant à l'appel du ciel clair et doux.

Duroy marchait lentement, buvant l'air léger, savoureux comme une friandise de printemps. Il passa l'arc de triomphe de l'Étoile et s'engagea dans la grande avenue, du côté opposé aux cavaliers. Il les regardait, trottant ou galopant, hommes et femmes, les riches du monde, et c'est à peine s'il les enviait maintenant. Il les connaissait presque tous de nom, savait le chiffre de leur fortune et l'histoire secrète de leur vie, ses fonctions ayant fait de lui une sorte d'almanach des célébrités et des scandales parisiens.

Les amazones passaient, minces et moulées dans le drap sombre de leur taille, avec ce quelque chose de hautain et d'inabordable qu'ont beaucoup de femmes à cheval ; et Duroy s'amusait à réciter à mi-voix, comme on récite des litanies dans une église, les noms, titres et qualités des amants qu'elles avaient eus ou qu'on leur prêtait ; et, quelquefois même, au lieu de dire :

« Baron de Tanquelet,

Prince de la Tour-Enguerrand » ;

il murmurait : « Côté Lesbos

Louise Michot, du Vaudeville,

Rose Marquetin, de l'Opéra. Ce jeu l'amusait beaucoup, comme s'il eût constaté, sous les sévères apparences, l'éternelle et profonde infamie de l'homme, et que cela l'eût réjoui, excité, consolé.

Puis il prononça tout haut : « Tas d'hypocrites ! » et chercha de l'œil les cavaliers sur qui couraient les plus grosses histoires.

Il en vit beaucoup soupçonnés de tricher au jeu, pour qui les cercles, en tout cas, étaient la grande ressource, la seule ressource, ressource suspecte à coup sûr.

D'autres, fort célèbres, vivaient uniquement des rentes de leurs femmes, c'était connu ; d'autres, des rentes de leurs maîtresses, on l'affirmait. Beaucoup avaient payé leurs dettes (acte honorable), sans qu'on eût jamais deviné d'où leur était venu l'argent nécessaire (mystère bien louche). Il vit des hommes de finance dont l'immense fortune avait un vol pour origine, et qu'on recevait partout, dans les plus nobles maisons, puis des hommes si respectés que les petits bourgeois se découvraient sur leur passage, mais dont les tripotages effrontés, dans les grandes entreprises nationales, n'étaient un mystère pour aucun de ceux qui savaient les dessous du monde.

Tous avaient l'air hautain, la lèvre fière, l'œil insolent, ceux à favoris et ceux à moustaches.

Duroy riait toujours, répétant : « C'est du propre, tas de crapules, tas d'escarpes ! Mais une voiture passa, découverte, basse et charmante, traînée au grand trot par deux minces chevaux blancs dont la crinière et la queue voltigeaient, et conduite par une petite jeune femme blonde, une courtisane connue qui avait deux grooms assis derrière elle. Duroy s'arrêta, avec une envie de saluer et d'applaudir cette parvenue de l'amour qui étalait avec audace dans cette promenade et à cette heure des hypocrites aristocrates, le luxe crâne gagné sur ses draps. Il sentait peut-être vaguement qu'il y avait quelque chose de commun entre eux, un lien de nature, qu'ils étaient de même race, de même âme, et que son succès aurait des procédés audacieux de même ordre.

Il revint plus doucement, le cœur chaud de satisfaction, et il arriva, un peu avant l'heure, à la porte de son ancienne maîtresse.

Elle le reçut, les lèvres tendues, comme si aucune rupture n'avait eu lieu, et elle oublia même, pendant quelques instants, la sage prudence qu'elle opposait, chez elle, à leurs caresses. Puis elle lui dit, en baisant les bouts frisés de ses moustaches :

« Tu ne sais pas l'ennui qui m'arrive, mon chéri ?

J'espérais une bonne lune de miel, et voilà mon mari qui me tombe sur le dos pour six semaines ; il a pris congé. Mais je ne veux pas rester six semaines sans te voir, surtout après notre petite brouille, et voilà comment j'ai arrangé les choses. Tu viendras me demander à dîner lundi, je lui ai déjà parlé de toi. Je te présenterai. Duroy hésitait, un peu perplexe, ne s'étant jamais trouvé encore en face d'un homme dont il possédait la femme. Il craignait que quelque chose le trahît, un peu de gêne, un regard, n'importe quoi. Il balbutiait :

« Non, j'aime mieux ne pas faire la connaissance de ton mari. » Elle insista, fort étonnée, debout devant lui et ouvrant des yeux naïfs : « Mais pourquoi ? quelle drôle de chose ? Ça arrive tous les jours, ça ! Je ne t'aurais pas cru si nigaud, par exemple. Il fut blessé :

« Eh bien, soit, je viendrai dîner lundi. Elle ajouta :

« Pour que ce soit bien naturel, j'aurai les Forestier. Ça ne m'amuse pourtant pas de recevoir du monde chez moi. Jusqu'au lundi, Duroy ne pensa plus guère à cette entrevue ; mais voilà qu'en montant l'escalier de Mme de Marelle, il se sentit étrangement troublé, non pas qu'il lui répugnât de prendre la main de ce mari, de boire son vin et de manger son pain, mais il avait peur de quelque chose, sans savoir de quoi.

On le fit, entrer dans le salon, et il attendit, comme toujours. Puis la porte de la chambre s'ouvrit, et il aperçut un grand homme à barbe blanche, décoré, grave et correct, qui vint à lui avec une politesse minutieuse :

« Ma femme m'a souvent parlé de vous, monsieur, et je suis charmé de faire votre connaissance. Duroy s'avança en tâchant de donner à sa physionomie un air de cordialité expressive et il serra avec une énergie exagérée la main tendue de son hôte. Puis, s'étant assis, il ne trouva rien à lui dire.

M. de Marelle remit un morceau de bois au feu, et demanda :

« Voici longtemps que vous vous occupez de journalisme ? Duroy répondit :

« Depuis quelques mois seulement. – Ah ! vous avez marché vite.

« Oui, assez vite », et il se mit à parler au hasard, sans trop songer à ce qu'il disait, débitant toutes les banalités en usage entre gens qui ne se connaissent point. Il se rassurait maintenant et commençait à trouver la situation fort amusante. Il regardait la figure sérieuse et respectable de M. de Marelle, avec une envie de rire sur les lèvres, en pensant : « Toi, je te fais cocu, mon vieux, je te fais cocu. » Et une satisfaction intime, vicieuse, le pénétrait, une joie de voleur qui a réussi et qu'on ne soupçonne pas, une joie fourbe, délicieuse. Il avait envie, tout à coup, d'être l'ami de cet homme, de gagner sa confiance, de lui faire raconter les choses secrètes de sa vie.

Mme de Marelle entra brusquement, et les ayant couverts d'un coup d'œil souriant et impénétrable, elle alla vers Duroy qui n'osa point, devant le mari, lui baiser la main, ainsi qu'il le faisait toujours.

Elle était tranquille et gaie comme une personne habituée à tout, qui trouvait cette rencontre naturelle et simple, en sa rouerie native et franche. Laurine apparut, et vint, plus sagement que de coutume, tendre son front à Georges, la présence de son père l'intimidant. Sa mère lui dit : « Eh bien, tu ne l'appelles plus Bel-Ami, aujourd'hui. » Et l'enfant rougit, comme si on venait de commettre une grosse indiscrétion, de révéler une chose qu'on ne devait pas dire, de dévoiler un secret intime et un peu coupable de son cœur.

Quand les Forestier arrivèrent, on fut effrayé de l'état de Charles. Il avait maigri et pâli affreusement en une semaine et il toussait sans cesse. Il annonça d'ailleurs qu'ils partaient pour Cannes le jeudi suivant, sur l'ordre formel du médecin.

Ils se retirèrent de bonne heure, et Duroy dit en hochant la tête :

« Je crois qu'il file un bien mauvais coton. Il ne fera pas de vieux os. » Mme de Marelle affirma avec sérénité : « Oh ! il est perdu ! En voilà un qui avait eu de la chance de trouver une femme comme la sienne. Duroy demanda :

« Elle l'aide beaucoup ?

– C'est-à-dire qu'elle fait tout. Elle est au courant de tout, elle connaît tout le monde sans avoir l'air de voir personne ; elle obtient ce qu'elle veut, comme elle veut, et quand elle veut. Oh ! elle est fine, adroite et intrigante comme aucune, celle-là. En voilà un trésor pour un homme qui veut parvenir. Georges reprit :

« Elle se remariera bien vite, sans doute ? Mme de Marelle répondit :

« Oui. Je ne serais même pas étonnée qu'elle eût en vue quelqu'un… un député… à moins que… qu'il ne veuille pas…, car… car… il y aurait peut-être de gros obstacles… moraux… Enfin, voilà. Je ne sais rien. M. de Marelle grommela avec une lente impatience :

« Tu laisses toujours soupçonner un tas de choses que je n'aime pas. Ne nous mêlons jamais des affaires des autres. Notre conscience nous suffit à gouverner. Ce devrait être une règle pour tout le monde. Duroy se retira, le cœur troublé et l'esprit plein de vagues combinaisons.

Il alla le lendemain faire une visite aux Forestier et il les trouva terminant leurs bagages. Charles, étendu sur un canapé, exagérait la fatigue de sa respiration et répétait : « Il y a un mois que je devrais être parti », puis il fit à Duroy une série de recommandations pour le journal, bien que tout fût réglé et convenu avec M. Walter.

Quand Georges s'en alla, il serra énergiquement les mains de son camarade : « Eh bien, mon vieux, à bientôt ! » Mais, comme Mme Forestier le reconduisait jusqu'à la porte, il lui dit vivement : « Vous n'avez pas oublié notre pacte ? Nous sommes des amis et des alliés, n'est-ce pas ? Donc, si vous avez besoin de moi, en quoi que ce soit, n'hésitez point. Une dépêche ou une lettre, et j'obéirai. Elle murmura : « Merci, je n'oublierai pas. » Et son œil lui dit : « Merci », d'une façon plus profonde et plus douce.

Comme Duroy descendait l'escalier, il rencontra, montant à pas lents, M. de Vaudrec, qu'une fois déjà il avait vu chez elle. Le comte semblait triste – de ce départ, peut-être ?

Voulant se montrer homme du monde, le journaliste le salua avec empressement.

L'autre rendit avec courtoisie, mais d'une manière un peu fière.

Le ménage Forestier partit le jeudi soir.


Bel Ami - Partie 1 Chapitre 6.2 Bel Ami - Part 1 Chapter 6.2 ベルアミ - 第1部 第6.2章 Bel Ami - Parte 1 Capítulo 6.2

6.2

On attendait encore quelqu’un, et on demeurait silencieux, dans cette sorte de gêne qui précède les dîners entre gens qui ne se trouvent pas dans la même atmosphère d’esprit, après les occupations différentes de leur journée. One was still waiting for someone, and one remained silent, in that sort of embarrassment which precedes the dinners between people who are not in the same atmosphere of mind, after the different occupations of their day. Duroy ayant levé par désœuvrement les yeux vers le mur, M. Walter lui dit, de loin, avec un désir visible de faire valoir son bien : « Vous regardez  mes  tableaux ? Duroy having idly lifted his eyes to the wall, M. Walter said to him, from a distance, with a visible desire to assert his property: "You look at my pictures? – Le  mes  sonna. - The bell rang. – « Je vais vous les montrer. - "I'll show you them. » Et il prit une lampe pour qu’on pût distinguer tous les détails. And he took a lamp so that all the details could be seen.

« Ici les paysages », dit-il. "Here landscapes," he says.

Au centre du panneau on voyait une grande toile de Guillemet, une plage de Normandie sous un ciel d’orage. In the center of the panel was a large canvas Guillemet, a beach in Normandy under a stormy sky. Au-dessous, un bois de Harpignies, puis une plaine d’Algérie, par Guillaumet, avec un chameau à l’horizon, un grand chameau sur ses hautes jambes, pareil à un étrange monument. Below, a wood of Harpignies, then a plain of Algeria, by Guillaumet, with a camel on the horizon, a great camel on his high legs, like a strange monument.

M. Walter passa au mur voisin et annonça, avec un ton sérieux, comme un maître de cérémonies : « La grande peinture. M. Walter passed to the neighboring wall and announced, with a serious tone, as a master of ceremonies: "The great painting. » C’étaient quatre toiles : « Une Visite d’hôpital », par Gervex ; « une Moissonneuse », par Bastien-Lepage ; « une Veuve », par Bouguereau, et « une Exécution », par Jean-Paul Laurens. There were four paintings: "A hospital visit", by Gervex; "A Reaper" by Bastien-Lepage; "A Widow", by Bouguereau, and "An Execution", by Jean-Paul Laurens. Cette dernière œuvre représentait un prêtre vendéen fusillé contre le mur de son église par un détachement de Bleus. This last work represented a Vendean priest shot against the wall of his church by a detachment of Bleus.

Un sourire passa sur la figure grave du patron en indiquant le panneau suivant : « Ici les fantaisistes. A smile passed on the grave figure of the boss indicating the following panel: "Here the fanciful. » On apercevait d’abord une petite toile de Jean Béraud, intitulée : « Le Haut et le Bas. At first we saw a little painting by Jean Beraud, entitled "The High and the Low." » C’était une jolie Parisienne montant l’escalier d’un tramway en marche. It was a pretty Parisian woman going up the stairs of a running tram. Sa tête apparaissait au niveau de l’impériale, et les messieurs assis sur les bancs découvraient, avec une satisfaction avide, le jeune visage qui venait vers eux, tandis que les hommes debout sur la plate-forme du bas considéraient les jambes de la jeune femme avec une expression différente de dépit et de convoitise. His head appeared at the level of the imperial, and the gentlemen seated on the benches discovered, with eager satisfaction, the young face that came towards them, while the men standing on the lower platform considered the legs of the young woman with a different expression of spite and lust.

M. Walter tenait la lampe à bout de bras, et répétait en riant d’un rire polisson : « Hein ? M. Walter held the lamp at arm's length, and repeated with a laugh, laughing, "Eh? Est-ce drôle ? est-ce drôle ? Puis il éclaira : « Un sauvetage », par Lambert. Then he clarified, "A rescue," by Lambert.

Au milieu d’une table desservie, un jeune chat, assis sur son derrière, examinait avec étonnement et perplexité une mouche se noyant dans un verre d’eau. In the middle of a table served, a young cat, sitting on his behind, examined with astonishment and perplexity a fly drowning in a glass of water. Il avait une patte levée, prêt à cueillir l’insecte d’un coup rapide. He had a raised leg, ready to pick the insect with a quick shot. Mais il n’était point décidé. But he was not decided. Il hésitait. Que ferait-il ?

Puis le patron montra un Detaille : « La Leçon », qui représentait un soldat dans une caserne, apprenant à un caniche à jouer du tambour, et il déclara : « En voilà de l’esprit ! Then the boss showed a Detaille: "The Lesson", which represented a soldier in a barracks, teaching a poodle to drum, and he said, "Here's some wit! Duroy riait d’un rire approbateur et s’extasiait : « Comme c’est charmant, comme c’est charmant, char… » Duroy laughed approvingly and exclaimed, "How charming it is, how charming it is ..."

Il s’arrêta net, en entendant derrière lui la voix de Mme de Marelle qui venait d’entrer. He stopped short, hearing behind him the voice of Madame de Marelle, who had just entered.

Le patron continuait à éclairer les toiles, en les expliquant. The boss continued to light the canvases, explaining them.

Il montrait maintenant une aquarelle de Maurice Leloir : « L’Obstacle. » C’était une chaise à porteurs arrêtée, la rue se trouvant barrée par une bataille entre deux hommes du peuple, deux gaillards luttant comme des hercules. It was a sedan chair stopped, the street being barred by a battle between two men of the people, two fellows fighting like Hercules. Et on voyait sortir par la fenêtre de la chaise un ravissant visage de femme qui regardait… qui regardait… sans impatience, sans peur, et avec une certaine admiration le combat de ces deux brutes.

M. Walter disait toujours : « J’en ai d’autres dans les pièces suivantes, mais ils sont de gens moins connus, moins classés. Ici c’est mon Salon carré. Here is my square saloon. J’achète des jeunes en ce moment, des tout jeunes, et je les mets en réserve dans les appartements intimes, en attendant le moment où les auteurs seront célèbres. I buy young people at this moment, very young, and I put them in reserve in the private apartments, while waiting for the moment when the authors will be famous. » Puis il prononça tout bas : « C’est l’instant d’acheter des tableaux. Then he said in a whisper: "It's time to buy paintings. Les peintres crèvent de faim. Painters are starving. Ils n’ont pas le sou, pas le sou… » They do not have money, not money ... "

Mais Duroy ne voyait rien, entendait sans comprendre. But Duroy saw nothing, heard without understanding. Mme de Marelle était là, derrière lui. Que devait-il faire ? What should he do? S’il la saluait, n’allait-elle point lui tourner le dos ou lui jeter quelque insolence ? If he greeted her, would she not turn her back on him or throw him some insolence? S’il ne s’approchait pas d’elle, que penserait-on ? If he did not approach her, what would one think?

Il se dit : « Je vais toujours gagner du temps. He says to himself, "I will always save time. » Il était tellement ému qu’il eut l’idée un moment de simuler une indisposition subite qui lui permettrait de s’en aller. He was so moved that he had the idea for a moment to simulate a sudden indisposition that would allow him to go away.

La visite des murs était finie. Le patron alla reposer sa lampe et saluer la dernière venue, tandis que Duroy recommençait tout seul l’examen des toiles comme s’il ne se fût pas lassé de les admirer. The patron went to rest his lamp and greet the last comer, while Duroy alone began examining the canvases as if he had not tired of admiring them.

Il avait l’esprit bouleversé. He was upset. Que devait-il faire ? Il entendait les voix, il distinguait la conversation. Mme Forestier l’appela : « Dites donc, monsieur Duroy. Madame Forestier called her: "Say so, Mr. Duroy. » Il courut vers elle. C’était pour lui recommander une amie qui donnait une fête et qui aurait bien voulu une citation dans les Échos de  La Vie Française . It was to recommend a friend who was giving a party and who would have liked a quote in Echoes of French Life.

Il balbutiait : « Mais certainement, madame, certainement… » He stammered: "But certainly, madam, certainly ..."

Mme de Marelle se trouvait maintenant tout près de lui. Madame de Marelle was now very near him. Il n’osait point se retourner pour s’en aller. He dared not turn around to leave. Tout à coup, il se crut devenu fou ; elle avait dit, à haute voix : Suddenly he thought himself mad; she had said, aloud:

« Bonjour, Bel-Ami. Vous ne me reconnaissez donc plus ? You do not recognize me anymore? Il pivota sur ses talons avec rapidité. He spun on his heels quickly. Elle se tenait debout devant lui, souriante, l’œil plein de gaieté et d’affection. She was standing in front of him, smiling, her eyes full of gaiety and affection. Et elle lui tendit la main.

Il la prit en tremblant, craignant encore quelque ruse et quelque perfidie. He took it trembling, still fearing some cunning and some perfidy. Elle ajouta avec sérénité :

« Que devenez-vous ? "What are you doing? On ne vous voit plus. We do not see you anymore. Il bégayait, sans parvenir à reprendre son sang-froid : He stuttered, unable to regain his composure:

« Mais j’ai eu beaucoup à faire, madame, beaucoup à faire. M. Walter m’a confié un nouveau service qui me donne énormément d’occupation. Mr. Walter has given me a new service that gives me a lot of work. Elle répondit, en le regardant toujours en face, sans qu’il pût découvrir dans son œil autre chose que de la bienveillance : « Je le sais. She answered, always looking at him in the face, without being able to discover in her eye anything but benevolence: "I know it. Mais ce n’est pas une raison pour oublier vos amis. Ils furent séparés par une grosse dame qui entrait, une grosse dame décolletée, aux bras rouges, aux joues rouges, vêtue et coiffée avec prétention, et marchant si lourdement qu’on sentait, à la voir aller, le poids et l’épaisseur de ses cuisses. They were separated by a fat lady who came in, a fat lady with a low neck, red arms, red cheeks, dressed and pretentiously dressed, and walking so heavily that one could feel, on seeing her go, the weight and the thickness of her thighs.

Comme on paraissait la traiter avec beaucoup d’égards, Duroy demanda à Mme Forestier : As one seemed to treat her with great respect, Duroy asked Madame Forestier:

« Quelle est cette personne ?

– La vicomtesse de Percemur, celle qui signe : « Patte blanche ». - Viscountess de Percemur, the one who signs: "White paw".

Il fut stupéfait et saisi par une envie de rire :

« Patte blanche ! Patte blanche ! Moi qui voyais, en pensée, une jeune femme comme vous ! I who saw, in thought, a young woman like you! C’est ça, Patte blanche ? Ah ! elle est bien bonne ! She is really nice ! bien bonne ! very good! Un domestique apparut dans la porte et annonça :

« Madame est servie. Le dîner fut banal et gai, un de ces dîners où l’on parle de tout sans rien dire. The dinner was banal and gay, one of those dinners where one speaks of everything without saying anything. Duroy se trouvait entre la fille aînée du patron, la laide, Mlle Rose, et Mme de Marelle. Ce dernier voisinage le gênait un peu, bien qu’elle eût l’air fort à l’aise et causât avec son esprit ordinaire. This last neighborhood disturbed him a little, although she seemed very much at ease and talked with her ordinary mind. Il se trouva d’abord contraint, hésitant, comme un musicien qui a perdu le ton. He found himself at first constrained, hesitating, like a musician who lost his voice. Peu à peu, cependant, l’assurance lui revenait, et leurs yeux, se rencontrant sans cesse, s’interrogeaient, mêlaient leurs regards d’une façon intime, presque sensuelle, comme autrefois. Little by little, however, the assurance returned to him, and their eyes, meeting each other incessantly, questioned one another, mingled their glances in an intimate, almost sensual manner, as formerly.

Tout à coup, il crut sentir, sous la table, quelque chose effleurer son pied. Suddenly, he thought he felt something under the table touching his foot. Il avança doucement la jambe et rencontra celle de sa voisine qui ne recula point à ce contact. He slowly advanced the leg and met the one of his neighbor who did not back this contact. Ils ne parlaient pas, en ce moment, tournés tous deux vers leurs autres voisins. They were not talking right now, both turned to their other neighbors.

Duroy, le cœur battant, poussa un peu plus son genou. Duroy, his heart beating, pushed his knee a little more. Une pression légère lui répondit. A slight pressure answered him. Alors il comprit que leurs amours recommençaient. Then he understood that their loves were starting again.

Que dirent-ils ensuite ? What did they say next? Pas grand-chose ; mais leurs lèvres frémissaient chaque fois qu’ils se regardaient. Not much ; but their lips quivered every time they looked at each other.

Le jeune homme, cependant, voulant être aimable pour la fille de son patron, lui adressait une phrase de temps en temps. The young man, however, wishing to be kind to his boss's daughter, addressed him a sentence from time to time. Elle y répondait, comme l’aurait fait sa mère, n’hésitant jamais sur ce qu’elle devait dire. She answered, as her mother would have done, never hesitating about what she had to say.

À la droite de M. Walter, la vicomtesse de Percemur prenait des allures de princesse ; et Duroy, s’égayant à la regarder, demanda tout bas à Mme de Marelle : On the right of M. Walter, the Viscountess de Percemur assumed the appearance of a princess; and Duroy, glancing at her, asked Madame de Marelle in a whisper:

« Est-ce que vous connaissez l’autre, celle qui signe : « Domino rose » ? "Do you know the other, the one who signs" Pink Domino "?

– Oui, parfaitement ; la baronne de Livar !

– Est-elle du même cru ? - Is it the same wine?

– Non.

Mais aussi drôle. Une grande sèche, soixante ans, frisons faux, dents à l’anglaise, esprit de la Restauration, toilettes même époque. A big dry, sixty years, false frizz, English teeth, spirit of the Restoration, toilets same time.

– Où ont-ils déniché ces phénomènes de lettres ? Where did they find these phenomena of letters?

– Les épaves de la noblesse sont toujours recueillies par les bourgeois parvenus. - The wrecks of the nobility are always collected by the bourgeois upstarts.

– Pas d’autre raison ?

– Aucune autre. Puis une discussion politique commença entre le patron, les deux députés, Norbert de Varenne et Jacques Rival ; et elle dura jusqu’au dessert.

Quand on fut retourné dans le salon, Duroy s’approcha de nouveau de Mme de Marelle, et, la regardant au fond des yeux : « Voulez-vous que je vous reconduise, ce soir ? When we had returned to the drawing-room, Duroy again approached Madame de Marelle, and, looking at her in the depths of her eyes, "Do you want me to escort you back tonight?"

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que M. Laroche-Mathieu, qui est mon voisin, me laisse à ma porte chaque fois que je dîne ici. "Because Mr. Laroche-Mathieu, who is my neighbor, will leave me at my door every time I dine here.

– Quand vous verrai-je ? - When will I see you?

– Venez déjeuner avec moi, demain. - Come have lunch with me tomorrow. Et ils se séparèrent sans rien dire de plus.

Duroy ne resta pas tard, trouvant monotone la soirée. Duroy didn't stay late, finding the evening monotonous. Comme il descendait l’escalier, il rattrapa Norbert de Varenne qui venait aussi de partir. Le vieux poète lui prit le bras. The old poet took his arm. N’ayant plus de rivalité à redouter dans le journal, leur collaboration étant essentiellement différente, il témoignait maintenant au jeune homme une bienveillance d’aïeul. Having no more rivalries to dread in the paper, their collaboration being essentially different, he now showed the young man a benevolence of grandfather.

« Eh bien, vous allez me reconduire un bout de chemin ? "Well, are you going to take me back a little way? » dit-il.

Duroy répondit : « Avec joie, cher maître. Et ils se mirent en route, en descendant le boulevard Malesherbes, à petits pas. And they set out on their way down Malesherbes Boulevard, with little steps.

Paris était presque désert cette nuit-là, une nuit froide, une de ces nuits qu’on dirait plus vastes que les autres, où les étoiles sont plus hautes, où l’air semble apporter dans ses souffles glacés quelque chose venu de plus loin que les astres. Paris was almost deserted that night, a cold night, one of those nights that would seem larger than the others, where the stars are higher, where the air seems to bring in its icy breath something from farther away. than the stars.

Les deux hommes ne parlèrent point dans les premiers moments. Puis Duroy, pour dire quelque chose, prononça :

« Ce M. Laroche-Mathieu a l’air fort intelligent et fort instruit. "This M. Laroche-Mathieu looks very intelligent and well educated. Le vieux poète murmura : « Vous trouvez ? Le jeune homme, surpris, hésitait ; « Mais oui ; il passe d’ailleurs pour un des hommes les plus capables de la Chambre.

– C’est possible. Dans le royaume des aveugles les borgnes sont rois. In the kingdom of the blind, the one-eyed are kings. Tous ces gens-là, voyez-vous, sont des médiocres, parce qu’ils ont l’esprit entre deux murs, – l’argent et la politique. All these people, you see, are mediocre, because they have the spirit between two walls - money and politics. – Ce sont des cuistres, mon cher, avec qui il est impossible de parler de rien, de rien de ce que nous aimons. "They are painters, my dear, with whom it is impossible to speak of anything, of anything we love. Leur intelligence est à fond de vase, ou plutôt à fond de dépotoir, comme la Seine à Asnières. Their intelligence is at the bottom of a vase, or rather at the bottom of a dump, like the Seine at Asnieres.

« Ah ! c’est qu’il est difficile de trouver un homme qui ait de l’espace dans la pensée, qui vous donne la sensation de ces grandes haleines du large qu’on respire sur les côtes de la mer. it is difficult to find a man who has space in thought, which gives you the sensation of those great breaths of the sea which one breathes on the shores of the sea. J’en ai connu quelques-uns, ils sont morts. I knew a few, they died. Norbert de Varenne parlait d’une voix claire, mais retenue, qui aurait sonné dans le silence de la nuit s’il l’avait laissée s’échapper. Norbert de Varenne spoke in a clear but restrained voice that would have sounded in the silence of the night had he let it escape. Il semblait surexcité et triste, d’une de ces tristesses qui tombent parfois sur les âmes et les rendent vibrantes comme la terre sous la gelée. He seemed over-excited and sad, with one of those sadnesses that sometimes fall on souls and make them vibrate like earth under the frost.

Il reprit :

« Qu’importe, d’ailleurs, un peu plus ou un peu moins de génie, puisque tout doit finir ! "What matter, moreover, a little more or a little less genius, since everything must end! Et il se tut. Duroy, qui se sentait le cœur gai, ce soir-là, dit, en souriant :

« Vous avez du noir, aujourd’hui, cher maître. "You have black today, dear master. Le poète répondit.

« J’en ai toujours, mon enfant, et vous en aurez autant que moi dans quelques années. "I still have, my child, and you'll have as much as I do in a few years. La vie est une côte. Life is a coast. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, et on se sent heureux ; mais, lorsqu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin qui est la mort. As long as we go up, we look at the summit, and we feel happy; but when one arrives at the top one sees suddenly the descent, and the end which is death. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend. À votre âge, on est joyeux. On espère tant de choses, qui n’arrivent jamais d’ailleurs. We hope so many things that never happen elsewhere. Au mien, on n’attend plus rien… que la mort. To mine, we expect nothing more than death. Duroy se mit à rire :

« Bigre, vous me donnez froid dans le dos. "Bigre, you're chilling me on the back. Norbert de Varenne reprit :

« Non, vous ne me comprenez pas aujourd’hui, mais vous vous rappellerez plus tard ce que je vous dis en ce moment. "No, you do not understand me today, but you'll remember later what I'm telling you right now. « Il arrive un jour, voyez-vous, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où c’est fini de rire, comme on dit, parce que derrière tout ce qu’on regarde, c’est la mort qu’on aperçoit. "It happens one day, you see, and it arrives early for many, where it is finished laughing, as they say, because behind all that we look, it is death that we see . « Oh ! vous ne comprenez même pas ce mot-là, vous, la mort. you do not even understand that word, you, death. À votre âge, ça ne signifie rien. Au mien, il est terrible. To mine, he is terrible. « Oui, on le comprend tout d’un coup, on ne sait pas pourquoi ni à propos de quoi, et alors tout change d’aspect, dans la vie. "Yes, we understand all of a sudden, we do not know why or about what, and then everything changes in appearance, in life. Moi, depuis quinze ans, je la sens qui me travaille comme si je portais en moi une bête rongeuse. I, for fifteen years, I feel that works as if I carried a rodent beast in me. Je l’ai sentie peu à peu, mois par mois, heure par heure, me dégrader ainsi qu’une maison qui s’écroule. I felt it gradually, month by month, hour by hour, degrade me as well as a house that collapses. Elle m’a défiguré si complètement que je ne me reconnais pas. She disfigured me so completely that I do not recognize myself. Je n’ai plus rien de moi, de moi l’homme radieux, frais et fort que j’étais à trente ans. Je l’ai vue teindre en blanc mes cheveux noirs, et avec quelle lenteur savante et méchante ! I saw her dyed white my black hair, and with what slowness wise and nasty! Elle m’a pris ma peau ferme, mes muscles, mes dents, tout mon corps de jadis, ne me laissant qu’une âme désespérée qu’elle enlèvera bientôt aussi. She took my firm skin, my muscles, my teeth, all my body of old, leaving me only a desperate soul that it will soon remove too. « Oui, elle m’a émietté, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon être, seconde par seconde. "Yes, she has crumbled me, the beggar, she has accomplished slowly and terribly the long destruction of my being, second by second. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. And now I feel myself dying in everything I do. Chaque pas m’approche d’elle, chaque mouvement, chaque souffle hâte son odieuse besogne. Every step approaches me, every movement, every breath hastens its odious task. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rêver, tout ce que nous faisons, c’est mourir. Breathe, sleep, drink, eat, work, dream, all we do is die. Vivre enfin, c’est mourir ! To live finally is to die! « Oh ! vous saurez cela ! you will know that! Si vous réfléchissiez seulement un quart d’heure, vous la verriez. « Qu’attendez-vous ? "What are you waiting for? De l’amour ? Of love ? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant. A few more kisses, and you will be helpless. « Et puis, après ? De l’argent ? Pour quoi faire ? Pour payer des femmes ? Joli bonheur ? Nice happiness? Pour manger beaucoup, devenir obèse et crier des nuits entières sous les morsures de la goutte ? To eat a lot, become obese and scream whole nights under the bites of gout? « Et puis encore ? De la gloire ? À quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d’amour ? What is the use when it can not be picked in the form of love? « Et puis, après ? Toujours la mort pour finir. Moi, maintenant, je la vois de si près que j’ai souvent envie d’étendre les bras pour la repousser. I now see her so closely that I often want to extend my arms to push her away. Elle couvre la terre et emplit l’espace. It covers the earth and fills the space. Je la découvre partout. Les petites bêtes écrasées sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc aperçu dans la barbe d’un ami me ravagent le cœur et me crient : « La voilà ! The little beasts crushed on the roads, the falling leaves, the white hair seen in the beard of a friend ravage my heart and cry to me: "Here it is! « Elle me gâte tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j’aime, les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivières, et l’air des soirs d’été, si doux à respirer ! Il allait doucement, un peu essoufflé, rêvant tout haut, oubliant presque qu’on l’écoutait. He was going slowly, a little out of breath, dreaming aloud, almost forgetting that he was being listened to.

Il reprit : « Et jamais un être ne revient, jamais… On garde les moules des statues, les empreintes qui refont toujours des objets pareils ; mais mon corps, mon visage, mes pensées, mes désirs ne reparaîtront jamais. He went on: "And never does a being come back, never ... We keep the molds of the statues, the imprints which always make similar objects; but my body, my face, my thoughts, my desires will never reappear. Et pourtant il naîtra des millions, des milliards d’êtres qui auront dans quelques centimètres carrés un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une âme comme moi, sans que jamais je revienne, moi, sans que jamais même quelque chose de moi reconnaissable reparaisse dans ces créatures innombrables et différentes, indéfiniment différentes bien que pareilles à peu près. And yet millions will be born, billions of beings who will have in a few square centimeters a nose, eyes, a forehead, cheeks and a mouth like me, and also a soul like me, without ever coming back, myself, without ever even something of recognizable me reappear in these innumerable and different creatures, indefinitely different, though similar. « À quoi se rattacher ? "What to relate to? Vers qui jeter des cris de détresse ? Where to throw cries of distress? À quoi pouvons-nous croire ? What can we believe? « Toutes les religions sont stupides, avec leur morale puérile et leurs promesses égoïstes, monstrueusement bêtes. "All religions are stupid, with their puerile morality and their selfish promises, monstrously beasts. « La mort seule est certaine. Il s’arrêta, prit Duroy par les deux extrémités du col de son pardessus, et, d’une voix lente : He paused, took Duroy by the two ends of the collar of his overcoat, and, in a slow voice:

« Pensez à tout cela, jeune homme, pensez-y pendant des jours, des mois et des années, et vous verrez l’existence d’une autre façon. "Think about it all, young man, think about it for days, months and years, and you'll see it in another way. Essayez donc de vous dégager de tout ce qui vous enferme, faites cet effort surhumain de sortir vivant de votre corps, de vos intérêts, de vos pensées et de l’humanité tout entière, pour regarder ailleurs, et vous comprendrez combien ont peu d’importance les querelles des romantiques et des naturalistes, et la discussion du budget. So try to get away from all the things that lock you up, make this superhuman effort to get out alive from your body, your interests, your thoughts and the whole of humanity, to look elsewhere, and you will understand how few have the quarrels of romantics and naturalists, and the discussion of the budget. Il se remit à marcher d’un pas rapide.

« Mais aussi vous sentirez l’effroyable détresse des désespérés. "But also you will feel the frightful distress of the desperate. Vous vous débattrez, éperdu, noyé, dans les incertitudes. You will struggle, bewildered, drowned, in uncertainties. Vous crierez « À l’aide » de tous les côtés, et personne ne vous répondra. You will shout "Help" from all sides, and no one will answer you. Vous tendrez les bras, vous appellerez pour être secouru, aimé, consolé, sauvé ; et personne ne viendra. You will hold out your arms, you will call to be rescued, loved, consoled, saved; and no one will come. « Pourquoi souffrons-nous ainsi ? C’est que nous étions nés sans doute pour vivre davantage selon la matière et moins selon l’esprit ; mais, à force de penser, une disproportion s’est faite entre l’état de notre intelligence agrandie et les conditions immuables de notre vie. It is because we were born without doubt to live more according to the matter and less according to the spirit; but, by dint of thinking, a disproportion has been made between the state of our enlarged intelligence and the immutable conditions of our life. « Regardez les gens médiocres : à moins de grands désastres tombant sur eux ils se trouvent satisfaits, sans souffrir du malheur commun. "Look at the mediocre people: unless great disasters fall on them they are satisfied, without suffering from the common misfortune. Les bêtes non plus ne le sentent pas. The animals either do not feel it. Il s’arrêta encore, réfléchit quelques secondes, puis d’un air las et résigné : He stopped again, thought a few seconds, then with a weary and resigned air:

« Moi, je suis un être perdu. "I am a lost being. Je n’ai ni père, ni mère, ni frère, ni sœur, ni femme, ni enfants, ni Dieu. I have no father, no mother, no brother, no sister, no wife, no children, no God. Il ajouta, après un silence : « Je n’ai que la rime. He added, after a silence, "I only have rhyme. Puis, levant la tête vers le firmament, où luisait la face pâle de la pleine lune, il déclama : Then, raising his head towards the firmament, where the pale face of the full moon shone, he declaimed:

Et je cherche le mot de cet obscur problème And I'm looking for the word of this obscure problem

Dans le ciel noir et vide où flotte un astre blême. In the black and empty sky where floats a pale star.

Ils arrivaient au pont de la Concorde, ils le traversèrent en silence, puis ils longèrent le Palais-Bourbon. They arrived at the bridge of the Concorde, they crossed it in silence, then they walked along the Palais Bourbon. Norbert de Varenne se remit à parler : Norbert de Varenne began to speak again:

« Mariez-vous, mon ami, vous ne savez pas ce que c’est que de vivre seul, à mon âge. "Get married, my friend, you do not know what it is to live alone, at my age. La solitude, aujourd’hui, m’emplit d’une angoisse horrible ; la solitude dans le logis, auprès du feu, le soir. Solitude, today, fills me with horrible anguish; loneliness in the house, by the fire, in the evening. Il me semble alors que je suis seul sur la terre, affreusement seul, mais entouré de dangers vagues, de choses inconnues et terribles ; et la cloison, qui me sépare de mon voisin que je ne connais pas, m’éloigne de lui autant que des étoiles aperçues par ma fenêtre. It seems to me then that I am alone on earth, frightfully alone, but surrounded by vague dangers, unknown and terrible things; and the partition, which separates me from my neighbor whom I do not know, keeps me away from him as much as from the stars seen from my window. Une sorte de fièvre m’envahit, une fièvre de douleur et de crainte, et le silence des murs m’épouvante. A sort of fever invades me, a fever of pain and fear, and the silence of the walls terrifies me. Il est si profond et si triste, le silence de la chambre où l’on vit seul. Ce n’est pas seulement un silence autour du corps, mais un silence autour de l’âme, et, quand un meuble craque, on tressaille jusqu’au cœur, car aucun bruit n’est attendu dans ce morne logis. It is not only a silence around the body, but a silence around the soul, and when a piece of furniture creaks, one shudders to the heart, for no noise is expected in this gloomy dwelling. Il se tut encore une fois, puis ajouta : He was quiet again, then added:

« Quand on est vieux, ce serait bon, tout de même, des enfants ! "When we are old, it would be good, all the same, children! Ils étaient arrivés vers le milieu de la rue de Bourgogne. Le poète s’arrêta devant une haute maison, sonna, serra la main de Duroy, et lui dit :

« Oubliez tout ce rabâchage de vieux, jeune homme, et vivez selon votre âge ; adieu ! "Forget all that old boyish, young man, and live according to your age; farewell ! Et il disparut dans le corridor noir.

Duroy se remit en route, le cœur serré. Duroy went on his way, his heart tight. Il lui semblait qu’on venait de lui montrer quelque trou plein d’ossements, un trou inévitable où il lui faudrait tomber un jour. It seemed to him that they had just shown him some hole full of bones, an inevitable hole where he would have to fall one day. Il murmura : « Bigre, ça ne doit pas être gai, chez lui. He murmured: "Bigre, it must not be gay at home. Je ne voudrais pas un fauteuil de balcon pour assister au défilé de ses idées, nom d’un chien ! I would not want a balcony chair to attend the parade of his ideas, name of a dog! Mais, s’étant arrêté pour laisser passer une femme parfumée qui descendait de voiture et rentrait chez elle, il aspira d’un grand souffle avide la senteur de verveine et d’iris envolée dans l’air. But, having stopped to let a perfumed woman get out of her carriage and return home, he sucked in a great, greedy breath the scent of verbena and iris soaring in the air. Ses poumons et son cœur palpitèrent brusquement d’espérance et de joie ; et le souvenir de Mme de Marelle qu’il reverrait le lendemain l’envahit des pieds à la tête. His lungs and heart throbbed with sudden hope and joy; and the memory of Madame de Marelle, whom he would see again the next day, invaded her from head to foot.

Tout lui souriait, la vie l’accueillait avec tendresse. Everything smiled on him, life greeted him with tenderness. Comme c’était bon, la réalisation des espérances. How good was the realization of the expectations.

Il s’endormit dans l’ivresse et se leva de bonne heure pour faire un tour à pied, dans l’avenue du Bois-de-Boulogne, avant d’aller à son rendez-vous. He fell asleep in drunkenness and got up early to take a walk on the Avenue du Bois-de-Boulogne, before going to his rendezvous.

Le vent ayant changé, le temps s’était adouci pendant la nuit, et il faisait une tiédeur et un soleil d’avril. The wind having changed, the weather had softened during the night, and it was a lukewarm and an April sun. Tous les habitués du Bois étaient sortis ce matin-là, cédant à l’appel du ciel clair et doux. All the regulars of the Bois had gone out that morning, yielding to the call of the clear and gentle sky.

Duroy marchait lentement, buvant l’air léger, savoureux comme une friandise de printemps. Duroy walked slowly, drinking light air, tasty like a spring treat. Il passa l’arc de triomphe de l’Étoile et s’engagea dans la grande avenue, du côté opposé aux cavaliers. He passed the triumphal arch of the Star and entered the great avenue, on the opposite side to the horsemen. Il les regardait, trottant ou galopant, hommes et femmes, les riches du monde, et c’est à peine s’il les enviait maintenant. He looked at them, trotting or galloping, men and women, the rich of the world, and he scarcely envied them now. Il les connaissait presque tous de nom, savait le chiffre de leur fortune et l’histoire secrète de leur vie, ses fonctions ayant fait de lui une sorte d’almanach des célébrités et des scandales parisiens. He knew them almost all by name, knew the number of their fortune and the secret history of their lives, his functions having made him a sort of almanac of celebrities and scandals in Paris.

Les amazones passaient, minces et moulées dans le drap sombre de leur taille, avec ce quelque chose de hautain et d’inabordable qu’ont beaucoup de femmes à cheval ; et Duroy s’amusait à réciter à mi-voix, comme on récite des litanies dans une église, les noms, titres et qualités des amants qu’elles avaient eus ou qu’on leur prêtait ; et, quelquefois même, au lieu de dire : The Amazons passed, thin and molded in the dark cloth of their size, with that something haughty and unapproachable that many women on horseback; and Duroy amused himself by reciting in a low voice, as litanies are recited in a church, the names, titles, and qualities of the lovers whom they had had or who were lent them; and, sometimes even, instead of saying:

« Baron de Tanquelet, "Baron of Tanquelet,

Prince de la Tour-Enguerrand » ; Prince of the Tower-Enguerrand ";

il murmurait : « Côté Lesbos he murmured: "Lesbos side

Louise Michot, du Vaudeville, Louise Michot, from Vaudeville,

Rose Marquetin, de l’Opéra. Rose Marquetin, Opera. Ce jeu l’amusait beaucoup, comme s’il eût constaté, sous les sévères apparences, l’éternelle et profonde infamie de l’homme, et que cela l’eût réjoui, excité, consolé. This game amused him greatly, as if he had observed, under severe appearances, the eternal and profound infamy of man, and that it would have delighted, excited, and consoled him.

Puis il prononça tout haut : « Tas d’hypocrites ! Then he said aloud, "Heap of hypocrites! » et chercha de l’œil les cavaliers sur qui couraient les plus grosses histoires. And looked for the riders on whom ran the biggest stories.

Il en vit beaucoup soupçonnés de tricher au jeu, pour qui les cercles, en tout cas, étaient la grande ressource, la seule ressource, ressource suspecte à coup sûr. He saw many who were suspected of cheating in the game, for whom the circles, in any case, were the great resource, the only resource, a suspect resource for sure.

D’autres, fort célèbres, vivaient uniquement des rentes de leurs femmes, c’était connu ; d’autres, des rentes de leurs maîtresses, on l’affirmait. Others, very famous, lived only on the rents of their wives, it was known; others, rents from their mistresses, it was asserted. Beaucoup avaient payé leurs dettes (acte honorable), sans qu’on eût jamais deviné d’où leur était venu l’argent nécessaire (mystère bien louche). Many had paid their debts (honorable deed), without anyone having guessed where the necessary money had come from (a mysterious mystery). Il vit des hommes de finance dont l’immense fortune avait un vol pour origine, et qu’on recevait partout, dans les plus nobles maisons, puis des hommes si respectés que les petits bourgeois se découvraient sur leur passage, mais dont les tripotages effrontés, dans les grandes entreprises nationales, n’étaient un mystère pour aucun de ceux qui savaient les dessous du monde. He saw men of finance whose immense fortune had a theft for their origin, and which was received everywhere, in the noblest houses, then men so respected that the petty bourgeois discovered themselves in their path, but whose impudent in the big national companies, were not a mystery to any of those who knew the underworld.

Tous avaient l’air hautain, la lèvre fière, l’œil insolent, ceux à favoris et ceux à moustaches. All looked haughty, their lips proud, their eyes insolent, those to favorites and those with mustaches.

Duroy riait toujours, répétant : « C’est du propre, tas de crapules, tas d’escarpes ! Duroy was still laughing, repeating: "It's clean, heap of scoundrels, piles of escarpments! Mais une voiture passa, découverte, basse et charmante, traînée au grand trot par deux minces chevaux blancs dont la crinière et la queue voltigeaient, et conduite par une petite jeune femme blonde, une courtisane connue qui avait deux grooms assis derrière elle. But a carriage passed by, discovered, low and charming, trotted by two thin white horses whose manes and tails were fluttering, and led by a little fair young woman, a well-known courtesan who had two grooms sitting behind her. Duroy s’arrêta, avec une envie de saluer et d’applaudir cette parvenue de l’amour qui étalait avec audace dans cette promenade et à cette heure des hypocrites aristocrates, le luxe crâne gagné sur ses draps. Duroy stopped, with a desire to salute and applaud the arrival of the love that spread boldly in this walk and at this time hypocrites aristocrats, luxury skull earned on his sheets. Il sentait peut-être vaguement qu’il y avait quelque chose de commun entre eux, un lien de nature, qu’ils étaient de même race, de même âme, et que son succès aurait des procédés audacieux de même ordre. He vaguely felt that there was something in common between them, a link of nature, that they were of the same race, of the same soul, and that his success would have daring processes of the same order.

Il revint plus doucement, le cœur chaud de satisfaction, et il arriva, un peu avant l’heure, à la porte de son ancienne maîtresse. He returned more slowly, his heart warm with satisfaction, and he arrived a little before the hour at the door of his old mistress.

Elle le reçut, les lèvres tendues, comme si aucune rupture n’avait eu lieu, et elle oublia même, pendant quelques instants, la sage prudence qu’elle opposait, chez elle, à leurs caresses. She received him, her lips tense, as if no rupture had taken place, and for a few moments she even forgot the wise prudence she opposed to her caresses. Puis elle lui dit, en baisant les bouts frisés de ses moustaches : Then she said to him, kissing the curly ends of her mustaches:

« Tu ne sais pas l’ennui qui m’arrive, mon chéri ? "You do not know the boredom that's happening to me, darling?

J’espérais une bonne lune de miel, et voilà mon mari qui me tombe sur le dos pour six semaines ; il a pris congé. I was hoping for a good honeymoon, and here my husband falls on my back for six weeks; he took leave. Mais je ne veux pas rester six semaines sans te voir, surtout après notre petite brouille, et voilà comment j’ai arrangé les choses. But I do not want to stay six weeks without seeing you, especially after our little quarrel, and that's how I arranged things. Tu viendras me demander à dîner lundi, je lui ai déjà parlé de toi. You will come to ask me to dinner on Monday, I already told him about you. Je te présenterai. I will introduce you. Duroy hésitait, un peu perplexe, ne s’étant jamais trouvé encore en face d’un homme dont il possédait la femme. Duroy hesitated, a little puzzled, having never found himself before a man whose wife he owned. Il craignait que quelque chose le trahît, un peu de gêne, un regard, n’importe quoi. He was afraid that something would betray him, a little embarrassment, a look, anything. Il balbutiait : He stammered:

« Non, j’aime mieux ne pas faire la connaissance de ton mari. "No, I'd rather not meet your husband. » Elle insista, fort étonnée, debout devant lui et ouvrant des yeux naïfs : « Mais pourquoi ? She insisted, very surprised, standing before him and opening naive eyes: "But why? quelle drôle de chose ? what a funny thing? Ça arrive tous les jours, ça ! It happens every day, that! Je ne t’aurais pas cru si nigaud, par exemple. I would not have thought you so foolish, for example. Il fut blessé : He was wounded:

« Eh bien, soit, je viendrai dîner lundi. "Well, either, I'll come to dinner on Monday. Elle ajouta : She added:

« Pour que ce soit bien naturel, j’aurai les Forestier. "For it to be natural, I will have Forestier. Ça ne m’amuse pourtant pas de recevoir du monde chez moi. It does not amuses me however to receive the world at home. Jusqu’au lundi, Duroy ne pensa plus guère à cette entrevue ; mais voilà qu’en montant l’escalier de Mme de Marelle, il se sentit étrangement troublé, non pas qu’il lui répugnât de prendre la main de ce mari, de boire son vin et de manger son pain, mais il avait peur de quelque chose, sans savoir de quoi.

On le fit, entrer dans le salon, et il attendit, comme toujours. Puis la porte de la chambre s’ouvrit, et il aperçut un grand homme à barbe blanche, décoré, grave et correct, qui vint à lui avec une politesse minutieuse : Then the door of the room opened, and he saw a tall man with a white beard, decorated, grave and correct, who came to him with minute politeness:

« Ma femme m’a souvent parlé de vous, monsieur, et je suis charmé de faire votre connaissance. Duroy s’avança en tâchant de donner à sa physionomie un air de cordialité expressive et il serra avec une énergie exagérée la main tendue de son hôte. Duroy stepped forward, trying to give his countenance an air of expressive cordiality, and he squeezed with exaggerated energy the outstretched hand of his host. Puis, s’étant assis, il ne trouva rien à lui dire.

M. de Marelle remit un morceau de bois au feu, et demanda : M. de Marelle put a piece of wood on the fire, and asked:

« Voici longtemps que vous vous occupez de journalisme ? "Have you been involved in journalism for a long time? Duroy répondit :

« Depuis quelques mois seulement. – Ah ! vous avez marché vite.

«  Oui, assez vite », et il se mit à parler au hasard, sans trop songer à ce qu’il disait, débitant toutes les banalités en usage entre gens qui ne se connaissent point. Il se rassurait maintenant et commençait à trouver la situation fort amusante. He was reassuring now and was starting to find the situation very amusing. Il regardait la figure sérieuse et respectable de M. de Marelle, avec une envie de rire sur les lèvres, en pensant : « Toi, je te fais cocu, mon vieux, je te fais cocu. » Et une satisfaction intime, vicieuse, le pénétrait, une joie de voleur qui a réussi et qu’on ne soupçonne pas, une joie fourbe, délicieuse. Il avait envie, tout à coup, d’être l’ami de cet homme, de gagner sa confiance, de lui faire raconter les choses secrètes de sa vie.

Mme de Marelle entra brusquement, et les ayant couverts d’un coup d’œil souriant et impénétrable, elle alla vers Duroy qui n’osa point, devant le mari, lui baiser la main, ainsi qu’il le faisait toujours. Madame de Marelle came in abruptly, and having covered them with a smiling and impenetrable glance, she went to Duroy, who did not dare, before the husband, to kiss her hand, as he always did.

Elle était tranquille et gaie comme une personne habituée à tout, qui trouvait cette rencontre naturelle et simple, en sa rouerie native et franche. She was quiet and cheerful as a person accustomed to everything, who found this meeting natural and simple, in its native and frank roughness. Laurine apparut, et vint, plus sagement que de coutume, tendre son front à Georges, la présence de son père l’intimidant. Laurine appeared, and came, more wisely than usual, to extend her brow to George, the presence of her father intimidating him. Sa mère lui dit : « Eh bien, tu ne l’appelles plus Bel-Ami, aujourd’hui. His mother said to him, "Well, you do not call him Bel-Ami today. » Et l’enfant rougit, comme si on venait de commettre une grosse indiscrétion, de révéler une chose qu’on ne devait pas dire, de dévoiler un secret intime et un peu coupable de son cœur. And the child blushed, as if one had just made a big indiscretion, to reveal something that one should not say, to reveal an intimate and a little guilty secret of his heart.

Quand les Forestier arrivèrent, on fut effrayé de l’état de Charles. When the Foresters arrived, they were frightened of Charles's condition. Il avait maigri et pâli affreusement en une semaine et il toussait sans cesse. He had lost weight and paled dreadfully in a week, and he coughed incessantly. Il annonça d’ailleurs qu’ils partaient pour Cannes le jeudi suivant, sur l’ordre formel du médecin. He announced besides that they were leaving for Cannes the following Thursday, on the formal order of the doctor.

Ils se retirèrent de bonne heure, et Duroy dit en hochant la tête : They retired early, and Duroy said, shaking his head:

« Je crois qu’il file un bien mauvais coton. "I think he's spinning a bad cotton. Il ne fera pas de vieux os. He will not make old bones. » Mme de Marelle affirma avec sérénité : « Oh ! il est perdu ! En voilà un qui avait eu de la chance de trouver une femme comme la sienne. Here was one who was lucky to find a woman like his. Duroy demanda :

« Elle l’aide beaucoup ? "Does she help him a lot?

– C’est-à-dire qu’elle fait tout. - That is to say, she does everything. Elle est au courant de tout, elle connaît tout le monde sans avoir l’air de voir personne ; elle obtient ce qu’elle veut, comme elle veut, et quand elle veut. She knows everything, she knows everyone without seeming to see anyone; she gets what she wants, as she wants, and when she wants. Oh ! elle est fine, adroite et intrigante comme aucune, celle-là. she is fine, deft and intriguing like none, that one. En voilà un trésor pour un homme qui veut parvenir. Here is a treasure for a man who wants to reach. Georges reprit :

« Elle se remariera bien vite, sans doute ? Mme de Marelle répondit :

« Oui. Je ne serais même pas étonnée qu’elle eût en vue quelqu’un… un député… à moins que… qu’il ne veuille pas…, car… car… il y aurait peut-être de gros obstacles… moraux… Enfin, voilà. I would not be surprised if she had someone ... a deputy ... unless ... that he did not want ... because ... because ... there might be big obstacles ... moral ... Finally, that's it . Je ne sais rien. I know nothing. M. de Marelle grommela avec une lente impatience : M. de Marelle grumbled with slow impatience:

« Tu laisses toujours soupçonner un tas de choses que je n’aime pas. "You always suspect a lot of things that I do not like. Ne nous mêlons jamais des affaires des autres. Never mingle the business of others. Notre conscience nous suffit à gouverner. Our conscience is enough for us to govern. Ce devrait être une règle pour tout le monde. It should be a rule for everyone. Duroy se retira, le cœur troublé et l’esprit plein de vagues combinaisons. Duroy withdrew, his heart troubled and his mind full of vague combinations.

Il alla le lendemain faire une visite aux Forestier et il les trouva terminant leurs bagages. He went the next day to visit the Forestier and found them finishing their luggage. Charles, étendu sur un canapé, exagérait la fatigue de sa respiration et répétait : « Il y a un mois que je devrais être parti », puis il fit à Duroy une série de recommandations pour le journal, bien que tout fût réglé et convenu avec M. Walter. Charles, stretched out on a couch, exaggerated the fatigue of his breathing and repeated: "A month ago that I should have left," then he made Duroy a series of recommendations for the newspaper, although everything was settled and agreed with Mr. Walter.

Quand Georges s’en alla, il serra énergiquement les mains de son camarade : « Eh bien, mon vieux, à bientôt ! » Mais, comme Mme Forestier le reconduisait jusqu’à la porte, il lui dit vivement : « Vous n’avez pas oublié notre pacte ? But, as Madame Forestier led him to the door, he said to him briskly, "Have you not forgotten our pact? Nous sommes des amis et des alliés, n’est-ce pas ? We are friends and allies, are not we? Donc, si vous avez besoin de moi, en quoi que ce soit, n’hésitez point. So, if you need me, in any way, do not hesitate. Une dépêche ou une lettre, et j’obéirai. A dispatch or a letter, and I will obey. Elle murmura : « Merci, je n’oublierai pas. She whispered, "Thank you, I will not forget. » Et son œil lui dit : « Merci », d’une façon plus profonde et plus douce. And his eye said, "Thank you," in a deeper and softer way.

Comme Duroy descendait l’escalier, il rencontra, montant à pas lents, M. de Vaudrec, qu’une fois déjà il avait vu chez elle. As Duroy was coming down the stairs, he met M. de Vaudrec, who was walking slowly upstairs, whom he had already seen at home. Le comte semblait triste – de ce départ, peut-être ? The count seemed sad - of this departure, perhaps?

Voulant se montrer homme du monde, le journaliste le salua avec empressement. Wanting to be a man of the world, the journalist greeted him eagerly.

L’autre rendit avec courtoisie, mais d’une manière un peu fière. The other returned with courtesy, but in a somewhat proud manner.

Le ménage Forestier partit le jeudi soir. The Forestier household left on Thursday evening.