Le Curé d'Ars dans ses catéchismes (5)
« Notre saint Curé, » écrivait un de ses auditeurs les plus intelligents, « est toujours aussi admirable dans sa vie, ses oeuvres et ses paroles. Ce dernier mot vous étonne peut-être? Et cependant rien n'est plus vrai. Il y a quelque chose de prodigieux dans la satisfaction, je puis dire l'enthousiasme attendri avec lequel la foule se presse pour entendre ses soi-disant catéchismes. Et cette foule est composée d'hommes appartenant à tous les degrés de l'échelle sociale. J'ai entendu des ecclésiastiques distingués, des gens du monde, des savants, des artistes affirmer que rien ne les avait touchés autant que cette expansion d'un coeur qui contemple, qui aime, qui gémit, qui adore. On pourrait presque aussi recueillir les Fioretti du Curé d'Ars. Rien de gracieux et de brillant comme la peinture qu'il faisait du printemps il y a peu de jours!... »
Et quelques lignes plus bas, après avoir parlé poésie, on ajoutait: « Hier, notre vieux saint François d'Assise était plus poétique que jamais au milieu de ses larmes et de ses élans d'amour; en parlant de l'âme de l'homme qui ne doit avoir d'aspiration que pour Dieu, il s'écriait:
« Le poisson cherche-t-il les arbres et la prairie? Non, il s'enfonce dans les eaux. L'oiseau s'arrête-t-il sur la terre? Non, il s'envole dans les airs... Et l'homme qui est créé pour aimer Dieu, posséder Dieu, renfermer Dieu, que fera-t-il de toutes les forces qui lui ont été données pour cela ?... »
M. Vianney aimait à raconter la fraîche et poétique légende de saint Maur, qui, allant un jour porter le dîner à saint Benoît, trouva un gros serpent; il le prit, le mit dans le pan de sa robe et dit en le montrant à saint Benoît: « Père, voyez ce que j'ai trouvé. » Quand le saint patriarche et tous les religieux furent réunis, le serpent se mit à siffler et à vouloir les mordre. Saint Benoît dit alors: « Petit, retourne le porter où tu l'as pris. » Et quand saint Maur fut parti, il ajouta: « Mes frères, savez-vous pourquoi cette bête est si douce avec cet enfant!... C'est parce qu'il a conservé l'innocence de son baptême. »
Le Curé d'Ars rapportait aussi avec complaisance le trait de saint François d'Assise prêchant aux poissons, et cette page charmante des Petites fleurs ne pouvait que gagner à être interprétée par lui: « Un jour, disait-il, saint François d'Assise prêchait dans une province où il y avait beaucoup d'hérétiques. Ces mécréants se bouchaient les oreilles pour ne pas l'entendre. Alors le saint amena le peuple sur le rivage de la mer, et appela les poissons pour venir écouter la parole de Dieu, puisque les hommes la repoussaient. Les poissons vinrent sur le bord de l'eau, les gros derrière les petits, Saint François leur fit cette question : « Êtes-vous reconnaissants de ce que le bon Dieu vous a sauvés du déluge? » Les poissons inclinèrent la tête. Alors saint François dit au peuple: Voyez, ces poissons sont reconnaissants des bienfaits de Dieu. Et vous, ingrats! vous les méprisez! »
M. Vianney mêlait à ses discours d'heureuses réminiscences de sa vie de berger:
« Il faudrait faire comme les bergers qui sont en champ pendant l'hiver, la vie est bien un long hiver! – ils font du feu : mais de temps en temps ils courent ramasser du bois de tous les côtés pour l'entretenir. Si nous savions, comme les bergers, toujours entretenir le feu de l'amour de Dieu dans notre coeur par des prières et des bonnes ouvres, il ne s'éteindrait pas. »
« Quand vous n'avez pas l'amour de Dieu, vous êtes bien pauvres. Vous êtes comme un arbre sans fleurs et sans fruits. »
« Dans l'âme unie à Dieu, c'est toujours le printemps. »
Lorsqu'il parlait de la prière, les comparaisons les plus aimables et les plus ingénieuses arrivaient en foule sur ses lèvres:
« La prière est une rosée embaumée; mais il faut prier avec un coeur pur pour sentir cette rosée.
« Il sort de la prière une douceur savoureuse, comme le jus qui découle d'un raisin bien mûr.
« La prière dégage notre âme de la matière; elle l'élève en haut comme le feu qui gonfle les ballons.
« Plus on prie, plus on veut prier. C'est comme un poisson qui nage d'abord à la surface de l'eau, qui plonge ensuite et qui va toujours plus avant. L'âme se plonge, s'abime, se perd dans les douceurs de la conversation avec Dieu.
« Le temps ne dure pas dans la prière. Je ne sais pas si on peut désirer le ciel. Oh! oui... le poisson qui nage dans un petit ruisseau se trouve bien, parce qu'il est dans son élément; mais il est encore mieux dans la mer.
« Il faut, quand on prie, ouvrir son coeur à Dieu comme le poisson quand il voit venir la vague.
« Le bon Dieu n'a pas besoin de nous : s'il nous commande de prier, c'est qu'il veut notre bonheur, et que notre bonheur ne peut se trouver que là. Lorsqu'il nous voit venir, il penche son coeur bien bas vers sa petite créature, comme un père qui s'incline pour écouter son petit enfant qui lui parle.
« Le matin il faut faire comme l'enfant qui est dans son berceau : dès qu'il ouvre les yeux, il regarde vite par la maison s'il voit sa mère. Quand il la voit, il se met à sourire; quand il ne la voit pas, il pleure. »
En parlant du prêtre, il se servait de cette belle et touchante image:
« Le prêtre est pour vous comme une mère, comme une nourrice pour un enfant de quelques mois : elle lui donne sa nourriture; il n'a qu'à ouvrir la bouche. La mère dit à son enfant: « Tiens, mon petit, mange. » Le prêtre vous dit: « Prenez et mangez, voici le corps de Jésus-Christ. Qu'il vous garde et vous conduise à la vie éternelle! » O belles paroles!... Un enfant, quand il voit sa mère, s'élance vers elle; il se débat contre ceux qui le retiennent; il ouvre sa petite bouche et tend ses petites mains pour l'embrasser. Votre âme, en présence du prêtre, s'élance naturellement vers lui; elle court à sa rencontre; mais elle est retenue par les liens du corps chez les hommes qui donnent tout aux sens, qui ne vivent que pour le cadavre.
« Notre âme est emmaillotée dans notre corps, comme un enfant dans ses langes : on ne lui voit que la figure. »
Tout le monde sera frappé par ce qu'il y a de vrai, d'exact et de saisissant dans cette dernière image. A côté de ces comparaisons gracieuses, M. Vianney en avait d'énergiques et d'originales. Voulait-il exalter les bienfaits du sacrement de Pénitence? Il le faisait à l'aide de métaphores et d'apologues:
« Une fois, il passa chez nous un loup enragé qui dévorait tout. Trouvant sur son chemin un enfant de deux ans, il le prit entre ses dents et l'emporta : mais des hommes qui taillaient la vigne lui coururent sus et lui arrachèrent sa proie. C'est ainsi que le sacrement de pénitence nous arrache des griffes du démon. »