Le Curé d'Ars dans ses catéchismes (1)
Esprit du Curé d'Ars
par l'Abbé Alfred Monnin
Aux Pelerins D'Ars
Chères Âmes,
C'est parce qu'il vous aimait que le Curé d'Ars a si bien parlé du Ciel qui est la patrie des âmes, de Dieu qui en est le Père, de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui en est le Sauveur et l'Ami.
Vous avez été, chères âmes, toute la poésie du Curé d'Ars, toute son éloquence, toute sa doctrine. En vous rendant sa parole, je vous donne ce qui est à vous.
Ce livre est une châsse dans laquelle j'ai réuni d'inestimables trésors, dispersés comme des reliques inconnues, bientôt perdues peut-être...
Qu'il me soit permis de vous le dire, frères bien-aimés, j'ai mis à remplir cette pieuse tâche ce qu'il y avait de meilleur en moi : amour, respect, conscience, soin scrupuleux à ne rien laisser perdre, désir sincère de vous être utile.
Si vous avez retrouvé M. Vianney dans sa biographie, vous le retrouverez encore mieux dans ces pages, où il a répandu son Esprit sans que j'eusse à y mêler le mien.
La vraie parole, je le sais, est la parole vivante. Mais, comme vous sentez, sur le tombeau d'Ars, la vertu de celui qui y est renfermé, vous sentirez aussi, je l'espère, passer son souffle dans ces paroles refroidies.
Notre-Seigneur a daigné les bénir sur les lèvres du Curé d'Ars, pour le salut d'un grand nombre; qu'il daigne encore les bénir, sous ma plume, pour le bien de quelques-uns d'entre vous et pour la gloire éternelle de son très-saint et très-adorable nom!
Alfred Monnin. Ars, 4 août 1864. Cinquième anniversaire de la mort du serviteur de Dieu.
Première Partie. Le Curé d'Ars dans ses catéchismes.
Nul doute, que par la pureté du coeur, l'innocence, ou conservée ou recouvrée par la vertu, la foi etl'amour de Dieu, il n'y ait dans l'homme des capacités et des ressources d'esprit, de corps et de coeur que la plupart ne soupçonnent pas. C'est à cet ordre de ressources qu'appartient ce que la théologie nomme la science infuse, les vertus intellectuelles inspirées que verse dans notre esprit le Verbe divin, quand il habite en nous par la foi et la charité. « Ce qui purifie l'oeil du coeur et le rend propre à s'élever à la véritable lumière, a dit une sainte, qui vivait au XI siècle, dans un des mystiques monastères de l'Allemagne, c'est le mépris des soucis du siècle, la mortification du corps, la contrition du coeur, le bain des larmes.... la méditation de l'admirable essence de Dieu et de sa chaste vérité, la prière forte et pure, la joie en Dieu, l'ardent désir du ciel. Embrassez tout cela, ajoute la sainte, et restez-y. Avancez vers la lumière qui s'offre à vous comme à ses fils et descend d'elle-même dans vos coeurs. Otez vos coeurs de vos propres poitrines, et donnez-les à Celui qui vous parle; il les remplira de splendeurs déifiques, et vous serez fils de lumière et anges de Dieu. »
La théorie que nous venons de lire paraît avoir été calquée sur la vie même du Curé d'Ars : pas un trait qui ne le rappelle; pas un détail qui ne s'harmonise merveilleusement avec sa figure! Quel homme a poussé plus loin le mépris des soucis du siècle, la mortification du corps, le bain des larmes? Il en était toujours inondé!... Et la méditation de l'admirable essence de Dieu et de sa chaste vérité, et la prière forte et pure, la joie en Dieu, l'ardent désir du ciel? comme tout cela est caractéristique! Il s'était avancé vers la lumière, et la lumière était descendue d'elle-même dans son coeur... Il avait ôté son coeur de sa poitrine, il l'avait donné à Celui qui lui parlait; et celui qui lui parlait, qui est le Verbe divin, la parole de Dieu incréée, le remplissait de splendeurs déifiques. Qui pourrait en douter de ceux qui ont eu le bonheur d'assister à quelques-uns des catéchismes d'Ars, d'entendre cette parole étrange qui ne ressemblait à aucune parole humaine, qui ont vu l'effet irrésistible produit sur les auditeurs de toute classe par cette voix, cette sensibilité, cet élan, cette intuition, cette flamme et l'éclatante beauté de ce français inculte, presque trivial,mais transfiguré et pénétré du feu sacré jusque dans la forme, l'arrangement, l'harmonie des mots et des syllabes? Et pourtant l'immortel catéchiste ne disait pas des mots; la véritable éloquence est dans les choses; le Curé d'Ars disait des choses, et il les disait dans un style prodigieux. Son âme tout entière passait dans celle de la foule pour la faire croire, aimer, espérer avec lui. C'est là le but suprême et aussi le triomphe de l'éloquence évangélique.
Comment cet homme, qui avait pensé n'être pas admis au grand séminaire, à cause de son ignorance; cet homme qui, depuis son initiation au sacerdoce, n'avait eu d'autre occupation que la prière et les travaux du confessional, était-il arrivé à faire de la dogmatique à la manière d'un Père de l'Eglise? De quel foyer pouvaient jaillir ses étonnantes lumières sur Dieu et ses oeuvres, sur la nature et l'histoire de l'âme? Comment faisait le Curé d'Ars pour se rencontrer dans la même pensée, et quelquefois dans les mêmes expressions, avec les plus beaux génies chrétiens, les Chrysostome, les Augustin, les Bernard, les Thomas d'Aquin, les Bonaventure, les Catherine de Sienne, les Térèse?
Par exemple, nous lui avions souvent entendu dire que le coeur des saints était LIQUIDE. Nous avions été frappé de cette ravissante expression, mais nous étions loin de soupçonner qu'elle eût une si grande précision théologique. C'est avec une surprise attendrie au souvenir de notre bon Saint, que nous avons trouvé, en feuilletant la Somme, une question dans laquelle le Docteur angélique assigne à l'amour quatre effets immédiats, dont le premier est la LIQUÉFACTION du coeur. Certes, M. Vianney n'avait jamais lu saint Thomas; cette notion, littéralement empruntée au grand théologien, n'en est que plus remarquable. Il n'y a lieu de s'étonner, et le prodige ne manque d'explication que pour ceux-là seulement qui ignorent les procédés de la grâce, et qui n'ont jamais compris ces paroles du Maître : Ce que vous avez caché aux sages et aux prudents, vous l'avez révélé aux petits (S. Matth, xi, 25).
L'esprit de Dieu s'était plu à graver dans le coeur de ce saint Prêtre tout ce qu'il devait savoir et enseigner aux autres, et d'autant mieux l'y avait-il gravé, que ce coeur était plus pur, plus dégagé, plus vide de la vaine science des hommes : c'était comme un marbre bien net et bien poli qui n'attend que le burin de l'ouvrier.
La foi du Curé d'Ars était toute sa science; son livre, c'était Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne cherchait pas la sagesse ailleurs qu'en Jésus-Christ, dans sa mort et dans sa croix. Il n'y avait pas pour lui d'autre sagesse véritable, pas d'autre sagesse utile. Ce n'est point dans la poussière des bibliothèques, ni à l'école des savants, c'est dans la prière, à genoux aux pieds du Maître, en couvrant ses pieds divins de larmes et de baisers; c'est en présence des saints tabernacles où il passait ses jours et ses nuits, dans le temps que la foule ne lui avait point encore ôté la liberté de ses jours et de ses nuits, c'est là qu'il avait tout appris.
Il est arrivé souvent aux personnes qui l'ont entendu discourir du Ciel, de l'humanité sainte de Notre-Seigneur, de sa douloureuse passion, de sa présence réelle au Très-Saint Sacrement de nos autels, de la bienheureuse Vierge Marie, de ses amabilités et de ses grandeurs, du bonheur des saints, de la pureté des anges, de la beauté des âmes, de la dignité de l'homme, de tous ces sujets qui lui étaient familiers, il leur est arrivé de sortir de cet entretien, convaincus que le bon Père voyait les choses dont il venait de parler avec une telle plénitude de coeur, une éloquence si émue, des accents si passionnés, une si grande abondance de larmes; et de fait, sa parole s'imprégnait alors d'un caractère de tendresse divine, de suave douceur et d'onction pénétrante auquel on ne peut rien comparer. Il y avait dans sa voix, dans son geste, dans son regard, sur sa figure transfigurée, un éclat si extraordinaire, une puissance si merveilleuse, qu'il était impossible de rester froid en l'écoutant. Les vues et les pensées que la lumière divine communique ont une bien autre portée que celles qu'on acquiert par le travail. En présence d'une exposition si simple et si lumineuse à la fois, devant une certitude si grande, le doute s'en allait des coeurs les plus rebelles, et les admirables clartés de la foi prenaient sa place.