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Esprit du Curé d'Ars, Le Curé d'Ars dans ses catéchismes (2)

Le Curé d'Ars dans ses catéchismes (2)

La parole du Curé d'Ars avait d'autant plus d'efficacité, qu'il préchait par tout son être. Sa présence seule était déjà une apparition de la vérité. C'est bien de lui qu'on pouvait dire qu'il était l'orateur des yeux, et qu'il aurait ému et convaincu même par son silence. Quand on voyait apparaître en chaire ce visage pâle, osseux, diaphane; quand on entendait cette voix grêle, perçante, ressemblant à un cri, jeter à la foule des pensées sublimes, une enveloppe naïve et populaire, on croyait être en présence d'une de ces grandes figures bibliques parlant aux hommes la langue des prophètes. On était déjà saisi de respect, rempli de confiance et disposé à entendre, non pour jouir, mais pour profiter.

Avant de commencer, le vénérable catéchiste promenait sur l'auditoire son regard, qui préparait le chemin à sa parole. Quelquefois ce regard devenait fixe; il semblait fouiller jusqu'au fond d'une âme que le saint homme avait entrevue tout à coup, et dans laquelle on eût dit qu'il allait chercher le texte de son entretien. Combien ont pu croire qu'il n'avait parlé que pour eux! combien se sont reconnus dans la

peinture qu'il faisait de leurs faiblesses! combien y ont retrouvé l'histoire secrète de leurs défaillances, de leurs séductions, de leurs combats, de leurs troubles et de leurs remords!

Pour ceux à qui il a été donné d'assister à ces catéchismes, il y avait deux choses également remarquables : le prédicateur et l'auditeur. Ce n'était pas une parole que faisait entendre le prédicateur, c'était plus qu'une parole, c'était une âme, une âme sainte, toute trempée de foi et d'amour qui s'épanchait devant vous, dont vous subissiez le contact immédiat, dont vous sentiez le rayonnement sur votre âme. Quant à l'auditeur, il n'était plus sur la terre; il était transporté dans ces pures régions d'où descendent les dogmes et les mystères. A mesure que l'apôtre parlait, de nouveaux et clairs horizons s'ouvraient à la pensée : le ciel et la terre, la vie présente et la vie future, les choses du temps et les choses de l'éternité se montraient sous un jour qu'on n'avait pas encore aperçu.

Lorsqu'un homme venu du monde, et en rapportant les idées, les sentiments, les impressions qu'on y respire, s'asseyait pour entendre cette doctrine, elle l'étourdissait, le terrassait... elle jetait un si poignant défi au siècle et à tout ce que le siècle croit, aime, admire et préconise!... C'était d'abord du vertige et de la stupeur qu'il éprouvait; puis l'attendrissement le gagnait peu à peu, et il se surprenait à pleurer comme les autres. Quelle éloquence a provoqué plus de larmes! Quelle parole a pénétré plus avant dans les coeurs! Elle s'y ouvrait une issue par le feu et par la flamme; elle brûlait, elle rayonnait, elle triomphait; elle faisait mieux que de charmer l'esprit, elle dominait l'âme tout entière et la ramenait à Dieu, non par la voie souvent longue et difficile de la discussion, mais par les sentiers de l'émotion qui abrégent et conduisent directement au but.

On écoutait M. Vianney comme un nouvel apôtre que Jésus-Christ envoyait à son Église, pour y renouveler la sainteté et la ferveur de son divin Esprit, en un siècle dont la corruption l'a si profondément altéré dans l'âme de la plupart des hommes. Et c'est une grande merveille que, ne proposant, comme les apôtres, qu'une doctrine incompréhensible à la raison humaine et trèsamère au goût dépravé du monde; car il ne parlait que de croix, d'humiliations, de pauvreté, de pénitence, cette doctrine fût si bien accueillie. Ceux qui ne l'avaient pas encore dans le coeur étaient bien aises d'en nourrir leur esprit. S'ils n'avaient pas le courage d'en faire la règle de leur conduite, ils ne pouvaient s'empêcher de la trouver admirable et de désirer la suivre.

Il n'est pas moins remarquable que, ne parlant que son idiome naturel, c'est-à-dire le français peu châtié des gens de la campagne, on pût cependant presque dire de M. Vianney, comme des apôtres, qu'il a été entendu de toutes les nations du monde, et que sa voix a résonné par toute la terre. Il était l'oracle que l'on allait consulter pour apprendre à bien connaître Jésus-Christ. Non-seulement les simples, mais les savants, non-seulement les parfaits, mais les indifférents y trouvaient je ne sais quelle onction divine, qui les pénétrait et leur faisait désirer de la goûter encore. Plus on l'entendait, plus on voulait l'entendre, et l'on revenait toujours avec amour au pied de cette chaire, comme en un lieu où l'on avait trouvé le beau et le vrai. Rien ne faisait mieux voir que le Curé d'Ars était plein de l'Esprit de Dieu, qui seul est plus grand que notre coeur : on a beau puiser en lui, on ne l'épuisera jamais, et la divine satiété qu'il donne ne fait qu'exciter un plus grand appétit, qui nous laisse toujours plus affamés.

Le saint Curé parlait sans autre travail préparatoire que sa continuelle application à Dieu; il passait sans délai et sans transition du confessionnal à la chaire, et toutefois, il y apportait une imperturbable assurance, une merveilleuse impassibilité qui ne naissait nullement de la certitude, mais plutôt de l'oubli complet et absolu de lui-même. Au reste, on n'était pas tenté de le juger. Les hommes ne jugent d'ordinaire que ceux à qui il n'est point indifférent d'être jugés. On avait bien autre chose à faire, quand on entendait le Curé d'Ars : il fallait se juger soi-même.

M. Vianney n'avait aucun souci de ce qu'on pouvait dire ou penser de lui. Quelle que fût la composition de son auditoire, bien que des évêques et d'autres illustres personnages soient venus souvent se mêler à la foule qui entourait sa chaire, jamais sa parole n'a trahi la moindre émotion, ni le moindre embarras, provenant d'une crainte humaine. Lui si timide et si modeste n'était plus le même homme, quand il traversait les rangs pressés de l'assistance souvent imposante qui remplissait l'église, à l'heure du catéchisme; il avait alors l'air d'un triomphateur; il portait la tête haute; son visage était illuminé; ses yeux lancaient des éclairs.

« Voire auditoire ne vous a jamais fait peur? lui demandait-on un jour. — Non, répondait-il, au contraire. Plus il y a de monde, plus je suis content. » Il ajoutait pour donner le change: « Les orgueilleux croient toujours bien faire. » Il aurait eu le pape, les cardinaux, les rois, au pied de sa chaire, qu'il n'aurait dit ni plus ni moins, ne pensant qu'aux âmes et ne faisant penser qu'à Dieu. Cette véritable domination oratoire suppléait chez lui le talent et la rhétorique; elle donnait aux choses les plus simples, sorties de cette bouche vénérable, une majesté singulière et une irrésistible autorité.

Ce qui ne fortifiait pas moins les discours de M. Vianney, c'est la haute opinion que les pèlerins avaient de sa sainteté. « La première qualité de l'homme appelé au périlleux honneur d'instruire les peuples, dit saint Isidore, est d'être saint et irréprochable. Il faut qu'il soit étranger au péché, celui dont la mission est d'éloigner les autres du péché; il faut qu'il paraisse en tout comme un modèle de perfection, celui dont la tâche est de conduire les autres à la perfection. » Dans le saint catéchiste d'Ars, c'était la vertu qui prêchait la vérité. Lorsqu'il parlait amour de Dieu, humilité, douceur, patience, mortification, sacrifice, pauvreté, désir de la souffrance, ses exemples donnaient un poids immense à ses paroles. Un homme est bien fort pour convaincre et persuader, quand on voit qu'il pratique tout ce qu'il enseigne.

La forme qu'employait le Curé d'Ars n'était pas autre chose que l'enveloppe la plus transparente que prenne l'idée, afin de paraître le plus possible telle qu'elle est, créant elle-même l'expression qui lui convient. Il savait mettre les vérités de l'ordre le plus élevé à la portée de toutes les intelligences; il les revêtait d'un langage familier, il attendrissait par la simplicité, il ravissait par la doctrine. La science qui n'est pas cherchée est celle qui abonde; elle coule comme l'eau de la source vive que la Samaritaine ne connaissait pas et dont le Sauveur lui enseigna la vertu. Ainsi, les considérations sur le péché, sur l'injure qu'il fait à Dieu et le mal qu'il fait à l'homme, n'étaient pas un jeu de son esprit, mais le travail douloureux de sa pensée; elles le pénétraient, le consternaient, le tourmentaient : c'était le trait de feu enfoncé dans sa poitrine. Il soulageait son âme en l'épanchant.

Chose étonnante, cet homme, si disposé à proclamer son ignorance, était né avec un grand attrait pour les facultés supérieures de l'intelligence; le plus bel éloge qu'il pût faire de quelqu'un était de dire qu'il avait de l'esprit. Quand on énumérait devant lui les qualités d'une personne, ecclésiastique ou laïque, il manquait rarement de compléter le panégyrique par ces mots: « Ce que j'aime bien surtout, c'est qu'il est savant!... »

M. Vianney appréciait et goûtait dans les autres les dons de l'éloquence; il bénissait Dieu qui pour sa gloire accorde à l'homme de si beaux priviléges, mais il les dédaignait pour lui-même. Il ne se faisait pas scrupule de blesser outrageusement la grammaire et la syntaxe dans ses discours; on pouvait croire qu'il le faisait exprès par humilité, car il y avait des fautes qu'il aurait pu éviter. Cela n'empêchait pas ce langage incorrect de pénétrer dans les âmes, de les éclairer et de les convertir: « Le discours poli, dit saint Jérôme, ne flatte que les oreilles; celui qui sans être poli est plein de la vérité, se fait un chemin jusqu'au coeur. »

La parole du Curé d'Ars avait de la soudaineté et du trait; il la décochait comme une flèche, et toute son âme semblait partir et s'élancer avec elle. Il y avait dans ces effusions de belles et saisissantes choses. Le pathétique, le profond, le sublime s'y rencontraient souvent, à côte du simple et du vulgaire. On y retrouvait tout l'abandon, tout le désordre, mais aussi toute la spontanéité et toute la puissance d'une improvisation. Nous avons essayé quelquefois d'écrire ce que nous venions d'entendre; il nous a été impossible de ressaisir les choses qui nous avaient le plus ému, et de leur donner une forme; elles se figeaient au bout de la plume : c'était une lave refroidie. Le vent n'écrit pas ce qu'il murmure sous le dôme des forêts, la mer n'écrit pas les gémissements de ses grèves; de même ce qu'il y a de plus divin dans le coeur de l'homme n'en sort pas à l'aide de l'écriture.


Le Curé d'Ars dans ses catéchismes (2) The Curé d'Ars in his catechisms (2)

La parole du Curé d'Ars avait d'autant plus d'efficacité, qu'il préchait par tout son être. Sa présence seule était déjà une apparition de la vérité. C'est bien de lui qu'on pouvait dire qu'il était __l'orateur des yeux__, et qu'il aurait ému et convaincu même par son silence. Quand on voyait apparaître en chaire ce visage pâle, osseux, diaphane; quand on entendait cette voix grêle, perçante, ressemblant à un cri, jeter à la foule des pensées sublimes, une enveloppe naïve et populaire, on croyait être en présence d'une de ces grandes figures bibliques parlant aux hommes la langue des prophètes. On était déjà saisi de respect, rempli de confiance et disposé à entendre, non pour jouir, mais pour profiter.

Avant de commencer, le vénérable catéchiste promenait sur l'auditoire son regard, qui préparait le chemin à sa parole. Quelquefois ce regard devenait fixe; il semblait fouiller jusqu'au fond d'une âme que le saint homme avait entrevue tout à coup, et dans laquelle on eût dit qu'il allait chercher le texte de son entretien. Combien ont pu croire qu'il n'avait parlé que pour eux! combien se sont reconnus dans la

peinture qu'il faisait de leurs faiblesses! combien y ont retrouvé l'histoire secrète de leurs défaillances, de leurs séductions, de leurs combats, de leurs troubles et de leurs remords!

Pour ceux à qui il a été donné d'assister à ces catéchismes, il y avait deux choses également remarquables : le prédicateur et l'auditeur. Ce n'était pas une parole que faisait entendre le prédicateur, c'était plus qu'une parole, c'était une âme, une âme sainte, toute trempée de foi et d'amour qui s'épanchait devant vous, dont vous subissiez le contact immédiat, dont vous sentiez le rayonnement sur votre âme. Quant à l'auditeur, il n'était plus sur la terre; il était transporté dans ces pures régions d'où descendent les dogmes et les mystères. A mesure que l'apôtre parlait, de nouveaux et clairs horizons s'ouvraient à la pensée : le ciel et la terre, la vie présente et la vie future, les choses du temps et les choses de l'éternité se montraient sous un jour qu'on n'avait pas encore aperçu.

Lorsqu'un homme venu du monde, et en rapportant les idées, les sentiments, les impressions qu'on y respire, s'asseyait pour entendre cette doctrine, elle l'étourdissait, le terrassait... elle jetait un si poignant défi au siècle et à tout ce que le siècle croit, aime, admire et préconise!... C'était d'abord du vertige et de la stupeur qu'il éprouvait; puis l'attendrissement le gagnait peu à peu, et il se surprenait à pleurer comme les autres. Quelle éloquence a provoqué plus de larmes! Quelle parole a pénétré plus avant dans les coeurs! Elle s'y ouvrait une issue par le feu et par la flamme; elle brûlait, elle rayonnait, elle triomphait; elle faisait mieux que de charmer l'esprit, elle dominait l'âme tout entière et la ramenait à Dieu, non par la voie souvent longue et difficile de la discussion, mais par les sentiers de l'émotion qui abrégent et conduisent directement au but.

On écoutait M. Vianney comme un nouvel apôtre que Jésus-Christ envoyait à son Église, pour y renouveler la sainteté et la ferveur de son divin Esprit, en un siècle dont la corruption l'a si profondément altéré dans l'âme de la plupart des hommes. Et c'est une grande merveille que, ne proposant, comme les apôtres, qu'une doctrine incompréhensible à la raison humaine et trèsamère au goût dépravé du monde; car il ne parlait que de croix, d'humiliations, de pauvreté, de pénitence, cette doctrine fût si bien accueillie. Ceux qui ne l'avaient pas encore dans le coeur étaient bien aises d'en nourrir leur esprit. S'ils n'avaient pas le courage d'en faire la règle de leur conduite, ils ne pouvaient s'empêcher de la trouver admirable et de désirer la suivre.

Il n'est pas moins remarquable que, ne parlant que son idiome naturel, c'est-à-dire le français peu châtié des gens de la campagne, on pût cependant presque dire de M. Vianney, comme des apôtres, qu'il a été entendu de toutes les nations du monde, et que sa voix a résonné par toute la terre. Il était l'oracle que l'on allait consulter pour apprendre à bien connaître Jésus-Christ. Non-seulement les simples, mais les savants, non-seulement les parfaits, mais les indifférents y trouvaient je ne sais quelle onction divine, qui les pénétrait et leur faisait désirer de la goûter encore. Plus on l'entendait, plus on voulait l'entendre, et l'on revenait toujours avec amour au pied de cette chaire, comme en un lieu où l'on avait trouvé le beau et le vrai. Rien ne faisait mieux voir que le Curé d'Ars était plein de l'Esprit de Dieu, qui seul est plus grand que notre coeur : on a beau puiser en lui, on ne l'épuisera jamais, et la divine satiété qu'il donne ne fait qu'exciter un plus grand appétit, qui nous laisse toujours plus affamés.

Le saint Curé parlait sans autre travail préparatoire que sa continuelle application à Dieu; il passait sans délai et sans transition du confessionnal à la chaire, et toutefois, il y apportait une imperturbable assurance, une merveilleuse impassibilité qui ne naissait nullement de la certitude, mais plutôt de l'oubli complet et absolu de lui-même. Au reste, on n'était pas tenté de le juger. Les hommes ne jugent d'ordinaire que ceux à qui il n'est point indifférent d'être jugés. On avait bien autre chose à faire, quand on entendait le Curé d'Ars : il fallait se juger soi-même.

M. Vianney n'avait aucun souci de ce qu'on pouvait dire ou penser de lui. Quelle que fût la composition de son auditoire, bien que des évêques et d'autres illustres personnages soient venus souvent se mêler à la foule qui entourait sa chaire, jamais sa parole n'a trahi la moindre émotion, ni le moindre embarras, provenant d'une crainte humaine. Lui si timide et si modeste n'était plus le même homme, quand il traversait les rangs pressés de l'assistance souvent imposante qui remplissait l'église, à l'heure du catéchisme; il avait alors l'air d'un triomphateur; il portait la tête haute; son visage était illuminé; ses yeux lancaient des éclairs.

« Voire auditoire ne vous a jamais fait peur? lui demandait-on un jour. — Non, répondait-il, au contraire. Plus il y a de monde, plus je suis content. » Il ajoutait pour donner le change: « Les orgueilleux croient toujours bien faire. » Il aurait eu le pape, les cardinaux, les rois, au pied de sa chaire, qu'il n'aurait dit ni plus ni moins, ne pensant qu'aux âmes et ne faisant penser qu'à Dieu. Cette véritable domination oratoire suppléait chez lui le talent et la rhétorique; elle donnait aux choses les plus simples, sorties de cette bouche vénérable, une majesté singulière et une irrésistible autorité.

Ce qui ne fortifiait pas moins les discours de M. Vianney, c'est la haute opinion que les pèlerins avaient de sa sainteté. « La première qualité de l'homme appelé au périlleux honneur d'instruire les peuples, dit saint Isidore, est d'être saint et irréprochable. Il faut qu'il soit étranger au péché, celui dont la mission est d'éloigner les autres du péché; il faut qu'il paraisse en tout comme un modèle de perfection, celui dont la tâche est de conduire les autres à la perfection. » Dans le saint catéchiste d'Ars, c'était la vertu qui prêchait la vérité. Lorsqu'il parlait amour de Dieu, humilité, douceur, patience, mortification, sacrifice, pauvreté, désir de la souffrance, ses exemples donnaient un poids immense à ses paroles. Un homme est bien fort pour convaincre et persuader, quand on voit qu'il pratique tout ce qu'il enseigne.

La forme qu'employait le Curé d'Ars n'était pas autre chose que l'enveloppe la plus transparente que prenne l'idée, afin de paraître le plus possible telle qu'elle est, créant elle-même l'expression qui lui convient. Il savait mettre les vérités de l'ordre le plus élevé à la portée de toutes les intelligences; il les revêtait d'un langage familier, il attendrissait par la simplicité, il ravissait par la doctrine. La science qui n'est pas cherchée est celle qui abonde; elle coule comme l'eau de la source vive que la Samaritaine ne connaissait pas et dont le Sauveur lui enseigna la vertu. Ainsi, les considérations sur le péché, sur l'injure qu'il fait à Dieu et le mal qu'il fait à l'homme, n'étaient pas un jeu de son esprit, mais le travail douloureux de sa pensée; elles le pénétraient, le consternaient, le tourmentaient : c'était le trait de feu enfoncé dans sa poitrine. Il soulageait son âme en l'épanchant.

Chose étonnante, cet homme, si disposé à proclamer son ignorance, était né avec un grand attrait pour les facultés supérieures de l'intelligence; le plus bel éloge qu'il pût faire de quelqu'un était de dire qu'il avait de l'esprit. Quand on énumérait devant lui les qualités d'une personne, ecclésiastique ou laïque, il manquait rarement de compléter le panégyrique par ces mots: « Ce que j'aime bien surtout, c'est qu'il est savant!... »

M. Vianney appréciait et goûtait dans les autres les dons de l'éloquence; il bénissait Dieu qui pour sa gloire accorde à l'homme de si beaux priviléges, mais il les dédaignait pour lui-même. Il ne se faisait pas scrupule de blesser outrageusement la grammaire et la syntaxe dans ses discours; on pouvait croire qu'il le faisait exprès par humilité, car il y avait des fautes qu'il aurait pu éviter. Cela n'empêchait pas ce langage incorrect de pénétrer dans les âmes, de les éclairer et de les convertir: « Le discours poli, dit saint Jérôme, ne flatte que les oreilles; celui qui sans être poli est plein de la vérité, se fait un chemin jusqu'au coeur. »

La parole du Curé d'Ars avait de la soudaineté et du trait; il la décochait comme une flèche, et toute son âme semblait partir et s'élancer avec elle. Il y avait dans ces effusions de belles et saisissantes choses. Le pathétique, le profond, le sublime s'y rencontraient souvent, à côte du simple et du vulgaire. On y retrouvait tout l'abandon, tout le désordre, mais aussi toute la spontanéité et toute la puissance d'une improvisation. Nous avons essayé quelquefois d'écrire ce que nous venions d'entendre; il nous a été impossible de ressaisir les choses qui nous avaient le plus ému, et de leur donner une forme; elles se figeaient au bout de la plume : c'était une lave refroidie. Le vent n'écrit pas ce qu'il murmure sous le dôme des forêts, la mer n'écrit pas les gémissements de ses grèves; de même ce qu'il y a de plus divin dans le coeur de l'homme n'en sort pas à l'aide de l'écriture.