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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 1 Chapitre 5.1

Bel Ami - Partie 1 Chapitre 5.1

– V – 5.1

Deux mois s'étaient écoulés ; on touchait à septembre, et la fortune rapide que Duroy avait espérée lui semblait bien longue à venir. Il s'inquiétait surtout de la médiocrité morale de sa situation et ne voyait pas par quelle voie il escaladerait les hauteurs où l'on trouve la considération et l'argent. Il se sentait enfermé dans ce métier médiocre de reporter, muré là-dedans à n'en pouvoir sortir. On l'appréciait, mais on l'estimait selon son rang. Forestier même, à qui il rendait mille services, ne l'invitait plus à dîner, le traitait en tout comme un inférieur, bien qu'il le tutoyât comme un ami. De temps en temps, il est vrai, Duroy, saisissant une occasion, plaçait un bout d'article, et ayant acquis par ses échos une souplesse de plume et un tact qui lui manquaient lorsqu'il avait écrit sa seconde chronique sur l'Algérie, il ne courait plus aucun risque de voir refuser ses actualités. Mais de là à faire des chroniques au gré de sa fantaisie ou à traiter, en juge, les questions politiques, il y avait autant de différence qu'à conduire dans les avenues du Bois étant cocher, ou à conduire étant maître. Ce qui l'humiliait surtout, c'était de sentir fermées les portes du monde, de n'avoir pas de relations à traiter en égal, de ne pas entrer dans l'intimité des femmes, bien que plusieurs actrices connues l'eussent parfois accueilli avec une familiarité intéressée. Il savait d'ailleurs, par expérience, qu'elles éprouvaient pour lui, toutes, mondaines ou cabotines, un entraînement singulier, une sympathie instantanée, et il ressentait, de ne point connaître celles dont pourrait dépendre son avenir, une impatience de cheval entravé. Bien souvent il avait songé à faire une visite à Mme Forestier ; mais la pensée de leur dernière rencontre l'arrêtait, l'humiliait, et il attendait, en outre, d'y être engagé par le mari. Alors le souvenir lui vint de Mme de Marelle et, se rappelant qu'elle l'avait prié de la venir voir, il se présenta chez elle un après-midi qu'il n'avait rien à faire. « J'y suis toujours jusqu'à trois heures », avait-elle dit. Il sonnait à sa porte à deux heures et demie.

Elle habitait rue de Verneuil, au quatrième.

Au bruit du timbre, une bonne vint ouvrir, une petite servante dépeignée qui nouait son bonnet en répondant :

« Oui, madame est là, mais je ne sais pas si elle est levée. Et elle poussa la porte du salon qui n'était point fermée. Duroy entra. La pièce était assez grande, peu meublée et d'aspect négligé. Les fauteuils, défraîchis et vieux, s'alignaient le long des murs, selon l'ordre établi par la domestique, car on ne sentait en rien le soin élégant d'une femme qui aime le chez soi. Quatre pauvres tableaux, représentant une barque sur un fleuve, un navire sur la mer, un moulin dans une plaine et un bûcheron dans un bois, pendaient au milieu des quatre panneaux, au bout de cordons inégaux, et tous les quatre accrochés de travers. On devinait que depuis longtemps ils restaient penchés ainsi sous l'œil négligent d'une indifférente. Duroy s'assit et attendit. Il attendit longtemps. Puis une porte s'ouvrit, et Mme de Marelle entra en courant, vêtue d'un peignoir japonais en soie rose où étaient brodés des paysages d'or, des fleurs bleues et des oiseaux blancs, et elle s'écria : « Figurez-vous que j'étais encore couchée. Que c'est gentil à vous de venir me voir ! J'étais persuadée que vous m'aviez oubliée. Elle tendit ses deux mains d'un geste ravi, et Duroy, que l'aspect médiocre de l'appartement mettait à son aise, les ayant prises, en baisa une, comme il avait vu faire à Norbert de Varenne. Elle le pria de s'asseoir ; puis, le regardant des pieds à la tête : « Comme vous êtes changé ! Vous avez gagné de l'air. Paris vous fait du bien. Allons, racontez-moi les nouvelles. Et ils se mirent à bavarder tout de suite, comme s'ils eussent été d'anciennes connaissances, sentant naître entre eux une familiarité instantanée, sentant s'établir un de ces courants de confiance, d'intimité et d'affection qui font amis, en cinq minutes, deux êtres de même caractère et de même race. Tout à coup, la jeune femme s'interrompit, et s'étonnant : « C'est drôle comme je suis avec vous. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. Nous deviendrons, sans doute, bons camarades. Voulez-vous ? Il répondit : « Mais, certainement », avec un sourire qui en disait plus.

Il la trouvait tout à fait tentante, dans son peignoir éclatant et doux, moins fine que l'autre dans son peignoir blanc, moins chatte, moins délicate, mais plus excitante, plus poivrée. Quand il sentait près de lui Mme Forestier, avec son sourire immobile et gracieux qui attirait et arrêtait en même temps, qui semblait dire : « Vous me plaisez « et aussi : « Prenez garde », dont on ne comprenait jamais le sens véritable, il éprouvait surtout le désir de se coucher à ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d'aspirer lentement l'air chaud et parfumé qui devait sortir de là, glissant entre les seins. Auprès de Mme de Marelle, il sentait en lui un désir plus brutal, plus précis, un désir qui frémissait dans ses mains devant les contours soulevés de la soie légère.

Elle parlait toujours, semant en chaque phrase cet esprit facile dont elle avait pris l'habitude, comme un ouvrier saisit le tour de main qu'il faut pour accomplir une besogne réputée difficile et dont s'étonnent les autres. Il l'écoutait, pensant : « C'est bon à retenir tout ça. On écrirait des chroniques parisiennes charmantes en la faisant bavarder sur les événements du jour. Mais on frappa doucement, tout doucement à la porte par laquelle elle était venue ; et elle cria : « Tu peux entrer, mignonne. » La petite fille parut, alla droit à Duroy et lui tendit la main.

La mère étonnée murmura : « Mais c'est une conquête. Je ne la reconnais plus. » Le jeune homme, ayant embrassé l'enfant, la fit asseoir à côté de lui, et lui posa, avec un air sérieux, des questions gentilles sur ce qu'elle avait fait depuis qu'ils ne s'étaient vus. Elle répondait de sa petite voix de flûte, avec son air grave de grande personne.

La pendule sonna trois heures. Le journaliste se leva.

« Venez souvent, demanda Mme de Marelle, nous bavarderons comme aujourd'hui, vous me ferez toujours plaisir. Mais pourquoi ne vous voit-on plus chez les Forestier ? Il répondit :

« Oh ! pour rien. J'ai eu beaucoup à faire. J'espère bien que nous nous y retrouverons un de ces jours. Et il sortit, le cœur plein d'espoir, sans savoir pourquoi. Il ne parla pas à Forestier de cette visite.

Mais il en garda le souvenir, les jours suivants, plus que le souvenir, une sorte de sensation de la présence irréelle et persistante de cette femme. Il lui semblait avoir pris quelque chose d'elle, l'image de son corps restée dans ses yeux et la saveur de son être moral restée en son cœur. II demeurait sous l'obsession de son image, comme il arrive quelquefois quand on a passé des heures charmantes auprès d'un être. On dirait qu'on subit une possession étrange, intime, confuse, troublante et exquise parce qu'elle est mystérieuse. Il fit une seconde visite au bout de quelques jours.

La bonne l'introduisit dans le salon, et Laurine parut aussitôt. Elle tendit, non plus sa main, mais son front, et dit :

« Maman m'a chargée de vous prier de l'attendre. Elle en a pour un quart d'heure, parce qu'elle n'est pas habillée. Je vous tiendrai compagnie. Duroy, qu'amusaient les manières cérémonieuses de la fillette, répondit : « Parfaitement, mademoiselle, je serai enchanté de passer un quart d'heure avec vous : mais je vous préviens que je ne suis point sérieux du tout, moi, je joue toute la journée ; je vous propose donc de faire une partie de chat perché. La gamine demeura saisie, puis elle sourit, comme aurait fait une femme, de cette idée qui la choquait un peu et l'étonnait aussi ; et elle murmura : « Les appartements ne sont pas faits pour jouer. Il reprit :

« Ça m'est égal : moi je joue partout. Allons, attrapez-moi. Et il se mit à tourner autour de la table, en l'excitant à le poursuivre, tandis qu'elle s'en venait derrière lui, souriant toujours avec une sorte de condescendance polie, et étendant parfois la main pour le toucher, mais sans s'abandonner jusqu'à courir. Il s'arrêtait, se baissait, et, lorsqu'elle approchait, de son petit pas hésitant, il sautait en l'air comme les diables enfermés en des boîtes, puis il s'élançait d'une enjambée à l'autre bout du salon. Elle trouvait ça drôle, finissait par rire, et, s'animant, commençait à trottiner derrière lui, avec de légers cris joyeux et craintifs, quand elle avait cru le saisir. Il déplaçait les chaises, en faisait des obstacles, la forçait à pivoter pendant une minute autour de la même, puis, quittant celle-là, en saisissait une autre. Laurine courait maintenant, s'abandonnait tout à fait au plaisir de ce jeu nouveau et, la figure rose, elle se précipitait d'un grand élan d'enfant ravie, à chacune des fuites, à chacune des ruses, à chacune des feintes de son compagnon. Brusquement, comme elle s'imaginait l'atteindre, il la saisit dans ses bras, et, l'élevant jusqu'au plafond, il cria : « Chat perché ! La fillette enchantée agitait ses jambes pour s'échapper et riait de tout son cœur. Mme de Marelle entra et, stupéfaite :

« Ah ! Laurine… Laurine qui joue… Vous êtes un ensorceleur, monsieur. Il reposa par terre la gamine, baisa la main de la mère, et ils s'assirent, l'enfant entre eux. Ils voulurent causer : mais Laurine, grisée, si muette d'ordinaire, parlait tout le temps, et il fallut l'envoyer à sa chambre. Elle obéit sans répondre, mais avec des larmes dans les yeux.

Dès qu'ils furent seuls, Mme de Marelle baissa la voix : « Vous ne savez pas, j'ai un grand projet, et j'ai pensé à vous. Voilà. Comme je dîne toutes les semaines chez les Forestier, je leur rends ça, de temps en temps, dans un restaurant. Moi, je n'aime pas à avoir du monde chez moi, je ne suis pas organisée pour ça, et, d'ailleurs, je n'entends rien aux choses de la maison, rien à la cuisine, rien à rien. J'aime vivre à la diable. Donc je les reçois de temps en temps au restaurant, mais ça n'est pas gai quand nous ne sommes que nous trois, et mes connaissances à moi ne vont guère avec eux. Je vous dis ça pour vous expliquer une invitation peu régulière. Vous comprenez, n'est-ce pas, que je vous demande d'être des nôtres samedi, au café Riche, sept heures et demie. Vous connaissez la maison ? Il accepta avec bonheur. Elle reprit :

« Nous serons tous les quatre seulement, une vraie partie carrée. C'est très amusant ces petites fêtes-là, pour nous autres femmes qui n'y sommes pas habituées. Elle portait une robe marron foncé, qui moulait sa taille, ses hanches, sa gorge, ses bras d'une façon provocante et coquette ; et Duroy éprouvait un étonnement confus, presque une gêne dont il ne saisissait pas bien la cause, du désaccord de cette élégance soignée et raffinée avec l'insouci visible pour le logis qu'elle habitait. Tout ce qui vêtait son corps, tout ce qui touchait intimement et directement sa chair, était délicat et fin, mais ce qui l'entourait ne lui importait plus. Il la quitta, gardant, comme l'autre fois, la sensation de sa présence continuée dans une sorte d'hallucination de ses sens. Et il attendit le jour du dîner avec une impatience grandissante.

Ayant loué pour la seconde fois un habit noir, ses moyens ne lui permettant point encore d'acheter un costume de soirée, il arriva le premier au rendez-vous, quelques minutes avant l'heure. On le fit monter au second étage, et on l'introduisit dans un petit salon de restaurant, tendu de rouge et ouvrant sur le boulevard son unique fenêtre. Une table carrée, de quatre couverts, étalait sa nappe blanche, si luisante qu'elle semblait vernie ; et les verres, l'argenterie, le réchaud brillaient gaiement sous la flamme de douze bougies portées par deux hauts candélabres. Au dehors on apercevait une grande tache d'un vert clair que faisaient les feuilles d'un arbre, éclairées par la lumière vive des cabinets particuliers. Duroy s'assit sur un canapé très bas, rouge comme les tentures des murs, et dont les ressorts fatigués, s'enfonçant sous lui, lui donnèrent la sensation de tomber dans un trou. Il entendait dans toute cette vaste maison une rumeur confuse, ce bruissement des grands restaurants fait du bruit des vaisselles et des argenteries heurtées, du bruit des pas rapides des garçons adouci par le tapis des corridors, du bruit des portes un moment ouvertes et qui laissent échapper le son des voix de tous ces étroits salons où sont enfermés des gens qui dînent. Forestier entra et lui serra la main avec une familiarité cordiale qu'il ne lui témoignait jamais dans les bureaux de La Vie Française . « Ces deux dames vont arriver ensemble, dit-il ; c'est très gentil ces dîners-là ! Puis il regarda la table, fit éteindre tout à fait un bec de gaz qui brûlait en veilleuse, ferma un battant de la fenêtre, à cause du courant d'air, et choisit sa place bien à l'abri en déclarant : « Il faut que je fasse grande attention ; j'ai été mieux pendant un mois, et me voici repris depuis quelques jours. J'aurai attrapé froid mardi en sortant du théâtre. On ouvrit la porte et les deux jeunes femmes parurent, suivies d'un maître d'hôtel, voilées, cachées, discrètes, avec cette allure de mystère charmant qu'elles prennent en ces endroits où les voisinages et les rencontres sont suspects. Comme Duroy saluait Mme Forestier, elle le gronda fort de n'être pas revenu la voir ; puis elle ajouta, avec un sourire, vers son amie : « C'est ça, vous me préférez Mme de Marelle, vous trouvez bien le temps pour elle. Puis on s'assit, et le maître d'hôtel ayant présenté à Forestier la carte des vins, Mme de Marelle s'écria : « Donnez à ces messieurs ce qu'ils voudront ; quant à nous du champagne frappé, du meilleur, du champagne doux par exemple, rien autre chose. Et l'homme étant sorti, elle annonça avec un rire excité : « Je veux me pocharder ce soir, nous allons faire une noce, une vraie noce. Forestier, qui paraissait n'avoir pas entendu, demanda : « Cela ne vous ferait-il rien qu'on fermât la fenêtre ? J'ai la poitrine un peu prise depuis quelques jours. – Non, rien du tout. Il alla donc pousser le battant resté entrouvert et il revint s'asseoir avec un visage rasséréné, tranquillisé. Sa femme ne disait rien, paraissait absorbée ; et, les yeux baissés vers la table, elle souriait aux verres, de ce sourire vague qui semblait promettre toujours pour ne jamais tenir.

Les huîtres d'Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés, Puis, après le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille ; et les convives commencèrent à causer.

On parla d'abord d'un cancan qui courait les rues, l'histoire d'une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier. Forestier riait beaucoup de l'aventure ; les deux femmes déclaraient que le bavard indiscret n'était qu'un goujat et qu'un lâche. Duroy fut de leur avis et proclama bien haut qu'un homme a le devoir d'apporter en ces sortes d'affaires, qu'il soit acteur, confident ou simple témoin, un silence de tombeau. Il ajouta :

« Comme la vie serait pleine de choses charmantes si nous pouvions compter sur la discrétion absolue les uns des autres. Ce qui arrête souvent, bien souvent, presque toujours les femmes, c'est la peur du secret dévoilé. Puis il ajouta, souriant :

« Voyons, n'est-ce pas vrai ? « Combien y en a-t-il qui s'abandonneraient à un rapide désir, au caprice brusque et violent d'une heure, à une fantaisie d'amour, si elles ne craignaient de payer par un scandale irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur ! Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s'il avait plaidé une cause, sa cause, comme s'il eût dit : « Ce n'est pas avec moi qu'on aurait à craindre de pareils dangers. Essayez pour voir. Elles le contemplaient toutes les deux, l'approuvant du regard, trouvant qu'il parlait bien et juste, confessant par leur silence ami que leur morale inflexible de Parisiennes n'aurait pas tenu longtemps devant la certitude du secret. Et Forestier, presque couché sur le canapé, une jambe repliée sous lui, la serviette glissée dans son gilet pour ne point maculer son habit, déclara tout à coup, avec un rire convaincu de sceptique :

« Sacristi oui, on s'en paierait si on était sûr du silence. Bigre de bigre ! les pauvres maris. Et on se mit à parler d'amour. Sans l'admettre éternel, Duroy le comprenait durable, créant un lien, une amitié tendre, une confiance ! L'union des sens n'était qu'un sceau à l'union des cœurs. Mais il s'indignait des jalousies harcelantes, des drames, des scènes, des misères qui, presque toujours, accompagnent les ruptures. Quand il se tut, Mme de Marelle soupira :

« Oui, c'est la seule bonne chose de la vie, et nous la gâtons souvent par des exigences impossibles. Mme Forestier qui jouait avec un couteau, ajouta :

« Oui… oui… c'est bon d'être aimée… » Et elle semblait pousser plus loin son rêve, songer à des choses qu'elle n'osait point dire. Et comme la première entrée n'arrivait pas, ils buvaient de temps en temps une gorgée de champagne en grignotant des croûtes arrachées sur le dos des petits pains ronds. Et la pensée de l'amour, lente et envahissante, entrait en eux, enivrait peu à peu leur âme, comme le vin clair, tombé goutte à goutte en leur gorge, échauffait leur sang et troublait leur esprit. On apporta des côtelettes d'agneau, tendres, légères, couchées sur un lit épais et menu de pointes d'asperges. « Bigre ! la bonne chose ! » s'écria Forestier. Et ils mangeaient avec lenteur, savourant la viande fine et le légume onctueux comme une crème.

Duroy reprit :

« Moi, quand j'aime une femme, tout disparaît du monde autour d'elle. Il disait cela avec conviction, s'exaltant à la pensée de cette jouissance de table qu'il goûtait. Mme Forestier murmura, avec son air de n'y point toucher : « Il n'y a pas de bonheur comparable à la première pression des mains, quand l'un demande : « M'aimez-vous ? » et quand l'autre répond : « Oui, je t'aime. Mme de Marelle, qui venait de vider d'un trait une nouvelle flûte de champagne, dit gaiement en reposant son verre : « Moi, je suis moins platonique. Et chacun se mit à ricaner, l'œil allumé, en approuvant cette parole. Forestier s'étendit sur le canapé, ouvrit les bras, les appuya sur des coussins et d'un ton sérieux : « Cette franchise vous honore et prouve que vous êtes une femme pratique. Mais peut-on vous demander quelle est l'opinion de M. de Marelle ? Elle haussa les épaules lentement, avec un dédain infini, prolongé ; puis, d'une voix nette : « M. de Marelle n'a pas d'opinion en cette matière. Il n'a que des… que des abstentions. Et la causerie, descendant des théories élevées sur la tendresse, entra dans le jardin fleuri des polissonneries distinguées.

Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l'œil et dans l'esprit la vision rapide de tout ce qu'on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d'amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l'évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l'enlacement. On avait apporté le rôti, des perdreaux flanqués de cailles, puis des petits pois, puis une terrine de foie gras accompagnée d'une salade aux feuilles dentelées, emplissant comme une mousse verte un grand saladier en forme de cuvette. Ils avaient mangé de tout cela sans y goûter, sans s'en douter, uniquement préoccupés de ce qu'ils disaient, plongés dans un bain d'amour. Les deux femmes, maintenant, en lançaient de roides, Mme de Marelle avec une audace naturelle qui ressemblait à une provocation, Mme Forestier avec une réserve charmante, une pudeur dans le ton, dans la voix, dans le sourire, dans toute l'allure, qui soulignait, en ayant l'air de les atténuer, les choses hardies sorties de sa bouche. Forestier, tout à fait vautré sur les coussins, riait, buvait, mangeait sans cesse et jetait parfois une parole tellement osée ou tellement crue que les femmes, un peu choquées par la forme et pour la forme, prenaient un petit air gêné qui durait deux ou trois secondes. Quand il avait lâché quelque polissonnerie trop grosse, il ajoutait :

« Vous allez bien, mes enfants. Si vous continuez comme ça, vous finirez par faire des bêtises. Le dessert vint, puis le café ; et les liqueurs versèrent dans les esprits excités un trouble plus lourd et plus chaud.

Comme elle l'avait annoncé en se mettant à table, Mme de Marelle était pocharde, et elle le reconnaissait, avec une grâce gaie et bavarde de femme qui accentue, pour amuser ses convives, une pointe d'ivresse très réelle. Mme Forestier se taisait maintenant, par prudence peut-être ; et Duroy, se sentant trop allumé pour ne pas se compromettre, gardait une réserve habile.

On alluma des cigarettes, et Forestier, tout à coup, se mit à tousser.

Ce fut une quinte terrible qui lui déchirait la gorge ; et, la face rouge, le front en sueur, il étouffait dans sa serviette. Lorsque la crise fut calmée, il grogna, d'un air furieux : « Ça ne me vaut rien, ces parties-là : c'est stupide. » Toute sa bonne humeur avait disparu dans la terreur du mal qui hantait sa pensée.

« Rentrons chez nous », dit-il.

Mme de Marelle sonna le garçon et demanda l'addition. On la lui apporta presque aussitôt. Elle essaya de la lire ; mais les chiffres tournaient devant ses yeux, et elle passa le papier à Duroy : « Tenez, payez pour moi, je n'y vois plus, je suis trop grise. Et elle lui jeta en même temps sa bourse dans les mains.

Le total montait à cent trente francs. Duroy contrôla et vérifia la note, puis donna deux billets, et reprit la monnaie, en demandant, à mi-voix : « Combien faut-il laisser aux garçons ?

– Ce que vous voudrez, je ne sais pas. Il mit cinq francs sur l'assiette, puis rendit la bourse à la jeune femme, en lui disant : « Voulez-vous que je vous reconduise à votre porte ?

– Mais certainement. Je suis incapable de retrouver mon adresse. On serra les mains des Forestier, et Duroy se trouva seul avec Mme de Marelle dans un fiacre qui roulait.

Il la sentait contre lui, si près, enfermée avec lui dans cette boîte noire, qu'éclairaient brusquement, pendant un instant, les becs de gaz des trottoirs. Il sentait, à travers sa manche, la chaleur de son épaule, et il ne trouvait rien à lui dire, absolument rien, ayant l'esprit paralysé par le désir impérieux de la saisir dans ses bras. « Si j'osais, que ferait-elle ? » pensait-il. Et le souvenir de toutes les polissonneries chuchotées pendant le dîner l'enhardissait, mais la peur du scandale le retenait en même temps. Elle ne disait rien non plus, immobile, enfoncée en son coin. Il eût pensé qu'elle dormait s'il n'avait vu briller ses yeux chaque fois qu'un rayon de lumière pénétrait dans la voiture. « Que pensait-elle ? » Il sentait bien qu'il ne fallait point parler, qu'un mot, un seul mot, rompant le silence, emporterait ses chances ; mais l'audace lui manquait, l'audace de l'action brusque et brutale. Tout à coup il sentit remuer son pied. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d'impatience ou d'appel peut-être. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et, se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains.

Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se débattre, le repousser ; puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps.

Mais la voiture s'étant arrêtée bientôt devant la maison qu'elle habitait, Duroy, surpris, n'eut point à chercher des paroles passionnées pour la remercier, la bénir et lui exprimer son amour reconnaissant. Cependant elle ne se levait pas, elle ne remuait point, étourdie par ce qui venait de se passer. Alors il craignit que le cocher n'eût des doutes, et il descendit le premier pour tendre la main à la jeune femme. Elle sortit enfin du fiacre en trébuchant et sans prononcer une parole. Il sonna, et, comme la porte s'ouvrait, il demanda, en tremblant : « Quand vous reverrai-je ? Elle murmura si bas qu'il entendit à peine : « Venez déjeuner avec moi demain. » Et elle disparut dans l'ombre du vestibule en repoussant le lourd battant, qui fit un bruit de coup de canon. Il donna cent sous au cocher et se mit à marcher devant lui, d'un pas rapide et triomphant, le cœur débordant de joie. Il en tenait une, enfin, une femme mariée ! une femme du monde ! du vrai monde ! du monde parisien ! Comme ça avait été facile et inattendu !

Il s'était imaginé jusque-là que pour aborder et conquérir une de ces créatures tant désirées, il fallait des soins infinis, des attentes interminables, un siège habile fait de galanteries, de paroles d'amour, de soupirs et de cadeaux. Et voilà que tout d'un coup, à la moindre attaque, la première qu'il rencontrait s'abandonnait à lui, si vite qu'il en demeurait stupéfait. « Elle était grise, pensait-il ; demain, ce sera une autre chanson. J'aurai les larmes. » Cette idée l'inquiéta, puis il se dit : « Ma foi, tant pis. Maintenant que je la tiens, je saurai bien la garder. Et, dans le mirage confus où s'égaraient ses espérances, espérances de grandeur, de succès, de renommée, de fortune et d'amour, il aperçut tout à coup, pareille à ces guirlandes de figurantes qui se déroulent dans le ciel des apothéoses, une procession de femmes élégantes, riches, puissantes, qui passaient en souriant pour disparaître l'une après l'autre au fond du nuage doré de ses rêves. Et son sommeil fut peuplé de visions.

Il était un peu ému, le lendemain, en montant l'escalier de Mme de Marelle. Comment allait-elle le recevoir ? Et si elle ne le recevait pas ? Si elle avait défendu l'entrée de sa demeure ? Si elle racontait ?… Mais non, elle ne pouvait rien dire sans laisser deviner la vérité tout entière. Donc il était maître de la situation.

La petite bonne ouvrit la porte. Elle avait son visage ordinaire. Il se rassura, comme s'il se fût attendu à ce que la domestique lui montrât une figure bouleversée. Il demanda :

« Madame va bien ? Elle répondit :

« Oui, monsieur, comme toujours.

Et elle le fit entrer dans le salon.

Il alla droit à la cheminée pour constater l'état de ses cheveux et de sa toilette ; et il rajustait sa cravate devant la glace, quand il aperçut dedans la jeune femme qui le regardait debout sur le seuil de la chambre. Il fit semblant de ne l'avoir point vue, et ils se considérèrent quelques secondes, au fond du miroir, s'observant, s'épiant avant de se trouver face à face. Il se retourna. Elle n'avait point bougé, et semblait attendre. Il s'élança, balbutiant : « Comme je vous aime ! comme je vous aime ! » Elle ouvrit les bras et tomba sur sa poitrine ; puis, ayant levé la tête vers lui, ils s'embrassèrent longtemps. Il pensait : « C'est plus facile que je n'aurais cru. Ça va très bien. » Et, leurs lèvres s'étant séparées, il souriait, sans dire un mot, en tâchant de mettre dans son regard une infinité d'amour. Elle aussi souriait, de ce sourire qu'elles ont pour offrir leur désir, leur consentement, leur volonté de se donner. Elle murmura :

« Nous sommes seuls. J'ai envoyé Laurine déjeuner chez une camarade. Il soupira, en lui baisant les poignets :

« Merci, je vous adore. Alors elle lui prit le bras, comme s'il eût été son mari, pour aller jusqu'au canapé où ils s'assirent côte à côte. Il lui fallait un début de causerie habile et séduisant ; ne le découvrant point à son gré, il balbutia :

« Alors vous ne m'en voulez pas trop ? Elle lui mit une main sur la bouche :

« Tais-toi ! Ils demeurèrent silencieux les regards mêlés, les doigts enlacés et brûlants.

« Comme je vous désirais ! » dit-il.

Elle répéta : « Tais-toi. On entendait la bonne remuer les assiettes dans la salle, derrière le mur.

Il se leva :

« Je ne veux pas rester si près de vous. Je perdrais la tête. La porte s'ouvrit : « Madame est servie. Et il offrit son bras avec gravité.

Ils déjeunèrent face à face, se regardant et se souriant sans cesse, occupés uniquement d'eux, tout enveloppés par le charme si doux d'une tendresse qui commence. Ils mangeaient, sans savoir quoi. Il sentit un pied, un petit pied, qui rôdait sous la table. Il le prit entre les siens et l'y garda, le serrant de toute sa force. La bonne allait, venait, apportait et enlevait les plats d'un air nonchalant, sans paraître rien remarquer. Quand ils eurent fini de manger, ils rentrèrent dans le salon et reprirent leur place sur le canapé, côte à côte.

Peu à peu, il se serrait contre elle, essayant de l'étreindre. Mais elle le repoussait avec calme :

« Prenez garde, on pourrait entrer. Il murmura :

« Quand pourrai-je vous voir bien seule pour vous dire comme je vous aime ? Elle se pencha vers son oreille. et prononça tout bas :

« J'irai vous faire une petite visite chez vous un de ces jours. Il se sentit rougir :

« C'est que… chez moi… c'est… c'est bien modeste. Elle sourit :

« Ça ne fait rien. C'est vous que j'irai voir et non pas l'appartement. Alors il la pressa pour savoir quand elle viendrait. Elle fixa un jour éloigné de la semaine suivante, et il la supplia d'avancer la date, avec des paroles balbutiées, des yeux luisants, en lui maniant et lui broyant les mains, le visage rouge, enfiévré, ravagé de désir, de ce désir impétueux qui suit les repas en tête-à-tête. Elle s'amusait de le voir l'implorer avec cette ardeur, et cédait un jour, de temps en temps. Mais il répétait : « Demain… dites… demain. Elle y consentit à la fin :

« Oui. Demain. Cinq heures. Il poussa un long soupir de joie ; et ils causèrent presque tranquillement, avec des allures d'intimité, comme s'ils se fussent connus depuis vingt ans. Un coup de timbre les fit tressaillir ; et, d'une secousse, ils s'éloignèrent l'un de l'autre. Elle murmura : « Ce doit être Laurine. L'enfant parut, puis s'arrêta interdite, puis courut vers Duroy en battant des mains, transportée de plaisir en l'apercevant, et elle cria : « Ah ! Bel-Ami ! Mme de Marelle se mit à rire :

« Tiens ! Bel-Ami ! Laurine vous a baptisé ! C'est un bon petit nom d'amitié pour vous, ça ; moi aussi je vous appellerai Bel-Ami ! Il avait pris sur ses genoux la fillette, et il dut jouer avec elle à tous les petits jeux qu'il lui avait appris. Il se leva à trois heures moins vingt minutes, pour se rendre au journal ; et sur l'escalier, par la porte entrouverte, il murmura encore du bout des lèvres : « Demain. Cinq heures. La jeune femme répondit : « Oui », d'un sourire, et disparut. Dès qu'il eut fini sa besogne journalière, il songea à la façon dont il arrangerait sa chambre pour recevoir sa maîtresse et dissimuler le mieux possible la pauvreté du local. Il eut l'idée d'épingler sur les murs de menus bibelots japonais, et il acheta pour cinq francs toute une collection de crépons, de petits éventails et de petits écrans, dont il cacha les taches trop visibles du papier. Il appliqua sur les vitres de la fenêtre des images transparentes représentant des bateaux sur des rivières, des vols d'oiseaux à travers des ciels rouges, des dames multicolores sur des balcons et des processions de petits bonshommes noirs dans les plaines remplies de neige. Son logis, grand tout juste pour y dormir et s'y asseoir, eut bientôt l'air de l'intérieur d'une lanterne de papier peint. Il jugea l'effet satisfaisant, et il passa la soirée à coller sur le plafond des oiseaux découpés dans des feuilles coloriées qui lui restaient. Puis il se coucha, bercé par le sifflet des trains.

Il rentra de bonne heure le lendemain, portant un sac de gâteaux et une bouteille de madère achetée chez l'épicier. Il dut ressortir pour se procurer deux assiettes et deux verres ; et il disposa cette collation sur sa table de toilette, dont le bois sale fut caché par une serviette, la cuvette et le pot à l'eau étant dissimulés par-dessous. Puis il attendit.

Elle arriva vers cinq heures un quart, et, séduite par le papillotement coloré des dessins, elle s'écria : « Tiens, c'est gentil chez vous. Mais il y a bien du monde dans l'escalier. Il l'avait prise dans ses bras, et il baisait ses cheveux avec emportement, entre le front et le chapeau, à travers le voile. Une heure et demie plus tard, il la reconduisit à la station de fiacres de la rue de Rome. Lorsqu'elle fut dans la voiture, il murmura : « Mardi, à la même heure. Elle dit : « À la même heure, mardi. » Et, comme la nuit était venue, elle attira sa tête dans la portière et le baisa sur les lèvres. Puis, le cocher ayant fouetté sa bête, elle cria : « Adieu, Bel-Ami « et le vieux coupé s'en alla au trot fatigué d'un cheval blanc. Pendant trois semaines, Duroy reçut ainsi Mme de Marelle tous les deux ou trois jours, tantôt le matin, tantôt le soir.

Comme il l'attendait, un après-midi, un grand bruit, dans l'escalier, l'attira sur sa porte. Un enfant hurlait. Une voix furieuse, celle d'un homme, cria : « Qu'est-ce qu'il a encore à gueuler, ce bougre-là ? » La voix glapissante et exaspérée d'une femme répondit : « C'est ct'e sale cocotte qui vient chez l'journaliste d'en haut qu'a renversé Nicolas sur l'palier. Comme si on devrait laisser des roulures comme ça qui n'font seulement pas attention aux enfants dans les escaliers ! Duroy, éperdu, se recula, car il entendait un rapide frôlement de jupes et un pas précipité gravissant l'étage au-dessous de lui. On frappa bientôt à sa porte, qu'il venait de refermer. Il ouvrit, et Mme de Marelle se jeta dans la chambre, essoufflée, affolée, balbutiant :

« As-tu entendu ? Il fit semblant de ne rien savoir.

« Non, quoi ?

– Comme ils m'ont insultée ? – Qui ça ?

– Les misérables qui habitent au-dessous.

– Mais non, qu'est-ce qu'il y a, dis-moi ? Elle se mit à sangloter sans pouvoir prononcer un mot.

Il dut la décoiffer, la délacer, l'étendre sur le lit, lui tapoter les tempes avec un linge mouillé ; elle suffoquait ; puis, quand son émotion se fut un peu calmée, toute sa colère indignée éclata. Elle voulait qu'il descendît tout de suite, qu'il se battît, qu'il les tuât. Il répétait : « Mais ce sont des ouvriers, des rustres. Songe qu'il faudrait aller en justice, que tu pourrais être reconnue, arrêtée, perdue. On ne se commet pas avec des gens comme ça. Elle passa à une autre idée : « Comment ferons-nous, maintenant ? Moi, je ne peux pas rentrer ici. » Il répondit : « C'est bien simple, je vais déménager. Elle murmura : « Oui, mais ce sera long. » Puis, tout d'un coup, elle imagina une combinaison, et rassérénée brusquement : « Non, écoute, j'ai trouvé, laisse-moi faire, ne t'occupe de rien. Je t'enverrai un petit bleu demain matin. Elle appelait des « petits bleus « les télégrammes fermés circulant dans Paris.

Elle souriait maintenant, ravie de son invention, qu'elle ne voulait pas révéler ; et elle fit mille folies d'amour. Elle était bien émue cependant, en redescendant l'escalier, et elle s'appuyait de toute sa force sur le bras de son amant, tant elle sentait fléchir ses jambes. Ils ne rencontrèrent personne.

Comme il se levait tard, il était encore au lit, le lendemain vers onze heures, quand le facteur du télégraphe lui apporta le petit bleu promis.

Duroy l'ouvrit et lut : « Rendez-vous tantôt, cinq heures, rue de Constantinople, 127. Tu te feras ouvrir l'appartement loué par Mme Duroy. « CLO t'embrasse. À cinq heures précises, il entrait chez le concierge d'une grande maison meublée et demandait : « C'est ici que Mme Duroy a loué un appartement ? – Oui, monsieur.

– Voulez-vous m'y conduire, s'il vous plaît ? L'homme, habitué sans doute aux situations délicates où la prudence est nécessaire, le regardant dans les yeux, puis, choisissant dans la longue file de clefs : « Vous êtes bien M. Duroy ?

– Mais oui, parfaitement. Et il ouvrit un petit logement composé de deux pièces et situé au rez-de-chaussée, en face de la loge.

Le salon, tapissé de papier ramagé, assez frais, possédait un meuble d'acajou recouvert en reps verdâtre à dessins jaunes, et un maigre tapis à fleurs, si mince que le pied sentait le bois par-dessous. La chambre à coucher était si exiguë que le lit l'emplissait aux trois quarts. Il tenait le fond, allant d'un mur à l'autre, un grand lit de maison meublée, enveloppé de rideaux bleus et lourds, également en reps, et écrasé sous un édredon de soie rouge maculé de taches suspectes. Duroy, inquiet et mécontent, pensait : « Ça va me coûter un argent fou, ce logis-là. Il va falloir que j'emprunte encore. C'est idiot, ce qu'elle a fait. La porte s'ouvrit, et Clotilde se précipita en coup de vent, avec un grand bruit de robe, les bras ouverts. Elle était enchantée.

« Est-ce gentil, dis, est-ce gentil ? Et pas à monter, c'est sur la rue, au rez-de-chaussée ! On peut entrer et sortir par la fenêtre sans que le concierge vous voie. Comme nous nous aimerons, là-dedans. Il l'embrassait froidement, n'osant faire la question qui lui venait aux lèvres. Elle avait posé un gros paquet sur le guéridon, au milieu de la pièce. Elle l'ouvrit et en tira un savon, une bouteille d'eau de Lubin, une éponge, une boîte d'épingles à cheveux, un tire-bouchon et un petit fer à friser pour rajuster les mèches de son front qu'elle défaisait toutes les fois. Et elle joua à l'installation, cherchant la place de chaque chose, s'amusant énormément. Elle parlait tout en ouvrant les tiroirs :

« Il faudra que j'apporte un peu de linge, pour pouvoir en changer à l'occasion. Ce sera très commode. Si je reçois une averse, par hasard, en faisant des courses, je viendrai me sécher ici. Nous aurons chacun notre clef, outre celle laissée dans la loge pour le cas où nous oublierions les nôtres. J'ai loué pour trois mois, à ton nom, bien entendu, puisque je ne pouvais donner le mien. Alors il demanda :

« Tu me diras quand il faudra payer ?

Elle répondit simplement :

« Mais c'est payé, mon chéri ! Il reprit :

« Alors, c'est à toi que je le dois ? – Mais non, mon chat, ça ne te regarde pas, c'est moi qui veux faire cette petite folie. Il eut l'air de se fâcher : « Ah ! mais non, par exemple. Je ne le permettrai point. Elle vint à lui suppliante, et, posant les mains sur ses épaules :

« Je t'en prie, Georges, ça me fera tant de plaisir, tant de plaisir que ce soit à moi, notre nid, rien qu'à moi ! Ça ne peut pas te froisser ? En quoi ? Je voudrais apporter ça dans notre amour. Dis que tu veux bien, mon petit Géo, dis que tu veux bien ?… » Elle l'implorait du regard, de la lèvre, de tout son être. Il se fit prier, refusant avec des mines irritées, puis il céda, trouvant cela juste, au fond.

Et quand elle fut partie, il murmura, en se frottant les mains et sans chercher dans les replis de son cœur d'où lui venait, ce jour-là, cette opinion : « Elle est gentille, tout de même. Il reçut quelques jours plus tard un autre petit bleu qui lui disait :

« Mon mari arrive ce soir, après six semaines d'inspection. Nous aurons donc relâche huit jours. Quelle corvée, mon chéri !

« Ta CLO. Duroy demeura stupéfait. Il ne songeait vraiment plus qu'elle était mariée. En voilà un homme dont il aurait voulu voir la tête, rien qu'une fois, pour le connaître. Il attendit avec patience cependant le départ de l'époux, mais il passa aux Folies-Bergère deux soirées qui se terminèrent chez Rachel. Puis, un matin, nouveau télégramme contenant quatre mots :

« Tantôt, cinq heures. – CLO. Ils arrivèrent tous les deux en avance au rendez-vous. Elle se jeta dans ses bras avec un grand élan d'amour, le baisant passionnément à travers le visage ; puis elle lui dit : « Si tu veux, quand nous nous serons bien aimés, tu m'emmèneras dîner quelque part. Je me suis faite libre. On était justement au commencement du mois, et bien que son traitement fût escompté longtemps d'avance, et qu'il vécût au jour le jour d'argent cueilli de tous les côtés, Duroy se trouvait par hasard en fonds ; et il fut content d'avoir l'occasion de dépenser quelque chose pour elle. Il répondit :

« Mais oui, ma chérie, où tu voudras. Ils partirent donc vers sept heures et gagnèrent le boulevard extérieur. Elle s'appuyait fortement sur lui et lui disait, dans l'oreille : « Si tu savais comme je suis contente de sortir à ton bras, comme j'aime te sentir contre moi ! Il demanda :

« Veux-tu aller chez le père Lathuille ? Elle répondit : « Oh ! non, c'est trop chic. Je voudrais quelque chose de drôle, de commun, comme un restaurant, où vont les employés et les ouvrières ; j'adore les parties dans les guinguettes ! Oh ! si nous avions pu aller à la campagne ! Comme il ne connaissait rien en ce genre dans le quartier, ils errèrent le long du boulevard, et ils finirent par entrer chez un marchand de vin qui donnait à manger dans une salle à part. Elle avait vu, à travers la vitre, deux fillettes en cheveux attablées en face de deux militaires.

Trois cochers de fiacre dînaient dans le fond de la pièce étroite et longue, et un personnage, impossible à classer dans aucune profession, fumait sa pipe, les jambes allongées, les mains dans la ceinture de sa culotte, étendu sur sa chaise et la tête renversée en arrière par-dessus la barre. Sa jaquette semblait un musée de taches, et dans les poches gonflées comme des ventres on apercevait le goulot d'une bouteille, un morceau de pain, un paquet enveloppé dans un journal, et un bout de ficelle qui pendait. Il avait des cheveux épais, crépus, mêlés, gris de saleté ; et sa casquette était par terre, sous sa chaise.

L'entrée de Clotilde fit sensation par l'élégance de sa toilette. Les deux couples cessèrent de chuchoter, les trois cochers cessèrent de discuter, et le particulier qui fumait, ayant ôté sa pipe de sa bouche et craché devant lui, regarda en tournant un peu la tête.

Mme de Marelle murmura : « C'est très gentil ! Nous serons très bien ; une autre fois, je m'habillerai en ouvrière. » Et elle s'assit sans embarras et sans dégoût en face de la table de bois vernie par la graisse des nourritures, lavée par les boissons répandues et torchée d'un coup de serviette par le garçon. Duroy, un peu gêné, un peu honteux, cherchait une patère pour y pendre son haut chapeau. N'en trouvant point, il le déposa sur une chaise. Ils mangèrent un ragoût de mouton, une tranche de gigot et une salade. Clotilde répétait : « Moi, j'adore ça. J'ai des goûts canailles. Je m'amuse mieux ici qu'au café Anglais. » Puis elle dit : « Si tu veux me faire tout à fait plaisir, tu me mèneras dans un bastringue. J'en connais un très drôle près d'ici qu'on appelle La Reine Blanche. Duroy, surpris, demanda :

« Qui est-ce qui t'a menée là ? Il la regardait et il la vit rougir, un peu troublée, comme si cette question brusque eût éveillé en elle un souvenir délicat. Après une de ces hésitations féminines si courtes qu'il les faut deviner, elle répondit : « C'est un ami… », puis, après un silence, elle ajouta : « qui est mort. » Et elle baissa les yeux avec une tristesse bien naturelle.

Et Duroy, pour la première fois, songea à tout ce qu'il ne savait point dans la vie passée de cette femme, et il rêva. Certes elle avait eu des amants, déjà, mais de quelle sorte ? de quel monde ? Une vague jalousie, une sorte d'inimitié s'éveillait en lui contre elle, une inimitié pour tout ce qu'il ignorait, pour tout ce qui ne lui avait point appartenu dans ce cœur et dans cette existence. Il la regardait, irrité du mystère enfermé dans cette tête jolie et muette et qui songeait, en ce moment-là même peut-être, à l'autre, aux autres, avec des regrets. Comme il eût aimé regarder dans ce souvenir, y fouiller, et tout savoir, tout connaître !…

Elle répéta :

« Veux-tu me conduire à La Reine Blanche ? Ce sera une fête complète. Il pensa : « Bah ! qu'importe le passé ? Je suis bien bête de me troubler de ça. » Et, souriant, il répondit :

« Mais certainement, ma chérie. Lorsqu'ils furent dans la rue, elle reprit, tout bas, avec ce ton mystérieux dont on fait les confidences : « Je n'osais point te demander ça, jusqu'ici ; mais tu ne te figures pas comme j'aime ces escapades de garçon dans tous ces endroits où les femmes ne vont pas. Pendant le carnaval je m'habillerai en collégien. Je suis drôle comme tout en collégien. Quand ils pénétrèrent dans la salle de bal, elle se serra contre lui, effrayée et contente, regardant d'un œil ravi les filles et les souteneurs et, de temps en temps, comme pour se rassurer contre un danger possible, elle disait, en apercevant un municipal grave et immobile : « Voilà un agent qui a l'air solide. » Au bout d'un quart d'heure, elle en eut assez, et il la reconduisit chez elle. Alors commença une série d'excursions dans tous les endroits louches où s'amuse le peuple ; et Duroy découvrit dans sa maîtresse un goût passionné pour ce vagabondage d'étudiants en goguette. Elle arrivait au rendez-vous habituel vêtue d'une robe de toile, la tête couverte d'un bonnet de soubrette, de soubrette de vaudeville ; et, malgré la simplicité élégante et cherchée de la toilette, elle gardait ses bagues, ses bracelets et ses boucles d'oreilles en brillants, en donnant cette raison, quand il la suppliait de les ôter : « Bah ! on croira que ce sont des cailloux du Rhin. Elle se jugeait admirablement déguisée, et, bien qu'elle fût en réalité cachée à la façon des autruches, elle allait dans les tavernes les plus mal famées. Elle avait voulu que Duroy s'habillât en ouvrier ; mais il résista et garda sa tenue correcte de boulevardier, sans vouloir même changer son haut chapeau contre un chapeau de feutre mou. Elle s'était consolée de son obstination par ce raisonnement : « On pense que je suis une femme de chambre en bonne fortune avec un jeune homme du monde. » Et elle trouvait délicieuse cette comédie.

Ils entraient ainsi dans les caboulots populaires et allaient s'asseoir au fond du bouge enfumé, sur des chaises boiteuses, devant une vieille table de bois. Un nuage de fumée âcre où restait une odeur de poisson frit du dîner emplissait la salle ; des hommes en blouse gueulaient en buvant des petits verres ; et le garçon étonné dévisageait ce couple étrange, en posant devant lui deux cerises à l'eau-de-vie.


Bel Ami - Partie 1 Chapitre 5.1 Bel Ami - Teil 1 Kapitel 5.1 Bel Ami - Part 1 Chapter 5.1 ベルアミ - 第1部 第5.1章 Bel Ami - Parte 1 Capítulo 5.1

– V – 5.1 - V - 5.1

Deux mois s'étaient écoulés ; on touchait à septembre, et la fortune rapide que Duroy avait espérée lui semblait bien longue à venir. Two months had passed; it was September, and the quick fortune that Duroy had hoped for seemed long to come. Il s'inquiétait surtout de la médiocrité morale de sa situation et ne voyait pas par quelle voie il escaladerait les hauteurs où l'on trouve la considération et l'argent. He was particularly worried about the moral mediocrity of his situation and did not see how he would climb the heights where we find consideration and money. Il se sentait enfermé dans ce métier médiocre de reporter, muré là-dedans à n'en pouvoir sortir. He felt trapped in the mediocre job of a reporter, walled up in there, unable to get out of it. On l'appréciait, mais on l'estimait selon son rang. It was appreciated, but it was estimated according to its rank. Forestier même, à qui il rendait mille services, ne l'invitait plus à dîner, le traitait en tout comme un inférieur, bien qu'il le tutoyât comme un ami. Forestier himself, to whom he rendered a thousand services, no longer invited him to dine, treated him in everything as an inferior, although he treated him as a friend. De temps en temps, il est vrai, Duroy, saisissant une occasion, plaçait un bout d'article, et ayant acquis par ses échos une souplesse de plume et un tact qui lui manquaient lorsqu'il avait écrit sa seconde chronique sur l'Algérie, il ne courait plus aucun risque de voir refuser ses actualités. From time to time, it is true, Duroy, seizing an opportunity, placed a piece of paper, and having acquired by his echoes a suppleness of feather and tact which he lacked when he had written his second chronicle on Algeria he was no longer in danger of being denied his news. Mais de là à faire des chroniques au gré de sa fantaisie ou à traiter, en juge, les questions politiques, il y avait autant de différence qu'à conduire dans les avenues du Bois étant cocher, ou à conduire étant maître. But from there to making chronicles according to his whim or to treat, in judge, the political questions, there was as much difference as to lead in the avenues of the Bois being a coachman, or to lead being master. Ce qui l'humiliait surtout, c'était de sentir fermées les portes du monde, de n'avoir pas de relations à traiter en égal, de ne pas entrer dans l'intimité des femmes, bien que plusieurs actrices connues l'eussent parfois accueilli avec une familiarité intéressée. What especially humiliated him was to feel the doors of the world shut, to have no relations to treat as an equal, not to enter into the intimacy of women, although several famous actresses sometimes had it. welcomed with an interested familiarity. Il savait d'ailleurs, par expérience, qu'elles éprouvaient pour lui, toutes, mondaines ou cabotines, un entraînement singulier, une sympathie instantanée, et il ressentait, de ne point connaître celles dont pourrait dépendre son avenir, une impatience de cheval entravé. He knew, moreover, by experience, that they felt for him, all, worldly or cabotines, a singular training, an instant sympathy, and he felt, not to know those which could depend on his future, a horse impatience hindered . Bien souvent il avait songé à faire une visite à Mme Forestier ; mais la pensée de leur dernière rencontre l'arrêtait, l'humiliait, et il attendait, en outre, d'y être engagé par le mari. He had often thought of paying a visit to Madame Forestier; but the thought of their last meeting stopped him, humiliated him, and he waited, besides, to be engaged by the husband. Alors le souvenir lui vint de Mme de Marelle et, se rappelant qu'elle l'avait prié de la venir voir, il se présenta chez elle un après-midi qu'il n'avait rien à faire. Then the memory came to her from Madame de Marelle, and remembering that she had begged him to come and see her, he came to her house one afternoon, which he had nothing to do. « J'y suis toujours jusqu'à trois heures », avait-elle dit. "I'm still there until three," she said. Il sonnait à sa porte à deux heures et demie. He rang at his door at half-past two.

Elle habitait rue de Verneuil, au quatrième. She lived on rue de Verneuil, on the fourth floor.

Au bruit du timbre, une bonne vint ouvrir, une petite servante dépeignée qui nouait son bonnet en répondant : At the sound of the timbre, a maid came to open, a little depicted servant who knotted her cap answering:

« Oui, madame est là, mais je ne sais pas si elle est levée. "Yes, Madame is here, but I do not know if she's up. Et elle poussa la porte du salon qui n'était point fermée. And she pushed open the door of the salon, which was not closed. Duroy entra. Duroy entered. La pièce était assez grande, peu meublée et d'aspect négligé. The room was quite large, poorly furnished and neglected. Les fauteuils, défraîchis et vieux, s'alignaient le long des murs, selon l'ordre établi par la domestique, car on ne sentait en rien le soin élégant d'une femme qui aime le chez soi. The armchairs, old and tired, lined the walls, according to the order established by the servant, for there was no sense of the elegant care of a woman who loves home. Quatre pauvres tableaux, représentant une barque sur un fleuve, un navire sur la mer, un moulin dans une plaine et un bûcheron dans un bois, pendaient au milieu des quatre panneaux, au bout de cordons inégaux, et tous les quatre accrochés de travers. Four poor pictures, representing a boat on a river, a ship on the sea, a mill in a plain and a lumberjack in a wood, hung in the middle of the four panels, at the end of unequal cords, and all four hung crookedly. On devinait que depuis longtemps ils restaient penchés ainsi sous l'œil négligent d'une indifférente. It was guessed that for a long time they had remained so bent under the negligent eye of an indifferent. Duroy s'assit et attendit. Il attendit longtemps. Puis une porte s'ouvrit, et Mme de Marelle entra en courant, vêtue d'un peignoir japonais en soie rose où étaient brodés des paysages d'or, des fleurs bleues et des oiseaux blancs, et elle s'écria : Then a door opened, and Madame de Marelle came running, dressed in a pink silk Japanese robe, embroidered with golden landscapes, blue flowers, and white birds, and exclaimed: « Figurez-vous que j'étais encore couchée. "Just imagine that I was still in bed. Que c'est gentil à vous de venir me voir ! How nice of you to come and see me! J'étais persuadée que vous m'aviez oubliée. I was sure you had forgotten me. Elle tendit ses deux mains d'un geste ravi, et Duroy, que l'aspect médiocre de l'appartement mettait à son aise, les ayant prises, en baisa une, comme il avait vu faire à Norbert de Varenne. She stretched out her two hands with a delighted gesture, and Duroy, whom the mediocre appearance of the apartment put at his ease, having taken them, kissed one, as he had seen Norbert de Varenne do. Elle le pria de s'asseoir ; puis, le regardant des pieds à la tête : « Comme vous êtes changé ! She begged him to sit down; then, looking at him from head to foot: "How changed you are! Vous avez gagné de l'air. You have gained air. Paris vous fait du bien. Allons, racontez-moi les nouvelles. Et ils se mirent à bavarder tout de suite, comme s'ils eussent été d'anciennes connaissances, sentant naître entre eux une familiarité instantanée, sentant s'établir un de ces courants de confiance, d'intimité et d'affection qui font amis, en cinq minutes, deux êtres de même caractère et de même race. And they began chatting at once, as if they had been old acquaintances, feeling an instant familiarity between them, feeling to establish one of those currents of confidence, intimacy, and affection which make friends in five minutes, two beings of the same character and of the same race. Tout à coup, la jeune femme s'interrompit, et s'étonnant : Suddenly the young woman broke off, and wondering: « C'est drôle comme je suis avec vous. "It's funny how I'm with you. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. It seems to me that I have known you for ten years. Nous deviendrons, sans doute, bons camarades. We will become, no doubt, good comrades. Voulez-vous ? Do you want ? Il répondit : « Mais, certainement », avec un sourire qui en disait plus. He replied, "But certainly," with a smile that said more.

Il la trouvait tout à fait tentante, dans son peignoir éclatant et doux, moins fine que l'autre dans son peignoir blanc, moins chatte, moins délicate, mais plus excitante, plus poivrée. He found her quite tempting, in her bright and soft bathrobe, less fine than the other in her white bathrobe, less cunt, less delicate, but more exciting, more peppery. Quand il sentait près de lui Mme Forestier, avec son sourire immobile et gracieux qui attirait et arrêtait en même temps, qui semblait dire : « Vous me plaisez « et aussi : « Prenez garde », dont on ne comprenait jamais le sens véritable, il éprouvait surtout le désir de se coucher à ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d'aspirer lentement l'air chaud et parfumé qui devait sortir de là, glissant entre les seins. When he felt near him Mme. Forestier, with her gracious and motionless smile that attracted and stopped at the same time, which seemed to say: "I like you" and also: "Take care," whose true meaning we never understood. Above all, he felt the desire to lie down at his feet, or to kiss the fine lace of his bodice, and to slowly suck up the hot, fragrant air which was to emerge from there, slipping between the breasts. Auprès de Mme de Marelle, il sentait en lui un désir plus brutal, plus précis, un désir qui frémissait dans ses mains devant les contours soulevés de la soie légère. At Madame de Marelle's, he felt in him a desire more brutal, more precise, a desire that shuddered in his hands before the contours raised by the light silk.

Elle parlait toujours, semant en chaque phrase cet esprit facile dont elle avait pris l'habitude, comme un ouvrier saisit le tour de main qu'il faut pour accomplir une besogne réputée difficile et dont s'étonnent les autres. She always spoke, sowing in every phrase that easy mind which she had become accustomed to, just as a workman grasps the trick of a job that is necessary to accomplish a task deemed difficult and which is astonishing to others. Il l'écoutait, pensant : « C'est bon à retenir tout ça. He listened, thinking, "It's good to remember all this. On écrirait des chroniques parisiennes charmantes en la faisant bavarder sur les événements du jour. One would write charming Parisian chronicles by chatting about the events of the day. Mais on frappa doucement, tout doucement à la porte par laquelle elle était venue ; et elle cria : « Tu peux entrer, mignonne. But one knocked gently, slowly at the door by which she had come; and she shouted, "You can come in, cute. » La petite fille parut, alla droit à Duroy et lui tendit la main. The little girl appeared, went straight to Duroy and held out his hand.

La mère étonnée murmura : « Mais c'est une conquête. The astonished mother murmured: "But it's a conquest. Je ne la reconnais plus. I do not recognize it anymore. » Le jeune homme, ayant embrassé l'enfant, la fit asseoir à côté de lui, et lui posa, avec un air sérieux, des questions gentilles sur ce qu'elle avait fait depuis qu'ils ne s'étaient vus. The young man, having embraced the child, made her sit beside him, and asked her, with a serious air, some kind questions as to what she had done since they had seen each other. Elle répondait de sa petite voix de flûte, avec son air grave de grande personne. She answered in her little flute voice, with her grave, great-looking expression.

La pendule sonna trois heures. The clock struck three o'clock. Le journaliste se leva. The reporter got up.

« Venez souvent, demanda Mme de Marelle, nous bavarderons comme aujourd'hui, vous me ferez toujours plaisir. "Come often," asked Madame de Marelle, "we will chat like today, you will always make me happy. Mais pourquoi ne vous voit-on plus chez les Forestier ? But why do not you see you at the Forestier's? Il répondit : He answered :

« Oh ! " Oh ! pour rien. for nothing. J'ai eu beaucoup à faire. I had a lot to do. J'espère bien que nous nous y retrouverons un de ces jours. I hope we will meet again someday. Et il sortit, le cœur plein d'espoir, sans savoir pourquoi. And he went out, his heart full of hope, without knowing why. Il ne parla pas à Forestier de cette visite. He did not speak to Forestier about this visit.

Mais il en garda le souvenir, les jours suivants, plus que le souvenir, une sorte de sensation de la présence irréelle et persistante de cette femme. But he remembered it the following days, more than the memory, a sort of sensation of the unreal and persistent presence of this woman. Il lui semblait avoir pris quelque chose d'elle, l'image de son corps restée dans ses yeux et la saveur de son être moral restée en son cœur. He seemed to have taken something from her, the image of his body still in his eyes and the flavor of his moral being remained in his heart. II demeurait sous l'obsession de son image, comme il arrive quelquefois quand on a passé des heures charmantes auprès d'un être. He remained under the obsession of his image, as it happens sometimes when one has spent charming hours with a being. On dirait qu'on subit une possession étrange, intime, confuse, troublante et exquise parce qu'elle est mystérieuse. It seems that one experiences a strange, intimate, confused, disturbing and exquisite possession because it is mysterious. Il fit une seconde visite au bout de quelques jours. He made a second visit after a few days.

La bonne l'introduisit dans le salon, et Laurine parut aussitôt. The maid introduced her into the salon, and Laurine appeared immediately. Elle tendit, non plus sa main, mais son front, et dit : She held out, not her hand, but her forehead, and said:

« Maman m'a chargée de vous prier de l'attendre. "Mom has asked me to wait for you. Elle en a pour un quart d'heure, parce qu'elle n'est pas habillée. She has a quarter of an hour because she is not dressed. Je vous tiendrai compagnie. I will keep you company. Duroy, qu'amusaient les manières cérémonieuses de la fillette, répondit : « Parfaitement, mademoiselle, je serai enchanté de passer un quart d'heure avec vous : mais je vous préviens que je ne suis point sérieux du tout, moi, je joue toute la journée ; je vous propose donc de faire une partie de chat perché. Duroy, amused by the ceremonious manner of the girl, replied: "Perfectly, miss, I will be delighted to spend a quarter of an hour with you, but I warn you that I am not serious at all, I play all the day ; I propose you to do a game of perched cat. La gamine demeura saisie, puis elle sourit, comme aurait fait une femme, de cette idée qui la choquait un peu et l'étonnait aussi ; et elle murmura : The girl remained seized, then smiled, as a woman would have done, with this idea which shocked her a little and astonished her too; and she murmured: « Les appartements ne sont pas faits pour jouer. "The apartments are not made to play. Il reprit :

« Ça m'est égal : moi je joue partout. "I do not care: I play everywhere. Allons, attrapez-moi. Come on, catch me. Et il se mit à tourner autour de la table, en l'excitant à le poursuivre, tandis qu'elle s'en venait derrière lui, souriant toujours avec une sorte de condescendance polie, et étendant parfois la main pour le toucher, mais sans s'abandonner jusqu'à courir. And he began to turn around the table, exciting him to pursue him, while she came up behind him, still smiling with a kind of polite condescension, and sometimes extending the hand to touch him, but without to abandon yourself until you run. Il s'arrêtait, se baissait, et, lorsqu'elle approchait, de son petit pas hésitant, il sautait en l'air comme les diables enfermés en des boîtes, puis il s'élançait d'une enjambée à l'autre bout du salon. He stopped, stooped down, and when she approached, with her hesitant little step, he jumped up like devils locked up in boxes, then he darted from one stride to the other end of the living room. Elle trouvait ça drôle, finissait par rire, et, s'animant, commençait à trottiner derrière lui, avec de légers cris joyeux et craintifs, quand elle avait cru le saisir. She thought it was funny, ended by laughing, and, getting animated, began to trot behind him, with soft, joyful and fearful cries, when she thought he was seizing him. Il déplaçait les chaises, en faisait des obstacles, la forçait à pivoter pendant une minute autour de la même, puis, quittant celle-là, en saisissait une autre. He moved the chairs, made them obstacles, forced her to rotate for a minute around the same, then, leaving that one, grabbed another. Laurine courait maintenant, s'abandonnait tout à fait au plaisir de ce jeu nouveau et, la figure rose, elle se précipitait d'un grand élan d'enfant ravie, à chacune des fuites, à chacune des ruses, à chacune des feintes de son compagnon. Laurine ran now, gave herself up completely to the pleasure of this new game and, the pink face, she rushed with a great dash of delighted child, to each of the escapes, to each of the ruses, to each of the feints of her companion. Brusquement, comme elle s'imaginait l'atteindre, il la saisit dans ses bras, et, l'élevant jusqu'au plafond, il cria : « Chat perché ! Suddenly, as she imagined to reach him, he seized her in his arms, and raising him to the ceiling, he shouted: "Cat perched! La fillette enchantée agitait ses jambes pour s'échapper et riait de tout son cœur. The enchanted girl waved her legs to escape and laughed with all her heart. Mme de Marelle entra et, stupéfaite : Madame de Marelle entered and, stupefied:

« Ah ! "Ah! Laurine… Laurine qui joue… Vous êtes un ensorceleur, monsieur. Laurine ... Laurine who plays ... You are a sorcerer, sir. Il reposa par terre la gamine, baisa la main de la mère, et ils s'assirent, l'enfant entre eux. He laid the child on the ground, kissed the mother's hand, and they sat down, the child between them. Ils voulurent causer : mais Laurine, grisée, si muette d'ordinaire, parlait tout le temps, et il fallut l'envoyer à sa chambre. They wanted to talk, but Laurine, gray, usually so dumb, talked all the time, and it was necessary to send her to her room. Elle obéit sans répondre, mais avec des larmes dans les yeux. She obeyed without answering, but with tears in her eyes.

Dès qu'ils furent seuls, Mme de Marelle baissa la voix : As soon as they were alone, Madame de Marelle lowered her voice: « Vous ne savez pas, j'ai un grand projet, et j'ai pensé à vous. "You do not know, I have a big project, and I thought of you. Voilà. Comme je dîne toutes les semaines chez les Forestier, je leur rends ça, de temps en temps, dans un restaurant. As I dine every week at the Forestier's, I return them, from time to time, to a restaurant. Moi, je n'aime pas à avoir du monde chez moi, je ne suis pas organisée pour ça, et, d'ailleurs, je n'entends rien aux choses de la maison, rien à la cuisine, rien à rien. Me, I do not like to have people at home, I'm not organized for that, and, besides, I do not hear anything at home, nothing in the kitchen, nothing for nothing. J'aime vivre à la diable. I like to live in the devil. Donc je les reçois de temps en temps au restaurant, mais ça n'est pas gai quand nous ne sommes que nous trois, et mes connaissances à moi ne vont guère avec eux. So I get them from time to time at the restaurant, but it's not cheerful when we are only three of us, and my knowledge does not go with them. Je vous dis ça pour vous expliquer une invitation peu régulière. I'm telling you this to explain an unusual invitation. Vous comprenez, n'est-ce pas, que je vous demande d'être des nôtres samedi, au café Riche, sept heures et demie. You understand, do not you, that I ask you to be with us on Saturday at Cafe Riche, seven-thirty. Vous connaissez la maison ? Il accepta avec bonheur. Elle reprit :

« Nous serons tous les quatre seulement, une vraie partie carrée. "We'll be all four, a real square. C'est très amusant ces petites fêtes-là, pour nous autres femmes qui n'y sommes pas habituées. It's very funny these little holidays, for us women who are not used to it. Elle portait une robe marron foncé, qui moulait sa taille, ses hanches, sa gorge, ses bras d'une façon provocante et coquette ; et Duroy éprouvait un étonnement confus, presque une gêne dont il ne saisissait pas bien la cause, du désaccord de cette élégance soignée et raffinée avec l'insouci visible pour le logis qu'elle habitait. She wore a dark brown dress, which molded her waist, her hips, her throat, her arms in a provocative and coquettish manner; and Duroy felt a confused astonishment, almost an embarrassment of which he did not grasp the cause, of the disagreement of this refined and refined elegance with the insouciance visible for the dwelling she lived. Tout ce qui vêtait son corps, tout ce qui touchait intimement et directement sa chair, était délicat et fin, mais ce qui l'entourait ne lui importait plus. Everything that clothed his body, everything that intimately and directly touched his flesh, was delicate and delicate, but what surrounded him no longer mattered to him. Il la quitta, gardant, comme l'autre fois, la sensation de sa présence continuée dans une sorte d'hallucination de ses sens. He left her, keeping, as the other time, the sensation of his continued presence in a kind of hallucination of his senses. Et il attendit le jour du dîner avec une impatience grandissante.

Ayant loué pour la seconde fois un habit noir, ses moyens ne lui permettant point encore d'acheter un costume de soirée, il arriva le premier au rendez-vous, quelques minutes avant l'heure. Having rented for the second time a black coat, his means not yet allowing him to buy an evening suit, he arrived first at the rendezvous, a few minutes before the hour. On le fit monter au second étage, et on l'introduisit dans un petit salon de restaurant, tendu de rouge et ouvrant sur le boulevard son unique fenêtre. He was put up on the second floor, and he was introduced into a little restaurant-room, red-lit and opening on the boulevard its only window. Une table carrée, de quatre couverts, étalait sa nappe blanche, si luisante qu'elle semblait vernie ; et les verres, l'argenterie, le réchaud brillaient gaiement sous la flamme de douze bougies portées par deux hauts candélabres. A square table, of four covers, spread its white tablecloth, so shining that it seemed varnished; and the glasses, the silverware, the stove shone brightly under the flame of twelve candles carried by two tall candelabra. Au dehors on apercevait une grande tache d'un vert clair que faisaient les feuilles d'un arbre, éclairées par la lumière vive des cabinets particuliers. Outside, there was a large spot of light green, made by the leaves of a tree, illuminated by the bright light of the private closets. Duroy s'assit sur un canapé très bas, rouge comme les tentures des murs, et dont les ressorts fatigués, s'enfonçant sous lui, lui donnèrent la sensation de tomber dans un trou. Duroy sat down on a low sofa, red like wall hangings, and his tired springs, sinking under him, made him feel like he was falling into a hole. Il entendait dans toute cette vaste maison une rumeur confuse, ce bruissement des grands restaurants fait du bruit des vaisselles et des argenteries heurtées, du bruit des pas rapides des garçons adouci par le tapis des corridors, du bruit des portes un moment ouvertes et qui laissent échapper le son des voix de tous ces étroits salons où sont enfermés des gens qui dînent. He heard in this vast house a confused noise, the rustling of the great restaurants made the noise of the dishes and the silverware struck, the sound of the fast steps of the boys softened by the carpet of the corridors, the sound of the doors a moment open and leaving to escape the sound of the voices of all those narrow salons in which are shut up people who dine. Forestier entra et lui serra la main avec une familiarité cordiale qu'il ne lui témoignait jamais dans les bureaux de La Vie Française . Forestier entered and shook his hand with a cordial familiarity that he never showed in the offices of La Vie Francaise. « Ces deux dames vont arriver ensemble, dit-il ; c'est très gentil ces dîners-là ! "These two ladies will arrive together," he said; it's very nice these dinners! Puis il regarda la table, fit éteindre tout à fait un bec de gaz qui brûlait en veilleuse, ferma un battant de la fenêtre, à cause du courant d'air, et choisit sa place bien à l'abri en déclarant : « Il faut que je fasse grande attention ; j'ai été mieux pendant un mois, et me voici repris depuis quelques jours. Then he looked at the table, extinguished a bill of gas which was burning on a night-light, closed a shutter from the window, because of the current of air, and chose his place well sheltered by declaring: "It is necessary that I pay great attention; I have been better for a month, and here I am again for a few days. J'aurai attrapé froid mardi en sortant du théâtre. I will have caught cold Tuesday leaving the theater. On ouvrit la porte et les deux jeunes femmes parurent, suivies d'un maître d'hôtel, voilées, cachées, discrètes, avec cette allure de mystère charmant qu'elles prennent en ces endroits où les voisinages et les rencontres sont suspects. The door was opened, and the two young women appeared, followed by a butler, veiled, hidden, discreet, with that charming air of mystery which they take in those places where neighborhoods and meetings are suspicious. Comme Duroy saluait Mme Forestier, elle le gronda fort de n'être pas revenu la voir ; puis elle ajouta, avec un sourire, vers son amie : As Duroy bowed to Madame Forestier, she scolded him loudly for not having come back to see her; then she added, with a smile, to her friend: « C'est ça, vous me préférez Mme de Marelle, vous trouvez bien le temps pour elle. "That's it, you prefer me de Marelle, you find time for her. Puis on s'assit, et le maître d'hôtel ayant présenté à Forestier la carte des vins, Mme de Marelle s'écria : Then we sat down, and the maitre d'hotel having presented to Forestier the wine list, Madame de Marelle exclaimed: « Donnez à ces messieurs ce qu'ils voudront ; quant à nous du champagne frappé, du meilleur, du champagne doux par exemple, rien autre chose. "Give these gentlemen what they want; as for us champagne hit, the best, sweet champagne for example, nothing else. Et l'homme étant sorti, elle annonça avec un rire excité : And the man having gone out, she announced with an excited laugh: « Je veux me pocharder ce soir, nous allons faire une noce, une vraie noce. "I want to pocharder tonight, we will make a wedding, a real wedding. Forestier, qui paraissait n'avoir pas entendu, demanda : Forestier, who did not seem to have heard, asked: « Cela ne vous ferait-il rien qu'on fermât la fenêtre ? "Would not it make you close the window?" J'ai la poitrine un peu prise depuis quelques jours. I have a little chest taken for a few days. – Non, rien du tout. - No nothing at all. Il alla donc pousser le battant resté entrouvert et il revint s'asseoir avec un visage rasséréné, tranquillisé. So he went to push the shutter still ajar and he returned to sit with a reassured face, tranquilized. Sa femme ne disait rien, paraissait absorbée ; et, les yeux baissés vers la table, elle souriait aux verres, de ce sourire vague qui semblait promettre toujours pour ne jamais tenir. His wife said nothing, seemed absorbed; and, staring down at the table, she smiled at the glasses, with that vague smile that seemed to always promise never to hold.

Les huîtres d'Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés, The oysters of Ostend were brought, cute and fat, similar to small ears enclosed in shells, and melting between the palate and the tongue as well as salty sweets, Puis, après le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille ; et les convives commencèrent à causer. Then, after the soup, a pink trout was served like girl's flesh; and the guests began to chat.

On parla d'abord d'un cancan qui courait les rues, l'histoire d'une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier. At first they spoke of a cancan running through the streets, the story of a surprised woman of the world, by a friend of her husband, supping with a foreign prince in a private cabinet. Forestier riait beaucoup de l'aventure ; les deux femmes déclaraient que le bavard indiscret n'était qu'un goujat et qu'un lâche. Forestier laughed a lot about the adventure; the two women declared that the indiscreet chatter was only a coward and a coward. Duroy fut de leur avis et proclama bien haut qu'un homme a le devoir d'apporter en ces sortes d'affaires, qu'il soit acteur, confident ou simple témoin, un silence de tombeau. Duroy was of their opinion and proclaimed loudly that a man has the duty to bring in these kinds of affairs, whether actor, confidant or mere witness, a tomb silence. Il ajouta : He added :

« Comme la vie serait pleine de choses charmantes si nous pouvions compter sur la discrétion absolue les uns des autres. "How life would be full of charming things if we could count on the absolute discretion of each other. Ce qui arrête souvent, bien souvent, presque toujours les femmes, c'est la peur du secret dévoilé. What often stops women, almost always, is the fear of the secret revealed. Puis il ajouta, souriant : Then he added, smiling:

« Voyons, n'est-ce pas vrai ? "Come on, are not you? « Combien y en a-t-il qui s'abandonneraient à un rapide désir, au caprice brusque et violent d'une heure, à une fantaisie d'amour, si elles ne craignaient de payer par un scandale irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur ! "How many would give themselves up to a quick desire, to the abrupt and violent caprice of an hour, to a fancy of love, if they did not fear paying by an irreparable scandal and by painful tears? a short and light happiness! Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s'il avait plaidé une cause, sa cause, comme s'il eût dit : « Ce n'est pas avec moi qu'on aurait à craindre de pareils dangers. He spoke with contagious conviction, as if he had pleaded a cause, his cause, as if he had said: "It is not with me that one would have to fear such dangers. Essayez pour voir. Try to see. Elles le contemplaient toutes les deux, l'approuvant du regard, trouvant qu'il parlait bien et juste, confessant par leur silence ami que leur morale inflexible de Parisiennes n'aurait pas tenu longtemps devant la certitude du secret. They both gazed at him, approving him with their eyes, finding that he spoke well and justly, confessing by their silent friend that their inflexible morality of Parisiennes would not have lasted long before the certainty of secrecy. Et Forestier, presque couché sur le canapé, une jambe repliée sous lui, la serviette glissée dans son gilet pour ne point maculer son habit, déclara tout à coup, avec un rire convaincu de sceptique : And Forestier, almost lying on the couch, one leg folded under him, the towel slipped into his waistcoat so as not to smudge his coat, said suddenly, with a skeptical laugh:

« Sacristi oui, on s'en paierait si on était sûr du silence. "Sacristi yes, we would pay if we were sure of silence. Bigre de bigre ! Bigre of bigre! les pauvres maris. the poor husbands. Et on se mit à parler d'amour. And we started talking about love. Sans l'admettre éternel, Duroy le comprenait durable, créant un lien, une amitié tendre, une confiance ! Without admitting it forever, Duroy understood it enduring, creating a bond, a tender friendship, a trust! L'union des sens n'était qu'un sceau à l'union des cœurs. The union of the senses was only a seal to the union of hearts. Mais il s'indignait des jalousies harcelantes, des drames, des scènes, des misères qui, presque toujours, accompagnent les ruptures. But he was indignant at harassing jealousies, dramas, scenes, miseries which almost always accompany breaks. Quand il se tut, Mme de Marelle soupira : When he was silent, Madame de Marelle sighed:

« Oui, c'est la seule bonne chose de la vie, et nous la gâtons souvent par des exigences impossibles. "Yes, it's the only good thing in life, and we often spoil it with impossible demands. Mme Forestier qui jouait avec un couteau, ajouta : Madame Forestier, playing with a knife, added:

« Oui… oui… c'est bon d'être aimée… » "Yes ... yes ... it's good to be loved ..." Et elle semblait pousser plus loin son rêve, songer à des choses qu'elle n'osait point dire. And she seemed to push her dream further, to think of things she dared not say. Et comme la première entrée n'arrivait pas, ils buvaient de temps en temps une gorgée de champagne en grignotant des croûtes arrachées sur le dos des petits pains ronds. And as the first entry did not arrive, they drank from time to time a sip of champagne nibbling rinds torn off the backs of the rolls. Et la pensée de l'amour, lente et envahissante, entrait en eux, enivrait peu à peu leur âme, comme le vin clair, tombé goutte à goutte en leur gorge, échauffait leur sang et troublait leur esprit. And the thought of love, slow and invasive, entered into them, intoxicated their souls little by little, like the clear wine, dropped into their throats, warmed their blood and troubled their spirit. On apporta des côtelettes d'agneau, tendres, légères, couchées sur un lit épais et menu de pointes d'asperges. They brought lamb chops, tender, light, lying on a thick bed of asparagus tips. « Bigre ! "Bigre! la bonne chose ! the good thing ! » s'écria Forestier. Exclaimed Forestier. Et ils mangeaient avec lenteur, savourant la viande fine et le légume onctueux comme une crème. And they ate slowly, savoring the fine meat and creamy vegetable like a cream.

Duroy reprit : Duroy continued:

« Moi, quand j'aime une femme, tout disparaît du monde autour d'elle. "Me, when I love a woman, everything disappears from the world around her. Il disait cela avec conviction, s'exaltant à la pensée de cette jouissance de table qu'il goûtait. He said that with conviction, exalted at the thought of the enjoyment of table he tasted. Mme Forestier murmura, avec son air de n'y point toucher : Madame Forestier murmured, with her air of not touching: « Il n'y a pas de bonheur comparable à la première pression des mains, quand l'un demande : « M'aimez-vous ? "There is no happiness comparable to the first pressure of the hands, when one asks:" Do you love me? » et quand l'autre répond : « Oui, je t'aime. And when the other responds, "Yes, I love you. Mme de Marelle, qui venait de vider d'un trait une nouvelle flûte de champagne, dit gaiement en reposant son verre : Madame de Marelle, who had just emptied a new flute of champagne in one gulp, said happily as she rested her glass: « Moi, je suis moins platonique. "I'm less platonic. Et chacun se mit à ricaner, l'œil allumé, en approuvant cette parole. And everyone began to sneer, their eyes lit, approving this word. Forestier s'étendit sur le canapé, ouvrit les bras, les appuya sur des coussins et d'un ton sérieux : Forestier lay down on the couch, opened his arms, leaned them on cushions, and with a serious tone: « Cette franchise vous honore et prouve que vous êtes une femme pratique. "This franchise honors you and proves that you are a practical woman. Mais peut-on vous demander quelle est l'opinion de M. de Marelle ? But can we ask you what is M. de Marelle's opinion? Elle haussa les épaules lentement, avec un dédain infini, prolongé ; puis, d'une voix nette : She shrugged slowly, with infinite disdain, prolonged; then, in a clear voice: « M. de Marelle n'a pas d'opinion en cette matière. "M. de Marelle has no opinion in this matter. Il n'a que des… que des abstentions. It has only ... abstentions. Et la causerie, descendant des théories élevées sur la tendresse, entra dans le jardin fleuri des polissonneries distinguées. And the conversation, descending from theories of tenderness, entered the garden of distinguished polisseries.

Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l'œil et dans l'esprit la vision rapide de tout ce qu'on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d'amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l'évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l'enlacement. It was the moment of subtleties skillful, sails raised by words, as one raises skirts, the moment of language ruses, clever and disguised audacities, all shameless hypocrisies, the sentence that shows naked images with covered expressions, which puts in the eye and in the mind the rapid vision of all that one can not say, and allows the people of the world a kind of subtle and mysterious love, a kind of contact impure of thoughts by the simultaneous, disturbing and sensual evocation, like an embrace, of all the secret, shameful and desired things of embracing. On avait apporté le rôti, des perdreaux flanqués de cailles, puis des petits pois, puis une terrine de foie gras accompagnée d'une salade aux feuilles dentelées, emplissant comme une mousse verte un grand saladier en forme de cuvette. They had brought the roast, partridges flanked by quail, then peas, then a terrine of foie gras accompanied by a salad with serrated leaves, filling like a green moss a large salad bowl-shaped bowl. Ils avaient mangé de tout cela sans y goûter, sans s'en douter, uniquement préoccupés de ce qu'ils disaient, plongés dans un bain d'amour. They had eaten all of it without tasting it, not knowing it, only preoccupied with what they said, immersed in a bath of love. Les deux femmes, maintenant, en lançaient de roides, Mme de Marelle avec une audace naturelle qui ressemblait à une provocation, Mme Forestier avec une réserve charmante, une pudeur dans le ton, dans la voix, dans le sourire, dans toute l'allure, qui soulignait, en ayant l'air de les atténuer, les choses hardies sorties de sa bouche. The two women, now, were throwing stiff, Madame de Marelle with a natural audacity that resembled a provocation, Mrs. Forestier with a charming reserve, modesty in the tone, in the voice, in the smile, in all the pace which emphasized, by seeming to attenuate them, the bold things out of his mouth. Forestier, tout à fait vautré sur les coussins, riait, buvait, mangeait sans cesse et jetait parfois une parole tellement osée ou tellement crue que les femmes, un peu choquées par la forme et pour la forme, prenaient un petit air gêné qui durait deux ou trois secondes. Forestier, quite sprawled on the cushions, laughed, drank, ate incessantly, and sometimes uttered a word so daring or so raw that the women, a little shocked by their form and form, took on an embarrassed look that lasted two hours. or three seconds. Quand il avait lâché quelque polissonnerie trop grosse, il ajoutait : When he had let loose some piss-off that was too big, he added:

« Vous allez bien, mes enfants. "You are well, my children. Si vous continuez comme ça, vous finirez par faire des bêtises. If you continue like this, you will end up doing stupid things. Le dessert vint, puis le café ; et les liqueurs versèrent dans les esprits excités un trouble plus lourd et plus chaud. Dessert came, then coffee; and the liquors poured into the excited minds a heavier and hoter trouble.

Comme elle l'avait annoncé en se mettant à table, Mme de Marelle était pocharde, et elle le reconnaissait, avec une grâce gaie et bavarde de femme qui accentue, pour amuser ses convives, une pointe d'ivresse très réelle. As she had announced at table, Madame de Marelle was pocked, and she recognized him, with a cheerful and talkative grace of a woman who accentuates, to amuse her guests, a very real point of drunkenness. Mme Forestier se taisait maintenant, par prudence peut-être ; et Duroy, se sentant trop allumé pour ne pas se compromettre, gardait une réserve habile. Madame Forestier was silent now, perhaps for the sake of prudence; and Duroy, feeling too lighted not to compromise himself, kept a clever reserve.

On alluma des cigarettes, et Forestier, tout à coup, se mit à tousser. Cigarettes were lit, and suddenly Forestier began to cough.

Ce fut une quinte terrible qui lui déchirait la gorge ; et, la face rouge, le front en sueur, il étouffait dans sa serviette. It was a terrible flush that was tearing his throat; and, his face red, his face sweaty, he was stifling in his briefcase. Lorsque la crise fut calmée, il grogna, d'un air furieux : « Ça ne me vaut rien, ces parties-là : c'est stupide. When the crisis had subsided, he growled furiously: "It does not matter to me, these parts: it's stupid. » Toute sa bonne humeur avait disparu dans la terreur du mal qui hantait sa pensée. All his good humor had disappeared in the terror of the evil that haunted his thought.

« Rentrons chez nous », dit-il. "Let's go home," he says.

Mme de Marelle sonna le garçon et demanda l'addition. Madame de Marelle rang the boy and asked for the bill. On la lui apporta presque aussitôt. It was brought almost immediately. Elle essaya de la lire ; mais les chiffres tournaient devant ses yeux, et elle passa le papier à Duroy : « Tenez, payez pour moi, je n'y vois plus, je suis trop grise. She tried to read it; but the numbers were turning before her eyes, and she passed the paper to Duroy: "Here, pay for me, I do not see any more, I am too gray. Et elle lui jeta en même temps sa bourse dans les mains. And at the same time she threw her purse into her hands.

Le total montait à cent trente francs. The total amounted to one hundred and thirty francs. Duroy contrôla et vérifia la note, puis donna deux billets, et reprit la monnaie, en demandant, à mi-voix : « Combien faut-il laisser aux garçons ? Duroy checked and checked the note, then gave two bills, and took the change, asking, in a low voice, "How much do you have to leave to the boys?"

– Ce que vous voudrez, je ne sais pas. Il mit cinq francs sur l'assiette, puis rendit la bourse à la jeune femme, en lui disant : He put five francs on the plate, then returned the purse to the young woman, saying: « Voulez-vous que je vous reconduise à votre porte ? "Do you want me to escort you to your door?

– Mais certainement. Je suis incapable de retrouver mon adresse. On serra les mains des Forestier, et Duroy se trouva seul avec Mme de Marelle dans un fiacre qui roulait. The hands of the Forestier were shaken, and Duroy found himself alone with Madame de Marelle in a moving cab.

Il la sentait contre lui, si près, enfermée avec lui dans cette boîte noire, qu'éclairaient brusquement, pendant un instant, les becs de gaz des trottoirs. He felt it against him, so close, locked up with him in that black box, which for a moment the gas lamps of the sidewalks glowed sharply. Il sentait, à travers sa manche, la chaleur de son épaule, et il ne trouvait rien à lui dire, absolument rien, ayant l'esprit paralysé par le désir impérieux de la saisir dans ses bras. He felt, through his sleeve, the warmth of his shoulder, and he found nothing to say to him, absolutely nothing, having the mind paralyzed by the imperious desire to seize her in his arms. « Si j'osais, que ferait-elle ? "If I dared, what would she do? » pensait-il. Et le souvenir de toutes les polissonneries chuchotées pendant le dîner l'enhardissait, mais la peur du scandale le retenait en même temps. And the memory of all the pouting whispered during dinner emboldened him, but the fear of scandal held him back at the same time. Elle ne disait rien non plus, immobile, enfoncée en son coin. She said nothing either, motionless, buried in her corner. Il eût pensé qu'elle dormait s'il n'avait vu briller ses yeux chaque fois qu'un rayon de lumière pénétrait dans la voiture. He would have thought she was sleeping if he had not seen his eyes shine every time a ray of light entered the car. « Que pensait-elle ? » Il sentait bien qu'il ne fallait point parler, qu'un mot, un seul mot, rompant le silence, emporterait ses chances ; mais l'audace lui manquait, l'audace de l'action brusque et brutale. He felt that he should not speak, that a word, a single word, breaking the silence, would carry his chances; but he lacked audacity, the audacity of sudden and brutal action. Tout à coup il sentit remuer son pied. Suddenly he felt his foot move. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d'impatience ou d'appel peut-être. She had made a movement, a dry, nervous movement, of impatience or appeal perhaps. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et, se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains. This gesture, almost insensible, made him run from head to foot, a great shiver on the skin, and, turning sharply, he threw himself on her, seeking the mouth with his lips and the naked flesh with his hands.

Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se débattre, le repousser ; puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps. She uttered a cry, a little cry, tried to stand up, to struggle, to repulse it; then she gave way, as if strength had failed her to resist longer.

Mais la voiture s'étant arrêtée bientôt devant la maison qu'elle habitait, Duroy, surpris, n'eut point à chercher des paroles passionnées pour la remercier, la bénir et lui exprimer son amour reconnaissant. But the carriage having stopped soon before the house she lived in, Duroy, surprised, had no need to seek passionate words to thank her, to bless her, and to express her grateful love to him. Cependant elle ne se levait pas, elle ne remuait point, étourdie par ce qui venait de se passer. However, she did not rise, she did not stir, dizzy by what had happened. Alors il craignit que le cocher n'eût des doutes, et il descendit le premier pour tendre la main à la jeune femme. Then he feared that the driver would have doubts, and he went down first to reach out to the young woman. Elle sortit enfin du fiacre en trébuchant et sans prononcer une parole. She finally got out of the cab, stumbling and without saying a word. Il sonna, et, comme la porte s'ouvrait, il demanda, en tremblant : « Quand vous reverrai-je ? He rang, and as the door opened, he asked, trembling, "When will I see you again?" Elle murmura si bas qu'il entendit à peine : « Venez déjeuner avec moi demain. She murmured so low that he barely heard: "Come and have lunch with me tomorrow. » Et elle disparut dans l'ombre du vestibule en repoussant le lourd battant, qui fit un bruit de coup de canon. And she disappeared into the shadows of the vestibule, pushing back the heavy shutter, which made a sound of cannon fire. Il donna cent sous au cocher et se mit à marcher devant lui, d'un pas rapide et triomphant, le cœur débordant de joie. He gave a hundred sous to the coachman and began to walk before him, with a quick and triumphant step, his heart overflowing with joy. Il en tenait une, enfin, une femme mariée ! He had one, finally, a married woman! une femme du monde ! a woman of the world! du vrai monde ! real world! du monde parisien ! of the Parisian world! Comme ça avait été facile et inattendu ! How easy and unexpected it was!

Il s'était imaginé jusque-là que pour aborder et conquérir une de ces créatures tant désirées, il fallait des soins infinis, des attentes interminables, un siège habile fait de galanteries, de paroles d'amour, de soupirs et de cadeaux. Until then, he had imagined that in order to approach and conquer one of these much desired creatures, one needed infinite care, endless expectations, a clever seat made of gallantries, words of love, sighs and gifts. Et voilà que tout d'un coup, à la moindre attaque, la première qu'il rencontrait s'abandonnait à lui, si vite qu'il en demeurait stupéfait. And now all of a sudden, at the slightest attack, the first one he met surrendered to him, so quickly that he remained stunned. « Elle était grise, pensait-il ; demain, ce sera une autre chanson. "She was gray, he thought; tomorrow it will be another song. J'aurai les larmes. I will have tears. » Cette idée l'inquiéta, puis il se dit : « Ma foi, tant pis. This idea worried him, then he said to himself: "My faith, so be it. Maintenant que je la tiens, je saurai bien la garder. Now that I hold it, I will be able to keep it well. Et, dans le mirage confus où s'égaraient ses espérances, espérances de grandeur, de succès, de renommée, de fortune et d'amour, il aperçut tout à coup, pareille à ces guirlandes de figurantes qui se déroulent dans le ciel des apothéoses, une procession de femmes élégantes, riches, puissantes, qui passaient en souriant pour disparaître l'une après l'autre au fond du nuage doré de ses rêves. And in the confused mirage of his hopes, hopes for grandeur, success, fame, fortune, and love, he suddenly saw, like those garlands of extras that take place in the sky of apotheoses. , a procession of elegant, rich, powerful women, who passed by smiling to disappear one after the other in the depths of the golden cloud of his dreams. Et son sommeil fut peuplé de visions. And his sleep was peopled with visions.

Il était un peu ému, le lendemain, en montant l'escalier de Mme de Marelle. He was a little moved, the next day, climbing the stairs of Madame de Marelle. Comment allait-elle le recevoir ? How was she going to receive him? Et si elle ne le recevait pas ? What if she did not receive it? Si elle avait défendu l'entrée de sa demeure ? If she had defended the entrance to her house? Si elle racontait ?… Mais non, elle ne pouvait rien dire sans laisser deviner la vérité tout entière. If she told? ... But no, she could not say anything without guessed the whole truth. Donc il était maître de la situation. So he was the master of the situation.

La petite bonne ouvrit la porte. The little maid opened the door. Elle avait son visage ordinaire. Il se rassura, comme s'il se fût attendu à ce que la domestique lui montrât une figure bouleversée. He reassured himself, as if he had expected the servant to show him an upset figure. Il demanda :

« Madame va bien ? Elle répondit :

« Oui, monsieur, comme toujours.

Et elle le fit entrer dans le salon.

Il alla droit à la cheminée pour constater l'état de ses cheveux et de sa toilette ; et il rajustait sa cravate devant la glace, quand il aperçut dedans la jeune femme qui le regardait debout sur le seuil de la chambre. He went straight to the fireplace to see the condition of his hair and his toilet; and he adjusted his tie in front of the mirror, when he saw in it the young woman who was watching him standing on the threshold of the room. Il fit semblant de ne l'avoir point vue, et ils se considérèrent quelques secondes, au fond du miroir, s'observant, s'épiant avant de se trouver face à face. He pretended not to have seen it, and they looked at each other for a few seconds, at the back of the mirror, watching each other, twitching each other before coming face to face. Il se retourna. Elle n'avait point bougé, et semblait attendre. Il s'élança, balbutiant : « Comme je vous aime ! He sprang forward, stammering: "How I love you! comme je vous aime ! » Elle ouvrit les bras et tomba sur sa poitrine ; puis, ayant levé la tête vers lui, ils s'embrassèrent longtemps. She opened her arms and fell on his chest; then, raising their heads towards him, they embraced each other for a long time. Il pensait : « C'est plus facile que je n'aurais cru. He thought, "It's easier than I thought. Ça va très bien. » Et, leurs lèvres s'étant séparées, il souriait, sans dire un mot, en tâchant de mettre dans son regard une infinité d'amour. And, their lips having separated, he smiled, without saying a word, trying to put in his eyes an infinity of love. Elle aussi souriait, de ce sourire qu'elles ont pour offrir leur désir, leur consentement, leur volonté de se donner. She also smiled, with that smile that they have to offer their desire, their consent, their willingness to give themselves. Elle murmura :

« Nous sommes seuls. " We are alone. J'ai envoyé Laurine déjeuner chez une camarade. I sent Laurine to lunch with a friend. Il soupira, en lui baisant les poignets : He sighed, kissing his wrists:

« Merci, je vous adore. "Thank you, I love you. Alors elle lui prit le bras, comme s'il eût été son mari, pour aller jusqu'au canapé où ils s'assirent côte à côte. Then she took his arm, as if it had been her husband, to go to the sofa where they sat side by side. Il lui fallait un début de causerie habile et séduisant ; ne le découvrant point à son gré, il balbutia : He needed a clever and seductive talk; not discovering it at his pleasure, he stammered:

« Alors vous ne m'en voulez pas trop ? "So you do not want me too much? Elle lui mit une main sur la bouche : She put a hand on her mouth:

« Tais-toi ! Ils demeurèrent silencieux les regards mêlés, les doigts enlacés et brûlants. They remained silent, their eyes mixed, their fingers entwined and burning.

« Comme je vous désirais ! » dit-il.

Elle répéta : « Tais-toi. On entendait la bonne remuer les assiettes dans la salle, derrière le mur. You could hear the dishes stirring in the room, behind the wall.

Il se leva : He stood up :

« Je ne veux pas rester si près de vous. "I do not want to stay so close to you. Je perdrais la tête. I'll lose my head. La porte s'ouvrit : The door opened : « Madame est servie. Et il offrit son bras avec gravité.

Ils déjeunèrent face à face, se regardant et se souriant sans cesse, occupés uniquement d'eux, tout enveloppés par le charme si doux d'une tendresse qui commence. Ils mangeaient, sans savoir quoi. Il sentit un pied, un petit pied, qui rôdait sous la table. He felt a foot, a little foot, lurking under the table. Il le prit entre les siens et l'y garda, le serrant de toute sa force. He took it between his own and kept it there, squeezing it with all his strength. La bonne allait, venait, apportait et enlevait les plats d'un air nonchalant, sans paraître rien remarquer. The maid went, came, brought and took the dishes nonchalantly, without seeming to notice anything. Quand ils eurent fini de manger, ils rentrèrent dans le salon et reprirent leur place sur le canapé, côte à côte.

Peu à peu, il se serrait contre elle, essayant de l'étreindre. Little by little, he was hugging her, trying to hug him. Mais elle le repoussait avec calme : But she rejected him calmly:

« Prenez garde, on pourrait entrer. "Take care, we could enter. Il murmura :

« Quand pourrai-je vous voir bien seule pour vous dire comme je vous aime ? "When will I be able to see you alone to tell you how I love you? Elle se pencha vers son oreille. She leaned toward his ear. et prononça tout bas : and said in a whisper:

« J'irai vous faire une petite visite chez vous un de ces jours. "I'll go and visit you one of these days. Il se sentit rougir : He felt himself blush:

« C'est que… chez moi… c'est… c'est bien modeste. "It's just ... at home ... it's ... it's modest. Elle sourit : She smiles :

« Ça ne fait rien. " It does not matter. C'est vous que j'irai voir et non pas l'appartement. It is you that I will go to see and not the apartment. Alors il la pressa pour savoir quand elle viendrait. So he pressed her to know when she would come. Elle fixa un jour éloigné de la semaine suivante, et il la supplia d'avancer la date, avec des paroles balbutiées, des yeux luisants, en lui maniant et lui broyant les mains, le visage rouge, enfiévré, ravagé de désir, de ce désir impétueux qui suit les repas en tête-à-tête. She stared a day away from the following week, and begged her to advance the date, with stammered words, shining eyes, handling and grinding her hands, her red, feverish, ravaged face of desire. impetuous desire that follows meals one-on-one. Elle s'amusait de le voir l'implorer avec cette ardeur, et cédait un jour, de temps en temps. She amused herself by seeing him implore her with this ardor, and yielded one day, from time to time. Mais il répétait : « Demain… dites… demain. Elle y consentit à la fin : She consented at the end:

« Oui. " Yes. Demain. Cinq heures. Il poussa un long soupir de joie ; et ils causèrent presque tranquillement, avec des allures d'intimité, comme s'ils se fussent connus depuis vingt ans. He uttered a long sigh of joy; and they chatted almost quietly, with the air of intimacy, as if they had known each other for twenty years. Un coup de timbre les fit tressaillir ; et, d'une secousse, ils s'éloignèrent l'un de l'autre. A blow of stamp made them shudder; and with a jerk they went away from each other. Elle murmura : « Ce doit être Laurine. She murmured, "It must be Laurine. L'enfant parut, puis s'arrêta interdite, puis courut vers Duroy en battant des mains, transportée de plaisir en l'apercevant, et elle cria : The child appeared, then stopped, then ran to Duroy, clapping his hands, transported with pleasure on seeing him, and she shouted: « Ah ! Bel-Ami ! Nice friend ! Mme de Marelle se mit à rire :

« Tiens ! Bel-Ami ! Laurine vous a baptisé ! Laurine baptized you! C'est un bon petit nom d'amitié pour vous, ça ; moi aussi je vous appellerai Bel-Ami ! It's a nice little name of friendship for you, that; I too will call you Bel-Ami! Il avait pris sur ses genoux la fillette, et il dut jouer avec elle à tous les petits jeux qu'il lui avait appris. He had taken the girl on her lap, and he had to play with her all the little games he had taught her. Il se leva à trois heures moins vingt minutes, pour se rendre au journal ; et sur l'escalier, par la porte entrouverte, il murmura encore du bout des lèvres : « Demain. He rose at twenty minutes to go to the newspaper; and on the staircase, through the half-open door, he murmured again and again with his lips: "Tomorrow. Cinq heures. La jeune femme répondit : « Oui », d'un sourire, et disparut. Dès qu'il eut fini sa besogne journalière, il songea à la façon dont il arrangerait sa chambre pour recevoir sa maîtresse et dissimuler le mieux possible la pauvreté du local. As soon as he had finished his daily work, he thought of how he would arrange his room to receive his mistress and conceal as much as possible the poverty of the local. Il eut l'idée d'épingler sur les murs de menus bibelots japonais, et il acheta pour cinq francs toute une collection de crépons, de petits éventails et de petits écrans, dont il cacha les taches trop visibles du papier. He had the idea of pinning Japanese trinkets on the walls, and he bought for five francs a whole collection of crepons, small fans, and small screens, of which he hid the too visible spots of the paper. Il appliqua sur les vitres de la fenêtre des images transparentes représentant des bateaux sur des rivières, des vols d'oiseaux à travers des ciels rouges, des dames multicolores sur des balcons et des processions de petits bonshommes noirs dans les plaines remplies de neige. He applied transparent pictures of boats on rivers, birds flying through red skies, multicolored ladies on balconies, and processions of little black men in the plains filled with snow on the window panes. Son logis, grand tout juste pour y dormir et s'y asseoir, eut bientôt l'air de l'intérieur d'une lanterne de papier peint. His house, large just to sleep and sit there, soon looked like inside a lantern of wallpaper. Il jugea l'effet satisfaisant, et il passa la soirée à coller sur le plafond des oiseaux découpés dans des feuilles coloriées qui lui restaient. He judged the effect satisfactory, and he spent the evening pasting on the ceiling birds cut from the colored leaves which remained to him. Puis il se coucha, bercé par le sifflet des trains. Then he lay down, lulled by the train whistle.

Il rentra de bonne heure le lendemain, portant un sac de gâteaux et une bouteille de madère achetée chez l'épicier. He returned early the next day, carrying a bag of cakes and a bottle of Madeira bought at the grocer's. Il dut ressortir pour se procurer deux assiettes et deux verres ; et il disposa cette collation sur sa table de toilette, dont le bois sale fut caché par une serviette, la cuvette et le pot à l'eau étant dissimulés par-dessous. He had to go out to get two plates and two glasses; and he arranged this snack on his dressing-table, the dirty wood of which was hidden by a napkin, the bowl and the water-pot being concealed beneath. Puis il attendit.

Elle arriva vers cinq heures un quart, et, séduite par le papillotement coloré des dessins, elle s'écria : She arrived at a quarter past five, and, seduced by the flickering of the drawings, she exclaimed: « Tiens, c'est gentil chez vous. "Hey, that's nice of you. Mais il y a bien du monde dans l'escalier. But there are many people on the stairs. Il l'avait prise dans ses bras, et il baisait ses cheveux avec emportement, entre le front et le chapeau, à travers le voile. He had taken her in his arms, and he kissed his hair furiously, between the forehead and the hat, through the veil. Une heure et demie plus tard, il la reconduisit à la station de fiacres de la rue de Rome. An hour and a half later, he drove her back to the cab station of the Rue de Rome. Lorsqu'elle fut dans la voiture, il murmura : « Mardi, à la même heure. When she was in the car, he murmured: "Tuesday, at the same time. Elle dit : « À la même heure, mardi. She says, "At the same time, Tuesday. » Et, comme la nuit était venue, elle attira sa tête dans la portière et le baisa sur les lèvres. And as night had come she drew her head into the door and kissed it on the lips. Puis, le cocher ayant fouetté sa bête, elle cria : « Adieu, Bel-Ami « et le vieux coupé s'en alla au trot fatigué d'un cheval blanc. Then, the coachman having whipped his beast, she shouted, "Farewell, Bel-Ami," and the old clerk went off to a tired trot of a white horse. Pendant trois semaines, Duroy reçut ainsi Mme de Marelle tous les deux ou trois jours, tantôt le matin, tantôt le soir. For three weeks Duroy received Madame de Marelle every two or three days, sometimes in the morning, sometimes in the evening.

Comme il l'attendait, un après-midi, un grand bruit, dans l'escalier, l'attira sur sa porte. As he waited for it, one afternoon, a loud noise on the staircase drew him to his door. Un enfant hurlait. A child was screaming. Une voix furieuse, celle d'un homme, cria : « Qu'est-ce qu'il a encore à gueuler, ce bougre-là ? A furious voice, that of a man, shouted: "What's he still having to say, this fellow? » La voix glapissante et exaspérée d'une femme répondit : « C'est ct'e sale cocotte qui vient chez l'journaliste d'en haut qu'a renversé Nicolas sur l'palier. The screaming and exasperated voice of a woman replied: "It's that dirty cocotte that comes to the journalist from above that overthrew Nicolas on the landing. Comme si on devrait laisser des roulures comme ça qui n'font seulement pas attention aux enfants dans les escaliers ! As if we should leave some bumps like that that do not just pay attention to children on the stairs! Duroy, éperdu, se recula, car il entendait un rapide frôlement de jupes et un pas précipité gravissant l'étage au-dessous de lui. Duroy, bewildered, drew back, for he heard a quick brush of skirts and a hasty step up the floor below him. On frappa bientôt à sa porte, qu'il venait de refermer. There was soon knocked at his door, which he had just closed again. Il ouvrit, et Mme de Marelle se jeta dans la chambre, essoufflée, affolée, balbutiant : He opened, and Madame de Marelle threw herself into the room, breathless, distraught, stammering:

« As-tu entendu ? " Did you hear ? Il fit semblant de ne rien savoir. He pretended to know nothing.

« Non, quoi ? " Not what ?

– Comme ils m'ont insultée ? - As they insulted me? – Qui ça ? - Who is that ?

– Les misérables qui habitent au-dessous. - The wretches who live below.

– Mais non, qu'est-ce qu'il y a, dis-moi ? - No, what's the matter, tell me? Elle se mit à sangloter sans pouvoir prononcer un mot. She began to sob without being able to say a word.

Il dut la décoiffer, la délacer, l'étendre sur le lit, lui tapoter les tempes avec un linge mouillé ; elle suffoquait ; puis, quand son émotion se fut un peu calmée, toute sa colère indignée éclata. He had to uncouple it, dislocate it, lay it on the bed, pat his temples with a wet cloth; she was suffocating; then, when her emotion had calmed down a little, all her indignant anger broke out. Elle voulait qu'il descendît tout de suite, qu'il se battît, qu'il les tuât. She wanted him to go down immediately, to fight, to kill them. Il répétait : « Mais ce sont des ouvriers, des rustres. He repeated: "But they are workers, boors. Songe qu'il faudrait aller en justice, que tu pourrais être reconnue, arrêtée, perdue. Remember that you should go to court, that you could be recognized, arrested, lost. On ne se commet pas avec des gens comme ça. We do not commit ourselves with people like that. Elle passa à une autre idée : « Comment ferons-nous, maintenant ? She went on to another idea: "How shall we do now? Moi, je ne peux pas rentrer ici. I can not come back here. » Il répondit : « C'est bien simple, je vais déménager. He replied, "It's very simple, I'm going to move. Elle murmura : « Oui, mais ce sera long. She murmured, "Yes, but it will be long. » Puis, tout d'un coup, elle imagina une combinaison, et rassérénée brusquement : Then, all of a sudden, she imagined a combination, and suddenly reassured: « Non, écoute, j'ai trouvé, laisse-moi faire, ne t'occupe de rien. "No, listen, I've found, let me do, do not worry about anything. Je t'enverrai un petit bleu demain matin. I'll send you a little blue tomorrow morning. Elle appelait des « petits bleus « les télégrammes fermés circulant dans Paris. She called "little blues" the closed telegrams circulating in Paris.

Elle souriait maintenant, ravie de son invention, qu'elle ne voulait pas révéler ; et elle fit mille folies d'amour. She was now smiling, pleased with her invention, that she did not want to reveal; and she made a thousand follies of love. Elle était bien émue cependant, en redescendant l'escalier, et elle s'appuyait de toute sa force sur le bras de son amant, tant elle sentait fléchir ses jambes. She was well moved, however, down the stairs, and she leaned all her strength on the arm of her lover, as she felt her legs bend. Ils ne rencontrèrent personne. They did not meet anyone.

Comme il se levait tard, il était encore au lit, le lendemain vers onze heures, quand le facteur du télégraphe lui apporta le petit bleu promis. As he was getting up late, he was still in bed the next day around eleven when the telegraph factor brought him the little blue promised.

Duroy l'ouvrit et lut : « Rendez-vous tantôt, cinq heures, rue de Constantinople, 127. Tu te feras ouvrir l'appartement loué par Mme Duroy. « CLO t'embrasse. À cinq heures précises, il entrait chez le concierge d'une grande maison meublée et demandait : At five o'clock precisely, he entered the concierge of a large furnished house and asked: « C'est ici que Mme Duroy a loué un appartement ? "This is where Mrs. Duroy rented an apartment? – Oui, monsieur. - Yes sir.

– Voulez-vous m'y conduire, s'il vous plaît ? - Will you drive me there, please? L'homme, habitué sans doute aux situations délicates où la prudence est nécessaire, le regardant dans les yeux, puis, choisissant dans la longue file de clefs : The man, probably accustomed to delicate situations where caution is necessary, looking him in the eyes, then, choosing in the long line of keys: « Vous êtes bien M. Duroy ?

– Mais oui, parfaitement. Et il ouvrit un petit logement composé de deux pièces et situé au rez-de-chaussée, en face de la loge. And he opened a small two-room apartment on the ground floor facing the lodge.

Le salon, tapissé de papier ramagé, assez frais, possédait un meuble d'acajou recouvert en reps verdâtre à dessins jaunes, et un maigre tapis à fleurs, si mince que le pied sentait le bois par-dessous. The sitting room, covered with freshly-wrapped paper, had a mahogany piece of furniture covered with green-yellow reps, and a thin carpet of flowers, so thin that the foot smelt of wood beneath. La chambre à coucher était si exiguë que le lit l'emplissait aux trois quarts. The bedroom was so small that the bed filled three-quarters of it. Il tenait le fond, allant d'un mur à l'autre, un grand lit de maison meublée, enveloppé de rideaux bleus et lourds, également en reps, et écrasé sous un édredon de soie rouge maculé de taches suspectes. He held the bottom, going from one wall to another, a large bed of furnished house, wrapped in blue and heavy curtains, also in reps, and crushed under a red silk comforter stained with suspicious spots. Duroy, inquiet et mécontent, pensait : « Ça va me coûter un argent fou, ce logis-là. Duroy, worried and discontented, thought, "It's going to cost me a lot of money, this house. Il va falloir que j'emprunte encore. I'll have to borrow again. C'est idiot, ce qu'elle a fait. That's stupid, she did. La porte s'ouvrit, et Clotilde se précipita en coup de vent, avec un grand bruit de robe, les bras ouverts. The door opened, and Clotilde rushed in a gust of wind, with a loud clang of dress, her arms open. Elle était enchantée. She was delighted.

« Est-ce gentil, dis, est-ce gentil ? "Is it nice, say, is it nice? Et pas à monter, c'est sur la rue, au rez-de-chaussée ! And not to climb, it's on the street, on the ground floor! On peut entrer et sortir par la fenêtre sans que le concierge vous voie. You can enter and exit through the window without the concierge seeing you. Comme nous nous aimerons, là-dedans. How we will love each other in there. Il l'embrassait froidement, n'osant faire la question qui lui venait aux lèvres. He kissed her coldly, not daring to make the question that came to her lips. Elle avait posé un gros paquet sur le guéridon, au milieu de la pièce. She had placed a large package on the pedestal in the middle of the room. Elle l'ouvrit et en tira un savon, une bouteille d'eau de Lubin, une éponge, une boîte d'épingles à cheveux, un tire-bouchon et un petit fer à friser pour rajuster les mèches de son front qu'elle défaisait toutes les fois. She opened it and pulled out a soap, a bottle of Lubin water, a sponge, a box of hairpins, a corkscrew and a small curling iron to adjust the locks of her brow that she undid every time. Et elle joua à l'installation, cherchant la place de chaque chose, s'amusant énormément. And she played at the installation, looking for the place of everything, having a lot of fun. Elle parlait tout en ouvrant les tiroirs : She spoke while opening the drawers:

« Il faudra que j'apporte un peu de linge, pour pouvoir en changer à l'occasion. "I'll have to bring some linen, so I can change it occasionally. Ce sera très commode. It will be very convenient. Si je reçois une averse, par hasard, en faisant des courses, je viendrai me sécher ici. If I get a shower, by chance, while shopping, I will come and dry myself here. Nous aurons chacun notre clef, outre celle laissée dans la loge pour le cas où nous oublierions les nôtres. We will each have our key, besides that left in the box for the case where we would forget ours. J'ai loué pour trois mois, à ton nom, bien entendu, puisque je ne pouvais donner le mien. I rented for three months, in your name, of course, since I could not give mine. Alors il demanda : So he asked:

« Tu me diras quand il faudra payer ? "Will you tell me when to pay?

Elle répondit simplement : She simply replied:

« Mais c'est payé, mon chéri ! "But it's paid, darling! Il reprit : He said :

« Alors, c'est à toi que je le dois ? "So, I owe it to you? – Mais non, mon chat, ça ne te regarde pas, c'est moi qui veux faire cette petite folie. - No, my cat, it does not concern you, it's me who want to do this little madness. Il eut l'air de se fâcher : He seemed to be angry: « Ah ! mais non, par exemple. Je ne le permettrai point. I will not allow it. Elle vint à lui suppliante, et, posant les mains sur ses épaules : She came to him supplicating, and laying his hands on his shoulders:

« Je t'en prie, Georges, ça me fera tant de plaisir, tant de plaisir que ce soit à moi, notre nid, rien qu'à moi ! "Please, Georges, it will give me so much pleasure, so much pleasure to me, our nest, nothing to me! Ça ne peut pas te froisser ? It can not hurt you? En quoi ? In what ? Je voudrais apporter ça dans notre amour. I would like to bring that into our love. Dis que tu veux bien, mon petit Géo, dis que tu veux bien ?… » Elle l'implorait du regard, de la lèvre, de tout son être. Say you do not mind, my little Geo, say what do you want? ... "She implored him with his eyes, his lip, his whole being. Il se fit prier, refusant avec des mines irritées, puis il céda, trouvant cela juste, au fond. He made himself pray, refusing with irritated faces, then he yielded, finding that right, deep down.

Et quand elle fut partie, il murmura, en se frottant les mains et sans chercher dans les replis de son cœur d'où lui venait, ce jour-là, cette opinion : « Elle est gentille, tout de même. And when she had left, he murmured, rubbing his hands, and without looking in the folds of his heart, from which, on that day, he had received this opinion: "She is kind, all the same. Il reçut quelques jours plus tard un autre petit bleu qui lui disait : He received a few days later another small blue which told him:

« Mon mari arrive ce soir, après six semaines d'inspection. "My husband is coming tonight, after six weeks of inspection. Nous aurons donc relâche huit jours. We will have eight days off. Quelle corvée, mon chéri ! What a chore, darling!

« Ta CLO. "Your CLO. Duroy demeura stupéfait. Duroy remained stunned. Il ne songeait vraiment plus qu'elle était mariée. He did not really think she was married anymore. En voilà un homme dont il aurait voulu voir la tête, rien qu'une fois, pour le connaître. Here is a man of whom he would have liked to see his head, only once, to know him. Il attendit avec patience cependant le départ de l'époux, mais il passa aux Folies-Bergère deux soirées qui se terminèrent chez Rachel. He waited patiently, however, for the departure of the husband, but he went to the Folies-Bergere for two evenings, which ended at Rachel's. Puis, un matin, nouveau télégramme contenant quatre mots : Then, one morning, new telegram containing four words:

« Tantôt, cinq heures. "Sometimes, five o'clock. – CLO. - CLO. Ils arrivèrent tous les deux en avance au rendez-vous. They both arrived in advance of the rendezvous. Elle se jeta dans ses bras avec un grand élan d'amour, le baisant passionnément à travers le visage ; puis elle lui dit : She threw herself into his arms with a great surge of love, kissing him passionately across the face; then she said to him: « Si tu veux, quand nous nous serons bien aimés, tu m'emmèneras dîner quelque part. "If you want, when we are well loved, you will take me to dinner somewhere. Je me suis faite libre. I made myself free. On était justement au commencement du mois, et bien que son traitement fût escompté longtemps d'avance, et qu'il vécût au jour le jour d'argent cueilli de tous les côtés, Duroy se trouvait par hasard en fonds ; et il fut content d'avoir l'occasion de dépenser quelque chose pour elle. It was precisely at the beginning of the month, and although his treatment was expected long beforehand, and he lived from day to day money collected from all sides, Duroy was by chance in funds; and he was glad to have the opportunity to spend something on her. Il répondit :

« Mais oui, ma chérie, où tu voudras. Ils partirent donc vers sept heures et gagnèrent le boulevard extérieur. They left at about seven o'clock and reached the outer boulevard. Elle s'appuyait fortement sur lui et lui disait, dans l'oreille : « Si tu savais comme je suis contente de sortir à ton bras, comme j'aime te sentir contre moi ! She leaned heavily on him and whispered in her ear: "If you knew how happy I am to go out to your arm, how I like to feel against me! Il demanda :

« Veux-tu aller chez le père Lathuille ? "Do you want to go to Father Lathuille? Elle répondit : « Oh ! non, c'est trop chic. Je voudrais quelque chose de drôle, de commun, comme un restaurant, où vont les employés et les ouvrières ; j'adore les parties dans les guinguettes ! I would like something funny, common, like a restaurant, where go the employees and the workers; I love parties in the dance halls! Oh ! si nous avions pu aller à la campagne ! if we could have gone to the country! Comme il ne connaissait rien en ce genre dans le quartier, ils errèrent le long du boulevard, et ils finirent par entrer chez un marchand de vin qui donnait à manger dans une salle à part. As he did not know anything of the kind in the neighborhood, they wandered along the boulevard, and they ended by entering a wine shop, which gave food in a separate room. Elle avait vu, à travers la vitre, deux fillettes en cheveux attablées en face de deux militaires. She had seen, through the window, two girls with hair sitting in front of two soldiers.

Trois cochers de fiacre dînaient dans le fond de la pièce étroite et longue, et un personnage, impossible à classer dans aucune profession, fumait sa pipe, les jambes allongées, les mains dans la ceinture de sa culotte, étendu sur sa chaise et la tête renversée en arrière par-dessus la barre. Three cabmen dined at the end of the narrow and long room, and a character, impossible to classify in any profession, smoked his pipe, legs stretched, hands in the waistband of his panties, lying on his chair and head flipped back over the bar. Sa jaquette semblait un musée de taches, et dans les poches gonflées comme des ventres on apercevait le goulot d'une bouteille, un morceau de pain, un paquet enveloppé dans un journal, et un bout de ficelle qui pendait. His jacket looked like a museum of stains, and in puffy pockets like bellies one could see the neck of a bottle, a piece of bread, a packet wrapped in a newspaper, and a piece of string hanging down. Il avait des cheveux épais, crépus, mêlés, gris de saleté ; et sa casquette était par terre, sous sa chaise. He had thick hair, frizzy, mixed, gray dirt; and his cap was on the floor under his chair.

L'entrée de Clotilde fit sensation par l'élégance de sa toilette. The entrance of Clotilde caused a sensation by the elegance of her toilet. Les deux couples cessèrent de chuchoter, les trois cochers cessèrent de discuter, et le particulier qui fumait, ayant ôté sa pipe de sa bouche et craché devant lui, regarda en tournant un peu la tête. The two couples stopped whispering, the three coachmen stopped talking, and the individual who was smoking, having removed his pipe from his mouth and spit in front of him, looked at him, turning his head a little.

Mme de Marelle murmura : « C'est très gentil ! Nous serons très bien ; une autre fois, je m'habillerai en ouvrière. We will be fine; another time, I'll get dressed as a worker. » Et elle s'assit sans embarras et sans dégoût en face de la table de bois vernie par la graisse des nourritures, lavée par les boissons répandues et torchée d'un coup de serviette par le garçon. And she sat down without embarrassment and disgust in front of the wooden table varnished by the grease of food, washed by the spilled drinks, and flicked with a blow of a towel by the boy. Duroy, un peu gêné, un peu honteux, cherchait une patère pour y pendre son haut chapeau. Duroy, a little embarrassed, a little ashamed, was looking for a coat hook to hang his high hat. N'en trouvant point, il le déposa sur une chaise. Finding none, he put it on a chair. Ils mangèrent un ragoût de mouton, une tranche de gigot et une salade. They ate a mutton stew, a slice of leg of lamb and a salad. Clotilde répétait : « Moi, j'adore ça. Clotilde repeated: "I love that. J'ai des goûts canailles. I have bad tastes. Je m'amuse mieux ici qu'au café Anglais. I enjoy myself better here than at the English cafe. » Puis elle dit : « Si tu veux me faire tout à fait plaisir, tu me mèneras dans un bastringue. Then she said: "If you want to make me completely happy, you will take me to a dance hall. J'en connais un très drôle près d'ici qu'on appelle La Reine Blanche. Duroy, surpris, demanda :

« Qui est-ce qui t'a menée là ? "Who led you there? Il la regardait et il la vit rougir, un peu troublée, comme si cette question brusque eût éveillé en elle un souvenir délicat. He looked at her and he saw her blush, a little troubled, as if this sudden question had awakened in her a delicate memory. Après une de ces hésitations féminines si courtes qu'il les faut deviner, elle répondit : « C'est un ami… », puis, après un silence, elle ajouta : « qui est mort. After one of those feminine hesitations so short that they must be guessed, she answered: "He is a friend...", then, after a silence, she added: "who is dead. » Et elle baissa les yeux avec une tristesse bien naturelle.

Et Duroy, pour la première fois, songea à tout ce qu'il ne savait point dans la vie passée de cette femme, et il rêva. And Duroy, for the first time, thought of all that he did not know in the past life of this woman, and he dreamed. Certes elle avait eu des amants, déjà, mais de quelle sorte ? Certainly she had lovers, already, but what kind? de quel monde ? which world? Une vague jalousie, une sorte d'inimitié s'éveillait en lui contre elle, une inimitié pour tout ce qu'il ignorait, pour tout ce qui ne lui avait point appartenu dans ce cœur et dans cette existence. A vague jealousy, a kind of enmity was awakening in him against her, an enmity for all that he did not know, for all that had not belonged to him in that heart and in this existence. Il la regardait, irrité du mystère enfermé dans cette tête jolie et muette et qui songeait, en ce moment-là même peut-être, à l'autre, aux autres, avec des regrets. Comme il eût aimé regarder dans ce souvenir, y fouiller, et tout savoir, tout connaître !… How he would have liked to look into this memory, to delve into it, and to know everything, to know everything!

Elle répéta :

« Veux-tu me conduire à La Reine Blanche ? Ce sera une fête complète. It will be a complete party. Il pensa : « Bah ! qu'importe le passé ? what does the past matter? Je suis bien bête de me troubler de ça. I'm very stupid to trouble myself about that. » Et, souriant, il répondit : And, smiling, he replied:

« Mais certainement, ma chérie. "But certainly, darling. Lorsqu'ils furent dans la rue, elle reprit, tout bas, avec ce ton mystérieux dont on fait les confidences : When they were in the street, she went on, very softly, with that mysterious tone of which one confides: « Je n'osais point te demander ça, jusqu'ici ; mais tu ne te figures pas comme j'aime ces escapades de garçon dans tous ces endroits où les femmes ne vont pas. "I did not dare to ask you that, so far; but you do not picture yourself as I love these boy's getaways in all those places where women do not go. Pendant le carnaval je m'habillerai en collégien. During the carnival I will dress in college. Je suis drôle comme tout en collégien. I'm funny as a college student. Quand ils pénétrèrent dans la salle de bal, elle se serra contre lui, effrayée et contente, regardant d'un œil ravi les filles et les souteneurs et, de temps en temps, comme pour se rassurer contre un danger possible, elle disait, en apercevant un municipal grave et immobile : « Voilà un agent qui a l'air solide. When they entered the ballroom, she pressed herself against him, frightened and happy, looking with delight at the girls and pimps, and from time to time, as if to reassure herself against a possible danger, she said, perceiving a municipal grave and motionless: "Here is an agent who looks solid. » Au bout d'un quart d'heure, elle en eut assez, et il la reconduisit chez elle. At the end of a quarter of an hour she had had enough, and he took her home. Alors commença une série d'excursions dans tous les endroits louches où s'amuse le peuple ; et Duroy découvrit dans sa maîtresse un goût passionné pour ce vagabondage d'étudiants en goguette. Then began a series of excursions in all the shady places where the people enjoy themselves; and Duroy discovered in his mistress a passionate taste for this vagrancy of students on a spree. Elle arrivait au rendez-vous habituel vêtue d'une robe de toile, la tête couverte d'un bonnet de soubrette, de soubrette de vaudeville ; et, malgré la simplicité élégante et cherchée de la toilette, elle gardait ses bagues, ses bracelets et ses boucles d'oreilles en brillants, en donnant cette raison, quand il la suppliait de les ôter : « Bah ! She arrived at the usual rendezvous, clothed in a linen dress, her head covered with a maid's hat, and a maid of vaudeville; and, in spite of the elegant and sought-after simplicity of the toilet, she kept her rings, her bracelets, and her earrings shining, giving this reason, when he begged her to remove them: "Bah! on croira que ce sont des cailloux du Rhin. it will be believed that they are pebbles of the Rhine. Elle se jugeait admirablement déguisée, et, bien qu'elle fût en réalité cachée à la façon des autruches, elle allait dans les tavernes les plus mal famées. She judged herself admirably disguised, and although she was actually hidden like ostriches, she went to the worst of the taverns. Elle avait voulu que Duroy s'habillât en ouvrier ; mais il résista et garda sa tenue correcte de boulevardier, sans vouloir même changer son haut chapeau contre un chapeau de feutre mou. She had wanted Duroy to dress as a workman; but he resisted and kept his proper boulevardier dress, without even changing his high hat against a soft felt hat. Elle s'était consolée de son obstination par ce raisonnement : « On pense que je suis une femme de chambre en bonne fortune avec un jeune homme du monde. She had consoled herself for her obstinacy with this reasoning: "One thinks that I am a maid in good fortune with a young man of the world. » Et elle trouvait délicieuse cette comédie.

Ils entraient ainsi dans les caboulots populaires et allaient s'asseoir au fond du bouge enfumé, sur des chaises boiteuses, devant une vieille table de bois. They entered the popular cabins and went to sit at the bottom of the smoky mule, on lame chairs, in front of an old wooden table. Un nuage de fumée âcre où restait une odeur de poisson frit du dîner emplissait la salle ; des hommes en blouse gueulaient en buvant des petits verres ; et le garçon étonné dévisageait ce couple étrange, en posant devant lui deux cerises à l'eau-de-vie. A cloud of acrid smoke, where the smell of dinner fried fish remained, filled the room; men in blouses shouted while drinking small glasses; and the astonished boy stared at this strange couple, posing two cherries in brandy before him.